Le cabinet de guerre de Donald Trump

 John Bolton (g.) ; Mike Pompeo (d.) Gage Skidmore 2018 (J. Bolton) ; CIA 2017 (Mike Pompeo).


John Bolton (g.) ; Mike Pompeo (d.)
Gage Skidmore 2018 (J. Bolton) ; CIA 2017 (Mike Pompeo).

En nommant Mike Pompeo à la tête du département d’État et John Bolton à celle du Conseil de sécurité nationale, Donald Trump a profondément remanié l’équipe en charge de la politique étrangère des États-Unis. Et donné un poids accru aux « faucons ».

Donald Trump entend-il lancer une guerre contre la Corée du Nord ou plus probablement l’Iran ? Si l’on ne peut répondre à cette question de façon catégorique, une chose est sûre : il prépare le terrain à cette éventualité. En nommant Mike Pompeo à la tête du département d’État, puis John Bolton à celle du Conseil de sécurité nationale, il a désigné deux des figures les plus belliqueuses du Parti républicain. Bolton, en particulier, incarne depuis trois décennies la propension à vouloir tout régler par la force militaire — hier contre Cuba ou en Irak, aujourd’hui contre l’Iran ou la Corée du Nord — au point de jouir, jusque dans des cercles républicains, du surnom de « Strangelove », le fameux Docteur Folamour du film de Stanley Kubrick, qui symbolise la folie nucléaire. Avec ces nominations (et celle de Gina Haspel à la tête de la CIA, une femme qui a personnellement dirigé un site américain de tortures après le 11-Septembre et a autorisé la destruction de cassettes montrant ces pratiques), Trump a mis en place l’équipe dirigeante la plus va-t-en-guerre de l’ère moderne américaine, une équipe idéologiquement très marquée à l’extrême droite, du moins pour les deux premiers nommés.

Depuis quarante ans, Bolton personnifie une vision unilatérale et exceptionnellement belliciste de la politique extérieure américaine, qui fait de la « guerre préventive », prohibée par le droit international, son fondement stratégique. Il appartient à l’école ultra-nationaliste agressive, dans la tradition de Douglas MacArthur, l’homme qui prônait en 1948 de lancer la bombe A sur la Chine pour contrer l’avancée communiste, puis en 1951 contre la Corée du Nord. Il incarne jusqu’à la caricature ce que le politologue Richard Hofstadter désigna dans un ouvrage célèbre de 19651 comme « le style paranoïaque » d’une droite radicale américaine où les théories du complot prolifèrent, accompagnées d’une insondable détestation pour tout ce qui viendrait enrayer la mission légitime des États-Unis de dominer le monde. Ainsi Bolton déclara-t-il à l’ONU : « Il faudrait recomposer le Conseil de sécurité et qu’il n’y ait plus qu’un seul membre permanent : les États-Unis »

La droite radicale qu’étudie Hofstadter n’hésite devant aucun mensonge ou fabrication pour justifier ses ambitions. Bolton non plus. Lorsqu’en 2002, George W. Bush invoqua son « axe du mal » entre la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak de Saddam Hussein, Bolton décréta immédiatement qu’il existait « des connexions puissantes entre les trois régimes » pour la fabrication d’armes de destruction massive. Ses outrances devinrent légendaires quand Bush le nomma ambassadeur à l’ONU, où il fit un passage éclair en 2005-2006. Vite marginalisé, y compris dans des milieux conservateurs, cela n’empêcha pas le Wall Street Journal puis Fox News, la chaîne de toutes les droites, de l’accueillir dès lors et jusqu’à ce jour avec bienveillance. L’homme eut tout loisir d’y déverser ses diatribes contre les innombrables menaces qu’affrontent les États-Unis — l’islam, l’Europe, la Chine, plus les ennemis intérieurs, eux aussi innombrables — et l’unique moyen qu’il connait pour les endiguer : frapper, encore et encore.

« Bombardons l’Iran »

Même si l’on se restreint au seul Proche-Orient, les citations affolantes de Bolton ne se comptent plus. Peu avant que l’accord international avec l’Iran sur le nucléaire militaire soit finalisé, il signe dans le New York Times un article titré : « Pour arrêter la bombe iranienne, bombardons l’Iran » (« To Stop Iran’s Bomb, Bomb Iran », 26 mars 2015). Cet appel advenait après des centaines d’autres. De 2002 à ce jour, Bolton n’a cessé d’annoncer que la menace nucléaire iranienne était « imminente ». En 2009, il déclare à l’université de Chicago : « Sauf si Israël est disposé à user de l’arme nucléaire contre le programme iranien, l’Iran aura une arme nucléaire dans un très proche avenir ». Comme l’écrit Uri Friedman dans The Atlantic (« McMaster is Out, and even Bigger North Korea Hawk is In », 22 mars 2018), c’est le seul cas connu où un politicien américain a justifié qu’un autre pays que les États-Unis, « puisse non seulement utiliser la bombe A, mais y est même encouragé. »

Car Bolton est également un grand ami d’Israël, ou plus précisément de sa fraction ultra. « La solution à deux États est un non-sens. Un État palestinien deviendrait inévitablement un État terroriste à la frontière d’Israël », a-t-il toujours expliqué, reprenant une vieille antienne israélienne. Sa nomination au Conseil national de sécurité américain a d’ailleurs été accueillie avec enthousiasme par le gouvernement israélien. « Le président Trump continue de nommer de vrais amis d’Israël à de hautes positions, et Bolton ressort parmi eux », a déclaré Ayelet Chaked, ministre de la justice et membre de l’extrême droite coloniale religieuse. À l’opposé, Hanane Hachrawi, une figure intellectuelle du nationalisme palestinien, a jugé qu’avec Bolton, l’administration Trump « s’adjoint les sionistes extrémistes, les fondamentalistes chrétiens et les racistes blancs ». Quant à l’islam, il suffit de rappeler que Bolton, adepte du « choc des civilisations », fit l’éloge en 2010 d’un ouvrage, The Post-American Presidency, signé par deux islamophobes des plus radicaux, Robert Spencer et Pam Geller, cofondateurs du mouvement Stop Islamization of America. Ils y assurent que Barack Obama est un musulman masqué, suggérant que le gouvernement américain est « infiltré » par un « complot islamique secret ». Qui s’étonnera que le sénateur républicain Rand Paul, après la nomination de Bolton, ait vu en lui un homme « dérangé » ?

