Pourquoi les scènes lyriques qui vivent à 50% grâce aux subventions publiques boudent-elles les chanteurs français ? La question est épineuse dans le milieu de l’art lyrique. Il a fallu plusieurs mois pour obtenir témoignages et données chiffrées.
Tout le monde le sait mais personne n’en parle. Un rapport du ministère de la culture a finalement chiffré ce phénomène en novembre 2014 : les maisons d’opéra, les festivals d’art lyrique et les structures de concerts n’emploient que 30% de chanteurs domiciliés fiscalement en France, au profit des chanteurs étrangers.
Ce rapport est né de l’initiative de solistes français qui en juillet 2012 se sont organisés en collectif, sous la houlette du SFA-CGT. En épluchant les productions à travers toute la France, ils ont forcé le ministère de la culture à se pencher sur ce déséquilibre, jusque-là ignoré.
« Nous avons tous partagé le même constat. Des contrats de moins en moins nombreux en France. L’impossibilité pour les jeunes de se lancer et dans le même temps le jeunisme qui fait venir sur les scènes d’opéra des critères du mannequinat que le cinéma ne suit même plus. Allez dire qu’Isabelle Huppert est trop vieille pour tourner ? Tout le monde vous rira au nez ! A l’opéra, non » (une soliste du collectif de juillet)
Contrairement aux Etats-Unis où les maisons d’opéra sont obligées d’employer 70% d’Américains, la France est soumise aux règles européennes qui interdisent les quotas. Pourtant, sur les scènes italiennes ou allemandes, le civisme des directeurs et des programmateurs artistiques fait la part belle aux nationaux. En France, il n’y a pas ce réflexe. Pourquoi ?
Snobisme
Tous le répètent dans le métier : un chanteur étranger, ça fait toujours plus chic sur une affiche. C’est ainsi que dans le Faust de Gounod qui commence le 22 juin prochain à l’opéra de Toulouse, on peut entendre des chanteurs roumains, espagnols, américains, polonais, ou italiens, mais pas un seul chanteur français.
« Aller chercher à Pétaouchnock une Barberine alors qu’on en a des tonnes en France, c’est ridicule ! Alors, le directeur va dire, c’est ma liberté ! Mais il y a quelque chose de dérangeant tout de même lorsque c’est l’Etat et donc le contribuable français qui paye. Empêcher, par snobisme, les chanteurs français de travailler, je trouve ça scandaleux ! » (Thérèse Cédelle, agent artistique)
Cette préférence du chanteur étranger n’est pourtant pas toujours consciente chez les directeurs d’opéra en France. Nommés à la suite d’une expérience dans une autre structure européenne, ils arrivent avec leur carnet d’adresse au détriment de la recherche sur le terrain de nouveaux chanteurs domiciliés en France.
Un problème de formation
Démarrer une carrière en France est devenu très compliqué pour les jeunes solistes. Beaucoup de jeunes Français s’exportent en Allemagne, où les troupes existent toujours pour se faire l’expérience de scène exigée par les directeurs d’opéra français.
« On forme trop de chanteurs en France pour le nombre de productions et les jeunes chanteurs sortent du conservatoire sans aucune expérience de scène » (Alain Surrans directeur de l’opéra de Rennes)
L’opéra de rennes vient donc de passer un partenariat avec le pôle supérieur de Bretagne afin de former dès septembre une poignée de jeunes étudiants à la scène ; mais en attendant, les chanteurs lyriques français sont de plus en plus nombreux à se reconvertir.
Pour faire des économies
Ce qui revient notamment dans le rapport du ministère, c’est le poids des charges salariales en France. Contrairement à d’autres pays européens, les chanteurs français sont soumis au régime du salariat, ce qui impose aux scènes lyriques de payer des charges sociales. En moyenne, le coût d’un chanteur domicilié fiscalement en France est 12 à 40% plus cher que pour un chanteur étranger.
Rares sont les directeurs d’opéra qui acceptent de reconnaitre ouvertement ce critère financier. Certains le nient formellement (comme le directeur de l’opéra de Rennes) d’autres préviennent que les demandes d’économies proviennent directement du ministère de la culture.
Pourtant, le rapport du même ministère prévient qu’il faut cesser de faire des économies en piochant sur les plateaux de chanteurs et opérer un rééquilibrage des postes budgétaires.
