Qui désire s’informer aujourd’hui sur la place des kurdes au Moyen Orient ? Photo Rédouane Anfoussi
Opinion. Seize kurdes observent une grève de la faim contre la répression.
Depuis le 15 février, date anniversaire qui a conduit à l’arrestation du leader du peuple kurde Abdullah Öcalan, près de 400 prisonniers politiques kurdes, dont quatre députés du BDP, mènent une grève de la faim illimitée dans les prisons turques. En soutien à leur compatriotes, seize kurdes montpelliérains se sont joints à cette grève qu’ils reconduisent chaque week-end pour une durée de deux jours.
Ils sont unis dans le petit local de l’association d’amitié franco-kurde Mala kurde, à proximité du bd Clemenceau. Revêtus d’un drap blanc sur lequel est inscrit : en grève de la faim, ils ont le regard doux. La discussion s’engage autour d’un thé, leur seul breuvage durant 48 h. La parole tourne, l’un des hommes traduit et chacun peut donner son point de vue. L’action menée à Montpellier participe d’un mouvement européen pour sensibiliser l’opinion à la répression menée par le gouvernement libéral turc d’Erdogan contre le peuple kurde. Du 1er au 18 février, les kurdes d’Europe ont mené une longue marche de Genève à Strasbourg dans le même but. Un rassemblement de 60 000 personnes a eu lieu dans la capital européenne, mais l’appel pour que l’UE face pression pour obtenir la libération Abdullah Öcalan et qu’elle cesse de soutenir la politique violente du gouvernement Turc, n’a pas été entendu. Depuis , un groupe de kurdes observe toujours une grève de la faim illimitée dans une église strasbourgeoise.
Comme celui de l’Ira ou de l’Eta, le problème kurde semble trop complexe pour susciter l’attention des français. Il relève pourtant d’un abus de pouvoir qui met à mal nos principes démocratiques. Questionner son actualité paraît d’autant plus prégnant qu’elle s’inscrit au croisement des grandes restructurations politiques du Moyen Orient.
« Nous devrions aller sur la place de la Comédie, plutôt que de rester ici où nous sommes invisibles », pense un gréviste. Mais les gens ne se soucient pas de nous et les jeunes sont dépolitisés, lui répond calmement un autre. Tous deux ne mangeront pas ce soir.
Une rétro géopolitique de Robert Bibeau publiée par le Centre de recherche sur la Mondialisation
LE SÉISME AMÉRICAIN
Requiem pour les États-Unis d’Amérique tels que vous les avez connus depuis la guerre. Après moins de soixante-dix ans de règne sans partage – si ce n’est quelques velléités du social impérialisme soviétique (1955-1989) – l’empereur d’Occident poursuivra sa descente aux enfers encore cette année.
L’agonie de l’empire amorcée en 2008 – crise des subprimes – prolongée en 2011 – crise de la dette souveraine – se poursuivra en 2012 et s’étiolera sur quelques années. Au cours de cette période les États-Unis seront simultanément insolvables et ingouvernables, transformant en «bateau-ivre» ce qui fut le «navire-amiral» de la flotte impérialiste occidentale (1).
Le dollar devrait perdre plus du quart de sa valeur par rapport à l’Euro – la future devise de réserve dirigée par la baguette d’Angela qui n’entend pas à rire pour ces choses là –. Cette dévaluation du dollar signifie que le peuple américain perdra plus du quart de son pouvoir d’achat déjà mal en point étant donné que ce pays importe la plus grande partie des produits qu’il consomme (inflation galopante, dévaluation du dollar, faillites bancaires, 20 % de chômage, un américain sur six reçoit des bons alimentaires, un enfant sur cinq connaît des épisodes de vie sans abri, le taux de mortinatalité est au niveau des pays sous-développés, les municipalités abolissent les services, les États font défaut de paiement, etc.) – feu la superpuissance américaine. Un économiste de renom n’avait-il pas distribué les rôles entre les puissances économiques mondiales – la Chine était l’atelier de fabrication et les États-Unis le marché de consommation, comme si dans votre logement votre voisin de palier était celui qui travaille plus pour gagner plus comme le proposait Sarkozy (interdit de rigoler) et vous, celui qui dépense sans compter sans jamais rien gagner, croyez-vous que votre copropriété pourrait prospérer ? Dans l’histoire, l’empire espagnol puis l’empire britannique ont déjà tenu ce rôle de pôle de consommation et l’on sait ce qu’il advint de ces empires moribonds !
