La jeune garde du cinéma Algérien. Une dynamique à transformer

La jeune garde du cinéma algérien au Cinemed  Photo dr

La jeune garde du cinéma algérien au Cinemed à Montpellier Photo dr

Cinemed
Ce que le festival méditerranéen a nommé la jeune garde du cinéma algérien  se retrouve au Corum pour débattre du présent et de l’avenir.

Ils sont nombreux, Lyes Salem, Hassem Ferhani, Djamel Kerbar, Sofia Djama, Damien Ounouri et Adila Bendimerad, Hassen Ferhani, Karim Moussaoui, Mohamed  Yargui,  Anima Hadad, Amel Blidi… Ils se croisent, s’influencent, entretiennent des liens plus ou moins forts les uns envers les autres, mais se retrouvent rarement ensemble sur un même plateau. Après la Tunisie en 2016, Cinemed qui rend hommage cette année au jeune cinéma algérien crée cette occasion et propose au public une trentaine de films récents.

Ce public ne se comporte pas en simple consommateur d’images, il exprime une volonté de confrontation, il veut en savoir plus en répondant massivement à ce type de rencontre. Beaucoup des réalisateurs présents peuvent témoigner du soutien apporté par le Cinemed pour en avoir bénéficié. Dans la diffusion de leurs films, mais aussi à travers les prix et les aides à la création, les mises en relation…

On le sait, la richesse du cinéma algérien se compose de plusieurs facettes, du film de guerre (soutenu par l’État autour de la libération en particulier) à la comédie loufoque en passant par les satires sociales et les drames. Tout cela dans différentes langues : arabe dialectal, kabyle, français ou un mélange des trois. Durant les années 1970 il acquiert un statut international. En 1975, Mohammed Lakhdar-Hamina remporte la palme d’or à Cannes avec Chronique des années de braise. Un an plus tard, Merzak Allouache ouvre la voie contemporaine avec son film Omar Gatlato. Tout était bien parti mais le cinéma algérien sombre avec le pays dans les années noires.

Génération 2000
La génération présente à Montpellier émerge à partir des années 2000. « Nous avions besoin de sortir du non-dit. Quand les mots manquent, surgit l’image » analyse Amel Blidi, réalisatrice et journaliste pour le quotidien El Watan. « Je n’ai pas commencé à écrire pour parler de l’Algérie  mais depuis l’Algérie », souligne Lyes Salem qui a notamment réalisé Mascarades et L’Oranais. « Qu’est-ce qui façonne l’identité d’un cinéma, questionne-t-il, la nationalité du réalisateur ? Le lieu où il est produit ? Ou la spontanéité artistique ? »

  Le débat aborde ces trois volets sous différents angles. A commencer par celui de la production. Les structures institutionnelles existent pour soutenir la production cinématographique en Algérie, mais leur accès demeurent difficile pour cette génération plus sensible à la vie d’aujourd’hui qu’aux héros de l’indépendance.

Les films se montent avec des participations croisées parfois internationales, mais pas toujours. « On progresse pas à pas, explique la productrice Anima Hadad. Les Régions font avancer par des apports en logistique, certains entrepreneurs ont conscience que faire des films c’est important pour un pays et ils les financent. » A Alger, chaque film qui sort est un événement. « C’est vrai qu’il y a actuellement une dynamique, indique Karim Moussaoui, mais il faut la transformer afin qu’elle porte ses fruits. »

Sur les 400 salles de cinéma que compte l’Algérie, 95% d’entre elles sont fermées et non exploitées, révélait le ministre de la Culture Azzedine Mihoubi en 2015. Cette situation peut pousser les réalisateurs vers l’international, d’autant que le Centre algérien de développement du cinéma (CADC) manque de lisibilité. « On ne connaît même pas les dates des commissions, ni le budget annuel » explique Sofia Djama.

En terme de contenu, le cinéma algérien d’aujourd’hui apparaît comme une source d’une grande diversité. Les jeunes réalisateurs présents au festival sont des individus qui ont envie de faire du cinéma, de raconter, de se raconter, d’exprimer leur subjectivité.

A l’écran, cette mise en abîme des vécus s’absout des contraintes sociales, politiques ou morales algériennes, mais aussi de celles induites par les financements européens. « En Europe après avoir présenté mon projet, temoigne Damien Ounouri, je me souviens m’être entendu dire, oui très bien, mais quel est le lien avec le printemps arabe ? Mais moi je ne suis pas journaliste, et j’avais envie de faire un film sur une femme méduse. »

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 28/10/2017

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Cinemed 2017. Intime et féminin

Kindil de Damien Ounouri Programme Algérie Cherchez la femme  Photo dr

Cinemed
La 39e édition du festival est marquée par l’énergie des réalisatrices et des comédiennes du monde méditerranéen toujours traversé par l’âpreté des conflits  autours de la libre expression féminine.