 

« Nous savons que Jésus-Christ est notre sauveur »

Mike Pompeo, lui, est un radical d’un type différent, mais aux opinions similaires. Chrétien fondamentaliste, politicien de carrière — il a siégé huit ans à la Chambre — il a été proche de Steve Bannon, l’idéologue de l’« alter »-droite, et un leader important du Tea Party, mouvement qui a diffusé les attaques les plus désolantes et racistes contre l’ex-président Obama. Dès la victoire de Trump acquise, en novembre 2016, Pompeo s’exclame concernant l’accord sur le nucléaire signé avec l’Iran par les grandes puissances et validé par deux résolutions de l’ONU : « J’ai hâte d’abroger cet accord désastreux conclu avec le plus grand sponsor du terrorisme au monde ». Proche de Benyamin Nétanyahou, Pompeo déclarait en 2014, à Wichita, au Kansas, que le terrorisme islamiste « nous oblige à prier, nous battre et clamer que nous savons que Jésus-Christ est notre sauveur, qu’il est vraiment la seule solution pour notre monde ». Sa vision apocalyptique d’un combat engagé entre le « bien » (l’Amérique telle que Pompeo la conçoit) et le « mal » (tous les autres et l’islam d’abord) a été sa référence constante — jusqu’à ce qu’il minore cet aspect une fois nommé à la tête de la CIA. Sa définition de la politique ? « Un combat jamais fini… jusqu’à parvenir au ravissement ». Ce thème du « ravissement », qui doit marquer le retour de Jésus sur terre, est très ancré dans l’évangélisme américain. Enfin, Pompeo s’est vu décerner un prix d’honneur par ACT for America !, autre association réunissant de grandes figures de l’islamophobie radicale aux États-Unis.

Pourquoi avoir nommé deux figures si « identitaires », l’une de la droite nationaliste extrême et l’autre de l’évangélisme militant ? Ces derniers mois, Trump a multiplié les gestes, y compris sur le terrain international, qui montrent qu’il se préoccupe d’abord… de politique intérieure. Des propos menaçant l’Iran (et la Corée du Nord) proférés aux Nations unies jusqu’aux mesures de taxation accrue de l’acier étranger en passant par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, la liste est longue des décisions prises récemment par Trump destinées, en premier lieu, à conforter sa base électorale — laquelle, grossièrement, unit précisément des nationalistes protectionnistes aux évangélistes radicaux. Avec, dans les deux camps, une obsession à défendre l’homme blanc américain menacé dans son identité, parce que progressivement dépossédé de son statut dominant. À l’approche d’échéances électorales, flatter cette base et ses espérances est, pour Trump, un impératif.

Comme le président Nixon au Vietnam

Qu’attendre, désormais, de nominations si inquiétantes ? On sent poindre, parmi les commentateurs américains, deux écoles. Soit Trump continue de « faire du Trump », soit on est réellement entré dans une phase nouvelle de son mandat. Qu’est-ce que « faire du Trump » ? L’Institution Brookings a révélé, en octobre 2017, une discussion privée à la Maison Blanche entre Donald Trump et ses conseillers. Elle tourne autour d’un ultimatum à la Corée du Nord. Trump s’emporte. « Non, non, vous ne leur donnez pas trente jours [pour accepter]. Vous leur dites que s’ils n’acceptent pas les concessions exigées dès maintenant, ce fou peut balancer l’affaire à chaque instant » ! Bref, Trump, simule la « dinguerie » pour mieux obtenir ce qu’il exige par l’effroi qu’il suscite, reprenant à son compte la fameuse « madman theory », la « théorie du dingo » que le président Nixon aurait imaginée en 1969 pour faire croire aux Nord-Vietnamiens qu’il pourrait lâcher sur eux la bombe A pour gagner la guerre. Dans cette vision, à la veille de négocier avec Pyongyang, de proposer un « plan de paix » au Proche-Orient qu’il entend imposer aux Palestiniens et de remettre en cause l’accord nucléaire avec Téhéran, Trump aurait nommé Pompeo et Bolton dans le seul but d’effrayer ses interlocuteurs récalcitrants, afin de négocier en position favorable.

La seconde tendance estime que même si cette analyse correspond à l’unique méthode que connait Trump en toute situation — s’imposer par la peur — cela ne répond pas aux interrogations. Car si cette option ne porte pas ses fruits — ce qui, dans les trois cas, est hautement probable —, alors la seule issue pour son instigateur consiste à battre en retraite piteusement ou à passer à l’acte. C’est ici que les « scénarios Folamour » deviennent plausibles et que, comme l’a déclaré Bob Corker, le président (républicain) de la commission des affaires étrangères du Sénat, Trump risque de « nous mener sur la voie d’une troisième guerre mondiale ».

Car, pour s’en tenir au Proche-Orient, on voit mal comment les Iraniens, en position de force au regard du droit international, accepteraient de faire la moindre concession pour réviser un accord validé par deux résolutions des Nations unies. Téhéran a déjà réagi avec mépris aux appels de Trump à renforcer les sanctions. Or, avec les nominations de Pompeo et Bolton, les observateurs sont unanimes : le 12 mai prochain, à l’échéance qu’il a lui-même fixée, Trump retirera de manière formelle la signature des États-Unis de l’accord approuvé par son prédécesseur. Dès lors, les options guerrières vis-à-vis de l’Iran seront à nouveau sur la table. Par ailleurs, alors que l’administration Trump entend toujours imposer un « accord » israélo-palestinien qui verrait Israël préserver l’essentiel de ses colonies et la vallée du Jourdain dans une Palestine réduite à plusieurs bantoustans discontinus avec une capitale sise dans un faubourg de Jérusalem, on ne voit pas, quelle que soit la manne financière qui accompagnerait cet illusoire « accord de paix », quel dirigeant palestinien — et même, à vrai dire, quel dirigeant arabe — viendrait l’adouber publiquement.

Dès lors, la politique du « retenez-moi où je fais un malheur » a toutes les chances de se briser sur les réalités internationales. Mais c’est à ce moment que s’ouvriront les options les plus terrifiantes. Car si Kim Jong-un refuse d’abandonner son maigre arsenal atomique qui constitue l’unique arme de dissuasion dont dispose son régime paranoïaque pour garantir sa survie, Trump se retrouvera face à l’obligation d’élever le niveau des pressions. Jusqu’où ? De même, une fois le traité avec l’Iran annulé et de nouvelles pressions américaines votées contre Téhéran, combien de temps l’Iran acceptera-t-il de préserver son respect d’un accord saboté par son principal interlocuteur ? C’est là que, quel que soit l’état d’esprit réel de Trump — joue-t-il au fou ou l’est-il vraiment ? — la question est de peu d’importance. On entrerait dans une zone de turbulences où les nominations de Pompeo et Bolton pourraient s’avérer décisives.

L’Irak et la Syrie nouveaux champs d’affrontement ?

