Main basse sur l’information

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Un communiqué du SNJ-CGT

Le pluralisme, ou ce qu’il en reste, maintenu bon gré mal gré dans notre pays notamment par un système de distribution mutualisé des titres de presse écrite est-il en train de connaître ses ultimes moments sous les coups de boutoir des grands groupes de presse et de leurs obligés au sein du parti majoritaire ?


Le Premier ministre avait missionné un inspecteur général des finances, Bruno Mettling, pour se pencher sur l’avenir de Presstalis, le nouveau nom des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP). Est-ce un hasard ? Le rapporteur a dessiné l’avenir de l’entreprise à partir du seul critère de sa situation financière, en décrétant l’état d’urgence, annonçant même le dépôt de bilan si sa réforme n’était pas mise en œuvre rapidement.


En premier lieu, le rapport préconisait l’abandon du statut de coopérative pour celui de société anonyme, permettant ainsi la sortie du groupe Lagardère de son capital et de son rôle d’opérateur.


Le rapport propose, société anonyme oblige, une augmentation des coûts de traitement et d’acheminement des quotidiens (2,5 %) et des magazines (1 %) pour « restaurer l’exploitation ».


Le rapport Mettling prévoit ainsi de fermer la filiale SPPS de Presstalis (ex-NMPP). SPPS, le plus gros dépôt de France, distribue la presse quotidienne nationale (PQN) à Paris et dans une dizaine de villes des alentours de la capitale, représentant un quart de sa diffusion totale.


Les salariés de ce secteur avec leur syndicat CGT  (SGLCE), confrontés à la plus dangereuse réforme du système de distribution héritée de la loi Bichet, ont dénoncé la grave menace non seulement sur le réseau, mais aussi sur l’emploi puisque 225 emplois sur 269 doivent disparaître. Le SGLCE a fait des propositions pour réduire le déficit à SPPS estimé, selon Presstalis, à 26 millions d’euros en 2011.


L’Etat, garant du pluralisme? Bien au contraire, selon le dogme libéral, il crée les conditions pour la fermeture des titres qui ne pourront pas supporter le nouveau système libéral des messageries. D ‘ailleurs, le médiateur désigné pour sortir de la crise, Roch Olivier Maistre, fait pression pour la fermeture de SPPS contre la remise de fonds pour sauver l’entreprise de distribution.


Le groupe Lagardère, encore actionnaire à hauteur de 49% de Presstalis, va-t-il saborder la distribution en France en s’en retirant? Pour mettre ses titres avaleurs de publicités en situation de monopoles dans les kiosques après avoir réduit le nombre de ses prétendus concurrents? La recherche du profit maximum, pour être agréable à ses actionnaires, entrainera-t-elle le sabordage des titres de presse les plus fragiles ?


Pour le SNJ-CGT cette situation est extrêmement dangereuse car ce sont les titres d’opinion et notamment les plus faibles économiquement qui risquent d’être touchés par cette réforme.


Si l’on ajoute qu’un autre rapport, celui d’Aldo Cardoso (Pdg par intérim du cabinet Andersen et par ailleurs administrateur de GDF Suez, Accor, Rhodia, Orange, etc) , portant sur la réforme des aides à la presse va à l’autre bout de la chaîne faire pression là aussi sur les titres à faible revenu publicitaire.


Les tenailles du libéralisme, si rien n’est fait contre ces plans mortifères, risquent de se refermer sur le pluralisme de la presse.


En clair, tant le rapport Mettling que le rapport Cardoso vont constituer des points d’appui majeurs aux groupes multimédias internationaux – comme le souhaitait Nicolas Sarkozy lors des Etats Généraux de la Presse Ecrite – pour se renforcer et réduire encore plus le choix des lecteurs dans l’hexagone.


N’est-ce pas le  vieux rêve de Georges Pompidou qui se met en marche: le président de l’époque souhaitait en effet n’avoir qu’un quotidien le matin et un autre le soir…?