Dans un opéra de taille moyenne, comme Limoge, qui ne propose que cinq productions par an, un spectacle vaut plusieurs centaines de milliers d’euros quand le plateau de chanteurs ne dépasse pas les 30 000 euros. En cause : le marché des chefs d’orchestre et des metteurs en scène aux rémunérations de stars, qui déséquilibrent tous les budgets.
Le rôle du public
Le public a sans doute un rôle important à jouer.
« En France, on a des Carmen aberrantes où le texte chanté en Français est incompréhensible. Cela ne passerait jamais ni en Allemagne ni en Italie. Le public français doit réagir ! » (Une soliste française du collectif du 13 juillet)
Certaines scènes lyriques françaises, comme celle du Grand Est (Strasbourg Metz Reims et Nancy) ou Saint Etienne et Limoge, jouent la carte de la co-production et exhument de plus en plus d’œuvres de compositeurs français comme Offenbach et Massenet.
« Exhumer ces œuvres françaises est une chance pour le répertoire mais aussi pour de jeunes chanteurs français qui ont l’énergie et le talent pour les défendre ! » (Josquin macarez directeur artistique de l’opéra de Limoges)
Et le ministère dans tout ça ?
Pour faire face à la baisse des dotations publiques, le ministère de la culture encourage depuis des années le financement mixte (public-privé) des scènes lyriques ; mais il détient toujours la moitié du financement.
La direction de la création artistique au ministère de la culture se dit très attentive à ce dumping social dont pâtissent les chanteurs français. La nouvelle loi sur la liberté de création qui est en lecture au sénat devrait permettre de protéger les choristes et d’assurer le suivi de carrière des solistes.
Surtout, le ministère promet de faire pression sur les directeurs d’opéra afin qu’ils pensent « en brut » lors des contrats avec les chanteurs solistes ; c’est-à-dire qu’au lieu de s’arrêter au versement du cachet, ils calculent aussi le défraiement, le logement du chanteur étranger, favorisant ainsi le chanteur vivant sur place.
Dans l’idée de la direction de la création artistique, il s’agit de créer un maillage musical autour des maisons d’opéra en région ; sortes de troupes territoriales avec des chanteurs solistes rattachés officieusement à chaque grande maison. Problème : le ministère ne veut pas prévoir de mesures contraignantes pour faire fonctionner ce beau rêve.
1- Carrona (2011, verre de Murano, détail) de Javier Pérez
Le thème des Vanités revu et corrigé par huit artistes contemporains de renommée internationale au musée d’Arts et d’archéologie des Matelles en Grand Pic Saint-Loup
Le réseau de diffusion habituel de l’art contemporain international trouve peu de relais en zone rural ce pourquoi on aurait tord de se priver des belles exceptions qui confirme la règle. Ce que donne à voir l’exposition Vanités jusqu’au 4 septembre à la Maison des Consuls du village des Matelles est assez rare pour être souligné. L’idée qu’il faille frapper fort pour produire un effet d’aubaine plutôt qu’envisager une lente mutation pour passer des traditionnels spectacles de la salle des fêtes à une programmation plus ambitieuse est défendue par le directeur de la culture de la Communauté des communes du Grand Pic Saint-Loup, Didier Fournials, et elle est soutenue par son président Alain Barbe. Outre le fait que cette initiative réponde au défi d’ouvrir le flux convoité du tourisme culturel, elle s’inscrit également dans le cadre d’une politique culturelle en direction de la population résidente qui a accès à des oeuvres majeures.
La beauté éphémère de la vie
La Maison des Consuls abrite au rez-de-chaussé une collection archéologique dont l’exposition temporaire permettra de découvrir les 3 500 pièces de l’expo permanente. La Vanité démarre dans la Hollande calviniste du XVII e siècle. Le genre est une mise en jeu du vivant qui s’éloigne des sujets de la période italienne. « C’est une réappropriation de la réflexion sur la mort, précise la commissaire de l’exposition Marie-Caroline Allaire-Matte « L’homme se prend en charge. Les figurations sont objectivées par le sujet qui évoque à la fois la vie humaine et son caractère éphémère.» Cette nouvelle impulsion prisées à l’époque baroque va disparaître au XVIIIe siècle avant de resurgir au XXe portée par des artistes comme Braque, Picasso ou Cézanne.