Le déclin de l’empire américain est bien certain. Les émissions de dollars (Quantitative Easing) de 2009 et 2010 n’auront servi qu’à plomber le navire à la dérive. Les agences de notation anglo-saxonnes et les banquiers de Wall Street le savent pertinemment, en 2012 ne soyez pas étonné d’apprendre qu’ils convertissent une partie de leurs avoirs – dollars – en euros, en yuan, en franc suisse, en or…Les rats ont commencé l’an dernier à abandonner le navire-ivre. Le nationalisme de pacotille est réservé aux soldats qui meurs dans les champs de mines anti-personnelles d’Afghanistan et aux bozos paniqués des résidences pour retraités (2).
L’EMPIRE CHINOIS
En 2012, l’approfondissement de la dépression et l’effondrement du marché américain dévoré par l’inflation et la dépréciation du dollar – premier client de l’empire industriel chinois – entraineront ralentissement économique et fermetures d’usines en Chine (3).
La reconversion industrielle et commerciale de la Chine en direction de son marché domestique en expansion et en direction de l’Euroland, de l’Asie et de l’Afrique (investissement de 1 000 milliards de yuans d’ici dix ans nous dit-on) n’étant pas complétés, la défaillance du client américain ne pourra être amortie. L’espoir de Pékin était vraiment que l’effondrement américain tarderait de deux ans au moins et le «Céleste empire» a tout fait pour retarder l’échéance fatale en achetant en pure perte les obligations américaines au rendement décevant (4).
Il est trop tôt pour que la reconversion chinoise soit complétée. Aussi cette année les secousses sismiques économiques de l’Amérique ébranleront l’empire du milieu – industriel.
Dans le monde occidental, l’impérialisme états-unien aux abois – l’ennemi irréductible de l’impérialisme chinois – essaiera de soulever une vague de protectionnisme et de nationalisme fanatique et les États-Unis tenteront d’impulser une désastreuse « Guerre Froide » contre la Chine. Au cours de 2011 Obama a fourni le cadre et la justification d’une confrontation à grande échelle et de longue durée avec la Chine. Ce sera un effort désespéré pour maintenir l’influence étatsunienne et conserver ses positions stratégiques en Asie et partout dans le monde. « Le « quadrilatère de pouvoir » de l’armée étasunienne — les États-Unis, le Japon, l’Australie et la Corée — avec le soutien des satellites philippins, essaieront de détruire les liens commerciaux de la Chine au moyen de la puissance militaire de Washington.» (5). Nous doutons cependant que le Pentagone y parvienne. Il n’est pas certain que ce que Petras appelle les satellites militaires états-unien se laissent entraîner dans la déroute en compagnie du canard boiteux américain.
EUROLAND
Suite à la session de briefing et de réorientation stratégique de décembre dernier à Bruxelles où le couple Merkozy a tenu tête aux hydres anglo-saxons de la City – les pays de l’Euroland sont en ordre de marche sous le joug du major d’homme Merkel – le seul homme politique bourgeois d’envergure en Europe – . La ‘Diva’ de l’économie européenne bat la marche – fait rentrer les récalcitrants dans le rang – fixe la cadence de la reconversion des finances européennes en prévision du séisme états-unien qui tel un deus ex machina constata en décembre dernier le peu d’influence que les USA ont conservé chez son allié outre Atlantique (6).
L’Euroland a changé de direction à Bruxelles l’an dernier et 2012 devrait confirmer la reprise en main par les nouveaux maîtres de la BCE (Banque centrale européenne) avant l’émission des Eurobonds, fin 2012. « Quand on est l’Euroland et qu’on est le premier bloc commercial mondial, le détenteur de la plus grosse épargne mondiale on se moque des agences de notation. On les ignore ou on leur casse les reins, deux choses qui seront au programme de 2012» (7).
Révoltes populaires et grèves ouvrières devraient marquer l’année européenne, mais faute d’une direction révolutionnaire influente et unifiée, tous ces sacrifices seront gaspillés.