Un monde de la presse acquis aux concepts du marché, du tout libéral, du soutien au clan majoritaire pour 2012: voilà ce qui nous est promis par ces réformes qui touchent à toute la chaîne de la production : fermeture d’imprimeries, recapitalisation des titres comme Libération  et Le Monde, avec main mise des banques sur les médias, comme le Crédit Mutuel prenant le contrôle du plus grand groupe de presse régionale, EBRA, diffusant de la frontière belge à la frontière italienne plus d’1,2 million de quotidiens par jour, mise en cause de la distribution.


Après l’audiovisuel, Sarkozy et son entourage font main basse sur la presse écrite pour assurer sa réélection en 2012, mettre tout le système informationnel au service d’un clan et d’une politique, celle du capitalisme le plus sauvage, destructeur des acquis sociaux.


C’est donc tous ensemble que les salariés des médias de la presse doivent se mobiliser et informer les citoyens des dangers de la situation. Car, demain, si rien ne fait obstacle à ces mesures annoncées, Xavier Bertrand ne se contentera pas d’éructer quand on lui pose des questions « gênantes », mais il n’y aura plus de journaliste pour les lui poser, mais seulement des « passeurs » de micro.

Voir aussi : rubrique Médias rubrique On line SNJ-CGT,


Quand le chercheur cultive la pensée unique

Frédéric Martel. Photo DR

Essai. Frédéric Martel entreprend une enquête fouillée sur la culture de masse à travers le monde.

Dans Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, le chercheur et journaliste Frédéric Martel, a mené une enquête sur la culture grand public dans trente pays. L’auteur analyse le jeu des acteurs, les logiques des groupes et suit la circulation des contenus sur cinq continents.

Un ouvrage riche en information pour aborder le fonctionnement et les enjeux de la culture de masse à travers le monde. Dans ce nouveau schéma du capitalisme culturel, les médias, Internet et la culture sont étroitement mêlés. On apprend beaucoup sur le modèle de production de contenu qui reste l’apanage des Etats-Unis. Avec 50% des exportations mondiales de contenu de bien ou de service culturel et d’information, le géant américain domine le secteur sans avoir vraiment de concurrence. Mais tout en usant de barrières protectionnistes efficaces sur leur marché intérieur, les Chinois se sont mis aux travail et leur fusée culturelle décolle. L’Inde, l’Indonésie, L’Arabie Saoudite sont dans la course. On assiste aussi à une montée significative des pays émergents comme le Brésil qui mise sur Internet et le potentiel de la jeunesse de sa population. L’Europe apparaît bien fragile. L’auteur évoque une juxtaposition de cultures nationales fécondes qui peinent à s’exporter.

Frédéric Martel s’oppose  à la lecture néo-marxiste qui considère que l’important pour analyser l’industrie créative est de savoir qui détient le capital et qui est le propriétaire des moyens de production avec le présupposé que celui qui les possède les contrôle. La nature de ses recherches démontre  que l’articulation entre créateurs, intermédiaires, producteurs et diffuseurs s’inscrit désormais dans une organisation interdépendante plus complexe. Reste que la nouvelle grille de lecture prônée par l’auteur ne propose rien d’autre qu’une adaptation à la financiarisation de l’économie. L’ensemble du livre repose sur une structure qui répond à « une guerre mondiale des contenus », une forme de pendant à la vision géopolitique du Choc des civilisations. On garde espoir qu’il existe d’autre manière de concevoir la modernité que sous l’angle de l’uniformisation culturelle.

Jean-Marie Dinh

Mainstream, éditions Flammarion, 455p, 22,5 euros

Invité des rencontres Sauramps, Frédéric Martel a présenté son dernier livre à l’Université Montpellier 3.

Voir aussi : Rubrique politique culturelle, Crise et budgets culturels, l’effet domino, Garder des forces pour aller à l’efficace, Régionales : visions croisées sur l’enjeu de la culture , le modèle français,

La dernière fuite de WikiLeaks fait péter un câble à Washington

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Photo. AFP

Que serait la diplomatie si elle se déroulait en public ? Voici la réponse à la question, posée ce week-end par le journaliste américain Jeff Jarvis : le site WikiLeaks a commencé à publier hier un ensemble de plus de 250 000 télégrammes rédigés ces dernières années par le ministère américain des Affaires étrangères et son réseau d’ambassades dans le monde. La plupart de ces documents couvrent la période entre 2004 et mars 2010. Ils fourmillent de détails sur tous les dossiers stratégiques du jour.

