Tuggener entre réalité et suggestions sceptiques

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Montpellier Photographie. A découvrir l’exposition Fabrik : une épopée industrielle 1933-1953 consacrée au photographe Jakob Tuggener au Pavillon Populaire jusqu’au 18 octobre 2015.

Par JMDH

Contraste au Pavillon Populaire de Montpellier après l’expo “La vie en Kodak de 1950 à 1970”, qui idéalisait en colorimétrie un modèle de société en pleine expansion. On traverse la vitrine du rêve américain pour toucher la réalité des ouvriers dans leur environnement professionnel avec « Fabrik : une épopée industrielle 1933/1953 », une exposition consacrée au photographe suisse Jakob Tuggener sous la direction artistique de Gilles Mora et le commissariat de Martin Gasser.

Changement de thème, d’époque, passage de la couleur au noir et blanc et retour à une ligne artistique, souvent perturbée pour ce haut lieu de la photographie d’art en province qui peine à creuser sa ligne de force en alternant radicalement les esthétiques pour ne déplaire à personne. Au même titre que les américains Brassaï et Eugène Smith, Jakob Tuggener est un photographe de terrain passionné qui a su capturer l’essence de son époque en apportant un regard libre et singulier qui le place aujourd’hui comme une référence dans l’histoire de la photographie.

L’art subjectif de dire

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Employé de l’usine allemande MFO (Ateliers de construction mécanique Oerlikon) qui tourne à plein régime mais connaît quelques problèmes d’encadrement. On attend de son travail photographique qu’il réduise le fossé entre les travailleurs et la direction. Lui ne souhaite rien moins que de rendre photographiquement tous les aspects de son usine.

Les machines, les murs de briques, les toits de zinc, attestent par leur gigantisme d’un glorieux environnement industriel. Tout fonctionne mais la dimension subjective des images de Jakob Tuggener laisse penser que les machines pourraient s’emballer à l’image des valeurs virtuelles du marché toujours en convalescence après la crise de 1929.

Quand l’artiste montre les chaînes de production, il n’omet pas de présenter les stocks de munitions qui s’accumulent en Allemagne. Sa notion du temps passe par les horloges de pointages qui nous ramènent aux hommes. A l’instar de la photo de l’affiche de l’exposition montrant Berti la coursière qui presse le pas de bon matin après que le lourd portail de l’usine se soit fermé dans son dos. Le gardien lui aura sans doute fait une réflexion sur son retard.

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Loin du réalisme socialisme, l’univers discret et onirique de Tuggener qui fut aussi réalisateur, procède par une mise en exergue des symboles proches du cinéma expressionniste.

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Une carrière sous l’angle de la passion

 

Présence du photographe dans le regard de son modèle. photo dr

Présence du photographe dans le regard de son modèle. photo dr

Jakob Tuggener débute sa vie professionnelle en tant que dessinateur industriel à Zurich. 1930-1931 il étudie à Berlin puis s’initie au graphisme, à la typographie, au dessin et au cinéma à l’école des arts et métiers en Allemagne. A son retour en Suisse, il travaille comme photographe industriel. En 1934 Tuggener achète un Leica et photographie pour la première fois le Grand Bal russe à Zurich.

Le thème du bal qui le fascine revient durant sa carrière. Il a photographié de nombreux bals en Suisse dans le Grand Hôtel de Zurich où à l’Opéra de Vienne. Il se consacre également à des sujets de la vie quotidienne et s’éprend  de la relation entre l’Homme et la machine. En 1943, Tuggener publie un essai photographique Fabrik (Usine ) relatant la relation de l’Homme dans le monde industriel des machines. Cet ouvrage le propulse dans l’avant-garde de la photographie suisse en dépit des critiques de l’époque qui rejettent son innovation artistique.

