Les débats sont retransmis sur le site 4MCFI. Photo Redouane Anfoussi
Pour la troisième année, Montpellier a reçu les rencontres annuelles 4M qui rassemblent près de cent-cinquante journalistes de trente-neuf pays. L’occasion d’échanger sur un métier en transition.
Parmi les invités des rencontres 4M, certains utilisent Internet comme une arme face à des gouvernements dictatoriaux. Journalistes et blogueurs, ils risquent leur liberté, parfois leur vie pour faire émerger l’information.
« Je fais partie d’un blog underground. Toute personne qui y est associée est en danger, plante le responsable du site dissident vietnamien Danlambao. Nous écrivons ce que le gouvernement ne veut pas que les gens sachent, concernant les terres arables, les droits de l’Homme, la liberté d’expression, les liens politiques entre la Chine et le Vietnam… » Réfugié à l’étranger, le blogueur vietnamien ne peut plus rentrer dans son pays. Il continue de l’extérieur, son travail d’information parce que « nous avons besoin de gens qui savent et qui s’expriment pour défendre l’indépendance et la liberté ».
C’est également la révolte qui a guidé les pas d’une autre blogueuse vietnamienne, qui elle, vit toujours dans son pays et tient à rester anonyme pour préserver sa sécurité. Le site boxitvn.blogpost.com est né en 2009 de la lutte contre le projet d’implantation et d’exploitation de la bauxite par une compagnie chinoise sur les hauts plateaux à la frontière du Laos, du Cambodge et du Vietnam, « le toit de l’Indochine » et « qui tient le toit tient l’Indochine », souligne-t-elle.
« Le Vietnam est l’un des rares pays où toute la presse et tous les médias sont contrôlés par le gouvernement. Nous avons sept cents journaux et revues mais tous les rédacteurs doivent être membres du Parti communiste. Les blogs sortent de ce système. Il n’ont aucune autorisation et au moindre prétexte l’autorité peut stopper le blog ou arrêter les blogueurs sous n’importe quel chef d’accusation. Quelques dizaines de blogueurs sont déjà en prison, jugés ou non. »
Chaque jour boxitvn connaît des « attaques de hackers ». Il possède deux adresses pour préserver son contenu. « Le Vietnam a des réserves importantes de bauxite qui peuvent être extraites par des procédés différents. L’ancienne technique comporte beaucoup de risques et dégage des tonnes de boues rouges pour une tonne d’alumine. Les catastrophes écologiques sont énormes. En 2007, nous avons découvert que les secrétaires généraux du Vietnam et de la Chine ont signé une convention qui confiait à une compagnie chinoise ce site d’exploitation de bauxite selon les anciennes méthodes. »
Des intellectuels et des scientifiques, anciens ou toujours membres du Parti ont dénoncé, arguments à l’appui les dangers d’un tel projet. Le blog, né en 2009, est une continuité de ce mouvement. Il est devenu le lieu de contestation des décisions gouvernementales. « Nous nous battons également contre l’augmentation de la corruption et le projet de réforme de la constitution qui conserverait à l’identique l’article 4 affirmant le rôle dirigeant du PC, poursuit la blogueuse. Dans les pays ex-socialistes, la société civile a été éliminée. L’existence de sites relie les gens de Hanoï à Saïgon, elle permet sa reconstruction. »
Quel vent souffle sur le monde de la musique qui n’a pourtant pas la réputation d’être révolutionnaire ?
Après le combat de tranchée des personnels de l’Orchestre et de l’Opéra de Montpellier contre la gestion de son directeur, il semble que le feu couve dans la maison ronde où une partie du personnel de Radio France s’agace des pratiques du directeur de la musique Jean-Pierre Le Pavec.
Nommé après la démission, de Marc-Olivier Dupin en 2011 qui évoquait déjà « la complexité et la lourdeur du fonctionnement de la machine institutionnelle » Jean-Pierre Le Pavec, doit faire face à une partie des salariés. Le syndicat Sud de Radio France s’interroge sur sa gestion particulière qui pourrait révéler des « entorses déontologiques sévères ».
C’est le concert de l’ONF et du Choeur de Radio France du 14 juillet qui se tiendra au Champs de Mars qui a mis le feu au poudre. D’ordinaire, pour les représentations de l’ONF, c’est la maison mère Radio France qui recrute et gère les chanteurs lyriques. Mais pour le concert de cette année, Jean-Pierre Le Pavec a confié cette mission au prestataire Céleste productions. Une société qu’il a créée et qui est aujourd’hui dirigée par sa femme. L’info révélée par le Canard enchaîné porte le doute.