L’iran, «état fasciste». Parmi ce nouveau torrent de documents, un câble daté du 16 septembre 2009 rapporte, comme si on y était, un entretien du secrétaire d’Etat adjoint, l’Américain Philip Gordon, avec le conseiller diplomatique de l’Elysée, Jean-David Levitte et quelques autres conseillers. Au sujet de la Russie, l’un des diplomates français, Roland Galharague, affirme : «La racine du problème, c’est le régime.» Loin des courbettes habituellement réservées au duo Poutine-Medvedev, le conseiller de l’Elysée chargé de la Russie, Damien Loras, renchérit : «Les dirigeants russes manquent de vision suffisante à long terme pour leur pays et, au lieu de cela, se concentrent sur un horizon à six mois et sur leurs intérêts commerciaux», rapporte le télégramme. D’ici quatre ou cinq ans, «la Russie ne pourra plus subvenir à la demande européenne» en matière d’énergie, met en garde le même Damien Loras : cela risque de donner à la Russie «encore plus de possibilités d’influence sur une Europe qui ne s’est pas préparée à diversifier son approvisionnement énergétique». Toujours au cours de cet entretien, Jean-David Levitte qualifie l’Iran «d’Etat fasciste» et le président vénézuélien, Hugo Chávez, de «fou». «Il est en train de transformer l’un des pays les plus riches d’Amérique latine en un nouveau Zimbabwe», explique le conseiller diplomatique de Sarkozy à ses hôtes américains.

Le monde entier en prend pour son grade avec cette nouvelle avalanche de documents. Selon un télégramme, Nicolas Sarkozy est «un roi nu». L’ambassade américaine à Paris en rajoute : «Il est susceptible et a un style personnel autoritaire.»

A propos de la chancelière allemande, Angela Merkel, on lit qu’elle «évite les risques et est rarement créative». Au sujet des deux Corées, au cœur des préoccupations mondiales ces jours-ci, des télégrammes montrent que les Sud-Coréens ont proposé d’offrir des «incitations commerciales à la Chine» pour qu’elle se rende à l’idée d’une réunification de la péninsule. Le troc est bien une méthode courante de la diplomatie américaine rappellent d’ailleurs ces documents : la Slovénie s’est vue demander d’accueillir un prisonnier de Guantánamo en échange d’une entrevue avec le président Obama. La Belgique s’est entendue suggérer qu’accueillir des prisonniers de la base militaire serait, pour elle, «un moyen à moindre coût de jouer un rôle de premier ordre en Europe».

La Chine, enfin, est montrée du doigt à de nombreuses reprises. Un document affirme que le Bureau politique du Parti communiste est directement à l’origine des attaques contre Google en Chine. Depuis 2002, des agents recrutés par le gouvernement chinois s’efforceraient aussi de pénétrer dans les ordinateurs du gouvernement américains et de ses alliés occidentaux.

«Protection». Les documents dont WikiLeaks est en possession «abordent une immense gamme de sujets très sensibles», a reconnu Elizabeth King, secrétaire adjointe à la Défense. Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat, a appelé en personne ses homologues allemand, français, chinois, afghan, saoudien et émirati pour tenter d’amortir le choc. D’autres diplomates américains se sont chargés de prévenir l’Australie, la Grande-Bretagne, le Canada, le Danemark, la Norvège et Israël. «A la différence des opinions publiques, les Etats ne seront pas tellement surpris d’apprendre ce que les Américains pensent d’eux», prédit Justin Vaïsse, directeur de recherches sur la politique étrangère américaine et l’Europe à la Brookings Institution. Mais ces documents peuvent être aussi révélateurs des «initiatives de certains pays européens sur l’Afghanistan ou l’Iran». Cette publication va «mettre en danger les vies d’innombrables innocents», a protesté l’administration Obama, comme elle l’avait déjà fait en juillet et en octobre, quand WikiLeaks avait mis en ligne des documents sur les guerres d’Afghanistan et d’Irak. Ces notes «ont été fournies en violation de la législation américaine et sans considération pour les graves conséquences de cette action», souligne le conseiller juridique du département d’Etat, Harold Koh, dans une lettre au fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Passé le moment de bonheur qu’auront les journalistes du monde entier à publier les extraits les plus cinglants, ces fuites risquent d’être «dommageables» redoute aussi Justin Vaïsse : «Elles vont conduire à accroître la protection des informations, à des destructions de documents et à un renfermement des diplomates sur eux. Au final, elles vont rendre la vie internationale moins transparente et plus secrète.»