Après la Seconde Guerre mondiale ses photos sont exposées au Musée d’Art Moderne de New York et publiées dans le magazine photographie Leica. Une grande exposition rétrospective lui est consacrée en 1969 à Munich. Tuggener a développé un style poétique qui est devenu un modèle pour nombre de jeunes photographes se réclamant de la photographie subjective.

L’exposition de Montpellier puise partiellement dans les maquettes des livre Métal noir 1935-50 et Le temps de la machine 1942-51. Projets de livres que Tuggener n’est jamais parvenu à publier de son vivant. Parmi ces images, certaines seront exposées pour la toute première fois.

Au Pavillon Populaire. Entrée libre

Source La Marseillaise.

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Ils ont été recalés de la FIAC : mais pourquoi eux ?

Autoportrait de Julien Salaud.  L'outsider français ne sera pas présent à la FIAC.
Cette année encore, l’annonce des exposants retenus pour la prestigieuse Foire parisienne d’art contemporain a fait polémique. Retour sur les critères de sélection de la FIAC, en compagnie des principaux intéressés.

On l’attendait : la sélection des exposants de la FIAC 2015, qui se tiendra du 22 au 25 octobre à Paris, a été récemment dévoilée : 173 galeries, issues de 22 pays, seront exposées cette année sous la nef du Grand Palais. Gagosian, Perrotin, Hauser et Wirth : habituées de la prestigieuse Foire Internationale d’Art Contemporain, les grosses pointures n’avaient pas à s’inquiéter. En revanche, un certain nombre d’enseignes françaises de qualité se retrouvent sur le carreau. De taille intermédiaire, ces galeries n’auraient-elles plus leur place à la FIAC ? On s’interroge sur les critères de choix d’une foire de plus en plus internationale et sélective.

Des refus qui étonnent

 

Econduite depuis 5 ans, Suzanne Tarasieve proposait pourtant le solo-show onirique de Julien Salaud qui, récemment exposé au Musée de la Chasse et de la Nature, avait fait la réouverture du Palais de Tokyo en 2012. Recalée elle aussi, Claudine Papillon présentait une exposition du peintre franco-polonais Roman Opalka. Quant à Laurent Godin et Praz-Delavallade, ils seront également absents cette année. Dans le monde de l’art, beaucoup s’en étonnent.

La dernière fois que Suzanne Tarasieve était à la FIAC, c’était en 2010 : dans la Cour Carrée du Louvre (espace complémentaire de la FIAC à l’époque), ses photographies de Boris Mikhaïlov avaient été particulièrement remarquées : « J’ai l’impression que quand on a trop de succès, on nous vire ! » déplore-t-elle. La galeriste ne sait plus quoi répondre à ses visiteurs : « Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi je ne suis pas à la FIAC. Ils sont stupéfaits ! », nous confie-t-elle. « Il y a trois ans, j’ai présenté un show magnifique. Quand on leur a demandé pourquoi il était refusé, ils nous ont répondu que c’était parce ce n’était pas un artiste de notre galerie. Mais on le défendait depuis des années ! » s’exclame-t-elle.

Pour les refusés, c’est un coup dur. Car aujourd’hui plus que jamais, il faut en être. « Les instances de validation et de consécration […] passent beaucoup plus de temps à visiter les foires et les biennales, dès lors incontournables, qu’à visiter les galeries », écrivait le sociologue Alain Quemin dans une analyse distribuée par Artprice lors de la FIAC 2008. Ce que confirme Bruno Delavallade, exclu pour la première fois cette année : « L’absence de la FIAC, c’est […] un discrédit sur notre programme » et « un coup bas pour les artistes que nous défendons ». Suzanne Tarasieve va plus loin : « Il faut le dire, certains galeristes crèvent de faim s’ils ne sont pas à la FIAC ! ».