L’AFRIQUE MONÉTAIRE
Quelques mots sur un morceau d’Afrique à propos des quatorze pays soumis au diktat néo-colonialiste français via l’entente d’adhésion au Franc CFA. Un protocole d’union monétaire qui cède à la France le contrôle du développement financier de ces quatorze pays dominés, néo-colonisés. Comment imaginer qu’en 2012 des pays où les présidents et chefs d’État d’opérettes s’entretuent à chaque élection bidon frauduleuse pour s’emparer d’un pouvoir qu’il ne contrôleront jamais de toute façon puisqu’un levier essentiel – le pouvoir financier – est accaparé quelque part à Paris aux bureaux du Trésor public français ou chacun des pays soumis doit déposer en garantie une partie de ses avoirs (ce qui en soit n’est pas une mauvaise pratique financière – ce qui est mauvais c’est que le dépôt et la gestion se fasse au Trésor de France et que cette devise soit totalement dépendante et à parité avec l’Euro)… Hallucinant n’est-ce pas ?
J’ai le sentiment qu’à la faveur de la dépression monétaire mondiale, 2012 sera une année de grande friction autour de la question de créer une monnaie africaine commune à partir d’un regroupement de quelques états courageux – projets que caressait à la fois Kadhafi et Laurent Gbagbo… allez comprendre après cela pourquoi ils ont été détrônés, puis déporté ou assassiné (8)?
LA DIPLOMATIE DE LA CANONNIÈRE
Il est étrange que très peu d’observateurs de la scène internationale aient remarqué un changement important survenu sur le théâtre militaire mondial depuis 2010 environ. Jusque-là, toute agression militaire impérialiste occidentale était initiée puis dirigée par le chef de meute américain avec ou sans la complicité de l’OTAN – Bush le cowboy texan étant l’archétype de ces capots Yankee –. Or, en 2010-2011 trois des principales interventions de la «diplomatie de la canonnière» ont été initiés par la France sarkosiste avec le soutien de Londres, de Berlin et d’autres capitales de l’Euroland et parfois l’intervention tardive de Washington (Côte d’Ivoire, Libye, Syrie). Il en sera de même en 2012.
L’AGRESSION CONTRE LA SYRIE
Dites-moi ce que Sarkozy cherche en Syrie ? Ce pays n’a pas de pétrole, peu de minerais, son marché est exsangue, sa population est pauvre. La Syrie est encombrée de réfugiés palestiniens, irakiens, kurdes, son peuple est irascible, nationaliste et il s’empressera de chasser tout envahisseur étranger. De plus, on retrouve à sa frontière Nord la Turquie amère et rancunière (d’avoir été refusée dans l’UE) ; à sa frontière Sud la Jordanie insipide; à l’Ouest le Liban intrépide et le Hezbollah invincible ; aux limites Est on retrouve l’Irak – deuxième réserve pétrolière du monde – Voilà la réponse que nous cherchions.
Sarkozy, plus malin que certains ne le subodorent, pendant qu’Obama manigance de lui couper l’or noir par bateau (Détroit iranien d’Ormuz) tout en se retirant d’Irak – laissée à la garde des mollahs Chiites qui couperont le pétrole irakien à la première bombe jetée sur l’Iran – l’Europe tente donc de se rapprocher des puits irakiens afin de les envahir le moment venu et faire passer le précieux carburant par le pipeline syrien jusqu’à la Méditerranée.
Une question se pose cependant. Pourquoi ne pas avoir comploté avec Bachar al Assad pour accéder au pipeline syrien ? Parce que Bachar est l’allié de l’Iran et que l’attaque américano-israélienne contre l’Iran coupera les ponts de la collaboration avec la Syrie. L’Europe devrait alors se dissocier de son allié américain et de l’agression contre l’Iran – ça viendra – mais l’Euroland nouvelle – post états-unienne – n’en n’est pas encore là.
Dernier problème qui se posera en 2012 relativement à l’attaque contre la Syrie. Comment contourner la puissance Russe qui possède une base navale en Syrie (Tartous)? Qui plus est, la Russie ‘poutinienne’ fournit du gaz naturel de l’Europe (9). Attaquer la base militaire du Kremlin au Levant c’est se couper de l’approvisionnement en gaz russe. Sarkozy et Merkel y ont-ils pensés et quelle est l’alternative ?
Le soutien européen aux milliardaires voleurs d’élections de l’opposition russe contre les voleurs d’élections du parti Russie Unie n’ira pas très loin. La Russie n’est pas une «République de bananes» ni une «législature du café» et l’armée Rouge est bien en laisse sous la poigne de Vladimir… J’en conclue que l’Euroland devra réviser sa stratégie syro-iranienne en 2012.
