Kiyoshi Kurosawa fasciné par l’entre deux mondes. PHOTO dr
Après le succès de Shokuzai, le cinéma Diagonal renouvelle l’heureuse proposition d’offrir aux Montpelliérains les films du maître nippon en avant-première. C’est avec un titre court et efficace comme Real, que Kiyoshi Kurosawa nous revient pour un film plus accessible. Que les fans se rassurent, l’obsession pour la « semi-mort » qui hante les films du cinéaste n’a pas disparu.
Atsumi, talentueuse dessinatrice de mangas, se retrouve plongée dans le coma après avoir tenté de mettre fin à ses jours. Son petit-ami Koichi ne comprend pas cet acte insensé, d’autant qu’ils s’aimaient passionnément. Afin de la ramener dans le réel, il rejoint un programme novateur permettant de pénétrer dans l’inconscient de sa compagne. Ce n’est pas un film sur l’univers des mangas mais l’émergence de mangas réalistes au Japon a semble-t-il joué un rôle dans le choix du réalisateur.
Entre la science-fiction et l’anticipation, le réalisateur s’attache au décalage entre réalité et fiction pour conduire le spectateur dans un espace inconnu. Liés à une faute originelle, les personnages sont prisonniers de leur passé. Poussés par l’amour, ils vont tenter de pénétrer dans le brouillard épais de l’inconscient. Kurosawa ouvre un espace métaphorique et cinématographique qui montre un réel irréel. Il porte un regard sur notre société post-moderne où les personnages jouent en permanence à passer la ligne frontière entre le virtuel et le réel pour redéfinir un présent.
Avec Real, Kurosawa donne le pendant nippon au Cosmopolis de Cronenberg qui avait choisi d’adapter Don DeLillo au grand écran, lui, opte pour une nouvelle d’Inu Rokuro, A Perfect Day For Plesiosaur. Là où la réalité s’effondre, s’ouvrent l’espace mental et l’imaginaire pour le meilleur et le pire.
Liu Zhengyong « Looking Ahead », Jean Denant « Mappemonde », Grisor, C Gonzalez « El enjambre ». Photo DR
Musée Paul Valéry. Jean Denant, Curro Gonzalez, Grisor, Liu Zhengyong, « 4 à 4 », un nouveau cycle d’art contemporain.
Un nouveau cycle d’art contemporain s’ouvre au Musée Paul Valéry de Sète avec 4 à 4, première manifestation d’un rendez-vous qui se tiendra tous les deux ans et sera consacré à quatre artistes reconnus sur le plan international. Depuis samedi, on peut découvrir la première exposition issue, cette année, d’une collaboration avec Art Up !, la foire d’art contemporain de Lille qui s’est tenue en février dernier*. Le Musée Paul Valéry était présent au rendez-vous lillois offrant aux visiteurs un aperçu du travail des quatre artistes présentés actuellement en Île singulière.
Si Jean Denant (Sète), Curro Gonzalez (Séville), Dominic Grisor (Lille) et Liu Zhengyong (Pékin), oeuvrent dans le champ de la figuration, la juxtaposition permise à Sète donne une idée de la diversité à laquelle nous avons à faire. Le parcours débute avec Jean Denant qui partage sa conception du territoire. Un monde où se mêlent et s’opposent construction et déconstruction, un monde en chantier, un monde où l’homme qui se pense architecte en chef apparaît fragile. Dans L’Enterrement, l’artiste représente une scène de mise en bière. Le premier plan est occupé par un homme qui creuse à la pelle. Derrière lui en négatif, apparaissent les personnages proches du défunt. L’ensemble réalisé sur un tableau noir à la craie non fixée, dégage une force mystérieuse que l’on imagine disparaître et réapparaître en fonction des regards se portant sur le tableau.
Le Sévillan Curro Gonzalès joue d’une autre façon sur la notion de disparition en interrogeant la modernité. Il nous présente un monde familier teinté d’un « humanisme pessimiste » où se côtoient ironie et violence. Les couleurs sont parfois agressives. Les objets de consommation apparaissent comme des vecteurs de confusion. Dans le grand format El enjambre, l’artiste dissimule des grands hommes comme des cicatrices de l’histoire.