La FIAC assume ses choix

 

Interrogée à ce sujet, Jennifer Flay, Directrice artistique de la FIAC depuis 2003, a d’abord tenu à présenter le comité de sélection, regroupant huit galeristes « tous très respectés dans le milieu de l’art contemporain ». Composé cette année de David Fleiss, Christophe Van de Weghe, Samia Saouma, Gisela Capitain, Simon Lee, Solène Guillier, Jan Mot et Alexander Schroeder, le jury de la FIAC est renouvelé régulièrement et se réunit plusieurs fois dans l’année. « Les membres du comité sont en rotation permanente. Chaque membre peut rester pour deux ans, renouvelables une fois. Cette année, le comité comportait deux nouveaux membres » explique Jennifer Flay.

Réunis en avril durant quatre jours pour la sélection, ils examinent les candidatures « une par une et dans le détail en tenant compte des critères » : l’historique de la galerie, les artistes qu’elle représente, son programme d’expositions, ses activités extra-muros et son projet pour la FIAC. Des « appréciations » entrent aussi en jeu, telles que « la capacité de la galerie à accompagner ses artistes et à les aider à se développer » ou « son rayonnement sur la scène nationale et internationale » ajoute-t-elle.

Mais pourquoi ces refus ? Le manque de place est la principale raison invoquée. « Le Grand Palais, un de nos atouts, n’est pas un espace extensible », rétorque Jennifer Flay. « Il y a toujours plus de candidatures que de places disponibles, et il y a par ailleurs une gamme chronologique et historique à respecter », précise-t-elle. Après une nouvelle étude, le comité retient donc les meilleures propositions. « Nous faisons notre maximum pour optimiser les surfaces d’exposition », assure Jennifer Flay, qui rappelle le lancement l’an dernier d’un second site, à la Cité de la Mode et du Design, pour la foire « OFFICIELLE ».

« S’il n’y a pas de place, pourquoi ne font-ils pas un roulement ? » s’interroge Suzanne Tarasieve. Cette idée, qui permettrait de donner leur chance à des galeries également méritantes, « ne représente pas une solution très satisfaisante » pour Jennifer Flay. « En tant que Directrice de la FIAC, je me dois de viser la plus haute qualité » tranche-t-elle. « Je ne pense donc pas qu’il soit utile d’instaurer un roulement qui nous conduirait à choisir des galeries moins performantes ». Suzanne Tarasieve, Claudine Papillon ou Laurent Godin ne seraient-elles pas à la hauteur ? « Ce sont de bonnes galeries et elles rentrent dans les critères de la FIAC » reconnaît Jennifer Flay. « Ne pas les retenir n’est pas plaisant, mais nous nous devons de rester fidèles aux critères qualitatifs que la FIAC s’est fixé ».

De fausses excuses ?

 

Les choix du comité seraient-ils influencés par d’autres critères non officiels ? C’est en tous cas ce qu’avancent certains. « Ce n’est pas normal que nous soyons jugés par nos pairs », critique Suzanne Tarasieve. « Il arrive que certains membres du jury nous détestent. Quand il y a des rivalités ou du copinage, on n’a pas affaire à un vrai jury. C’est le problème de toutes les foires internationales », déplore-t-elle. Il est vrai que les membres du comité sont galeristes et de surcroît eux-mêmes exposés à la FIAC. Cependant, Jennifer Flay l’assure, « les candidatures sont examinées suivant un processus qui est identique pour tous ». Et selon le site de la FIAC, il serait important que le comité soit composé de galeristes, qui « connaissent parfaitement le marché de l’art […], leurs collègues […] et les spécificités des marchés locaux ».

Autre raison possible : ni très riches ni émergentes, ces galeries de taille intermédiaire intéresseraient moins la FIAC. En effet, cette dernière se donne pour mission d’être à la fois une vitrine pour de puissantes galeries telles que Perrotin ou Gagosian, qui lui confèrent un indispensable cachet, et pour de jeunes enseignes, preuves qu’elle joue un rôle important dans la découverte de nouveaux talents. « Il n’y a pas de place pour des galeries comme nous qui ne brassent pas des milliards et ne sont pas émergentes », constatait amèrement Claudine Papillon. Un avis partagé par Suzanne Tarasieve : « On est entre les deux et je pense que ça les gêne », dit-elle.