Comme l’année en cours sera année d’élections présidentielles on ne verra pas les États-Unis s’engager dans cette guerre ouverte qu’elle prépare fébrilement contre l’Iran d’autant que la Syrie n’est pas encore tombée dans l’escarcelle européenne ni américaine et c’est bien là l’enjeu de cette guerre qui ne dit pas son nom. Dans cette affaire Sarkozy n’est pas le «Proxy» des États-Unis il mène la politique de l’impérialisme français et européen et pour cette raison il devrait sauvegarder son perchoir présidentiel en 2012.
Le conflit entre alliés de l’OTAN porte bien sur cette alternative, si la Syrie devient protectorat européen – le pétrole Irakien sera à portée de main – si la Syrie devient protectorat américain, l’Irak de al- Maliki gardera le verrou Ouest du dispositif d’étranglement pétrolier européen pendant que l’Iran à son corps défendant gardera le verrou Sud par le détroit d’Ormuz, le Pakistan et l’Afghanistan les verrous Nord et Est.
L’OTAN AU LEVANT
Cette année électorale américaine les États-Unis et leur organisation militaire assujettie – l’OTAN – poursuivront leur pression contre le Liban via leur satellite israélien, leur occupation passive de l’Afghanistan (préparant leur retrait pour 2014 quand toutes les manœuvres qu’ils anticipent contre l’approvisionnement en pétrole chinois auront été menées à bien). Par ses drones l’OTAN poursuivra son harcèlement du Nord Pakistan de façon à contrer tout rapprochement du Pakistan avec les talibans afghans.
Retenez cependant qu’un fauve blessé comme le drapeau étoilé demeure un danger et l’État-major américain s’il ne lance pas immédiatement l’attaque contre l’Iran la préparera toute l’année en sous-main et la déclenchera probablement l’an prochain, après l’élection quel que soit le vainqueur de la course à la présidence. La déconfiture économique et sociale de l’Amérique commande cette action «audacieuse et périlleuse» pensent un certain nombre de stratèges du Pentagone et de Wall Street. La déstabilisation des approvisionnements en hydrocarbure de la Chine, du Japon et de l’Euroland permettra aux États-Unis (qui ne s’approvisionnent pas au Proche-Orient) de se refaire une autorité sur les marchés boursiers – folle équipée de financiers désespérés.
PRINTEMPS ARABE
En Égypte les ‘Facebookeurs’ des réseaux sociaux pseudos révolutionnaires sont retournés chez papa après la mise à la retraite de Moubarak enveloppé dans son parachute doré (10). En 2011 les vrais révoltés sont retournés sur le pavé et ils sont tombés sous les balles d’aciers de l’armée dans la plus grande impunité et sous les hourras des médias étrangers – qui ont même suggérés qu’ils étaient des «contre-révolutionnaires»… d’une révolution avortée.
Ces véritables révolutionnaires méprisés par la bourgeoisie internationale n’ont pas voté – qu’ils en soient félicités – ils ont renvoyés leurs «leaders» patentés – des fils à papa ‘indignés’ – bon vent les Twitters formés aux «révolutions colorées», qui sait si 2012 ne verra pas les révoltes arabes devenirs de vraies révolutions populaires pour la conquête du pouvoir d’État !?
En Tunisie identique à l’Égypte avec cette différence que cette ancienne colonie française a héritée des habitudes de verbiage balaise et outrecuidant de l’ex-mère patrie. L’intelligentsia maghrébine aime à mimer les débats oiseux des cafés parisiens et les tiers partis égo-centripète sont pléthores sur la scène tunisienne où ils bouchent la vue des jeunes révoltés et ces groupuscules d’opérettes pourraient bien faire avorter la seconde édition de la vraie révolution. De toute façon l’élection bidon fut un échec et dans de nombreuses cités; les révoltés n’ont pas désarmé, en 2012 ils vont se radicaliser (11).
Pour la Libye cessez de pavoiser petits démagogues planqués à Paris ou à Londres. En 2012 BHL et ses petits amis pluriels pourraient déchanter – Kadhafi est mort mais pas l’esprit de révolte et d’indépendance des tribus de Tripolitaine, du Fezzan et de Cyrénaïque. Le CNT est hors-jeu et si la production pétrolière a repris; le peuple est contrit et réalise petit à petit qu’il a été dupé par de faux amis. Rien n’est écrit, rien n’est fini en Libye, ceux qui ne l’ont pas compris en seront bientôt conchies (12).
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(1) Crise systémique globale – USA 2012/2016. GEAB no. 60. In l’Étoile du Nord vol. 9, no. 6 novembre-décembre 2011, pages 6-11.