Le parti pris de l’exposition vise à présenter les toutes dernières tendances de la création dans ce domaine. «Les Vanités d’aujourd’hui ne sont pas comme hier, l’expression d’une philosophie. Depuis les années 80, nous sommes dans un appel à la réflexion sur notre monde, indique la commissaire dont le travail s’est opéré à partir de choix concis dans une démarche prospective sans crainte des contrastes. Les oeuvres présentées sont issues des FRAC Midi Pyrénées, et Languedoc-roussillon, du CIRVA de Marseille et du Carré d’Art de Nîmes. Le regard du visiteur se renouvelle dans une scénographie organisée suivant les pièces en enfilade de la Maison des Consuls où se succèdent les visions de huit artistes de renommée international.
Une certaine perception de notre finitude
La première pièce de Patrick Neu, un superbe crâne en Cristal noir fait lien avec l’histoire, mais opère aussi un déplacement par la couleur et la notion de masse sans se défaire d’une radicalité à l’endroit de jointure avec le cou. Javier Pérez présente une très belle pièce composée d’un immense lustre en cristal rouge brisé. On admire les morceaux accessibles qui jonchent le sol tandis qu’une dizaine de corbeaux prélèvent les morceaux de cristal cassés. On peut lire dans cette œuvre une vision de notre édifice collectif et une certaine perception de notre finitude dans une dimension magnifiée.
Pièce de Jan Fabre (Stillife with artist 2004) Exposition Vanités.
Le travail photographique de Valérie Belin sur les crashs à grande vitesse fascine. Vecteur de statut sociale la voiture passe et nous trépassons avec la voiture. L’artiste flammand Jan Fabre relie son univers au thème des Vanités en proposant une joyeuse façon de passer à la postérité. Son sarcophage en paon et ailes de scarabée rend hommage à la mort et à la résurrection avec le goût certain que l’artiste affirme pour le mystère. Car comme le rappelle Marie-Caroline Allaire-Matte « On ne tue pas un paon on attend qu’il meurt.»
JMDH
« Car » Valérie Belin nous parle d’une société qui passe son temps à se survivre à elle-même
Isabel Muñoz (née en 1951, in Barcelona) is a Spanish photographer who lives in Madrid.
Sète. Rencontre avec Isabelle Munoz une grande dame de la photographie espagnole invitée du festival imageSingulières
Portée par une passion humaniste, l’infatigable Isabelle Munoz parcourt le monde pour traduire son évolution. Ses images de corps d’hommes et de femmes, où le grain de la peau se fond dans un velouté sensuel, transportent notre regard dans un espace universel. L’oeuvre de l’artiste s’inscrit dans le panorama proposé dans le cadre du double hommage rendu cette année à la photographie espagnole et à l’agence VU’ qui fête à Sète son 30e anniversaire.
Isabel Muñoz
Vous faites partie des photographes fidèles à l’Agence VU’, comment a débuté cette aventure ?
L’hommage qui est rendu ici à la photographie espagnole n’aurait jamais existé sans Christian Caujolle, le directeur artistique et membre fondateur de l’agence VU’. Nous lui devons tous beaucoup, car c’est lui qui a permis aux photographes espagnols qui gravitaient autour de la petite école de photo à Madrid, de se révéler. Les gens de ma génération ont été élevés sous Franco. Je veux dire que nous savons apprécier la liberté. Il est venu à notre rencontre et nous a permis de montrer ce que nous avions à exprimer.
Dans quelles circonstances ?
Lorsque j’ai rencontré Christian je lui ai montré mes grandes platines (procédé alternatif de tirage utilisé par une minorité d’artistes photographes) il les a embarquées pour les montrer à l’étranger, ce qui m’a permis de poursuivre mon travail et de me réaliser. Ce qui est formidable c’est que Christian a fait cela dans le monde entier, du Mexique à la Chine et qu’il poursuit cette démarche en dépit des difficultés économiques que rencontre le secteur. Il est à l’origine d’une nouvelle génération de photographes cambodgiens qui s’est révélée cinq ans après son passage dans ce pays. Si tu ne montres pas ton travail il n’existe pas. C’est pour cela que des rencontres comme celles d’images Singulières sont très importantes.
Isabel Muñoz
Vous êtes aussi une grande voyageuse …
Oui, je me déplace beaucoup dans le monde, à travers mes voyages, c’est l’être humain qui m’intéresse. J’ai récemment travailler sur les fillettes prostituées au Cambodge et les femmes utilisées comme armes de guerre au Congo. L’amour ce n’est pas seulement les petites fleurs. Parfois elles sont là si tu sais les regarder, sinon elles passent. On est dans un monde où j’ai besoin de témoigner.