Enfin, le règne des « puissantes enseignes internationales » pourrait être en cause. C’est l’avis de Bruno Delavallade, pour qui ces dernières seraient favorisées. « C’est les galeries américaines avant tout, alors que la qualité n’est pas toujours au rendez-vous ! » s’exclame Suzanne Tarasieve.

En vérité, il y a davantage de galeries françaises que de galeries américaines cette année : 24 % de galeries françaises, contre 21% de galeries américaines, tandis que le total des galeries européennes représente 68% des exposants (contre 25% l’an dernier). Néanmoins, le pourcentage des galeries américaines reste élevé. L’an dernier, selon Les Echos (même si là encore le nombre de galeries françaises était plus élevé que celles venant des Etats-Unis), les artistes américains auraient été deux fois plus nombreux que ceux originaires de l’Hexagone, qui se serait placé en troisième position derrière l’Allemagne.

« On ne prête qu’aux riches », explique le sociologue Alain Quemin, auteur de « Les stars de l’art contemporain » (CNRS Editions, 2013). « Plus un pays est aujourd’hui important, plus il a de chances de le rester ensuite. Ainsi, même s’ils le nient, les acteurs de ce milieu ont intégré le fait qu’un artiste américain ou allemand était plus important qu’un artiste français ». Mais ce ne serait pas là le seul problème, puisque le Japon et la Chine sont très peu représentés. En 2013, Guillaume Piens, commissaire général d’Art Paris Art Fair, jugeait d’ailleurs que la FIAC était « une foire très adossée sur le marché anglo-saxon », se concentrant surtout sur l’ouest et pas assez sur l’est.

Quoi qu’il en soit, il reste des solutions pour les refusés de la FIAC 2015. S’ils n’ont pas été repêchés à la dernière minute comme la galerie Continua, il y a toujours les foires « off », qui se développent de plus en plus, telles que Slick Art Fair, YIA, Art Elysées ou encore Outsider Art Fair. Quant à Suzanne Tarasieve, elle présentera le projet de Julien Salaud au Loft 19, pendant la FIAC.

Joséphine Blindé

Source Télérama 15/07/2015

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Bioulès et les paysages lozériens

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Exposition. Bioulès en vacances à la Maison consulaire de Mende, jusqu’au 1er novembre 2015.

Pour les 20 ans de l’association Mend’Arts, la présidente Colette Barthe a souhaité voir à Mende une grande exposition d’art moderne. C’est ainsi que la Ville de Mende, en partenariat avec Mend’Arts et Les Amis du musée Ignon-Fabre, accueille jusqu’au 1er novembre, à la Maison consulaire, une exposition consacrée à Vincent Bioulès.

Intitulée Bioulès en vacances, La Lozère, aux sources de l’inspiration, elle retrace en une quarantaine de toiles le travail de l’artiste lors de ses nombreux séjours d’été en Lozère. Il résidait alors le plus souvent au château de Laubert et travaillait à partir des paysages et de l’architecture qui l’entouraient. On admirera le regard artistique posé sur Laubert, Luc, Ribennes ou Esfourné…

En entrant par la porte lozérienne dans l’œuvre de Vincent Bioulès, on découvre tout un pan de sa création. Même en pleine abstraction, Vincent Bioulès n’a jamais rompu le lien avec la réalité, il traque le motif, il parcourt la campagne, réalise des esquisses, des aquarelles, des dessins. Cette œuvre figurative permet à l’artiste de déployer les caractéristiques de son travail: l’exploration de la couleur, de l’espace, du signe plastique modelé par l’expérience et l’amour de l’art.