(11) Il n’y a pas de projet de démembrement du monde arabe. Il n’y a que des projets à courte vues d’une puissance impérialiste puis d’une autre pour s’emparer d’un marché arabe ou d’un autre, des ressources arabes, pétrolières surtout et pour annihiler tout mouvement de révolte. De nombreux pays arabes agressés depuis nombre d’années n’ont pas été démembrés. http://www.lnr-dz.com/index.php?page=details&id=8501
La pression extérieure ne suffira pas à faire céder Bachar Al-Assad. Le Conseil national syrien, formé le 2 octobre à Istanbul pour fédérer toutes les forces de l’opposition, l’a déclaré, c’est le peuple syrien lui-même qui renversera le régime acharné à l’écraser.
Il a déjà payé le prix du sang pour cela, un prix très élevé: plus de 3 000 morts, des dizaines de milliers de personnes arrêtées, dont près de 15 000 détenues, sans oublier d’innombrables tortures et mutilations, enlèvements et viols. Les souffrances de la société civile ont depuis longtemps dépassé le seuil du soutenable. Sans secours international, elle endurera des épreuves encore plus douloureuses. Aussi importe-t-il de l’aider d’urgence, afin que les sacrifices consentis depuis mars 2011 ne s’avèrent pas vains.
À Paris (où une soirée de solidarité s’est tenue lundi 10 octobre à l’Odéon – Théâtre de l’Europe), Londres et New York, mais également à Delhi, Brasilia et Pretoria, les opinions publiques ont le pouvoir d’interpeller leurs gouvernements, lesquels ont le devoir d’intervenir sur les plans politique, économique et judiciaire pour isoler les assassins. L’Europe et la France en son sein ont une responsabilité particulière à cet égard, en raison de leurs liens historiques, de leur proximité géographique et de leurs relations culturelles avec la Syrie, d’autant que leur voix porte dans les enceintes internationales.
Ajoutant le meurtre à la corruption, le clan Al-Assad est prêt à toute extrémité pour conserver ses privilèges. Ces prédateurs restent indifférents aux admonestations des professeurs de vertu. Les déclarations de «very deep concern» et les appels à «faire preuve du maximum de retenue» éclatent comme bulles de savon sur les murs de leurs villas fortifiées. En revanche, les dirigeants, généraux, banquiers et hommes d’affaires liés à la famille qui s’est accaparé le pays sont vulnérables aux mesures de rétorsion qui les frappent au portefeuille. Or tout n’a pas été tenté en cette matière, loin de là.
Le double véto n’a rien d’étonnant
L’ONU est dans l’impasse, sur ce sujet comme sur d’autres, hélas ! Successivement saisi de projets – les uns invoquant la nécessité du dialogue bien que Bachar Al-Assad rétorque à chaque offre par un durcissement de la répression, les autres évoquant la menace de «mesures ciblées» chaque fois différées alors que le bilan s’alourdit de jour en jour -, le Conseil de sécurité n’est pas parvenu à s’entendre sur une résolution contraignante. Le double veto sino-russe du 5 octobre équivaut à un permis de tuer.
La Russie de Vladimir Poutine entend conserver sa licence d’employer la violence à l’encontre des Ingouches ou des Tchétchènes, si ce n’est aux frontières de l’Ukraine ou de la Géorgie. Fournisseuse de matériels lourds à l’armée syrienne, elle veille jalousement sur la base de Tartous, nœud de son dispositif naval dans les mers chaudes.
Tout autant irritée par le précédent libyen, la Chine récuse les textes qui contestent le droit des dictatures à étouffer les contestataires et pourchasser les minorités, ainsi qu’elle en use elle-même avec les Ouïgours et les Tibétains. Moscou et Pékin courtisent le pouvoir en place à Damas dans l’espoir de jouer leurs propres cartes au Proche-Orient, mais aussi parce que leurs oligarchies préfèrent traiter avec les despotes que négocier avec les imprévisibles républiques en cours d’éclosion dans le monde arabe.
L’attitude des puissances émergentes est moins compréhensible. L’Inde, le Brésil et l’Afrique du sud répugnent à des sanctions qui, selon leurs ambassadeurs, serviraient la prétention des membres permanents du Conseil à régenter les affaires planétaires. Il est pénible de voir ces trois grandes démocraties tourner le dos à l’histoire sous prétexte de solder le passé colonial.
