Débat.
De quoi parle deux prix Goncourt lorsqu’ils se croisent ? De vente ? De la fatigue liée à la compétition et des aléas médiatiques occasionnés ? Des attentes pressantes de leur éditeur ? Lydie Salvayre* lauréate 2014 pour Pas Pleurer (Seuil) et Jerôme Ferrari en 2012 pour Le sermon sur la chute de Rome (Actes Sud) ont vite oublié cela.
Elle ne l’avait jamais rencontré et évoque la raison de son invitation. « L’admiration, qui ne m’aveugle pas mais m’apporte du discernement. J’aime ce qui me sépare de lui. Son écriture classique, tendue, alors que la mienne est baroque, outrancière, excessive.»
Pas Pleurer entrelace deux voix. Celle, révoltée, de Bernanos, témoin direct de la guerre civile espagnole, qui dénonce la terreur et celle de Montse, mère de la narratrice et « mauvaise pauvre », qui a tout gommé de sa mémoire, hormis les jours enchantés de l’insurrection libertaire.
« Je porte la voix des chiens crottés au niveau de la langue, de ceux qui la restituent vivante alors que l’Académie l’a codifie.» Ils partagent l’idée de filiation, une forme de désenchantement et ouvrent l’espace littéraire. « Ce que je n’ai pas vécu m’intéresse beaucoup plus que ce qui m’est familier » dit celui dont les romans émergent toujours dans un mouvement où les idées, les hommes, les civilisations basculent. Dans son dernier livre Le Principe, Jérôme Ferrari approche Werner Heisenberg, prix Nobel de physique 1932, à l’origine du principe d’indétermination, un des fondateurs de la mécanique quantique en proie au doute comme aux illuminations intérieures. Ils ont tous deux renouvelés le paysage un peu sinistré des lauréats. Ils ne jouent pas à l’écrivain, ils le sont.
JMDH
*Dimanche à 20h30 soirée de clôture Tanguer avec Lydie Salvayre
SELECTION DU JOUR
Roman double
Ecritures. Nouvelles stratégies narratives
Le Sévillan Issac Rosa, le Portugais José Luis Peixoto et le Basque Fernando Aramburu se réunissent pour évoquer l’explosion des codes narratifs propres aux littératures ibériques. A l’instar de la liste très contemporaines des invités de cette trentième Comédie du livre, les auteurs de ce plateau tirent le diable de l’histoire par la queue. Chacun à leurs manières opèrent un patient et efficace travail de déconstruction des codes classiques. Là où les générations précédentes relataient les faits à partir d’un contact directe avec l’événement, ils font resurgir la mémoire en se prêtant à des jeux subtiles. Aramburu questionne la vérité romanesque, Peixoto use de la fable grinçante, Rosa fustige l’amnésie hypocrite de la transition démocratique avec un goût achevé pour l’humour et l’autodérision.
Aujourd’hui à 11h Centre Rabelais
Se faire la belle
Linda Lê. A propos des Exils
Linda Lê a passé les premières années de son enfance à Dalat. En 1969, la famille part à Saïgon pour fuir la guerre. Au fil du temps, ses livres se sont inscrits « sans bruit » dans le paysage littéraire contemporain français. Son style est empreint d’une force et d’une distance propre au métissage culturel. On la voit peu dans les médias mais son oeuvre étourdissante de lucidité s’impose avec impertinence, chaque nouvelle pièce posée s’enflamme dans le grand brasier de la vie. Elle évoquera son essai sur l’exil dans la littérature mondiale. Par ailleurs (exils) est composé de courts textes, consacré à un auteur différent et au lien qu’il entretient avec l’ailleurs, au sens large du terme. De Conrad à l’exil politique de Marina Tsvetaeva, en passant par l’exil intérieur d’un Franz Kafka,
Un puissant exercice de la liberté.
Aujourd’hui 17h30 Espace rencontres
Moment rare
Dialogue. A. Volodine et E Chevillard
Encore une chance que l’on doit à Lydie Salvayre dont la carte blanche nous offre l’exception et pas la règle. Deux auteurs, deux ours, qui ont le don de transformer le plus beau jour de votre vie en cauchemar, ou l’inverse, sortent de leur grotte pour répondre à la belle. Antoine Volodine principal hétéronyme du romancier, qui signe également Elli Kronauer, Manuela Draeger ou Luitz Bassmann, et on ne sait pas trop… vient d’empocher le prix Médicis 2014 pour Terminus Radieux (Seuil) se confronte à un adversaires de poids similaires en la personne d’Eric Chevillard qui remet en question les codes de la représentation, depuis son premier livre Mourir m’enrhume à Juste Ciel (Editions de Minuit 2015). Les deux bêtes ne chassent pas dans la même forêt mais partagent le goût de l’audace narrative. Attention aux coups de griffes !
Aujourd’hui 16h à la Panacé
Jean-Marie Dinh
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