Pour la plupart des analystes, une attaque contre les sites de production atomique de la Corée du Nord semble quasi impensable. Chinois, Japonais et Sud-Coréens ont depuis longtemps mis en garde Washington contre les risques qu’une telle opération leur ferait courir. Une offensive contre des sites en Iran serait l’option que l’équipe Trump-Pompeo-Bolton devrait privilégier. Elle serait soutenue, activement ou tacitement, par Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avec d’autant plus de facilité que l’Iran, lui, ne dispose pas de l’arme nucléaire. C’est là qu’un Bolton et un Pompeo, bellicistes déterminés, pourraient « envoyer la politique de sécurité nationale américaine vers des eaux inconnues », écrit Richard Silverstein dans Middle East Eye (14 mars 2018). Avant même leur nomination, Robert Malley, président de l’International Crisis Group et ex-conseiller d’Obama sur le Proche-Orient, s’inquiétait vivement de l’éventualité d’un accrochage militaire entre Iraniens et Américains dans la région, par exemple en territoire irakien, qui provoquerait une « escalade » potentiellement incontrôlable. Avec Pompeo et Bolton aux manettes, le pire serait à craindre.

Certes, au vu du fonctionnement de Trump, qui peut prédire ce que sera leur influence réelle ? Mais pour beaucoup d’analystes, l’attitude des Européens, et notamment des Allemands et des Français, face à la fuite en avant belliciste de l’administration Trump, sera déterminante. S’ils optent de manière déterminée pour préserver l’accord signé avec Téhéran, il leur faudra mener une diplomatie visant à isoler le plus possible Washington, dans l’espoir d’amener l’administration Trump à prendre conscience des conséquences néfastes pour elle-même de son attitude. Il n’est cependant pas sûr que des personnalités telles que Trump, Pompeo ou Bolton y soient sensibles. Au contraire, on peut s’attendre à ce que les Européens — qui, de plus, ont rarement manifesté un courage débordant et surtout une unité sans faille face aux Américains sur la scène proche-orientale — craignent qu’un tel isolement américain pousse Trump et ses proches à tenter de sortir par le haut en s’engageant dans un conflit armé contre l’Iran. Si cette éventualité advenait, les conséquences, à l’échelle régionale et peut-être planétaire, pourraient être incommensurables.

Restent plusieurs inconnues. Bolton aura-t-il l’influence qu’on lui octroie ? Le général James Mattis au Pentagone et les généraux de l’état-major hostiles à une aventure guerrière contre l’Iran pourraient-ils contenir les velléités de la Maison Blanche d’attaquer si l’ordre était donné ? Indubitablement, le bellicisme de Trump reste loin d’être majoritaire aux États-Unis. Mais on sait combien les opinions publiques peuvent basculer une fois un conflit engagé. À Paris, l’ancien directeur du département Afrique du Nord Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères, Yves Aubin de la Messuzière, juge qu’il faut placer les États-Unis dans une situation d’isolement maximal. « La France, dit-il, s’honorerait en prenant l’initiative ambitieuse d’un appel commun entre Européens, Chinois et Russes sur le thème “respect de l’accord, rien que l’accord, tout l’accord” avec Téhéran, pour empêcher toute évolution guerrière aux conséquences imprévisibles ». Un tel appel bénéficierait de soutiens au sein même de la classe politique américaine. Car si les États-Unis attaquaient directement le territoire iranien, les Iraniens « pourraient réagir en bloquant le détroit d’Ormuz et en attaquant des cibles américaines en Irak et en Syrie. Les suites seraient inconnues ». Aubin veut croire que les dirigeants américains en sont conscients. La probabilité la plus grande, conclut-il, est que si Trump attaque les Iraniens, il lance une opération militaire contre eux en Syrie. « Ça n’aura pas le même poids, mais même là, les risques de dérapage incontrôlé et de conséquences à l’échelle régionale seront importants ».

1The Paranoid Style in American Politics ; traduit en français en 2012 sous le titre Le style paranoïaque dans la politique américaine, François Bourin éditeur.

Source :  Orient XXI 02/04/2018

Après le gel de la démission d’Hariri, que nous réserve désormais le Liban?

Le Premier ministre libanais Saad Hariri, en compagnie de l'ambassadeur iranien à Beyrouth, Mohammad Fathali, mercredi 22 novembre 2017. Reuters/Aziz Taher

Le Premier ministre libanais a une nouvelle fois créé l’événement en annonçant, mercredi 22 novembre 2017, la suspension de sa démission formulée le 4 novembre dernier depuis Riyad. Saad Hariri a lancé un vibrant appel au dialogue et à la modération dans son pays, tiraillé par l’affrontement régional entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Le rôle décisif du président de la République Michel Aoun et des interventions étrangères dans ce « déminage » politique est souligné par la presse.

Le jour du 74e anniversaire de l’indépendance libanaise, mercredi, Saad Hariri s’est offert un bain de foule devant chez lui à Beyrouth, dans le sillage de l’annonce de la suspension de sa démission à la télévision.

Le Premier ministre est allé saluer des milliers de ses partisans venus le féliciter pour son retour dans la capitale libanaise, après 18 jours passés en Arabie saoudite dans des circonstances floues.

Le dernier acte d’une journée marathon pour le fils de Rafiq Hariri. Quelques heures plus tôt, Saad Hariri, de confession sunnite, était apparu aux côtés du président chrétien Michel Aoun, et du chef du Parlement, le chiite Nabih Berry.

Tous trois ont participé ensemble au défilé militaire organisé pour la fête nationale. Puis le Premier ministre s’en est allé discuter au palais présidentiel avec le chef de l’Etat, qui l’a donc convaincu de suspendre sa démission.

Les manœuvres qui ont permis ce revirement

A Beyrouth, après ce revirement inattendu du chef du gouvernement, promesse d’un possible dénouement, le rôle décisif du président est clairement souligné par tous les médias.

Michel Aoun a convaincu son Premier ministre, en arguant de la nécessité de procéder à de vastes concertations nationales pour discuter des arguments avancés par ce dernier au moment de rendre le tablier, le 4 novembre.

On parle aussi de « démarches intensives entreprises par Emmanuel Macron, avec Michel Aoun et les dirigeants américains, saoudiens, israéliens et égyptiens », souligne le site du quotidien francophone L’Orient-Le Jour.

Le rôle central de Paris est détaillé par le quotidien Al-Akhbar, qui a annonçait dès mercredi une initiative franco-égyptienne. La France et l’Egypte auraient manœuvré pour le maintien de Saad Hariri à la tête du gouvernement libanais.

Distancier le Liban des conflits régionaux

Le journal, proche du Hezbollah, croit savoir que les présidents Emmanuel Macron et Abdel Fattah al-Sissi se sont secrètement rencontrés pour accorder leurs violons sur la question libanaise.

Le quotidien Annahar abonde dans le même sens. Le gel par Saad Hariri de sa démission exprimerait une volonté régionale et internationale de calmer le jeu au Liban, selon ce journal proche de l’Arabie saoudite.

Alors, le Liban a-t-il définitivement surmonté la crise provoquée par la démission surprise de Saad Hariri ? La tension a sensiblement baissé mais le règlement définitif dépend du résultat des concertations à venir.

Michel Aoun, dans les prochains jours, doit s’entretenir avec les principaux dirigeants du pays. Objectif de ces assises : distancier le Liban des conflits régionaux. Plus facile à dire qu’à faire, vu le fossé qui sépare Riyad et Téhéran.


