La mostra du livre vers un avenir métropolitain

Temps fort. Carte Blanche à Lydie Salvayre

Temps fort. Carte Blanche à Lydie Salvayre

Comédie du Livre. Pour son trentième anniversaire, l’événement rend dignement hommage aux littératures de la péninsule ibérique et se projette vers la rencontre de nouveaux publics.

La Comédie du Livre fête ses trente ans cette année. L’histoire de ce grand rendez-vous du livre à Montpellier, initié par les libraires de la ville avec la bénédiction de Georges Frêche, n’est pas un long fleuve tranquille. Il coule cependant toujours pour la grande satisfaction des Montpelliérains qui répondent fidèlement et massivement à cette grande fête du livre où se croisent les passions.

Depuis quatre ans, la Ville de Montpellier a recentré la manifestation autour de la littérature des pays invités. Devenu chargé de mission pour la ville, l’ex-libraire Régis Pénalva a su palier à la dispersion des propositions, et aux tentations mercantiles, pour renforcer le contenu littéraire. Dans le même temps, l’association de libraires Coeur de livres conduit une politique à l’année qui fait vivre le livre à travers un sérieux programme pédagogique et de nombreuses propositions et rencontres littéraires. Durant l’événement, elle est aussi partie prenante de la programmation.

Fraîchement élu, le maire Philippe Saurel déclarait en 2014  vouloir étendre la manifestation à l’ensemble des quartiers de la ville via le réseau des médiathèques. Cette semaine, lors de la présentation à la Maison des relations internationales, il a annoncé vouloir « booster la politique des jumelages » dans un souci d’efficacité économique. Le choix des littératures ibériques mises à l’honneur lors de ce trentième anniversaire est pour Philippe Saurel, intimement lié à la volonté de relancer les échanges « tombés en désuétude » avec nos voisins du sud et plus particulièrement avec Barcelone.

Les consuls d’Espagne Juan Manuel Cabrera et du Portugal Pedro Marinho Da Costa, présents à Montpellier, ont tous deux chaleureusement remercié le maire de Montpellier pour cette invitation sans omettre de rappeler l’importance que revêt la culture dans les échanges internationaux. Pedro Marinho Da Costa citant à bon escient, la réponse de Churchill à qui l’on demandait de couper dans le budget des arts pour l’effort de guerre?: « Alors pourquoi nous battons-nous ?» Si la guerre économique liée à la reforme territoriale passe par la culture, le potentiel de la Métropole dans ce secteur demande à être pris en compte à sa juste valeur.

Un programme ouvert captivant

La qualité de l’offre de cette trentième Comédie du Livre s’inscrit dans ce sens. Du 29 au 31 mai, 250 écrivains seront présents à Montpellier dont 35 écrivains portugais et espagnols. Ces deux géants de la littérature seront représentés dans toute leur diversité. Il faut souligner le travail opéré autour de la littérature portugaise nettement moins représentée dans les ouvrages disponibles en traduction française. La langue castillane, qui imposa sa suprématie à la majeure partie de la péninsule, ne sera pas hégémonique puisque nombre d’auteurs écrivant en galicien*, basque, catalan sont invités.

Une belle place sera accordée à la jeune génération qui dresse souvent le tableau sans complaisance d’une société en crise. Parmi les points forts, la carte blanche à Lydie Salvayre, lauréate du prix Goncourt 2014 qui partagera ses références et coups de coeur littéraires ; la découverte de la ligne éditoriale des Editions Viviane Hamy ; les quinze ans des éditions Au diable Vauvert ; et beaucoup de débats passionnants avec des invités de taille dont Antoine Volodine, Jérome Ferrari, Régis Jauffrey, Ken Loach…

Jean-Marie Dinh

 *A l’origine de la langue portugaise.

Source : La Marseillaise 09/05/2015

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Cervantès marginal créateur du roman moderne

IND119216Rencontre littéraire. Un débat proposé ce soir à Montpellier par Cœur de Livres autour de l’auteur de Don Quichotte. L’invité Olivier Weber dévoile dans «?Le Barbaresque?» un aspect peu connu de la vie de l’écrivain.