Une vision totalitaire
Ces positions réactionnaires, au plein sens du terme, doivent être publiquement dénoncées. D’abord elles contredisent la «responsabilité de protéger» consacrée par le sommet mondial des Nations Unies de 2005, dans le prolongement de la convention sur la protection du génocide de 1948, selon laquelle la souveraineté d’un État ne saurait plus être invoquée pour bloquer l’ingérence de la communauté internationale en cas de génocide, de crime de guerre ou de crime contre l’humanité.
Elles perpétuent la vision totalitaire qu’exprimait Joseph Goebbels devant la Société des nations en septembre 1933: «Messieurs, charbonnier est maître chez soi. Nous sommes un État souverain […]. Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes et de nos juifs, et nous n’avons à subir de contrôle ni de l’humanité, ni de la SDN».
Ensuite elles contrecarrent l’élan des peuples en quête de liberté et de dignité tout autour de la Méditerranée, comme si les habitants de ces contrées, manquant de maturité pour décider de leur propre destin, étaient condamnés à subir les pires potentats. Enfin, et c’est peut-être le plus grave, sous prétexte d’empêcher une dérive militaire du conflit telle qu’ils l’ont déplorée en Libye, les partisans du laisser faire ouvrent la voie à des aventures plus périlleuses encore pour la paix au Proche-Orient.
Un risque d’embrasement régional
La communauté internationale encourt en effet quatre risques majeurs si elle s’abstient d’agir. Le premier danger s’est déjà concrétisé: l’escalade de la terreur, les tueries de manifestants pacifiques s’accompagnant d’assassinats de personnalités modérées et de bombardements des villes révoltées.
Le second péril prend de l’ampleur au fur et à mesure que le pouvoir multiplie les provocations pour affoler les chrétiens, exciter les passions entre alaouites et sunnites, dresser les Arabes contre les Kurdes: c’est l’affrontement entre communautés et confessions. Une troisième spectre s’avance entre les décombres de Rastan: l’éclatement d’une authentique guerre civile, un nombre croissant de déserteurs – officiers et soldats – se trouvant acculés à combattre la Garde républicaine et la 4e division blindée aux ordres de Maher Al-Assad, féroce frère du président.
On connaît des capitales qui tolèrent de semblables désastres pourvu qu’ils se déroulent à huis clos, comme en 1982, quand Hafez Al-Assad massacra des dizaines de milliers de civils à Hama. Mais une quatrième menace se profile: l’exportation du conflit. Si leur stratégie de la tension échoue, les services secrets syriens seront tentés de déstabiliser l’ensemble de la région avec la complicité de leurs alliés et protégés. D’Israël à l’Iran en passant par le Liban, la Turquie et l’Irak, les terrains de dispute ne manquent pas, qu’un brandon suffirait à embraser.
Elargir les sanctions
Avec beaucoup de maturité, les jeunes des comités de coordination ont réussi jusqu’à présent à repousser le désir de vengeance que les menées des militaires et des miliciens, des mouchards et des mercenaires visent à exacerber. Si vigilante soit-elle, la résistance ne saurait parer tous les coups tordus d’un régime aux abois. Rien ne serait plus imprudent que de l’abandonner à son sort.
La plupart des composantes de l’opposition démocratique, à l’intérieur ou en exil, ont su s’unir pour réclamer aux instances internationales qu’elles œuvrent de tous les moyens légaux pour protéger les Syriens contre la férocité de leurs dirigeants. Il faut que l’Union européenne montre sans délai la voie aux Nations unies en adoptant les plus sévères sanctions qu’elle sera en mesure d’appliquer. Il s’agit dès maintenant d’en élargir la palette.
Le gel des avoirs financiers et les interdictions de visas, qui touchent actuellement moins d’une soixantaine d’individus et d’une vingtaine d’entreprises, devraient concerner l’ensemble des personnes physiques et morales en relation avec les sociétés contrôlées par le clan Al-Assad. Il convient d’inclure dans cette liste tous les responsables de rang exécutif, civils et militaires.
Outre l’embargo sur les hydrocarbures, les armes, les brevets et les fournitures susceptibles de favoriser la répression, l’heure est venue de suspendre d’une manière générale l’exportation à destination de la Syrie des produits et services qui ne sont pas indispensables à la population, en particulier les articles de luxe prisés par les élites. Une stricte limitation des activités des sociétés syriennes affidées au régime et intervenant en Europe s’impose. Il importe également d’interrompre les opérations des organismes de crédit européens en rapport avec cet État.