? « C’est déjà pas mal, pour une grande partie des Libanais »

Si Saad Hariri a décidé de geler sa démission, c’est pour éviter une crise institutionnelle et politique à son pays. A quoi faut-il s’attendre désormais ? Eléments de réponse avec Ziad Majed, professeur des études du Moyen-Orient à l’université américaine de Paris, interrogé par Toufik Benaïchouche de RFI.

« Il va y avoir un dialogue avec le Hezbollah. Le président de la République est un allié du Hezbollah. Donc, il va essayer de trouver un compromis, même pour la forme. Pour dire que le Hezbollah accepte de préserver le Liban loin du feu de la région, loin des conflits et de l’affrontement entre l’Arabie saoudite et l’Iran.

Mais des déclarations pareilles, sans mesures concrètes – c’est-à-dire sans le retour de 8 à 10 000 combattants du Hezbollah, qui sont aujourd’hui en Syrie ; sans le retour de conseillers militaires du Hezbollah, qui sont en Irak ; sans des positions moins agressives politiquement, du côté du Hezbollah envers l’Arabie saoudite -, tout cela reste des promesses.

Ou du moins, c’est une volonté de limiter les dégâts, de gagner du temps, en attendant de voir comment les choses vont évoluer et se développer dans la région. Et c’est déjà pas mal, pour une grande partie des Libanais, de pouvoir échapper maintenant à une crise institutionnelle grave ! »

correspondant à Beyrouth,  Paul Khalifeh

Source : RFI 23/11/2017

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Liban : Saad Hariri ouvre la voie à une possible désescalade

 Diffusion de l’interview de Saad Hariri, à Beyrouth, le 12 novembre. Diffusion de l’interview de Saad Hariri, à Beyrouth, le 12 novembre. ANWAR AMRO / AFP

Diffusion de l’interview de Saad Hariri, à Beyrouth, le 12 novembre. ANWAR AMRO / AFP

En laissant son poste le 4 novembre, le premier ministre avait dénoncé publiquement la « mainmise » de l’Iran et du mouvement chiite libanais du Hezbollah, membre de son gouvernement, sur les affaires intérieures de son pays. Une semaine après cette démission, Saad Hariri n’avait toujours pas donné signe de vie

Saad Hariri a rompu le silence écrasant dans lequel il s’était enfermé après sa démission surprise, annoncée le 4 novembre depuis Riyad. Cette décision, que le premier ministre libanais avait imputée à l’Iran, la bête noire de l’Arabie saoudite, accusée de « vouloir détruire la nation arabe », a fait brutalement monter la tension au Proche-Orient.

Dans une interview diffusée dimanche 12 novembre sur la télévision libanaise, où il est apparu les traits tirés, M. Hariri a réfuté la thèse dominante qui le présente comme l’otage des autorités saoudiennes. Il a affirmé à plusieurs reprises que ses hôtes ne l’ont pas forcé à démissionner, et qu’il rentrera « bientôt » à Beyrouth, répétant que son absence est due aux dangers qui pèsent sur sa vie, sans donner plus de précisions.

Parallèlement à ces dénégations, qui n’ont pas véritablement convaincu les observateurs, le chef de file de la communauté sunnite libanaise s’est efforcé d’apaiser la situation. Il a usé, à l’encontre de l’Iran et du Hezbollah, le mouvement chiite libanais pro-Téhéran, de formules moins belliqueuses que dans sa précédente intervention, et il a laissé entendre qu’il pourrait revenir sur sa démission. « Sur le fond, c’est une désescalade, réagit Karim Emile-Bitar, professeur de relations internationales à l’université Saint-Joseph de Beyrouth. On a retrouvé le tempérament conciliateur de Saad Hariri. On peut supputer que les Saoudiens ont voulu mettre en sourdine leur ligne maximaliste. »

L’interview du premier ministre démissionnaire a été diffusée en direct, en début de soirée, sur Future TV, la chaîne de son parti politique, baptisé du même nom. Cinq autres chaînes libanaises ont refusé de retransmettre l’émission, conformément aux consignes du président Michel Aoun, qui avait estimé que les déclarations de M. Hariri seraient automatiquement sujettes à caution, compte tenu des « conditions mystérieuses entourant sa situation en Arabie saoudite ».

« Je suis libre ici »

L’entretien, conduit par Paula Yacoubian, une célèbre animatrice de talk-show, a été réalisé dans la villa que M. Hariri, détenteur de la nationalité saoudienne, possède à Riyad. « Je suis libre ici, si je veux voyager demain, je voyage », a déclaré d’entrée le leader libanais. Le visage pâle, les yeux cernés, s’interrompant parfois pour boire de l’eau ou se racler la gorge, il a assuré qu’il pourrait atterrir à Beyrouth « dans deux ou trois jours », pour « entamer les procédures constitutionnelles nécessaires » à sa démission, que le chef de l’Etat a refusé d’accepter en l’état.

« J’ai écrit ma démission de ma main, et j’ai voulu provoquer un choc positif (…) pour faire comprendre aux Libanais la situation dangereuse dans laquelle nous nous trouvons », a ajouté le chef du gouvernement. Il a démenti tout lien entre son retrait du pouvoir et la purge anti-corruption, entamée le même jour, sur ordre du prince héritier saoudien, Mohamed Ben Salman, dit MBS, qui a abouti à l’arrestation de centaines de VIP, dont des princes et des entrepreneurs. Un coup de filet sans précédent, qui, dans l’esprit des Libanais et de nombreux observateurs étrangers, a pu servir aux autorités de Riyad pour faire pression sur M. Hariri, propriétaire dans le royaume d’une entreprise de construction, Saudi Oger. « C’est une coïncidence », a-t-il prétendu, louant sa relation avec MBS, qu’il a qualifié de « frère ».

out au long de l’interview, le fils de l’ancien premier ministre libanais Rafik Hariri, assassiné en 2005, a semblé épuisé nerveusement. Au bord des larmes à un moment, il a demandé à Paula Yacoubian, à la fin de l’interview, d’abréger ce qui paraissait être une épreuve pour lui. Cette fébrilité, très commentée sur les réseaux sociaux, a nui à ses efforts pour dissiper les soupçons pesant sur son séjour saoudien. « Hariri ressemble à un homme brisé, il n’y a aucune conviction dans ce qu’il dit », a souligné Karl Sharro, un commentateur politique libanais, très actif sur Twitter.

Main tendue au Hezbollah

A plusieurs reprises durant l’échange, l’intervieweuse a fait mention d’événements se déroulant simultanément, comme le tremblement de terre au Kurdistan irakien, de façon à démontrer que l’émission se déroulait bel et bien en direct et n’avait pas fait l’objet d’un montage préalable. Signe de la défiance du public, beaucoup de téléspectateurs ont pointé du doigt un bref moment, où M. Hariri jette un regard semble-t-il courroucé à un homme apparaissant dans le champ de la caméra, muni d’un bout de papier.

