Cette année encore, l’annonce des exposants retenus pour la prestigieuse Foire parisienne d’art contemporain a fait polémique. Retour sur les critères de sélection de la FIAC, en compagnie des principaux intéressés.
On l’attendait : la sélection des exposants de la FIAC 2015, qui se tiendra du 22 au 25 octobre à Paris, a été récemment dévoilée : 173 galeries, issues de 22 pays, seront exposées cette année sous la nef du Grand Palais. Gagosian, Perrotin, Hauser et Wirth : habituées de la prestigieuse Foire Internationale d’Art Contemporain, les grosses pointures n’avaient pas à s’inquiéter. En revanche, un certain nombre d’enseignes françaises de qualité se retrouvent sur le carreau. De taille intermédiaire, ces galeries n’auraient-elles plus leur place à la FIAC ? On s’interroge sur les critères de choix d’une foire de plus en plus internationale et sélective.
Des refus qui étonnent
Econduite depuis 5 ans, Suzanne Tarasieve proposait pourtant le solo-show onirique de Julien Salaud qui, récemment exposé au Musée de la Chasse et de la Nature, avait fait la réouverture du Palais de Tokyo en 2012. Recalée elle aussi, Claudine Papillon présentait une exposition du peintre franco-polonais Roman Opalka. Quant à Laurent Godin et Praz-Delavallade, ils seront également absents cette année. Dans le monde de l’art, beaucoup s’en étonnent.
La dernière fois que Suzanne Tarasieve était à la FIAC, c’était en 2010 : dans la Cour Carrée du Louvre (espace complémentaire de la FIAC à l’époque), ses photographies de Boris Mikhaïlov avaient été particulièrement remarquées : « J’ai l’impression que quand on a trop de succès, on nous vire ! » déplore-t-elle. La galeriste ne sait plus quoi répondre à ses visiteurs : « Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi je ne suis pas à la FIAC. Ils sont stupéfaits ! », nous confie-t-elle. « Il y a trois ans, j’ai présenté un show magnifique. Quand on leur a demandé pourquoi il était refusé, ils nous ont répondu que c’était parce ce n’était pas un artiste de notre galerie. Mais on le défendait depuis des années ! » s’exclame-t-elle.
Pour les refusés, c’est un coup dur. Car aujourd’hui plus que jamais, il faut en être. « Les instances de validation et de consécration […] passent beaucoup plus de temps à visiter les foires et les biennales, dès lors incontournables, qu’à visiter les galeries », écrivait le sociologue Alain Quemin dans une analyse distribuée par Artprice lors de la FIAC 2008. Ce que confirme Bruno Delavallade, exclu pour la première fois cette année : « L’absence de la FIAC, c’est […] un discrédit sur notre programme » et « un coup bas pour les artistes que nous défendons ». Suzanne Tarasieve va plus loin : « Il faut le dire, certains galeristes crèvent de faim s’ils ne sont pas à la FIAC ! ».
La FIAC assume ses choix
Interrogée à ce sujet, Jennifer Flay, Directrice artistique de la FIAC depuis 2003, a d’abord tenu à présenter le comité de sélection, regroupant huit galeristes « tous très respectés dans le milieu de l’art contemporain ». Composé cette année de David Fleiss, Christophe Van de Weghe, Samia Saouma, Gisela Capitain, Simon Lee, Solène Guillier, Jan Mot et Alexander Schroeder, le jury de la FIAC est renouvelé régulièrement et se réunit plusieurs fois dans l’année. « Les membres du comité sont en rotation permanente. Chaque membre peut rester pour deux ans, renouvelables une fois. Cette année, le comité comportait deux nouveaux membres » explique Jennifer Flay.
Réunis en avril durant quatre jours pour la sélection, ils examinent les candidatures « une par une et dans le détail en tenant compte des critères » : l’historique de la galerie, les artistes qu’elle représente, son programme d’expositions, ses activités extra-muros et son projet pour la FIAC. Des « appréciations » entrent aussi en jeu, telles que « la capacité de la galerie à accompagner ses artistes et à les aider à se développer » ou « son rayonnement sur la scène nationale et internationale » ajoute-t-elle.
Mais pourquoi ces refus ? Le manque de place est la principale raison invoquée. « Le Grand Palais, un de nos atouts, n’est pas un espace extensible », rétorque Jennifer Flay. « Il y a toujours plus de candidatures que de places disponibles, et il y a par ailleurs une gamme chronologique et historique à respecter », précise-t-elle. Après une nouvelle étude, le comité retient donc les meilleures propositions. « Nous faisons notre maximum pour optimiser les surfaces d’exposition », assure Jennifer Flay, qui rappelle le lancement l’an dernier d’un second site, à la Cité de la Mode et du Design, pour la foire « OFFICIELLE ».