Le peintre montpelliérain Vincent Bioulès a longtemps passé son regard par les fenêtres à travers lesquelles filtrait sa proposition d’explorer le monde. Après avoir défendu l’idée d’une autonomie culturelle qui se passe du cadre de la norme, il rejoint avec cette exposition l’autonomie naturelle sans carreau ni cadre de fenêtre pour entrer de plein pied dans le paysage. L’embrasser en laissant libre court à son instinct de la nature. L’artiste qui dénonce l’urbanisation sauvage avec véhémence retrouve à Mende le goût de partager ce qu’il aime.

JMDH

Entrée gratuite. Rens: Office de tourisme. Tél.: 04 66 94 00 23

Source : La Marseillaise 18/08/2015

Voir aussi :  Actualité locale Rubrique Art, rubrique Expositions, rubrique, Rencontre Les paysages prophétiques de Bioulès,

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Hervé DI ROSA : « Les choses que je ne contrôle pas m’excitent »

« C’est la nécessité qui permet à l’invention d’exister »

« C’est la nécessité qui permet à l’invention d’exister »

Rencontre avec Hervé Di Rosa directeur du MIAM et précurseur de la figuration libre à l’occasion de l’exposition d’été du Musée Paul Valéry de Sète qui consacre son exposition d’été à l’émergence du mouvement. Depuis 1981, l’oeuvre d’Hervé Di Rosa a fait l’objet de plus de 200 expositions personnelles et est présente dans d’importantes collections publiques et privées en Europe, en Amérique et en Asie.

Quel souvenir avez-vous des premiers pas de la Figuration libre retracés par l’exposition du Musée Paul Valéry ?

L’exposition du Musée Paul Valéry se concentre sur les années 1981/1984. A cette occasion la conservatrice Maïté Vallès Bled, m’a contacté. J’ai prêté quelques-unes de mes oeuvres de l’époque et un certain nombre de documents à l’école des Beaux arts qui organise une expo-mémoire de ses anciens élèves. Je regarde cela comme mes oeuvres de jeunesse. A vrai dire, je crois ne pas avoir assez de recul pour analyser. J’aurai préféré que cette expo ait lieu après ma mort… (rires)

Vraiment… vous auriez préféré laisser tout cela dans les cartons avec votre testament ?

Vous savez, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cela ne me rappelle pas des souvenirs très heureux. J’avais une vingtaine d’années ce qui n’est pas toujours une période facile dans la vie. Il y avait pas mal de tensions entre les uns et les autres et le succès soudain que nous avons connu a été difficile à gérer. Cela ne veut pas dire que je renie mes oeuvres de cette époque. Elles m’apparaissent comme la base de mon travail sur l’art modeste mais j’ai mis beaucoup de distance avec ce moment.

Qu’est ce qui vous a poussé à devenir artiste ?

A quatorze ans, je savais déjà que je voulais faire ça. Mon père travaillait à la SNCF et ma mère était femme de ménage. Ils m’ont toujours beaucoup soutenu. J’ai fait un an de prépa à l’école des Beaux Arts de Sète. Il fallait que j’obtienne le Bac pour bénéficier des bourses me permettant de vivre à Paris. Je l’ai passé au Lycée Paul Valéry, puis j’ai été reçu au concours de l’Ecole Estienne et à l’école des Arts déco que j’ai choisie. J’avais publié des planches  dans la revue Charlie Mensuel dirigé par Georges Wolinski. Je voulais travailler le support graphique. A Paris, je suis allé frapper à la porte des magazines de BD comme A Suivre ou Métal Urbain, je me suis fait jeter de partout. On me renvoyait vers l’art contemporain.

C’est finalement dans ce milieu de l’art, en pleine mutation à l’époque, que vous alliez trouver votre place …

L’art minimal, les conceptuels, comme les membres de Support Surface dominaient le secteur mais en même temps des mouvements contestataires émergeaient comme la Trans-avant-garde en Italie où les Nouveaux fauves en Allemagne avec la volonté commune d’un retour à la peinture. Je me sentais assez peu concerné par ça. Moi ce qui m’intéressait c’était l’image et l’imagerie.