L’association Coeur de livres initie ce soir, à la salle Pétrarque de Montpellier, un nouveau cycle de rencontres littéraires. Cinq rencontres sont en effet programmées jusqu’à la Comédie du livre en mai qui met cette année à l’honneur les littératures ibériques. Les grands auteurs classiques espagnols – basques, castillans, catalans, galiciens – et portugais seront au coeur des débats. Coeur de livres invite ce soir à 19h l’écrivain et journaliste Olivier Weber, auteur d’une biographie romancée de Miguel de Cervantès (1547-1616).

L’auteur de Don Quichotte de la Mancha, une des œuvres les plus célèbres du patrimoine littéraire mondial, était le fils d’un médecin pauvre soumis aux hasards d’une vie errante. Dans sa jeunesse, Miguel Cervantès mène une vie aventureuse. Il tente d’échapper à sa modeste condition par la carrière des armes. Au service du cardinal Acquaviva, protecteur du royaume d’Espagne, il suit son maître à Rome et parcourt l’Italie. Il assiste à la chute de Nicosie (Chypre) annexé par le sultan ottoman Selim II, participe en 1571 à la bataille de Lépante qui voit la flotte espagnole victorieuse.

Après avoir perdu l’usage de sa main gauche au combat, Cervantès s’embarque pour l’Espagne en 1575 mais sa galère est attaquée par les Turcs. Fait prisonnier, il est amené en captivité à Alger. Il y restera cinq ans. Malgré plusieurs tentatives d’évasion, il ne sera racheté qu’à la fin de 1580.

Roman biographique

C’est précisément cette période qui sert de toile de fond historique au roman d’Olivier Weber Le Barbaresque* dont l’action débute en 1575. L’auteur décrit avec saveur la captivité de Cervantès à Alger en rendant compte du climat cosmopolite et inter-religieux qui régnait alors dans ce royaume de la piraterie. En tant que prisonnier de marque, l’homme de la chrétienté bénéficie d’un traitement de faveur. Guidé par une incontrôlable pulsion amoureuse pour Zorha, la fille du puissant Hadji qui règne sur la ville, Cervantès s’engage dans une mission périlleuse entre chrétiens et mahométans.

Au coeur du siècle d’Or espagnol, la vie de Cervantès se prête au roman. Olivier Weber évoquera ce soir la puissance imaginaire que dégage le personnage. De retour à Madrid après sa captivité à Alger, l’aventurier tentera de vivre de sa plume sans grand succès. Il participe à l’attaque espagnole contre l’Angleterre mais le désastre de l’invincible armada met fin à ses fonctions. En 1589, accusé d’exactions, Cervantès est arrêté et excommunié. Il sera à nouveau incarcéré à plusieurs reprises pour abus de bien sociaux et une affaire d’assassinat dont il sera reconnu innocent. Une vie émaillée de telles aventures fournit une riche réserve de matière littéraire que Cervantès croise avec l’observation de la vie quotidienne dont il tire des ressources tout aussi inépuisables.

En 1605, la publication de la première partie de Don Quichotte rencontre un immense succès. Cervantès peut désormais se consacrer à la littérature et ne cessera de publier. L’auteur faisait grand cas de son oeuvre théâtrale. Dans le prologue Des huit comédies, il indique avoir écrit trente pièces dont la plupart ont disparu. En 1614 paraît Voyage au Parnasse, poème en tercet qui livre une bataille allégorique aux mauvais poètes. Ce n’est qu’en 1616 que Cervantès publie la seconde partie de son oeuvre majeure sans se douter qu’il avait créé le roman moderne.

 Jean-Marie Dinh

Olivier Weber, Le Barbaresque, édition Flammarion 2011

 200px-O._WeberOlivier Weber, un homme engagé
Né en 1958, Olivier Weber, est un écrivain, grand reporter titulaire du Prix Albert Londres (1992) et correspondant de guerre français. Maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Paris, président du Prix Joseph-Kessel, membre du Festival international du film des droits de l’homme, il a été nommé ambassadeur de France itinérant, chargé de la lutte contre la traite des êtres humains. Olivier Weber est aussi scénariste. Il présentait hier au cinéma Utopia son documentaire La Fièvre de l’Or qui montre comment l’or peut rendre fou en Guyane. Il évoquera ce soir la puissance du personnage de Cervantès. Ses récits de voyage, essais et romans ont été traduits dans une dizaine de langues.

 Voir aussi : Rubrique Littérature, Littérature Espagnole, Rubrique Rencontre, rubrique Montpellier,

Les grands auteurs classiques ibériques

don-quichotte-1957-1972-01-gRencontres littéraires. Une proposition de Cœur de livres en préambule de la
Comédie du livre qui célèbrera en 2015 les littératures espagnoles et portugaises.