Face aux mutations contemporaines, Jean Varela, le directeur du Printemps des comédiens, qui se tient jusqu’au 30 juin au Domaine d’O à Montpellier, évoque les défis de la politique culturelle publique.
Acteur, directeur de SortieOuest à Béziers et du festival du Printemps des Comédiens à Montpellier, Jean Varela figure aujourd’hui parmi les derniers mohicans. Dans la lignée de Jean Vilar et Gabriel Monnet c’est un acteur convaincu de la décentralisation culturelle et un fédérateur de talents artistiques, qui donne sens à la politique culturelle publique.
Cette troisième saison avec laquelle vous faite l’unanimité vous porte dans un quasi état de grâce. Quels étaient les ingrédients de base de votre programmation??
L’état de grâce, comme vous y allez… J’aime faire la cuisine, mais je n’ai pas vraiment d’ingrédient de base pour travailler la programmation. Je réponds cependant à certaines exigences, qui tournent autour du partage. La programmation est une alchimie particulière. On s’emploie à rassembler des artistes. Après on construit en regardant dans le même temps ce qui émerge. Il y a des renvois, comme par exemple entre les spectacles Kiss and Cry et Nobody, qui proposent chacun à leur manière, des images de cinéma en temps réel. Il s’est également dégagé un fil rouge autour du théâtre allemand avec Les revenants de Thomas Ostermeier, que je voulais faire venir depuis longtemps, le Woyzeck de Marie Lamachère, et le Richard II du Berliner Ensemble.
Le rôle de directeur artistique vous invite à répondre aux enjeux variés de la programmation artistique parmi lesquels l’hybridation des formes. Comment situez-vous l’art proprement théâtral dans cette profusion ?
Je me réfère à l’émotion. Pour présenter Kiss and Cry j’ai inventé une histoire un peu épique qui raconte une visite dans un grenier… Mais la sensualité du spectacle ; ce ne sont que des doigts qui bougent. Si on se réfère à la représentation habituelle du corps dans la pratique théâtrale, au premier abord, on peut éprouver un sentiment lié à l’absence corporelle, alors qu’en réalité, les artistes sont complètement dans leur corps. De la même façon, dans la pièce 300 El X 50 el X 30 EL de F.-C. Bergman, il n’y a pas de texte, mais le procédé narratif, proche du synopsis, nous emporte sans que nous quittions l’art de la représentation dramatique. On a beaucoup dit que le théâtre était en perte de vitesse ces dernières années. J’ai l’impression qu’il envahit d’autres formes d’expression comme la chanson, le cirque, la danse…, un peu comme l’olivier mort qui repart après le gel. Mais qu’est-ce que le théâtre ?
Face à la mutation profonde qui lamine les couches les plus fragiles de notre société et pèse fortement sur les classes moyennes, le spectacle vous paraît-il un moyen d’évasion ?
Je ne considère pas que le spectacle soit un moyen d’évasion dans le sens : offrir une récréation ou un divertissement. Pour moi, c’est un moyen d’édification. J’essaie de faire en sorte que notre action participe à la constitution des individus. Je pense que notre travail devrait se situer au commencement des politiques publiques pour contribuer à la découverte de la part sensible de chaque individu. En s’y prenant très tôt, dès le plus jeune âge, je suis convaincu que nous construirions une société différente, où les uns et les autres seraient plus forts que la crise économique. J’aimerais mesurer notre productivité en terme de bien-être. Envisager les choses ainsi suppose un travail sur le long terme. On a besoin d’un temps long.
Reste qu’aujourd’hui les vertus de la culture semblent loin de prendre le dessus sur les effets immédiats de l’orthodoxie économique. Une partie croissante de la population ne peut plus accéder au spectacle, tandis que le public habituel réduit ses sorties…
On observe concrètement dans notre environnement quotidien le problème du pouvoir d’achat. Les difficultés économiques imposent des choix aux gens qui se demandent : Où vais-je mettre mon argent disponible ? Le Domaine d’O peut procurer un bonheur immédiat avec une programmation qui nous ramène à l’intime, au partage, mais encore faut-il pouvoir le saisir. C’est pour cela que nous avons mis en place un tarif à 8 euros pour les jeunes de moins 25 ans.
Quels choix faites-vous par rapport aux conditions préoccupantes de création et de diffusion ?