« S’il n’y a pas de place, pourquoi ne font-ils pas un roulement ? » s’interroge Suzanne Tarasieve. Cette idée, qui permettrait de donner leur chance à des galeries également méritantes, « ne représente pas une solution très satisfaisante » pour Jennifer Flay. « En tant que Directrice de la FIAC, je me dois de viser la plus haute qualité » tranche-t-elle. « Je ne pense donc pas qu’il soit utile d’instaurer un roulement qui nous conduirait à choisir des galeries moins performantes ». Suzanne Tarasieve, Claudine Papillon ou Laurent Godin ne seraient-elles pas à la hauteur ? « Ce sont de bonnes galeries et elles rentrent dans les critères de la FIAC » reconnaît Jennifer Flay. « Ne pas les retenir n’est pas plaisant, mais nous nous devons de rester fidèles aux critères qualitatifs que la FIAC s’est fixé ».
De fausses excuses ?
Les choix du comité seraient-ils influencés par d’autres critères non officiels ? C’est en tous cas ce qu’avancent certains. « Ce n’est pas normal que nous soyons jugés par nos pairs », critique Suzanne Tarasieve. « Il arrive que certains membres du jury nous détestent. Quand il y a des rivalités ou du copinage, on n’a pas affaire à un vrai jury. C’est le problème de toutes les foires internationales », déplore-t-elle. Il est vrai que les membres du comité sont galeristes et de surcroît eux-mêmes exposés à la FIAC. Cependant, Jennifer Flay l’assure, « les candidatures sont examinées suivant un processus qui est identique pour tous ». Et selon le site de la FIAC, il serait important que le comité soit composé de galeristes, qui « connaissent parfaitement le marché de l’art […], leurs collègues […] et les spécificités des marchés locaux ».
Autre raison possible : ni très riches ni émergentes, ces galeries de taille intermédiaire intéresseraient moins la FIAC. En effet, cette dernière se donne pour mission d’être à la fois une vitrine pour de puissantes galeries telles que Perrotin ou Gagosian, qui lui confèrent un indispensable cachet, et pour de jeunes enseignes, preuves qu’elle joue un rôle important dans la découverte de nouveaux talents. « Il n’y a pas de place pour des galeries comme nous qui ne brassent pas des milliards et ne sont pas émergentes », constatait amèrement Claudine Papillon. Un avis partagé par Suzanne Tarasieve : « On est entre les deux et je pense que ça les gêne », dit-elle.
Enfin, le règne des « puissantes enseignes internationales » pourrait être en cause. C’est l’avis de Bruno Delavallade, pour qui ces dernières seraient favorisées. « C’est les galeries américaines avant tout, alors que la qualité n’est pas toujours au rendez-vous ! » s’exclame Suzanne Tarasieve.
En vérité, il y a davantage de galeries françaises que de galeries américaines cette année : 24 % de galeries françaises, contre 21% de galeries américaines, tandis que le total des galeries européennes représente 68% des exposants (contre 25% l’an dernier). Néanmoins, le pourcentage des galeries américaines reste élevé. L’an dernier, selon Les Echos (même si là encore le nombre de galeries françaises était plus élevé que celles venant des Etats-Unis), les artistes américains auraient été deux fois plus nombreux que ceux originaires de l’Hexagone, qui se serait placé en troisième position derrière l’Allemagne.
« On ne prête qu’aux riches », explique le sociologue Alain Quemin, auteur de « Les stars de l’art contemporain » (CNRS Editions, 2013). « Plus un pays est aujourd’hui important, plus il a de chances de le rester ensuite. Ainsi, même s’ils le nient, les acteurs de ce milieu ont intégré le fait qu’un artiste américain ou allemand était plus important qu’un artiste français ». Mais ce ne serait pas là le seul problème, puisque le Japon et la Chine sont très peu représentés. En 2013, Guillaume Piens, commissaire général d’Art Paris Art Fair, jugeait d’ailleurs que la FIAC était « une foire très adossée sur le marché anglo-saxon », se concentrant surtout sur l’ouest et pas assez sur l’est.
Quoi qu’il en soit, il reste des solutions pour les refusés de la FIAC 2015. S’ils n’ont pas été repêchés à la dernière minute comme la galerie Continua, il y a toujours les foires « off », qui se développent de plus en plus, telles que Slick Art Fair, YIA, Art Elysées ou encore Outsider Art Fair. Quant à Suzanne Tarasieve, elle présentera le projet de Julien Salaud au Loft 19, pendant la FIAC.
Joséphine Blindé
Source Télérama 15/07/2015
Voir aussi : Actualité France, Rubrique Art, rubrique Exposition, rubrique Rencontre, Hervé Di Rosa,