L’impunité n’est plus de saison
Si les échanges culturels avec les artistes et les intellectuels syriens doivent s’intensifier dans un cadre non gouvernemental, en revanche la coopération officielle avec les institutions publiques semble indécente en pareilles circonstances. Ainsi l’accord entre le Louvre et le Musée national de Damas, signé en grande pompe par Nicolas Sarkozy et Bachar Al-Assad en novembre 2009, et l’accord franco-syrien de coopération culturelle (approuvé par un arrêté de février 2011) doivent faire l’objet d’un moratoire immédiat. L’impunité n’est plus de saison.
Des méfaits d’une envergure méritant la qualification de crimes contre l’humanité ont été commis: cela justifie la saisine de la Cour pénale internationale et l’action indépendante de toute instance capable d’intenter des poursuites, afin qu’Interpol soit en mesure de les relayer. Par ailleurs, il est impératif d’instaurer des mesures de rétorsion contre les personnels d’ambassade qui, comme à Paris, apportent leur concours à la chasse aux opposants.
Il appartiendra au Conseil national syrien de dire s’il prône d’autres mesures de sûreté. Mais l’Europe ne saurait attendre que la situation empire pour porter assistance à un peuple en danger.
Le Conseil national syrien (CNS) est une autorité politique de transition créée à l’occasion de cette révolte syrienne de 2011. Il a été créé à la fin du mois d’août et lancé les 1er et 2 octobre 2011 à Istanbul, en Turquie1, pour coordonner tous les opposants à mener des opérations contre le régime de Bachar el-Assad, aussi bien en Syrie que dans des pays tiers2.
Un Conseil national de Syrie (arabe : ?????? ?????? ??????) avait été initialement formé en 2005 pour protester contre le régime Assad.
Ce conseil regroupe plusieurs membres d’opposants comme les Frères musulmans, des libéraux mais aussi des partis kurdes et assyriens3. Il est composé de 190 membres et son président est Burhan Ghalioun4.
Le 9octobre2011, le ministre des affaires étrangères syrien Walid al-Mouallem annonce que le régime prendra des mesures contre les pays qui reconnaîtront le CNS5. Un jour plus tard, le Conseil national de transition libyen est la première autorité à reconnaître officiellement le CNS comme unique représentant du peuple syrien6. La France lui apporte son soutien le 10 octobre7.
Le 6décembre2011, le chef du HezbollahHassan Nasrallah accuse le CNS de vouloir détruire la Syrie et déclare « Le soi-disant Conseil national syrien, formé à Istanbul, et son leader Burhan Ghalioun (…) se font concurrence pour présenter leurs lettres de créance aux États-Unis et à Israël ». Ces déclarations font suite aux dires de Burhan Ghalioun qui estimait que si la Syrie était dirigée par le CNS, les liens militaires avec l’Iran, le Hezbollah et le Hamas seraient coupés9.
Guatemala : Une Paix bien plus violente que la guerre. Rodrigo ABD, Associated Press
Festival. Visa pour l’Image est aujourd’hui le lieu de rassemblement majeur des acteurs internationaux de la presse et du photojournalisme. Quelques raisons de ce succès.
Après La gare de Dali, Visa pour l’Image fait de Perpignan le centre du monde à la différence, que depuis 23 ans, on est passé en mode réaliste. Pendant deux semaines jusqu’au 11 septembre, le festival revient sur « l’actu » de l’année. Les visiteurs* se succèdent continuellement pour découvrir les 28 expositions gratuites de la manifestation. Nombre de regards traduisent un intérêt acéré. Au-delà de l’esthétisme qui demeure au rendez-vous, ils décryptent l’écriture photographique comme une expérience signifiante qui s’offre à leurs yeux.
C’est peu dire que cette forme d’expression n’a rien de commun avec la télévision et les autres médias tant la puissance des reportages sélectionnés emporte. La vision d’actualité du photojournalisme défendue par le fondateur du festival, Jean-François Leroy, refuse la course médiatique pour rester en phase avec ce qui se passe. Une qualité d’exigence rare qui se heurte aux pratiques d’aujourd’hui. Celles qui bradent les valeurs professionnelles, comme la rigueur, l’engagement pour un sujet, et la crédibilité de l’information sous couvert de l’évolution technologique. Comme si rapidité et rentabilité rimaient avec authenticité. Ce sujet reste au cœur du débat des rencontres professionnelles.