Lors de la cérémonie d’ouverture du Cinemed, Aurélie Filippetti, la présidence du festival, n’a pas manqué d’évoquer son attachement à l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle évoquait l’actrice de Razzia Maryam qui cosigne le scénario du film et incarne à l’écran une femme entière, très attachée à sa liberté d’expression. « Au Maghreb, il ne faut pas s’attendre à ce que les hommes s’engagent dans ce combat. Parce que les lois qui génèrent les injustices sont faites pour eux », souligne le réalisateur franco marocain Nabil Ayouch.

Regard à vif

La voix des femmes est omniprésente dans la programmation de cette 39 édition comme si le cinéma méditerranéen s’attachait plus aujourd’hui qu’hier à ne pas traiter les femmes en surface. Ce souffle de liberté provoquant, puissant s’orchestre dans une foule de registres thématiques. A travers les questions de la liberté, de la transmission, des traditions et de la conquête des droits, y compris celui d’aimer la personne de son choix, de la reconnaissance, et du mépris…

Le regard des réalisatrices est à vif. A l’instar du court métrage Tata Milouda de Nadja Harak  qui évoque le sort d’une femme de 67 ans contrainte par son mari violent  à faire des ménages à Paris pour payer leur maison au Maroc. On peut aussi citer Dans le bleu de la réalisatrice croate Antoneta Alamat Kusijanovic dont le cour métrage nous invite à suivre une mère et sa fille fuyant la violence du foyer familial, ou Bolbol de la jeune réalisatrice tunisienne Khedja Lemkecher. Tous les hommes n’en sortent pas grandis, mais les femmes non plus, à commencer par les mères qui mettent le doigt dans l’engrenage d’une situation qui place leur mari à la merci de leur silence.

Programmation sensible
Dans le panorama concocté pour faire découvrir la jeune garde du cinéma algérien, le Cinemed a regroupé trois courts-métrages sous le titre Cherchez la femme qui donne un aperçu de la conscience criante du problème sociétal en Algérie . Mais l’édition dans sa globalité essaime à travers toute sa programmation.  Sans doute parce que les films restent à l’échelle humaine, qu’ils pénètrent les foyers,  évoquent les solitudes, l’ennui et les rêves ou leur fin comme dans le documentaire Imma du réalisateur italien Pasquale Marino. Ce cinéma-là se saisit des sentiments intimes des personnages tels qu’ils sont, sans volonté de formatage.

C’est un des mérites de Cinemed de nous faire découvrir d’autres cultures mais aussi de nous permettre de se reconnaître dans l’étranger. A la fin d’un film, on se surprend souvent à changer notre regard. Cette confrontation nous rapproche poussant notre musique intérieure à explorer de nouvelles sonorités. La place donnée aux réalisatrices confirme que les femmes ne cillent pas derrière la caméra comme le démontre l’oeuvre sociale de Dominique Cabrera ou le très beau film de la géorgienne Mariam Kharchvani Dede.

Un peu comme si la crise globale de la démocratie qui a pour corollaire le renforcement des pouvoirs religieux et politiques et la réduction des libertés individuelles poussait les femmes dans un engagement salvateur…

 JMDH

Source. La Marseillaise

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L’oeuvre de Merzak Allouache au Cinemed

merzak-allouacheSi invoquer le cinéma algérien contemporain est aussi s’interroger sur la capacité de ses réalisateurs à évoquer les tabous de la société, cette édition du Cinemed ne pouvait passer à côté de Merzak Allouache. Réalisé en 1976, durant la période Boumediene en pleine crise pétrolière, son premier long métrage Omar Gatlato va perturber le cinéma algérien, ouvrant la voie à un cinéma plus inventif et surtout plus proche de la réalité.

Ce premier pas de côté  libère dans son sillage le cinéma algérien de la veine propagandiste. Pour la première fois, un film algérien décrit non plus les méfaits de la colonisation, les affres de la guerre d’indépendance, mais la vie quotidienne des jeunes qui n’ont pas connu la guerre de l’indépendance.