Du 29 au 31 mai 2015, la  Comédie du livre fêtera ses 30 ans. Cette édition exceptionnelle aura pour invitée la littérature ibérique. Fidèle à sa vocation de promouvoir le livre et la lecture dans la ville et à la vitalité des libraires associées à cette démarche, l’association Cœur de livres propose au grand public un cycle de rencontres littéraires mensuelles.

L’occasion de redécouvrir les auteurs classiques des pays mis à l’honneur (Espagne et Portugal en 2015) lors de la manifestation. Ces rencontres sont une opportunité pour appréhender le patrimoine littéraire des pays invités. Elles permettent en outre de se familiariser avec le corpus littéraire dans lequel les auteurs contemporains invités à Montpellier ont baigné. Après un tour vers le grand Nord l’an dernier, 2015 sonne donc le retour vers la Méditerranée.

Les littératures espagnoles -?basques, castillanes, catalanes, galiciennes?- et portugaises sont  ainsi mises à l’honneur à travers cinq rencontres, à partir de janvier et jusqu’à la Comédie du livre. Chaque rencontre donne lieu à un dialogue entre un intervenant en lien avec l’auteur classique mis en avant et un modérateur.

En préambule de chaque rencontre, le public pourra trouver, dans les librairies partenaires de l’événement, une brochure d’une dizaine de pages présentant l’auteur classique dont il sera question et les différents auteurs présents lors de cette rencontre à travers leurs biographies, accompagnées de l’extrait d’une œuvre lu par des comédiens pendant la rencontre.

Partenaire de l’événement, L’Hérault du Jour consacre une page  pour présenter chaque rencontre également enregistrée par Radio Campus Montpellier.

Au programme 2015
Jeudi 22 janvier : Miguel de Cervantès avec Olivier Weber. Jeudi 26 février : José Saramago avec Carmen Castillo. Jeudi 26 mars :  Luis de Camoes avec Sébastien Lapaque. Jeudi 30 avril : Fernando Pessoa avec Stanislas Grassian. Vendredi 29 mai : Federico Garcia Lorca avec Serge Mestre. Salle Pétrarque à 19h. Entrée libre.

Source : L’Hérault du Jour 30/12/2014

Anne-Marie Métailié : «Je joue comme je l’entends »

Anne-Marie Métailié

Anne-Marie Métailié

Rencontre. Les éditions Métailié fêtent leur 35 ans, à la Comédie du livre. La
maison d’édition sera accueillie sur le stand de la librairie Le Grain des Mots.

Cette année, les éditions Métailié célébreront leur 35 années lors de la 29e Comédie du Livre. En présence de leur fondatrice Anne-Marie Métailié, de nombreux écrivains seront présents afin de représenter toute la diversité d’un catalogue de littératures étrangères exigeant et prestigieux.

Vous fondez la maison en 1979 avec un capital pour faire trois livres. Quelle était votre idée directrice à l’époque ?
Je voulais publier avant tout, cette idée me tenait à cœur, et plus particulièrement dans le domaine des sciences-humaines. Diplômée de science po, je n’avais pas de formation spécifique. C’était le début de la perte de vitesse dans ce secteur. Pour moi les sciences-humaines correspondaient à ce que nous vivions. Mais tout cela s’effondrait, et les livres ne se vendaient pas…

Qu’avez vous fait ?
Au bout de trois ans, j’ai renoncé et réorienté l’optique sur la littérature que j’aimais en commençant par publier des inconnus brésiliens comme Machado de Assis et Carlos Drummond de Andrade, et Portugais, comme Antonio Lobo Antunes, José Saramago…

Comment avez-vous rencontré Antunes ?
C’est assez drôle. En 1983, je me trouvais un verre à la main au salon du livre de Frankfort, soudain un garçon que je connaissais pas trébuche et tombe dans mes bras. C’était Antonio. C’est ainsi que nous avons fait connaissance. Quelques temps plus tard, je publiais Le Cul de Judas. Nous faisions tous les efforts pour que nos auteurs se sentent bien, nous n’avions pas de moyens, on offrait notre travail.