Lorainne Millot

Correspondante à Washington pour Libération

Voir aussi Rubrique Médias 400 000 documents secrets sur la guerre en l’Irak,

Portrait d’Italie

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Film Documentaire: « Ici finit l’Italie » le belge Gilles Coton sur les traces de Pasolini

A partir du carnet de voyage « La longue route de sable » tenu par Pasolini lors de ses observations quotidiennes l’été 1959, Gilles Coton se lance sur les traces du poète et réalisateur en signant un éclairant road movie. Le film est une sorte de grand travelling sur la péninsule partant de Vintimille pour rejoindre Trieste par les côtes. D’étape en étape, Gilles Coton esquisse un portrait de l’Italie contemporaine ponctué de rencontres. Les perceptions d’artistes, de penseurs comme l’ancien maire-philosophe de Venise, Massimo Cacciari ou de gens du peuple viennent nourrir le voyage tout au long du périple. Le réalisateur nous entraîne jusqu’aux villages de bandits les plus reculés du Sud. Et les paysages de l’Italie d’aujourd’hui se révèlent toujours à la lumière des réflexions poético-philosophiques de Pasolini. Un parcours sensible, et critique sur la société d’un pays en pleine déliquescence morale.

C’est à l’écrivain Claudio Magris qui évoque notre incapacité à nous trouver dans le réel, et d’échanger naturellement avec l’autre, que revient le mot de la fin.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Festival, Cinemed 2010, Salvadori : l’émotion complexe des vrais mensonges, Avédikian Palme d’Or pour Chienne de Vie, rubrique Italie Draquila, l’Italie qui tremble, Berlusconi passe l’épreuve de force,

Les deux Mario Vargas Llosa

Mario Vargas Llosa. Photo DR 2010

Le nouveau roman de l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, lauréat du prix Nobel de littérature 2010 , sort opportunément en librairie dans les pays de langue espagnole le 3 novembre. Son titre : El Sueño del Celta (Le Rêve du Celte). Son héros : Roger Casement, un personnage (réel) exceptionnel. Consul britannique en Afrique, il fut le premier à dénoncer, dès 1908, les atrocités du colonialisme d’extermination (dix millions de morts) pratiqué au Congo par Léopold II, le roi belge qui avait fait de cet immense pays et de ses populations sa propriété personnelle… Dans un autre rapport, Casement révéla l’abominable détresse des Indiens de l’Amazonie péruvienne. Pionnier de la défense des droits humains, Casement, né près de Dublin, s’engagea par la suite dans les rangs des indépendantistes irlandais. En pleine Grande Guerre, partant du principe que « les difficultés de l’Angleterre sont une chance pour l’Irlande », il rechercha l’alliance de l’Allemagne pour lutter contre les Britanniques. Il fut inculpé pour haute trahison. Les autorités l’accusèrent aussi de « pratiques homosexuelles » sur la base d’un prétendu journal intime dont l’authenticité est contestée. Il fut pendu le 3 août 1916.

Le roman n’étant pas encore disponible, on ignore comment Vargas Llosa en a construit l’architecture. Mais nous pouvons lui faire confiance. Nul autre romancier de langue espagnole ne possède comme lui l’art de captiver le lecteur, de le ferrer dès les premières lignes et de le plonger dans des trames haletantes où les intrigues se succèdent, pleines de passions, d’humour, de cruauté et d’érotisme. Ce roman a déjà un mérite : tirer de l’oubli Casement, « l’un des premiers Européens à avoir eu une idée très claire de la nature du colonialisme et de ses abominations ». Idée que l’écrivain péruvien (pourtant hostile aux mouvements indigénistes en Amérique latine) partage : « Nulle barbarie n’est comparable au colonialisme, tranche-t-il dans le débat sur les prétendus “bienfaits” de la colonisation. (…)

Igniacio Ramonet Le Monde Diplomatique