Les toiles de Liu Zhengyong font preuve d’une maîtrise enviable. Empreints d’un expressionnisme qui touche au spirituel, ses sujets, souvent des duos, affirment l’identité humaine à travers le temps tout en intégrant fortement le présent. Le peintre ose des conflits de teintes étonnantes. La matière picturale s’inscrit avec puissance et trouve sa liberté guidée par la lumière.
Fortement inspiré par le graphisme Dominic Grisor revisite les signes et les symboles de la profusion visuelle dans laquelle nous baignons pour inventer de nouvelles lignes. L’artiste fait preuve d’une belle maîtrise de l’espace et de l’épure.
JMDH
4 à 4 au musée Paul Valéry de Sète jusqu’au 11 mai.
Renseignements au 04 99 04 76 16
* voir notre édition du 5 février
C’est un livre découvert au hasard d’une balade chez les bouquinistes du bord de Seine. Une couverture vieillotte, mais deux signatures prestigieuses : Jean-Paul Sartre et Henri Cartier-Bresson.
« D’une Chine à l’autre », publié en 1954 par les éditions Delpire, un des grands noms de l’édition de livres de photos en France, rassemble les clichés pris par Cartier-Bresson lors d’un voyage de onze mois en Chine : cinq mois à la fin du règne du Guomintang, et six mois au début du nouveau régime de Mao Zedong, en 1948 et 1949.
Au moment où le Centre Pompidou présente une formidable rétrospective de la vie et de l’œuvre du plus grand photographe français du XXe siècle – dont certains des clichés de « D’une Chine à l’autre », y compris le plus connue, cette scène de panique à Shanghai –, ce livre permet de comprendre comment son travail s’inscrivait dans son époque, et comment il était perçu.
La préface de Jean-Paul Sartre permet elle de percevoir comment, avant l’ère de la télévision et d’Internet, le reportage photo, publié dans des magazines grand public comme Life ou Paris-Match, pouvait influencer les perceptions, comment, aussi, il pouvait être une arme de combat.
Des photos contre les préjugés
Rappelons qu’en 1954, en pleine guerre froide, la Chine n’a pas encore rompu avec l’Union soviétique : ça viendra plus tard, en 1961, lors de la publication du rapport Khrouchtchev sur les crimes de Staline, qui servira de prétexte à Mao pour s’émanciper de la tutelle de Moscou.
Jean-Paul Sartre est compagnon de route du Parti communiste, et Henri Cartier-Bresson a été très engagé au côté des communistes avant-guerre, aussi bien pendant la guerre d’Espagne qu’en France, comme le montre l’expo du Centre Pompidou.
L’année suivante, d’ailleurs, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir se rendront officiellement en Chine – Sartre relativement brièvement, laissant Simone de Beauvoir sur place pendant plusieurs semaines, dont elle tirera un incroyable livre (« La Longue marche », éd. Gallimard, 1957) de clichés propagandistes sur l’augmentation de la productivité à l’aciérie n°5 ou la vie idyllique d’une Commune populaire modèle…
La préface de Jean-Paul Sartre aux photographies de Cartier-Bresson n’appartient pas à ce registre. Elle est au contraire une analyse fine de la déconstruction des préjugés que permet l’art du photographe.
« A l’origine du pittoresque, il y a la guerre et le refus de comprendre l’ennemi : de fait, nos lumières sur l’Asie nous sont venues d’abord de missionnaires irrités et de soldats. Plus tard, sont arrivés les voyageurs – commerçants et touristes – qui sont des militaires refroidis : le pillage se nomme “shopping” et les viols se pratiquent onéreusement dans des boutiques spécialisées. »
Le philosophe se souvient qu’enfant, il fut lui-même victime du « pittoresque » : « On avait tout fait pour rendre les Chinois intimidants. » Et de donner la liste des clichés tenaces sur les Chinois.
« Puis vint Michaux qui, le premier, montra le Chinois sans âme ni carapace, la Chine sans lotus ni Loti.