Comment décririez-vous vos relations avec les auteurs ?
Ce qui est important dans une maison d’édition ce sont les auteurs. J’y consacre l’essentiel de mon temps. J’aime découvrir. Je suis très curieuse, notre catalogue se compose de plus de 80% d’auteurs inconnus. Les livres arrivent de façon étrange. Les livres vous cherchent. Après c’est à nous à les faire arriver dans les mains des lecteurs.

Vous n’avez pas de comité de lecture ?
Non je lis tout, généralement dans la langue. Je choisis de façon dictatoriale et j’ai le goût du risque. Un ami m’a dit un jour : écoutez, vous n’en avez peut-être pas conscience mais vous êtes une joueuse. Lorsqu’on se trouve à une table de roulette, on ne choisit pas ses numéros à six ou sept. C’est comme ça, j’ai choisi de donner mon nom à la maison, et je joue comme je l’entends.

C’est ainsi que vous avez signé Luis Sepulveda ?
Oui il était totalement inconnu, je me souviens nous venions de changer de distributeur en passant au Seuil. Avec Le Vieux qui lisait des romans d’amour nous avons vendu 85 000 livres en six mois, et depuis plus de deux millions en France, ça vous rend crédible. J’ai pu payer mes dettes… Avec Luis on est comme un vieux mariage. On s’aime, on partage tous deux le sens de l’amitié et de la loyauté mais avant toute chose l’amour de l’écriture.

Quel regard portez-vous sur cette édition de La Comédie du livre ?
Je suis très heureuse de venir souffler nos trente cinq bougies à Montpellier. Avec beaucoup de nos auteurs. Il y a des représentants illustres des littératures nordiques comme Bragi, Thorarinsson,  Indridason, Olivier Truc mais aussi des écrivains venus quatre coins du monde avec Giancarlo de Catalo, Jenni Fagan, Santiago Gamboa, Lidia Jorge, Rosa Montero, Luis Sepulveda. Je suis ravie.

 

propos Recueillis par Jean-Marie Dinh

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De la Littérature à la politique, Gabriel Garcia Marquez a réconcilié l’Amérique latine

gabo

Dans un continent encore extrêmement polarisé politiquement, l’immense contribution de l’écrivain, décédé jeudi, à la vie intellectuelle –et politique– latino-américaine fait plus que jamais l’unanimité.

«Gabriel Garcia Marquez a réussi, par son décès, à mettre d’accord pour la première fois deux ennemis jurés: les guérillas des Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) et l’ancien président [conservateur] Alvaro Uribe (2002-2010), qui ont lamenté d’une seule voix la mort de l’écrivain lauréat du prix Nobel de littérature en 1982.»

Voilà le constat que faisait le quotidien latino de Miami «El Nuevo Herald» après la mort du maître du réalisme magique ce jeudi 17 avril. De son vivant, Gabo, comme il était connu en Amérique Latine, n’a pas échappé aux critiques– notamment  à cause de son amitié avec Fidel Castro et de ses liens avec certains groupes de guérilla.

Mais dès l’annonce de sa mort, le président colombien de droite Juan Manuel Santos a déclaré trois jours de deuil national. Les hommages d’artistes, écrivains et hommes politiques de tous bord se multiplient. Dans un continent encore extrêmement polarisé politiquement, l’immense contribution de Garcia Marquez à la vie intellectuelle –et politique– latino américaine fait plus que jamais l’unanimité.

«Le seul prix Nobel»

En grande partie, cet attachement est dû au fait que Garcia Marquez a donné une mythologie à l’Amérique Latine. L’auteur William J. Kennedy disait d’ailleurs de Cent Ans de Solitude qu’il s’agissait de «la première œuvre littéraire depuis la Genèse qui devrait être une lecture obligatoire pour tout le genre humain

Et l’œuvre phare de Gabo est bien une sorte de Bible du continent construite autour du village  allégorique de Macondo. Au commencement du livre, «le monde était si récent que les choses n’avaient pas encore de nom, et pour les mentionner, il fallait les montrer du doigt.»

La dynastie Buendía, à la fois protagoniste et victime du roman, connaît ensuite un déluge de cinq ans, puis l’Apocalypse. Mais l’herméneutique de l’œuvre ne se limite pas à sa signification religieuse. Si le grec Prométhée a donné le feu à l’homme, le gitan Melquiades, lui, offre la glace aux Colombiens – un bien essentiel dans une région où il ne fait jamais froid.