Je suis issu du mouvement punk. A la fin des années 70 la musique punk a déboulé dans le milieu jazz -rock comme dans un jeu de quilles. La figuration libre c’est un peu la même chose on avait peu de technique et de moyens mais on avait l’énergie et la puissance expressive pour tout bouleverser.

Ca bascule en 79, moment où vous cofondez avec Combas, Blanchard, Boisrond… le mouvement de la Figuration libre qui s’exporte notamment aux Etats-Unis. Comment avez-vous vécu la confrontation avec les artistes américains ?

On ne partageait pas le même univers pictural mais on s’est retrouvés de fait en contradiction avec la mort annoncée de la peinture. Les artistes dit de la Figuration libre  – j’ai toujours eu du mal avec les étiquettes, parce que même si on  était très proches,  on avait chacun notre univers, Combas c’était plutôt le rock, Blanchard les contes et légendes, moi l’imagerie – se confrontent au bad painting, un style qui empruntait aux arts de la rue avec aussi plusieurs  orientations, comme le graffitis, les pochoirs, les affiches…

J’ai vécu aux Etats-Unis deux ans en 82 et 83 au moment où déboulaient le rap et le graph. C’était dingue, les jeunes sortaient du Bronx et arrivaient dans les galeries. Des gens sans moyens, comme dans le milieu musical où les artistes sans instruments ont inventé le sampling. C’est la nécessité qui permet à l’invention d’exister.

Le mouvement de la Figuration libre s’est dissout assez rapidement, chacun de ses membres poursuivant dans sa propre direction, est-ce dû au succès trop rapide à l’argent ?

Certains sont morts… Dans le milieu artistique underground l’épidémie du sida a fait des ravages. Elle a aussi poussé ceux qui sont passés à travers, comme moi, à une réflexion. Je suis assez critique sur la position institutionnelle française qui a été comme à son habitude très sélective dans le financement de l’art contemporain en laissant entrer le marché dans les années 80 et 90. On voit le résultat aujourd’hui, maintenant qu’il n’y a plus d’argent c’est la financiarisation qui fait la loi. Le marché est en train d’acheter la légitimité de l’institution.

Quel chemin avez-vous emprunté pour poursuivre votre oeuvre ?

Je suis parti à l’étranger un peu partout dans le monde pour aller à la rencontre d’autres cultures. Je veux faire découvrir les bons côtés de la mondialisation. Je diversifie les approches artistiques au contact de mes rencontres, en Afrique en Asie, en Amérique latine. Ce qui m’intéresse c’est la nécessité qui donne lieu à des surprises et qui tord mon projet. Les choses nouvelles que je ne contrôle pas m’excitent plus que ce que je maîtrise.

Vous êtes le concepteur de l’Art modeste et avez fondé le Miam à Sète dans quel but ?

Le Musée international des arts modestes existe depuis 15 ans. Nous y exposons des artistes venus du monde entier et créons des expositions qui questionnent les frontières de l’art contemporain. C’est un lieu de rencontre entre l’art savant et populaire, une vraie alternative pour la création.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

La Figuration libre historique d’une aventure- au Musée Paul Valéry à Séte jusqu’au 15 novembre 2015
Une mémoire de l’école des  Beaux-art de Sète jusqu’au 31 août 2015
Exposition Véhicules au MIAM, jusqu’au 20 septembre 2015
Exposition  «Di Rosa Le grand bazar du Multivers AD Galerie à Montpellier jusqu’au 29 juillet 2015

Source La Marseillaise 06/07/2015

Voir aussi : Rubrique Rencontre, rubrique Expositions, Art,

Le cœur battant d’Arabesques est ouvert

urlFestival. Musique, danse, conte, opéra, expos, action scolaire, débats… Pour ses dix ans, la manifestation montpelliéraine s’impose comme une vitrine des arts du monde arabe tout en restant populaire.