Le Printemps est un festival où tous les artistes sont payés. En matière de création, nous affirmons la volonté que le festival redevienne une référence qui entraîne le désir d’autres grandes maisons de théâtre. Nous accueillons cette année beaucoup de programmateurs et de directeurs importants. C’est un travail de retissage pour faire en sorte que les spectacles qui naissent ici, aient une vie en région et hors région.
Que vous inspire la confrontation entre ce qui fonde aujourd’hui les valeurs politiques et culturelles, et notamment la situation alarmante de la culture à Montpellier ?
Je suis très inquiet de cette situation pour les structures. Cela me conforte dans les sentiments que j’ai toujours exprimés en disant : soyez conscients que nos outils qui paraissent immuables sont d’une fragilité extrême. Ils n’existent que par la volonté politique. Cette volonté est grande quand elle porte des projets. On ne doit pas toucher à ça. Il ne faut ni considérer la culture comme un élément d’adaptation budgétaire, ni s’en servir comme un élément de promotion personnelle. Moi je continue à avoir confiance en la chose publique, et j’ai la chance ici, d’avoir avec elle une relation exceptionnellement heureuse. Grâce à l’argent public, je m’efforce de diffuser des valeurs d’ouverture sur le monde dans lequel nous vivons. J’essaie de démontrer qu’à partir du moment où l’on donne les clés, on peut porter les gens très loin.
Les trains traversent le Mexique chargés de proies faciles. Photo : Aude Chevalier-Beaumel.
Le collectif Alba Amérique Latine propose ce soir salle Rabelais, la Nuit du film documentaire dans le cadre des Journées latino-américaine.
A travers ses actions humanitaires le collectif Alba Amérique Latine met en place des actions de solidarité avec le continent Sud américain. Il oeuvre aussi pour éclairer les Montpelliérains sur la situation sociale, économique et culturelle. Les journées latino-américaines qui se tiennent actuellement proposent un cycle de cinéma d’auteurs qui aborde sans complaisance, les conflits, ruptures et nouvelles voies qui s’ouvrent en Amérique latine.
A ne pas manquer ce soir, Salle Rabelais, le film de Grégory Lasalle Trafiquants de vérités dans le cadre de la Nuit films-documentaire en partenariat avec le cinéma Diagonal. Le film revient sur le coup d’état de 1954 au Guatemala financé par la CIA. En mettant la commission de la vérité, mise en place en 1998 dans un souci de réconciliation nationale, au centre de son sujet, le réalisateur français aborde ce triste épisode à travers ses conséquences (200 000 morts et plus de 50 000 disparus) et la difficulté de reconnaître la réalité historique.
Quand le train passe
En ouverture de la soirée, on pourra découvrir Protégeme (Protège-moi), un film franco-mexicain tourné en 2012, par Aude Chevalier-Beaumel. La réalisatrice a posé sa caméra sur le toit des trains mexicains sur lesquels 800 personnes en provenance d’Amérique centrale tentent quotidiennement de rejoindre les Etats-Unis. «?Sur ce bout de parcours vers l’Eldorado étasunnien, les jeunes candidats courent beaucoup de risques, explique la réalisatrice, ils sont raquettés par la police, ou victimes de violence, de viols ou d’enlèvements perpétués par la criminalité organisée.?» Les trains chargés de plusieurs centaines de clandestins roulent lentement ce qui en fait des proies faciles pour les prédateurs en tous genres.
«?J’ai choisi de m’intéresser à ceux qui viennent en aide à ces malheureux. Sur ce parcours qui traverse le Mexique, existent des auberges humanitaires souvent tenues par des religieux qui offrent un court répit aux clandestins. Ces prêtres dont les actions ne sont pas toujours soutenues par leur hiérarchie, recensent leurs hôtes, ce qui permet de conserver des traces en cas de disparition. L’aide vient aussi de la population civile. Je me suis rendue dans un village où un groupe de femmes prépare depuis dix ans des repas, qu’elles emballent dans des sacs en plastique afin de les jeter aux passagers lorsque le train passe.?»
Jusqu’ici, les mesures prisent par Barak Obama en faveur des Latinos dont 87% se sont prononcés en faveur de son second mandat en novembre dernier, ne concernent pas ces passagers de l’oubli.
Arabesques est un festival soutenu par le Conseil Général de l’Hérault, ouvert sur la Méditerranée, la diversité culturelle et la découverte des arts arabes. Chaque année la manifestation ouvre au Domaine d’O à Montpellier, la saison estivale du vaste espace dédié à la culture. Expositions, manifestations, débats, concerts, pièces de théâtre nourrissent ce rendez-vous autour d’une thématique. Pour sa huitième édition, le festival rend selon la volonté de son président Habid Dechraoui, un hommage aux Chibanis.