Des films libres qui brassent la société algérienne sur 40 ans
Depuis son premier film, Merzak Allouache suit avec une liberté assumée, les évolutions et les blocages de la société algérienne. Le Cinemed propose cette un année un riche panel de son oeuvre. Quarante ans de cinéma libre où apparaît toute la complexité algérienne. Le réalisateur met en lumière une société à la fois bloquée et en pleine mutation que l’on découvre notamment dans ses derniers films.

Harragas décrit l’univers désespéré des clandestins qui traversent la méditerranée, Normal aborde la difficulté d’exprimer ses idées artistiques, ainsi que les émeutes de 2011. Avec Les Terrasses, il pointe les transformations d’Alger, naguère espace des femmes devenues refuge pour la population rurale exilée en ville qui y vivent comme dans les bidonvilles. Aujourd’hui, Merzak Allouache poursuit son oeuvre miroir d’un pays sans projet politique.

JMDH

Source La Marseillaise 23/10/2017

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Raymond Depardon : « Leur présence est forte, on ne les voit jamais cligner des yeux »

Raymond Depardon Photo dr

Raymond Depardon Photo dr

Entretien
Depuis la loi du 27 septembre 2013, les patients hospitalisés sans consentement dans les hôpitaux psychiatriques doivent être présentés à un juge des libertés et de la détention avant 12 jours. Le photographe et réalisateur Raymond Depardon et Claudine Nougaret sont les  premiers à filmer la mise en application de cette loi.

Après votre documentaire « San Clemente » une vraie immersion dans l’univers psychiatrique et « Urgence » tourné dans le service psychiatrique de l’Hôtel Dieu, pourquoi réaliser « 12 jours » ?
On avait fait ces deux films sur la psychiatrie, et deux films sur la justice, Délits Flagrants et 10 e chambre. Avec 12 jours, nous arrivons à un parfait dosage entre justice et psychiatrie. A dire vrai, comme beaucoup de Français, j’ignorais l’existence de cette loi avant que le magistrat Marion  Primevert, ne me propose de m’intéresser au sujet. J’ai été très surpris par le dispositif mis en place. Au départ, le député Robillard qui a conduit l’étude sur cette loi partait à tort du principe que les personnes hospitalisées perdaient leurs droits civiques. Ce qui n’est vrai que  dans le cas des incarcérations pénitentiaires.

Vous filmez la mise en application d’une loi mais vous révélez aussi ses effets. Ce qui n’est habituellement pas perceptible, ce qui reste dans le hors-champ social…
En effet, c’est la première fois qu’on voit ce type de conversations. Cela dure un petit quart d’heure, c’est parfois surréaliste. L’idée de rétablir ses droits, de vérifier que l’internement, l’hospitalisation comme on dit aujourd’hui, s’est bien déroulé en présence d’un avocat et parfois de membre de la famille, car les séances sont publiques, cela va dans le sens d’une amélioration de la démocratie sanitaire. Ce qui est d’autant plus nécessaire que l’on compte près de 100 000 mesures d’hospitalisations psychiatriques sans consentement  par an en France, soit 250 personnes par jour.

Tous les patients ou presque, contestent les mesures de contrainte. Et si l’approche des juges diffère, dans votre film, aucun ne s’oppose au diagnostic médical. Le pouvoir de la justice plie-t-il  devant le pouvoir médical ?
Le texte précise que les psychiatres n’assistent pas aux entretiens pour ne pas entraver la liberté d’expression des patients qui peut déjà l’être par les effets des médicaments. Nous avons filmé 72 entretiens pour n’en conserver que  10. Personne n’a été libéré. Selon les chiffres, 5 à 10% le sont. Le dispositif a néanmoins permis de pointer certains dysfonctionnements dans les pratiques comme à Bourg- en-Bresse où l’on abusait de la chambre d’isolement.

Mais dans ce domaine, on part de très loin, du Moyen Âge pour ainsi dire. Dans le passé, beaucoup de gens disparaissaient tout bonnement. Je n’évoquerai pas les placements intéressés avec des médecins complaisants liés à des affaires de successions. Avec cette loi, les médecins ne décident plus seuls. Le diagnostic est généralement collégial et il est consigné par écrit. Les patients ont la possibilité de faire appel de la décision du juge. Statuer en la matière reste très complexe. Si vous arrêtez des gens dans la rue pour leur demander leur avis, certains vous diront qu’ils ne libéreraient personne, d’autres qu’ils feraient sortir tout le monde.