Un quart de siècle plus tard, l’album de Cartier-Bresson achève la démystification. »
Des clichés « qui ne bavardent jamais »
On ne peut qu’être d’accord avec Jean-Paul Sartre quand il observe que Henri Cartier-Bresson a cassé l’idée d’une « masse » chinoise pour donner à voir des individus chinois.
Il était sans doute en avance sur son temps car Mao a fait en sorte, pendant les deux décennies suivantes, de donner au monde l’idée de cette masse, manipulable à merci, et il a fallu attendre les années 80 pour revoir l’individu chinois (lire ce qu’en dit le cinéaste Jia Zhangke).
Mais en 1954, Jean-Paul Sartre note :
« Il y a des photographes qui poussent à la guerre parce qu’ils font de la littérature. Ils cherchent un Chinois qui ait l’air plus chinois que les autres ; ils finissent par le trouver. Ils lui font prendre une attitude typiquement chinoise et l’entourent de chinoiseries. Qu’ont-ils fixé sur la pellicule ? Un Chinois ? Non pas : l’Idée chinoise.
Les photos de Cartier-Bresson ne bavardent jamais. Elles ne sont pas des idées : elles nous en donnent. »
La force de l’expo du Centre Pompidou
Les photos de ce livre magnifique sont à l’image de ce commentaire. Elles sont humaines, que ce soit dans l’évocation de la vie quotidienne des Chinois au milieu du XXe siècle, ou dans l’accélération de l’histoire que vit la Chine avec la victoire des « martiens » (l’expression est de Robert Guillain, le journaliste du Monde qui a assisté à l’entrée des soldats communistes à Shanghai en 1949) conduits par leur Grand Timonier.
On y voit les premiers pas des paysans-soldats de Mao dans la métropole de Shanghai et son architecture new-yorkaise, les premières parades et la naissance du culte de la personnalité, on y voit l’émergence d’un mythe politique qui fascinera bientôt l’intelligentsia française…
Jean-Paul Sartre a clairement choisi son camp. En conclusion de sa préface, il remercie Cartier-Bresson « d’avoir su nous montrer la plus humaine des victoires, la seule qu’on puisse, sans aucune réserve, aimer ».
Soixante ans après la publication de ce livre, il reste les photos, dont on imagine à quel point elles ont pu surprendre à l’époque ; comment, aussi, elles ont pu jouer dans un contexte politique français où le Parti communiste se vivait en phase avec une histoire politique planétaire.
C’est la force de l’exposition du Centre Pompidou, qui met chaque étape du travail de Cartier-Bresson dans son contexte, celui de la vie du photographe, et celui de son époque.
Le Vent se lève , le dernier film du maître de l’animation japonaise à découvrir sur les grands écrans.
Le Vent se lève, de Hayao Miyazaki, clôt l’oeuvre du grand maître de l’animation mondiale qui a annoncé que ce serait son dernier film. Il arrive comme une forme de testament artistique, de condensé de son oeuvre qui compte 11 longs-métrages géniaux. Miyazaki s’est imposé comme l’héritier japonais de Victor Hugo, Prévert et Van Gogh.
Le vent se lève s’intéresse à la vie de Jiro Horikoshi, un Japonais connu dans les années 1920 pour avoir conçu une des armes de guerre phares du pays, le fameux Zéro japonais, surnommé sur le terrain la terreur du Pacifique. Ce n’est pas la passion militaire qui anime Miyazaki et son héros mais la fascination pour les machines volantes. Le réalisateur développe le dilemme interne de l’ingénieur aspiré par le processus créatif et meurtri par l’utilisation qui sera faite de son travail.
Poète inclassable de la nature, Miyazaki narre l’histoire de son pays. Le film évoque les grands épisodes historiques mis en parallèle avec la vie des personnages. On peut voir un lien entre la maladie de la femme du héros et la guerre.De quoi fâcher le très nationaliste premier ministre Shinzo Abe.
Carte présentant les aires de colonisation scandinave jusqu’au Xe siècle. NB : La coloration jaune (XIe siècle) du sud de l’Angleterre et de l’Italie résulte d’une confusion Vikings / Normands de Normandie