Histoire et mémoire
En Algérien, le terme signifie ancien, de manière étendue. Il fait référence à la population de travailleurs immigrés issus de l’Afrique du Nord. La présence des Chibanis en France métropolitaine est liée à la colonisation, et aux efforts de guerre des troupes musulmanes qui jouèrent un rôle décisif dans l’armée française en Afrique du Nord et dans la libération de la France. Cette présence atteint une importance inégalée avec l’immigration économique durant les trente glorieuses où les migrations de main d’oeuvre se transforment en implantation définitive. C’est dire si cet hommage qui éclaire les douloureux efforts consentis dans la solitude, tombe bien pour relire une période opportunément ignorée de notre histoire. A l’heure où la crise qui traverse le pays engendre un retour inquiétant de l’ignorance et de l’intolérance, revenir sur le parcours des Chibanis offre des clés de compréhension bien utiles.
Une démarche pédagogique
L’association Uni’Sons, qui porte le festival, rallie depuis ses premiers pas le jeune public à son travail. Des interventions artistiques sont conduites en partenariat avec les deux collèges du quartier de La Paillade. «Nous travaillons sur l’ouverture culturelle et sur l’identité en étroite collaboration avec les équipes pédagogiques», explique Abdou Bayou, le CPE du collège des Escholiers de la Mosson. Cette année une classe de 3e a travaillé sur l’histoire de l’immigration avec le concours des profs d’histoire, de français et d’espagnol. Après s’être documentés aux archives départementales en élargissant la recherche à d’autre pays comme l’Espagne, les élèves se sont rendus à plusieurs reprises dans les foyers Adoma de la ville pour échanger avec les Chibanis. «Beaucoup d’élèves qui habitent le quartier ignoraient l’existence de ces foyers. Concernant, les témoignages, nous avions convenu avec la directrice de laisser la porte ouverte. Certains sont restés un quart d’heure, d’autres du début à la fin de la rencontre. La traduction a favorisé l’échange. L’une des personnes à qui l’on demandait pourquoi elle peinait à user du français a eu cette réponse : Mon patron m’a toujours demandé de travailler, jamais de parler…»
Vertus de l’échange
Les élèves se sont passionnés pour ce travail d’enquête réalisé en dehors des heures de cours. « Cela les a amenés à s’interroger sur eux-même, et sur les autres, analyse Abdou Bayou, les ados se fabriquent des schémas de référence et oublient qu’ils en existent d’autres. Cette expérience les amène à comprendre que l’on doit cohabiter pour vivre ensemble. Je pense que c’était aussi positif pour les Chibanis qui n’avaient jamais eu l’occasion de transmettre, c’est valorisant d’être écoutés. Certains ont livré un regard critique sur le système, mais aucun n’a dit du mal de la France.»
Suite à ces rencontres les élèves ont écrit des récits de vie qui ont servi de matière à l’intervention artistique du metteur en scène Ali Merghache. «A partir des textes, nous avons travaillé sur le jeu d’acteur et construit une mise en scène». Celle-ci se compose de trois parties : le rapport à la guerre, quand les Chibanis portaient l’uniforme français, la vie quotidienne en France dans un foyer, et ce qui est resté là-bas, leur pays, leur femmes… « C’est un projet très intéressant qui est loin d’être anodin. D’un côté comme de l’autre, il y a une forte intensité. Pour beaucoup d’élève c’est un moyen d’interroger leurs racines. Les anciens qui ont vécu des vies très dures paraissent moins révoltés que nous. Ils étaient très touchés que l’on vienne à leur rencontre.»
Jean-Marie Dinh
Dans l’inconfort des habitudes
Arabesques. Nasser Djemaï porte sur les planches l’histoire de l’immigration à travers la figure des chibanis. Rencontre…
Martin, la trentaine, hérite d’un petit coffret avec un nom et une adresse qui vont être le point de départ d’une quête identitaire le conduisant à la rencontre des Chibanis. Invisible mis en scène par Nasser Djemaï a dépassé le cap des cent représentations. La pièce est programmée aujourd’hui et demain au festival Arabesques.
Comment vous êtes-vous lancé dans cette aventure ?