Sur les réseaux sociaux, ces quelques secondes équivoques sont devenues la preuve que le premier ministre libanais a reçu des instructions de ses hôtes saoudiens pendant l’interview. Faux, selon Paula Yacoubian, qui a assuré à l’issue de l’entretien que l’homme en question était un membre de l’entourage de M. Hariri, ajoutant n’avoir rencontré aucun responsable saoudien avant de prendre l’antenne.

A rebours de son discours de démission, durant lequel il avait promis de « couper les mains » de l’Iran dans la région, le chef du Courant du futur a tendu la main au Hezbollah. Il a suggéré qu’il pourrait renoncer à quitter le pouvoir si le mouvement chiite s’engageait à respecter le principe de « distanciation », c’est-à-dire de non-ingérence dans les crises régionales, élaboré par son prédécesseur Najib Mikati, premier ministre au démarrage du soulèvement syrien.

Sursaut pro-Hariri

Outre le rôle du Hezbollah dans ce pays, où il combat au côté des forces pro-Assad, le premier ministre a insisté sur son implication supposée au Yémen. Ces derniers jours, les autorités saoudiennes ont accusé des membres de la milice chiite libanaise d’avoir contribué à l’assemblage du missile balistique tiré par les rebelles Houthis, le 4 novembre, sur Riyad. « Je ne suis pas contre le Hezbollah en tant que parti politique, mais je suis contre le fait que le Hezbollah joue un rôle externe et mette le Liban en danger », a martelé Saad Hariri.

Dans cette inflexion, les observateurs libanais voient le résultat du sursaut pro-Hariri, qui s’est manifesté ces derniers jours à travers le pays. La plupart des partis politiques, choqués par le traitement réservé au premier ministre, ont réclamé son retour immédiat à Beyrouth.

A part la frange la plus extrême du Courant du futur, la plus grande partie de la communauté sunnite a préféré se solidariser avec son leader plutôt qu’obéir aux injonctions anti-Hezbollah des Saoudiens. « MBS a été trop impulsif, estime Karim-Emile Bitar. Maintenant qu’il a compris que son coup d’éclat a renforcé la popularité d’Hariri, il fait machine arrière. » « La rue sunnite a mis en échec le plan saoudien, renchérit Walid Charara, membre du centre de recherche du Hezbollah. MBS doit maintenant trouver une porte de sortie. »

Benjamin Barthe

Le Monde.fr avec AFP | 12.11.2017

Voir aussi : Actualité Internationales, Rubrique Politique internationale, LibanLa dangereuse alliance entre les Etats-Unis, Israël et l’Arabie saoudite, Dossier. La crise saoudo-qatarie, rubrique Géographie, Géopolitique, rubrique Moyen-OrientArabie Saouditeune purge sans précédent vise princes, ministres et hommes d’affaires, Israël, Etats-Unis, Iran, IrakSyrie, Yemen ,Quatar,

On line : Le président libanais demande à Riyad d’« éclaircir » la situation,

Kurdistan. Ankara choisira le réalisme

kurdistan jpegLa menace d’affamer les Kurdes d’Irak après le référendum sur l’indépendance [du 25 septembre], proférée par le président turc Recep Tayyip Erdogan, reflète l’embarras et l’ambiguïté de la Turquie à propos de cette question. Car le Kurdistan irakien, depuis une dizaine d’années, a été une sorte de paradis pour les Turcs, du moins sur le plan économique.

De toute évidence, il est paradoxal qu’Erdogan, qui avait accusé Israël d’“affamer” la bande de Gaza, est celui qui aujourd’hui menace d’user des mêmes procédés envers les Kurdes. Et ce après avoir tiré un maximum de bénéfices de ses relations avec eux depuis l’invasion américaine de l’Irak en 2003. À croire que l’affaire palestinienne n’a été qu’une opération de marketing politique ayant quelque peu échappé au scénario initialement prévu, mais dont le but était uniquement d’affirmer le “leadership” d’Erdogan dans le monde musulman et de le présenter comme “seul défenseur” de ses causes.

Il faut rappeler que la Turquie soutient le gouvernement de la région autonome kurde dans le nord de l’Irak depuis quinze ans. Elle coopère avec lui dans la lutte contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ce groupe [émanant des Kurdes de Turquie] qui se bat contre le pouvoir central d’Ankara sur le sol turc.

Elle échange avec les autorités d’Erbil des informations qui ont permis de restreindre les capacités du PKK à mener des opérations de guérilla. Il est même arrivé à la Turquie de [traiter avec la région autonome du Kurdistan comme si elle était d’ores et déjà indépendante], quand elle a envoyé en 2013 son ministre des Affaires étrangères à Erbil sans passer par Bagdad.

Fameux “réalisme”.

Ankara a également tissé des liens économiques avec le Kurdista irakien. C’est en passant par la Turquie que l’essentiel de la production pétrolière kurde est exporté. [À la mi- septembre], cette production s’élevait à quelque 600 000 barils par jour, et est susceptible de monter à 1 million. C’est encore la Turquie qui lui fournit l’essentiel des produits alimentaires et de consommation, devenant ainsi un partenaire non seulement proche, mais incontournable.

Autrement dit, Ankara était le premier à bénéficier de la coupure entre Erbil et Bagdad, à faire en sorte que Bagdad n’assume pas ses responsabilités envers les Kurdes et à encourager les tensions entre le Kurdistan et l’Iran, allant jusqu’à utiliser les Kurdes pour briser le monopole de l’influence politique et militaire de l’Iran en Irak.

Or depuis que les Kurdes essaient de prendre leur destin en main, la Turquie a totalement changé d’attitude à leur égard.Kurdistan. Ankara choisira le pragmatisme. Après le résultat du référendum des Kurdes d’Irak, en faveur de l’indépendance, les gesticulations du président turc Erdogan ne tiendront pas la route devant la realpolitik et les gros bénéfices économiques que tire Ankara du Kurdistan.

Comme si la relation entre les deux ne pouvait être qu’à sens unique. C’est probablement le calendrier choisi par les Kurdes qui a agacé Ankara. Car le référendum coïncide avec la tentative des Kurdes de Syrie d’affirmer une sorte d’autonomie élargie. Et la situation dans le nord de la Syrie [le Kurdistan syrien] inquiète sérieusement la Turquie, parce que le PKK y est beaucoup plus présent qu’il ne l’est au Kurdistan irakien. Néanmoins, de bonnes relations avec les Kurdes d’Irak pourraient permettre aux Turcs d’avoir un soutien indirect pour “maîtriser” les Kurdes de Syrie.

La Turquie est peut-être également déçue par les Kurdes parce qu’ils essaient depuis un certain temps d’être moins exclusivement dépendants à son égard et de diversifier leurs relations économiques, notamment au profit de Moscou, depuis que le géant pétrolier russe Rosneft [a annoncé de gros investissements] dans le secteur des hydrocarbures au profit d’Erbil.