La dixième édition d’Arabesques est ouverte. Fidèle à l’esprit de la première heure, le festival met au centre de l’espace public toutes les expressions artistiques du monde arabe. Jusqu’au 24 mai vont se succéder à Montpellier des trésors de culture en provenance des quatre coins de l’hexagone et de la Méditerranée dans un esprit d’ouverture, d’échange et de rencontres.

Ce dixième anniversaire devrait donner l’occasion  de mesurer le chemin parcouru. « L’idée du festival nous est venue au retour d’une tournée dans le monde arabe où nous avions été frappés par la différence des expressions artistiques », se souvient le directeur de la manifestation, Habib Dechraoui. « L’acte de naissance du festival est issu de la richesse de cette éblouissante diversité. »

Qu’ils interprètent une tradition séculaire ou qu’ils présentent des créations contemporaines, tous les artistes invités par le festival ont toujours fait preuve d’une virtuosité et d’une richesse culturelle insoupçonnables dans un esprit éminemment populaire. La volonté d’accessibilité, comme la volonté de partage pour ambition, constituent assurément les lignes de force d’Arabesques. N’oublions pas que ce festival qui accueille les plus grandes stars du monde est géré par l’Association Uni’sons, dont le siège social est abrité dans le quartier oublié de Montpellier les Hauts de Massane.

Cela fait 15 ans que cette association s’implique avec une exigence sans commune mesure dans l’action culturelle. « On est là pour unir, casser les clichés et donner de l’amour, affirme Habib Dechraoui, Au départ on est allé chercher les femmes qui vivaient enfermées chez elles dans les tours pour discuter dans les écoles des questions d’éducation. Aujourd’hui elles viennent au festival et elles font venir leur mari. Quand je vois des femmes en djellaba danser avec des femmes en jeans, je suis content. A travers l’expression artistique et culturelle, on retrouve cette confrontation partout dans le monde sans qu’aucune partie du corps social ne soit stigmatisée. »

La quatrième pyramide

Cette année, la diva Oum Kalsoum est à l’honneur avec une grande exposition montée en partenariat avec l’Institut du Monde Arabe qui sera visible sur plusieurs lieux en ville. L’hôtel Mercure Centre accueille le volet photographique de l’expo. A la médiathèque Jules-Verne de St-Jean-de-Vedas, on découvre la partie liée à sa discographie. Au théâtre Jean-Claude Carrière du Domaine D’O, à Montpellier, il est question de l’héritage d’Oum Kalsoum. Enfin on retrouvera les costumes de la grande dame dans le hall de l’Opéra Comédie.

Deux concerts s’y tiendront dimanche et lundi  avec la présence exceptionnelle de l’Opéra du Caire qui maintient l’héritage en perpétuant le répertoire Oum Kalsoum tous les 1er jeudis du mois dans la capitale égyptienne. « Lors de ces concerts, Oum Kalsoum suspendait littéralement le temps dans l’ensemble du monde arabe. Tout le monde s’arrêtait pour l’écouter à la radio, explique Habib Dechraoui. Proche de Nasser, féministe de la première heure, Oum Kalsoum a incarné l’unité du monde arabe. Les plus grands poètes du monde arabe lui faisaient parvenir leurs textes. » Une table ronde animée par le journaliste Rabah Mezouane lui sera consacrée.

Que l’on soit athés, musulmans ou chrétiens, d’ici ou de là-bas, chacun peut profiter de ce grand festival. L’heure de la maturité donne l’occasion de saluer les choix politiques et culturels qui président à la pérennité de cette manifestation.

 JMDH

Jusqu’au 24 mai, Arabesques œuvre pour la mémoire et fait vibrer les aspirations artistiques d’aujourd’hui. photos dr

Source : La Marseillaise 14/.05/2015

Voir aussi : Rubrique  Festival,, Il était une fois les Chibanis, rubrique Méditerranée, rubrique Montpellier, rubrique ExpositionPhoto,