Au montage, j’ai pris soin de respecter tous les protagonistes. Les dossiers médicaux transmis aux juges sont peu épais. On voit au cours des entretiens que les juges cherchent à mieux connaître les personnes qui leur font  face.

A travers les différents témoignages, on retrouve les principaux maux de la société : l’ordre, qui fait que l’on vous interne pour un coup de poing, l’isolement et l’abandon, la volonté de mourir, d’échapper au viol, ou le harcèlement au travail traduit médicalement comme un délire de persécution…
J’ai trouvé les gens très touchants, spontanés, conscients de leur traversée du désert. Les cas sont très différents. Ils reflètent la dureté du monde dans lequel nous vivons. Il y a le témoignage intime de cette femme qui travaille chez Orange et qui évoque ce qu’elle a vécu. J’ aurais souhaité rencontrer plus d’employés victimes de leurs conditions de travail. Il y a aussi des gens qui ont commis des crimes. Dans le film, l’un d’eux demande au juge à quoi il sert. Il n’est pas d’accord avec le point de vue du psychiatre et souhaite aller en prison, sans doute pour rompre son isolement.

J’étais content de tourner à Lyon plutôt qu’à Paris. J’aime filmer les citoyens, l’avantage de Lyon, c’est qu’il y avait des gens du centre-ville mais aussi de  Villeurbanne et de Vaulx-en-Velin.

« 12 jours »  sélection officielle hors compétition  au Festival de Cannes, sur les écrans le 29 novembre .

« 12 jours » sélection officielle hors compétition au Festival de Cannes, sur les écrans
le 29 novembre .

Vous laissez parler les images, comment avez-vous pensé le dispositif de tournage ?
Il y avait trois caméras dans la salle d’audience, l’une pour le patient, l’autre pour le magistrat et une troisième pour un plan général. Je voulais tourner en argentique mais je n’ai pas pu pour des raisons techniques. On a tourné en numérique mais j’ai veillé à ce que l’image soit claire, lucide. La présence des patients était forte, impressionnante, on ne les voit jamais cligner des yeux.

Les entretiens sont entrecoupés de plans tournés dans l’hôpital sans que l’on mesure le traitement moral concédé aux pensionnaires…
Nous avons eu l’autorisation de circuler librement dans tout l’établissement. Cela me convenait bien. En tant que fils de paysan, je suis dans la quintessence française. Je tiens beaucoup à ma liberté. Celle de marcher dans la rue, de faire ce que je veux… Dans les couloirs d’un hôpital psychiatrique, on voit des gens qui se cognent aux murs. Je disposais d’une expérience préalable et je n’avais pas envie de faire ce type d’image. J’ai préféré filmer la déambulation, la solitude, c’est cela qui m’intéressait.

Vous faites référence à Foucault pour qui le fou n’est pas l’autre…
Oui Foucault « Surveiller et punir », plus que Bourdieu que j’ai bien connu, parce qu’avec  la psychiatrie, on n’est pas dans « La misère du monde » mais dans la France qui souffre. Même si l’on observe des changements importants, dans un pays où entre 1,8 à 2 millions de personnes font des navettes en hôpital psychiatrique, on peut se dire aussi que quel que soit le gouvernement, la psychiatrie sera toujours là.

Dans votre film, on a le sentiment que ce ne sont pas les patients qui veulent échapper à la vérité…
Absolument, il y a un décalage perceptible entre le dossier et la confrontation. J’ai l’impression qu’ils ont leurs idées mais ils sont néanmoins affectés. Cela montre l’importance des rapports humains qui ont tendance à reculer dangereusement dans nos villes. Les juges en conviennent, mais là ils ne sont pas dans leur contexte. Dans quelques décennies  nous regarderons peut-être cela comme de la préhistoire, mais aujourd’hui c’est une avancée.

Réalisé par Jean-Marie Dinh

Cette rencontre a eu lieu dans le cadre de la présentation du film en avant-première au Cinéma Diagonal à Montpellier (34).

l« 12 jours »(1h27min), sortie nationale le 29 novembre.

Source La Marseillaise 21/10/2017

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Kaouther Ben Hania : « Le parcours de Mariam démontre qu’il reste du chemin à faire

6d7ab3972e029b9d998425ddf9ca3f5d_L-1Invitée par le cinéma Diagonal en partenariat avec le festival Cinemed, la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania était à Montpellier pour présenter son second long métrage « La belle et la Meute » en avant première.