La région autonome a également emprunté près de 2 milliards de dollars auprès de différentes instances financières internationales. Toutefois, cela ne changera pas fondamentalement la grande dépendance kurde à l’égard de la Turquie. D’où cette question que l’on peut se poser : l’attitude turque ne s’explique-t-elle pas par de simples considérations tactiques, dans le but de préserver ses intérêts dans un futur État kurde indépendant, ou pour avoir un maximum de cartes en main lors des négociations à venir avec les Américains sur une redéfinition des zones d’influence régionales ?

C’est dans un avenir proche qu’on verra jusqu’où les Turcs sont prêts à aller pour briser le droit des Kurdes à disposer d’eux-mêmes. Ils peuvent très bien reculer, au nom du fameux “réalisme”, qui est la marque de fabrique de la diplomatie turque.

Hassan Haidar

Source Al-Hayat (Londres) 28 septembre 2017

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Moyen Orient, Kurdistan, Irak, Turquie, Syrie, Iran,

 

 

Dossier. La crise saoudo-qatarie

 Crise dans le Golfe. Pourquoi le Qatar est mis au ban par ses voisins

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L’Arabie Saoudite et ses alliés, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen, ont annoncé le 5 juin la rupture de leurs relations avec le Qatar, isolant ainsi cette petite monarchie du Golfe, accusée de soutenir des groupes terroristes. Le décryptage de cette crise sans précédent par le quotidien beyrouthin L’Orient-Le Jour.

Le “Sunnistan” [les États arabes sunnites du Golfe] est à nouveau éclaté. L’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, l’Égypte et le Yémen ont rompu le 5 juin leurs relations diplomatiques avec le Qatar. C’est une décision sans précédent qui illustre les nombreuses divisions au sein du “camp sunnite”. Les pays concernés ont annoncé de plus la suspension de toutes les liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec l’émirat qui est désormais exclu de la coalition arabe militaire qui intervient au Yémen.

Riyad et ses alliés ont justifié leur décision en accusant le Qatar de soutenir les “groupes terroristes” sunnites, y compris “Al-Qaida, l’organisation État islamique (EI) et la confrérie des Frères musulmans”, mais aussi les “groupes terroristes soutenus par l’Iran dans la province de Qatif”, [région portuaire située à l’est] en Arabie Saoudite. Le Qatar a réagi avec colère en accusant à son tour ses voisins du Golfe de vouloir le mettre “sous tutelle”.

Isoler diplomatiquement l’Iran

La crise sans précédent entre les partenaires du Golfe intervient une semaine après une vive polémique suscitée par des propos attribués à l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani. Ce dernier aurait critiqué la volonté de Riyad d’isoler diplomatiquement l’Iran tout en prenant la défense du Hezbollah et des Frères musulmans. Il aurait également tenu des propos assez négatifs sur les relations entre l’administration de Donald Trump et le Qatar, pourtant un proche allié des États-Unis.

Les autorités qataries ont affirmé avoir été victimes de “hackers” [qui auraient publié fin mai sur l’agence de presse officielle qatarie, QNA, de faux propos attribués à l’émir cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani], mais cela n’a pas empêché Riyad et Abou Dhabi de bloquer, en conséquence, les médias qataris, comme Al-Jazira, sur leurs territoires.

Tensions préexistantes

La récente crise médiatico-politique a rallumé la mèche de la discorde au sein du camp sunnite. Mais elle n’a fait que révéler les tensions préexistantes entre d’une part le Qatar et d’autre part Riyad et ses alliés, dont les stratégies sur la scène régionale sont souvent en compétition.

Riyad a fait du containment iranien son principal objectif dans la région. Plus qu’une politique, c’est une véritable hantise pour le royaume wahhabite qui craint que l’Iran accroisse son influence dans toute la région et déstabilise les régimes du Golfe en encourageant la révolte des populations chiites. Doha n’est clairement pas sur la même longueur d’ondes puisqu’il ne considère pas Téhéran comme un ennemi, encore moins comme un ennemi prioritaire. Doha refuse de couper tous les ponts avec Téhéran et continue d’entretenir des relations diplomatiques avec ce dernier. Le Qatar était par exemple en première ligne ces derniers mois pour négocier l’évacuation des populations civiles syriennes au sein des deux camps avec les milices chiites pro-Téhéran.

Riyad et ses alliés reprochent également à leur voisin de soutenir les groupes islamistes, voire djihadistes, sunnites, dans la région. Doha refuse de placer les Frères musulmans sur la liste des groupes terroristes et continue d’apporter un soutien à plusieurs groupes islamistes, proches de la confrérie, notamment en Libye et en Syrie. Abou Dhabi et Le Caire, qui considèrent pour leur part les Ikhwan [Frères musulmans] comme l’ennemi absolu, entretiennent des relations très tendues avec le Qatar depuis déjà plusieurs années. En chef de file du camp sunnite, le roi Salmane d’Arabie Saoudite, moins hostile que son prédécesseur à la confrérie, arbitrait jusqu’à récemment les conflits entre ces différents États. Mais, conforté dans sa ligne anti-iranienne par les récents discours du président américain Donald Trump, Riyad semble avoir décidé qu’il n’était plus question de tolérer la moindre dissidence au sein du “Sunnistan”.

Faire plier Doha

Le projet de Donald Trump de créer un Otan arabe, qui aurait vocation à combattre l’extrémisme sunnite comme chiite, ressemble aujourd’hui plus que jamais à un mythe. Les pays arabes sunnites ne parviennent pas à s’entendre autour d’une stratégie commune et Riyad n’est toujours pas parvenue à imposer totalement son leadership aux autres puissances.

Le Qatar, émirat aux moyens importants, notamment en gaz et en pétrole, mais qui reste un petit pays dans la région, apparaît néanmoins aujourd’hui plus isolé que jamais. Il ne peut même pas vraiment compter sur la Turquie, dont la politique n’est pourtant pas si éloignée, mais dont la priorité est aujourd’hui donnée au combat contre les Kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et leurs satellites dans la région [le président turc Recep Tayyip Erdogan a néanmoins appelé le 6 juin à résoudre la crise par les négociations et le dialogue].

Le rapport de forces est clairement à l’avantage de Riyad et de ses alliés, qui vont faire pression pour faire plier Doha. Par tous les moyens.

Anthony Samrani
Source L’Orient du jour

RIYAD POURRAIT FOMENTER UN COUP D’ETAT AU QUATAR

L’émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani, dans le palais royal, le 3 août 2015, à Doha. PHOTO / BRENDAN SMIALOWSKI / REUTERS

L’émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani, dans le palais royal, le 3 août 2015, à Doha. PHOTO / BRENDAN SMIALOWSKI / REUTERS

Plus le temps passe, plus les Saoudiens seront tentés par le recours à des solutions radicales pour faire plier Doha. L’enjeu pour eux : maintenir leur crédibilité de puissance régionale.