La reconnaissance dont vous bénéficiez aujourd’hui modifie-t-elle votre approche ?
Mon langage ne change pas. C’est la vie qui change le regard. Dans mon cas l’art est une nécessité parce qu’il me permet d’entrer dans des lieux où je n’aurais jamais été entendue. Une image n’est rien si il n’y a pas une histoire autour de ce langage.
Votre travail explore le corps ou y renvoie presque inévitablement ?
Le corps est un livre de ce que nous sommes. On peut lire à travers le mouvement, le regard, parcourir les corps pour parler de la dignité, du désir… L’art a le pouvoir de faire sortir la lumière du corps et particulièrement l’art photographique. La photo, c’est une façon d’aimer.
Sur quoi travaillez-vous ?
Sur ce qui me préoccupe. Les changements liés à la crise modifient les choses. Il existe des lieux et des artistes reconnus mais les jeunes n’y trouvent plus de place. Comme dans la société en général. Je ne comprends pas la politique mais je comprends le besoin des autres. Je travail sur la jeunesse pour étudier ce qui se passe. Un peu partout dans le monde, les jeunes cherchent leur identité, des liens d’appartenance avec une tribu. Et ils utilisent leurs corps qu’ils modifient en faisant des suspensions, des piercings ou en pratiquant la scarification. L’humain ne peut pas vivre sans rêve.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Photo Chema Madoz Il est un formidable illusionniste. Celui qui réalise depuis des décennies des « natures mortes » dont la caractéristique essentielle est d’agiter les idées et de donner vie aussi bien à la fantaisie qu’à la poésie
Zoom sur VU’ Une agence de photographes qui mise sur la force des identités
Dès sa création en 1986, VU’ s’est définie comme une “agence de photographes” plutôt que comme une agence photographique, affirmant ainsi la spécificité des identités qui la composent. Son nom, éponyme du célèbre magazine des années 1920 qui révolutionna le concept d’illustration, affiche une filiation ambitieuse. Elle a progressivement imposé un regard neuf et affirme chaque jour l’engagement d’intelligence et de créativité de ses auteurs. Découvrir, favoriser, diffuser mais aussi exposer dans une vaste galerie … L’équipe de VU’ fait d’une aventure collective un laboratoire permanent de réflexion sur les évolutions de la photographie et sa place dans le monde de l’image ; sociale, documentaire, plasticienne, il importe de décrypter la dimension polysémique de la création contemporaine et d’interroger son traitement par les médias, les entreprises ou les institutions.De l’actualité immédiate à l’enquête au long cours, de l’oeuvre formelle au récit intimiste, les photographes de VU’ dressent depuis vingt ans un panorama pluriel et mouvant de la photographie.
Richard Terré Il fut membre du groupe AFAL qui, sous le franquisme, réunit pendant quelques temps les plus intéressants des photographes espagnols, ceux qui, malgré l’isolement qui leur était imposé, menaient à la fois une réflexion de fond et développaient une recherche plastique.
Le parrain Christian Caujolle
Présent à Sète à l’occasion du festival, Christian Caujolle est et le directeur artistique de l’Agence VU’. Il a activement soutenu les photographes espagnols dont le travail est présenté, Juan Manuel Castro Prieto, Alberto Garcia-Alix, Cristina Garcia-Rodero, Chema Madoz, Isabel Munoz, Ricard Terré, Virxilio Viétiez, ces deux derniers ayant essentiellement produits sous le franquisme. On peut découvrir leur travail au Chais des Moulins dans la diversité de styles et de propos, du photojournalisme aux expérimentations formelles. Ils ont enrichi l’agence VU’ qui a toujours donné une place importante aux regards des talents locaux, comme se fut le cas dès 1988 en signant des contrats avec des photographes chinois qui ont documentés les événements de la place Tianmen.
Christian Caujolle a été élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud,et élève et collaborateur de Michel Foucault, Roland Barthes, Pierre Bourdieu.
Crédit Photo dr
La nation Attawapiskat, première nation isolée au nord-est de l’Ontario, au bord de la baie James, est confrontée à une vague de tentatives de suicides. Depuis septembre 2015, 101 personnes sur les 1500 qui vivent dans la réserve ont tenté de mettre fin à leurs jours.