Pour Garcia Marquez, le réalisme magique, cette manière de conter l’histoire d’un pays – d’un continent même – autour d’événements fantastiques mêlés à la banalité du quotidien, était le produit du passé sanglant et des dictatures d’Amérique Latine. Un passé si extrême qu’il aurait pu être inventé. Dans son discours d’acceptation du prix Nobel en 1982, il expliquait ainsi:

«Notre réalité n’est pas de papier, elle vit avec nous et détermine chaque instant de nos innombrables morts  quotidiennes. Elle est l’origine d’une source de création insatiable, pleine de tristesse et de beauté, de laquelle ce Colombien errant et nostalgique n’est qu’un parmi d’autres, plus distingué par la chance. Poètes et mendiants, musiciens et prophètes, guerriers et racaille, tous créatures de cette réalité effrénée, n’avons eu que peu de choses à demander de notre imagination, car le défi principal pour nous a été de rendre notre vie crédible sans avoir assez de ressources conventionnelles pour y arriver. Cela, chers amis, est le cœur de notre solitude.» 

La magie, en somme, pouvait encourager la littérature protestataire.

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La publication de Cent Ans de Solitude a coïncidé avec le «boom» littéraire latino-américain, au moment où des auteurs comme Carlos Fuentes, Julio Cortázar et Mario Vargas Llosa commençaient à être reconnus internationalement pour la virtuosité et l’audace de leur style. Mais c’est sans aucun doute Garcia Marquez qui a fini de faire de l’Amérique Latine une destination littéraire.

Dans un portrait publié dans le New Yorker en 1999, le journaliste américain Jon Lee Anderson remarquait qu’un ami de l’écrivain l’avait décrit comme «le seul prix Nobel», une qualification qui, loin de le choquer, lui «avait semblé fondamentalement juste, du moins en Amérique Latine.» Lee Anderson oubliait tout de même un autre géant de la littérature espagnole, Pablo Neruda, lauréat du Nobel onze ans avant Garcia Marquez. Mais l’erreur est significative: pour beaucoup,  Garcia Marquez est le père de la littérature latino-américaine telle qu’on la connaît aujourd’hui.

«Le dernier optimiste de Colombie»

Un autre versant, certes plus polémique, de la popularité de Gabo est lié à son engagement idéologique. Après tout, ses convictions politiques ont informé toute sa vie à la fois ses romans et sa carrière de journaliste. Et même si une partie de son public lui a toujours reproché son amitié  avec le régime Cubain, Garcia Marquez était depuis longtemps considéré comme l’une des voix de la réconciliation entre la guérilla et Bogota, même après avoir quitté son pays de naissance pour le Mexique. Se décrivant comme «le dernier optimiste de Colombie», il avait ainsi poussé les deux côtés du conflit qui continue de déchirer son pays à s’asseoir à la table des négociations.

A la fin des années 1990, celui qui était alors président de la Colombie, Andrés Pastrana, fit appel à Garcia Marquez pour négocier avec les FARC.  L’écrivain présenta le chef d’Etat colombien à Fidel Castro, et c’est en partie grâce à lui que les dialogues de paix entre la guérilla et Bogota ont encore lieu à La Havane. «Je ne dirais pas que c’est Gabo qui a tout mis en place», confiait Bill Richardson, l’ancien Secrétaire à l’Energie américain, au New Yorker. «Mais  il a certainement agi en catalyseur».

Souvent critiqué pour son goût un peu trop prononcé du pouvoir, et de ceux qui le détenaient, Gabo a tout de même pris part aux négociations pour terminer les guerres civiles au Nicaragua et à El Salvador et participé aux opérations de libération d’otages en Colombie.

Sans avoir jamais condamné Castro, il admettait avoir souvent intercédé pour obtenir l’exil de certains prisonniers politiques cubains (il disait même se loger chez certains d’entre eux quand il visitait Miami).

Mais c’est peut-être avant tout son rayonnement international, même aux pires heures de la Colombie, dont ses compatriotes lui sont reconnaissants. Dans un pays ravagé par la violence, le narcotrafic et les guérillas  —un mal que Garcia Marquez avait qualifié d’«holocauste Biblique»— la magie du verbe de ses plus grandes œuvres a longtemps été l’une des seules fiertés du pays qu’il avait fini par abandonner. Comme l’a si bien résumé le journaliste Enrique Santos Calderón, «dans un pays qui s’est enfoncé dans la merde, Gabo est un symbole de fierté nationale».

Daphnée Denis

Source : Slate 20/04/2014

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