Kesennuma : The man with a dog 22 mars 2011, Issey Kato Reuter
A travers plusieurs séquences, le festival revient sur les événements qui ont mobilisé les grands médias, comme la manifestation sismique au Japon ou la vague du printemps arabe, mais il ouvre surtout sur le hors champ. Des reportages comme celui de Valerio Bispuri qui a sillonné pendant dix ans les prisons d’Amérique Latine, ou de d’Alvaro Ybarra Zavala sur la guerre civile en Colombie témoignent de l’engagement de ce métier. La moisson mondiale des crises écologiques, économiques, démocratiques, et sociales de l’année écoulée a le goût du sang et de l’abandon. Elle suscite aussi de l’espoir à travers la nécessité absolue qui s’impose pour trouver des limites.
* 190 000 visiteurs en 2010
Lima, Pérou, décembre 2006. Détenus dansant dans la cour de la prison. Valéro Bispuri.
A Perpignan le versant Occident n’est pas épargné
A Perpignan l’hémisphère Sud apparaît en première ligne mais Visa pour l’Image ne fait pas l’impasse sur les dérives sociétales de l’Occident. Shaul Schwarz signe un symptomatique reportage sur la culture narco qui se propage au sein de la communauté latino américaine aux Etats-Unis. Les film narco et les clubs narcocorridos y font fureur sur la côte Ouest, comme les chansons composées à la gloire des trafiquants. « C’est l’expression d’un mode de vie qui s’oppose à la société », explique le photographe américain.
Construction de tombes monumentales au cimetière Jardine del Humaya, Mexique juillet 2009.
Une mode en forme de bras d’honneur à la mort et à la guerre de la drogue qui emporte 35 000 vies par an. Le reportage donne un nouveau visage à la drogue comme instrument de contrôle social. Les images pimpantes du luxe narco sont à rapprocher de celles tout aussi réelles qu’a ramenées Alvaro Ybarra Zavala de Colombie.
Tumaco, Colombie, 2009. La police interroge les occupants d’un bar. Alvaro Ybarra Zavala / Getty Images
Avec son travail sur les classes sociales défavorisées en Israël, Pierre Terdjman lutte également contre les idées reçues en touchant du doigt une réalité oubliée. A Lod, dans la banlieue de Tel Aviv, on ne lutte pas contre les « terroristes » mais pour survivre, manger, se soigner, où se payer sa dose dans l’indifférence totale de L’Etat.
Made in England
L’édition 2011 propose aussi deux reportages Made in England, dont l’un des mérites est de faire un peu baisser la tension. Avec « Angleterre version non censurée », Peter Dench porte un regard sans complaisance sur le monde ordinaire de ses compatriotes. « Accoutrements grotesques, mal bouffe et manque de savoir vivre : beaucoup d’Anglais s’obstinent à se rendre ridicules » observe le photographe. Il démontre ses dires à travers un voyage convivial et humoristique où l’alcool, mais peut-être pas seulement, semble tenir un rôle prépondérant.
Jocelyn Bain Hogg s’est lui replongé dans le milieu pour suivre la vie intime des mafieux britanniques. Ce photographe très british a commencé son travail sur la pègre en 2001 avec un reportage intitulé «The Firm ». Sept ans plus tard il y retourne en axant son sujet sur la famille. « Ce choix m’a permis d’être validé, confit-il, car depuis mes premières visites une bonne part de mes anciens contacts avaient passé l’arme à gauche. » « The Family » débute par une série de portraits tout droit sortis d’un film de Scorsese. Quand on lui demande s’il n’a pas forcé un peu le trait pour que la réalité rejoigne le mythe, Jocelyn Bain Hogg trouve la réponse qui tue : « Ils ont des têtes de gangsters parce qu’ils sont gangsters. On peut penser au cinéma, mais qui était là les premiers: les films ou les gangsters ? »
Ici, on n’est pas dans un film, mais à l’enterrement du père de Teddy Bambam. Jocelyn Bain Hogg VII Network
Le parcours en noir et blanc nous entraîne dans les salles de combats de boxe clandestins que la famille utilise comme autant de business center pour parler affaires, drogue et prostitution… Les expressions de la famille Pyle expriment un mélange de machisme et de violence teinté de culpabilité. On suit Joe, Mitch, Mick, qui font faire leur première communion à leur fils Cassis et Sonny : « Malgré leurs mauvais côtés, ceux sont des êtres humains qui aiment et sont croyants », commente Jocelyn Bain Hogg qui brosse le portrait d’un milieu en perdition détrôné par les mafias de l’Est qui règnent désormais en Angleterre.