Le Centre Pompidou revisite le parcours de Paul Klee, peintre emblématique de l’art moderne, avec une grande rétrospective rassemblant 230 œuvres, dont une grande partie est inédite en France. A découvrir du 6 avril au 1er août.
L’ironie. L’exposition aborde l’oeuvre de Paul Klee sous l’angle de l’ironie romantique, entendue comme une remise en question et une mise à distance du monde et de soi-même. « Paul Klee était décrit comme quelqu’un de distant, et cette prise de distance, il l’applique aussi à lui-même, comme en témoignent les autoportraits présentés au début de l’exposition », indique la commissaire Angela Lampe. Cette ironie, cette capacité à remettre en question s’exprime dans toute l’oeuvre du peintre, de ses débuts satiriques jusqu’à son exil à Berne.
Réalisée en 1905, Le Héros à l’aile est un exemple des débuts satiriques. Elle fait partie de la série de gravures Inventions commencée dès 1863, après son voyage en Italie qui lui fait prendre conscience du sommet que l’art a déjà atteint, et de la voie à choisir pour l’artiste : non pas l’imitation mais la satire. « Je sers la beauté par son contraire, la caricature et la satire », dit-il. « Ce héros représente un idéal de l’art à travers la présence d’une aile et le thème de l’héroïsme répandu dans l’art antique. Mais ce héros a une prothèse à la jambe, une attelle à un bras et il ne peut plus voler. L’idéal artistique existe toujours pour Klee mais il a conscience qu’on ne peut plus atteindre cet absolu », explique Angela Lampe.
Le cubisme et le Bauhaus. Au fil de son parcours, Klee s’intéresse au cubisme et s’en inspire tout en le remettant en question. Ainsi, il réinterprète le cubisme en 1911 avec des dessins enfantins tout en ironisant sur la décomposition des figures cubistes qu’il estime dépourvue de vitalité. En 1939, il évoque avec La Belle Jardinière les figures féminines de Picasso et ses métamorphoses biomorphes, tout en en adoucissant l’étrangeté à travers l’onirisme qui caractérise son travail.
Enseignant au Bauhaus , Klee joue également sur les codes. Il reprend en particulier le motif de la construction en quadrillage et la transcrit avec des effets de profondeur, jouant sur les différentes tonalités de couleurs. Dans ce cadre, Klee réalise un ensemble de tableaux appelés « les images en bandes ». Dans Chemin principal et chemins secondaires de 1929, il s’inspire d’un voyage en Egypte et représente « une vue d’en haut sur les vallées du Nil avec les champs cultivés. Construit selon un schéma progressif avec des carrés qui se multiplient, le tableau peut aussi se lire comme une biographie avec un chemin principal vers l’horizon et des chemins secondaires qu’on peut prendre également. Il y a toujours plusieurs lectures de l’oeuvre de Klee. Il y a cette liberté dans l’oeil de celui qui regarde. Klee n’impose pas une seule lecture. C’est ce qui est fantastique avec cet artiste », commente la commissaire.
Les années de crise. A l’arrivée de Hitler au pouvoir en 1933, Paul Klee s’exile à Berne. Pendant cette période, il transpose l’angoisse régnant dans le pays dans une série d’oeuvres. Dans les Danses sous l’empire de la peur, il dessine en 1938 des figures géométriques dotées de têtes, de bras et de jambes écartés, dont la forme évoque les croix gammées, à l’origine de la peur. L’aspect disloqué des silhouettes renvoie aussi à une autre source d’angoisse qui est sa propre maladie : une sclérodermie qui rigidifie ses membres. Autre tableau réalisé en 1938, Insula Dulcamara est « l’oeuvre la plus grande en taille de Klee, et une œuvre très fragile bénéficiant d’un prêt exceptionnel. Dulcamara signifie « sucré-amer ». C’est une composition avec un ton guimauve et des traits très énergiques évoquant des arabesques ou des signes d’une autre langue. Au milieu, on voit une tête qui peut évoquer une tête de mort ou la tête de Hitler, on ne sait pas. » Le tableau fait aussi référence à la sclérodermie, qui minéralise son corps, et à son traitement à base de baies rouges, représentées sous la forme de points rouges dans la composition. Une œuvre qui évoque dans une fusion à la fois la situation politique à laquelle l’artiste doit faire face, et sa situation personnelle.