Une semaine après que l’Arabie Saoudite et ses alliés ont  rompu leurs liens diplomatiques avec le Qatar, la situation prend un tour inquiétant, observe le spécialiste de la région James M. Dorsey sur le site Command Eleven : “l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis semblent envisager de fomenter un coup d’État au Qatar”.

Et ils sont condamnés à ne pas répéter le scénario de 2014, quand ils avaient déjà exigé du Qatar la fermeture de la chaîne de télévision Al-Jazira : Or le Qatar avait refusé d’obtempérer, mettant ainsi en évidence aux yeux de tout le monde les limites de la puissance de ces deux pays.”

Aujourd’hui, à nouveau, “plus le temps passe, plus la situation devient compliquée”, les deux pays risquant de perdre la face après avoir mis la barre très haut.

Ils doivent donc absolument réussir à contraindre le Qatar à mettre genou à terre. En dernier recours, ils pourraient chercher d’autres moyens pour y parvenir, y compris un changement de régime, que ce soit par une invasion ou en fomentant un coup d’État.”

Le ministre des Affaires étrangères émirati a certes déclaré le 6 juin que le but de son pays était d’imposer au Qatar “un changement de politique et non pas un changement de régime”, comme l’a rapporté la presse d’Abou Dhabi. Mais des médias émiratis et saoudiens envoient également d’autres signaux.

Opération médiatique

Aussi bien le journal saoudien Al-Hayat que celui des Émirats The National avaient ainsi, dès le début de la crise, parlé d’un prince de la famille régnante du Qatar, Cheikh Saoud ben Nasser Al Thani, qui aurait l’intention de “retourner dans son pays pour y créer un parti d’opposition”.

De même, le journal saoudien donne la parole à l’ancien chef des services secrets du Qatar, Mahmoud Mansour, visiblement prêt à se mettre au service des Saoudiens. Selon lui, les dirigeants du Qatar devraient comparaître devant la justice internationale pour leur politique “criminelle de soutien à des fauteurs de troubles”.

En effet, non seulement Doha apporterait son soutien aux Frères musulmans, mais, à en croire ses allégations, il pourrait même “avoir donné l’asile à Abou Bakr Al-Baghdadi”, le ‘calife’ de l’organisation État islamique (Daech).

Des déclarations qui sonnent, en effet, comme une opération médiatique destinée à justifier un droit d’ingérence régionale.

Source us site Command Eleven 14/06/2017

PARIS , LE « MESSAGER » EUROPÉEN DU GOLF ? 

La diplomatie française redouble d’efforts pour tenter d’apaiser les tensions entre Riyad et Doha.

Appels au dialogue, rencontres, tentatives de médiation, la France multiplie les gestes en vue de rapprocher les points de vue entre le Qatar d’une part, l’Arabie saoudite et ses alliés de l’autre. Hier encore, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, annonçait qu’il allait s’entretenir par téléconférence avec le président français Emmanuel Macron et l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.

Dès le lendemain de la crise, qui a éclaté lundi dernier, la France s’est mise en ligne de front pour appeler au dialogue entre les frères ennemis. Le président français s’est entretenu avec ses homologues turc et qatari une première fois. À la suite de cette conversation téléphonique, le porte-parole du Quai d’Orsay a souligné que la France est « aux côtés des pays de la région dans l’intensification nécessaire de la lutte contre les groupes terroristes, leurs soutiens et leur financement ». Et pas plus tard qu’il y a deux jours, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a reçu son homologue qatari à Paris pendant la tournée européenne de ce dernier. Le ministre des Affaires étrangères de l’émirat, cheikh Mohammad ben Abdel Rahman al-Thani, a pour sa part affirmé que M. Macron a été « très actif dans la communication entre les différentes parties de cette crise (…) et la France parle aux gouvernements en faveur d’une désescalade ». Plus tôt, M. Le Drian avait également rencontré le chef de la diplomatie saoudienne, Adel al-Jubeir.

Ne pas souffler sur les braises
La France est sur tous les fronts diplomatiques de la crise, aux côtés de la Turquie et du Koweït, pour le séisme le plus grave dans la région depuis la création du Conseil de coopération du Golfe (CCG), en 1981 (à l’exception de l’épisode de l’occupation du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein, en 1990, et de la guerre du Golfe qui en a découlé).

« La France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a des responsabilités particulières au sein du groupe européen », précise Frédéric Charillon, professeur des universités en science politique et spécialiste des relations internationales. Dans ce coin stratégique du globe, elle est « sans doute l’une des puissances les mieux placées parmi les membres du Conseil de sécurité pour aider à renouer le dialogue », estime le chercheur. Par ailleurs, Paris « n’a aucun intérêt à souffler sur les braises », ajoute-t-il.

Et pour cause, au-delà de la sphère géopolitique, le Qatar présente un intérêt économique majeur pour la France. Au-delà de ses acquis fortement médiatisés dans le monde sportif (le PSG), le petit émirat a investi dans de nombreux domaines divers. Luxe, immobilier, commerce ou encore médias, Doha semble être presque partout. À noter que la France est le deuxième bénéficiaire des investissements qataris après le Royaume-Uni. La relation privilégiée avec Doha se renforce durant le mandat de Nicolas Sarkozy, aux dépens de l’Arabie saoudite. Par la suite, si François Hollande mène une politique autrement plus balancée entre Riyad et Doha, les relations entre le richissime Qatar et la France restent bonnes. La vente de 24 Rafale au petit émirat en 2015 menée par Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense à l’époque, souligne « la constance, la fiabilité, la crédibilité de la France », selon M. Hollande. Autant d’éléments avec lesquels le nouveau président français va devoir conjuguer.

Apaiser les tensions
Mais au-delà des sphères économiques, la crise entre le Qatar, l’Arabie saoudite et ses alliés représente une étape majeure pour Emmanuel Macron. Arrivé à la présidence il y a un mois jour pour jour, ses premiers pas sur le devant de la scène diplomatique moyen-orientale sont observés à la loupe, surtout par les pays de la région. Il porte un lourd poids sur ses épaules alors qu’il avait annoncé durant la campagne présidentielle vouloir « mettre fin en France aux accords qui favorisent le Qatar » et avait reproché au quinquennat de Nicolas Sarkozy d’avoir été trop « complaisant » à l’égard de Doha « en particulier ». L’ancien banquier va devoir prouver ses capacités de négociation pour ramener les pays frères autour de la même table. Tâche difficile alors que le chef de la diplomatie koweïtienne, cheikh Sabah al-Khaled al-Sabah, rappelait dimanche « l’inéluctabilité de résoudre la crise dans le cadre du Golfe ».