Cette histoire est un peu celle de mon père arrivé en France en 1968. J’étais donc sensibilisé à ce sujet, jamais traité au théâtre. C’est un sujet casse-gueule, le danger aurait été de vouloir tout raconter. J’ai tenté d’ouvrir une petite lucarne pour mettre en lumière la vie de ses hommes qui sont arrivés pour travailler en se coupant de tout. Certains ont vécu la guerre contre leur propre pays. Leur désir de réussite s’est étiolé avec le temps. Ils se sont usés pour finir pauvres et oubliés. Il y a une dimension proche des Danaïdes dans cette histoire digne des tragédies grecques.
Avez-vous approché la réalité vécue sur le terrain ?
Oui, comme l’indique le titre, c’est une génération invisible. J’ai effectué un travail d’immersion à Grenoble, où j’ai passé un bout de temps dans les cafés sociaux. Au foyer Adoma j’ai pu approfondir en rencontrant des personnes qui connaissent bien le vécu de ses hommes toujours très discrets.
Quelle place réservez-vous aux femmes ?
Les femmes sont traitées de manière virtuelle. Elles hantent l’espace comme des fantômes. Elles apparaissent immenses, projetées en fond de scène sur quatre mètres de haut. Leur absence nourrit les fantasmes…
Comment peut-on s’expliquer le fait que ces hommes soient restés seuls après la loi sur le regroupement familial ?
Cela est lié à plusieurs facteurs. Il y a d’abord l’illusion du provisoire. Les Chibanis ont toujours nourri l’espoir d’un retour au pays. Ils ne comptaient pas s’installer en France. Les années passant, ils ont compris que leurs salaires ne leur permettraient pas de revenir chez eux. Ils ne vivaient pas de grand chose, mais avec l’argent qu’ils envoyaient à leur famille il fallait toujours travailler plus. Les années défilent et les enfants grandissent sans vous. On finit par s’habituer à votre absence. Et puis il y a le mythe du tonton d’Amérique que l’on entretient lorsqu’on se rend au pays les bras chargés de cadeaux pour tous. Au final le décalage s’enracine et vous renoncez à accueillir vos proches pour les faire vivre dans des conditions qu’ils n’imaginent même pas.
Quelle a été la nature de votre travail avec les comédiens ?
Il y a six comédiens. Pour Martin, je voulais un jeune homme naïf avec une maîtrise de la langue française pour favoriser l’identification des spectateurs. Pour les Chibanis cela a été plus difficile de trouver des comédiens d’origine arabe de plus de soixante ans. Leur savoir faire s’est perdu parce que le théâtre ne leur donne pas de travail. Ils sont employés à la télé ou au cinéma. Il a fallu se remettre sur les rails, remuscler par la pratique. C’est un peu comme un piano que l’on accorde. Aujourd’hui ils usent de toutes leurs cordes pour passer de l’histoire intime à l’histoire universelle des hommes. Ce sont des personnages totem.
Recueilli par JMDH
Repères historiques
Les manoeuvres de la république
Durant les trente glorieuses, pour sa reconstruction puis sa croissance économique, la France a d’importants besoins de main-d’oeuvre. Elle fait appel à de jeunes hommes pauvres et isolés venus d’Afrique et du bassin méditerranéen. Peu formés, peu exigeants, et peu payés, ils sont souvent employés avec des contrats de travail à durée limitée comme manoeuvre dans les travaux publics et les entreprises du bâtiment mais aussi comme ouvriers spécialisés (OS) du travail à la chaîne, en particulier dans l’industrie automobile.
La différence de niveau de vie, de développement économique et de potentiel démographique entre le Nord et le Sud, entre la métropole et ses colonies, puis avec les pays du champ de coopération nourrit ce mouvement de population.
Les travailleurs vendent leur force de travail, dépensent le moins possible sur place, afin d’envoyer à leur famille la plus grande partie de ce qu’ils peuvent économiser et songent surtout à rentrer au pays dans l’espoir d’y mener fortune faite, ou au moins épargne cumulée, une vie plus heureuse et plus aisée sur le plan matériel. Leur conditions de vie sont souvent précaires.
On bâtit à la hâte des foyers de travailleurs immigrés sur fonds publics, comme ceux de la Sonacotra (société nationale de construction pour travailleurs immigrés) devenus les foyers Adona. Mais beaucoup sont exploités par les marchands de sommeil dans des conditions d’insalubrité et d’insécurité extrême. Cette réalité s’inscrit toujours aujourd’hui dans le paysage de Montpellier.
Voir : Histoire de l’Islam et des Musulman en France. Editions Albin Michel