Kaouther Ben Hania est née à Sidi Bouzid en Tunisie. Elle étudie le cinéma à l’Ecole des Arts et du Cinéma à Tunis avant de suivre une formation de scénario à la Fémis à Paris. Elle débute sa carrière en tournant plusieurs documentaires. Dans son premier long métrage, la réalisatrice menait une enquête caméra au point sur l’identité du Challat de Tunis, nom donné à un homme qui roulait à moto dans les rues de Tunis, armé d’un rasoir pour balafrer les fesses des femmes qui croisaient sa route.

La belle et la meute est aussi une libre adaptation tirée d’un fait divers tunisien. Après avoir été violée, Mariam, une étudiante tunisienne, doit lutter pour le respect de ses droits et de sa dignité.

 

« C’est le déni de ses droits de citoyennes qui crée chez elle une conscience et une détermination...»

« C’est le déni de ses droits de citoyennes qui crée chez elle une conscience et une détermination…»

 La belle et la meute est votre second long métrage.                                            Quelle est l’origine du projet ?

Le choix d’une histoire pour moi c’est un peu comme celui d’une graine. Je fonctionne comme une jardinière, je les arrose. Il y a celles qui prennent et celles qui meurent en court de route, celle là a résisté. Elle s’inspire d’un fait divers, qui m’a donné la matière scénaristique. A partir de cette histoire authentique, le film raconte la réalité d’une société en explorant les codes du cinéma de genre.

On est en effet plus proche du thriller, voire du film d’horreur que du paisible travail de jardinière ?

J’aime le cinéma de genre et j’apprécie les films d’horreur que je trouve très inventifs, même si le film se rapproche plus d’un cauchemar que d’un film d’horreur. Ce n’est pas non plus un thriller ou un film noir avec les codes imposés d’une enquête dans laquelle on progresse en résolvant des énigmes. Dans le film, les preuves sont là mais personne ne veux les voir. On pourrait presque dire que c’est un anti-film noir.

Pourquoi avoir opté pour le plan séquence, cela vous vient-il de votre expérience dans le documentaire ?

Je voulais maintenir une tension, – on revient à mon goût pour les film d’horreur – et rester très réaliste. Avec le plan séquence on est en temps réel, ce qui accentue le malaise. C’est moins confortable pour les acteurs mais cela implique vraiment le spectateur. On suit Mariam pendant toute la longueur de la nuit et on partage son vécu durant 1h40.

J’avais en tête des films qui m’ont inspiré comme La corde d’Hitchcock. Mon expérience dans le documentaire ne m’a pas vraiment servi pour la forme, en revanche j’ai usé de cette expérience pour la recherche d’authenticité. Lors du travail préparatoire, je me suis rendu en amont dans un commissariat où j’ai pris le temps de comprendre le type de relations entre les gens, le fonctionnement général… Ce film n’est pas la reconstitution des faits qui se sont déroulés. C’est une histoire que je m’approprie.

Au début Mariam apparaît comme un personnage assez neutre puis elle évolue du point de vue de sa conscience politique…

En effet, à l’inverse de Youssef, elle n’a aucun passé militant. Au départ, elle demande justice et réparation. C’est le déni de ses droits élémentaires de citoyenne qui créé chez elle une conscience, et une détermination qui arrivent très rapidement, de manière très violente, un peu comme le viol.

On découvre l’état de la société à travers l’attitude jamais univoque et parfois ambivalente des personnages secondaires, pourquoi avoir choisit ce type de traitement ?

Il y a aussi les lieux comme la clinique privée et l’hôpital public ou le commissariat. C’est un film sur la transition. Avant 2011, cette affaire ne serait jamais sortie et en même temps le parcours de Mariam démontre qu’il reste du chemin à parcourir. Le pays est dans la tourmente à la recherche d’un équilibre. Après avoir usé de tous les moyens de pression pour que Mariam retire sa plainte, un des flics use en dernier argument de la nécessité de maintenir la réputation de la police sans laquelle le pays sombrerait dans le chaos.

Un chantage classique que l’on connaît ici avec l’Etat d’urgence. On vous dépouille de votre liberté et de vos droits au nom de la sécurité… Le militant Youssef, évoque le sentiment qu’il éprouve face au système, celui de vivre dans un monde peuplé de zombies.

J’ai travaillé le récit en ellipses, le film fait la part belle au refoulé avec des zones d’ombres enfouies dans la galerie des personnages. Mariam agit comme un révélateur parce qu’elle veut aller jusqu’au bout.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 17/10/2017

Voir : Bande-annonce LA BELLE ET LA MEUTE de Kaouther Ben Hania

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