« Paris ne pourra naturellement pas régler seul un différend qui est d’abord l’affaire de pays arabes », note M. Charillon. « Emmanuel Macron peut réaffirmer la volonté de la France d’aider à apaiser les tensions de la région, et tenter de proposer de nouvelles méthodes. Mais le Moyen-Orient nous a appris à être prudents et humbles », conclut le chercheur.

Julie KEBBI

Source : L’Orient du Jour 14/06/2017

Entretien. Ferhat Aït Ali, économiste : “Doha a les moyens de résister”

Avec ses ressources économiques, ses relations diplomatiques et ses liens supposés avec les djihadistes, le petit émirat peut tenir tête à l’Arabie Saoudite, affirme l’économiste algérien Ferhat Aït Ali dans les colonnes du Temps d’Algérie.

Le Temps d’Algérie : Plusieurs sanctions économiques ont été prises à l’encontre du Qatar par l’Arabie Saoudite et ses alliés. Selon vous, quelles seront les répercussions économiques immédiates sur le Qatar ?

Ferhat Aït Ali : Le Qatar, émirat gazier par excellence et pays à faible densité démographique, qui n’a pas de besoins en infrastructures de base sur des distances importantes – mais qui n’a pas énormément investi sur son territoire par rapport aux émirats dont la plus grande part des investissements est nationale, et aux Saoudiens, dont les budgets explosent –, n’est pas, dans l’immédiat, dans une posture pire que celle de ses adversaires. Avec des rentrées annuelles à peu près équivalentes à celles de l’Algérie, il peut vivre avec des dépenses bien inférieures à celles de ses voisins, et sur des réserves généralement bien placées et rentables. Il aura certainement des surcoûts dus aux nouvelles distances à franchir pour s’approvisionner, mais il pourra éventuellement compter sur la Turquie, le Koweït, et même Oman, pour servir de relais ou de passages vers des marchés extérieurs?; il pourra aussi se rabattre sur des pays comme le Pakistan ou l’Inde, tout proches par voie maritime, pour contourner l’embargo saoudien qui ne vaut que vers l’ouest.

Le Qatar pourra donc résister économiquement. Mais combien de temps ? 
Il pourra résister assez longtemps pour voir ses adversaires soit réguler leurs passions, soit partir vers une aventure militaire qui coûtera cher à toutes les parties. Cet émirat, ne l’oublions pas, a des alliés assez puissants, dont les États-Unis, qui jouent un double jeu dans cette affaire.

Le Qatar peut également jouer la carte de ces fameux terroristes qu’on le soupçonne de soutenir, en en activant toutes les cellules dormantes s’il est directement attaqué. Économiquement, il aura toujours des débouchés pour écouler son gaz, et des fonds pour approvisionner son économie et se défendre le cas échéant?; de ce côté, il a de quoi tenir longtemps encore.

Quel sera le poids de cette crise sur l’Opep ?
Dans l’immédiat, l’impact semble être nul dans les deux sens, vu la perte de poids de l’Opep [Organisation des pays exportateurs de pétrole] et de ses membres sur les marchés pétroliers et les nouvelles technologies qui permettent de les contourner petit à petit. L’émirat est un État gazier par vocation, et cette ressource n’étant pas liée au pétrole sur les marchés, même les cours du gaz ne s’en sont pas ressentis. Par contre, un retrait du Qatar de l’accord actuel [sur les quotas de production], bien que sans incidence majeure sur les quantités de pétrole qu’il pourrait injecter en plus – 30?000 barils/jour –, pourrait représenter une incitation pour les autres pays à se débarrasser d’un accord qui les gêne, car sans grands résultats sur les prix. Cela pourrait alors tourner à la débandade au sein de l’organisation et sur les marchés.

Le fait que le Qatar se rapproche de l’Iran est très mal perçu notamment par l’Arabie Saoudite, mais aussi par les États-Unis évidemment. À quoi doit-on s’attendre ?
À part l’Arabie Saoudite, qui a fait de la guerre contre le chiisme une sorte de nouveau cheval de bataille dans sa tentative de leadership sur le monde musulman, aucun État n’a jamais réellement rompu avec l’Iran, même pas Israël. Et le Qatar ne peut pas se le permettre, en plus d’entrer en conflit, direct ou larvé, avec une puissance qui se trouve juste en face de lui et qui partage sa seule ressource, le gaz, sur des champs limitrophes aux contours indéfinis.

Des relations apaisées avec ce pays, quel que soit son régime ou son dogme religieux, sont une nécessité vitale pour cet émirat, et jamais l’Arabie Saoudite ne lui a demandé de cesser ces relations, jusqu’à l’avènement messianique du roi Salmane. Si le Qatar faisait quoi que ce soit qui déplaise effectivement aux Américains, ces derniers l’auraient déjà rappelé à l’ordre.

Source Le Temps d’Algérie 16/06/2017

AUCUNE ISSUE RAPIDE A L’HORIZON DE LA CRISE SAOUDO-QATARIE

Les Libanais du Qatar, à l’instar des nombreuses autres communautés d’expatriés dans le pays, s’inquiètent de la tournure de la crise qui sévit actuellement entre l’Arabie saoudite et ses alliés, d’une part, et le Qatar, d’autre part. Il faut dire que la communauté libanaise est forte de 35 000 personnes et qu’elle envoie annuellement au Liban un total de 54 millions de dollars.
L’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, a en effet rejeté une invitation du président américain Donald Trump à se rendre à Washington pour prendre part à une réunion de médiation entre l’émirat et l’Arabie saoudite, même si, selon certaines informations, il craindrait également d’être victime d’un coup d’État. Doha continue également de soutenir que toutes les accusations de soutien au terrorisme faites par Riyad et ses alliés sont « infondées », et, de source diplomatique, on estime désormais que la crise s’est installée dans un « tunnel obscur » dont l’issue est à l’heure actuelle très peu claire.
Il faut également ajouter à ce sombre tableau la chute la plus raide du riyal qatari depuis 1999, puisque même si, dans les faits, la monnaie de l’émirat n’est passée que de 3,64 à 3,65 face au dollar, il n’en reste pas moins que c’est là un indice peu prometteur de l’évolution de la situation. Les experts s’attendent à une nouvelle dégringolade dans le cas où la crise s’inscrirait dans la durée.
Sur le plan économique, les pénuries de produits en provenance d’Arabie commencent à se faire ressentir, et c’est désormais l’Iran et la Turquie qui ont proposé de prendre le relais afin que le pays reste à flot en matière de denrées alimentaires et de produits de première nécessité.

Source : L’Orient du Jour 12/06/2017

 

Voir aussi : Actualité Internationales, rubrique Géographie, Géopolitique, rubrique Moyen-Orient, Quatar, Arabie Saoudite, Iran, Irak, Liban, Syrie, Yemen, rubrique Politique, rubrique Economie, On LineQuelles répercussions de la crise du Golfe sur les relations israélo-qataries ?) , Une semaine après le début du blocus, le Qatar ne fléchit pas)