Les forces armées vénézuéliennes étaient en position samedi le long de la frontière avec la Colombie après le déploiement ordonné par le président Hugo Chavez, en pleine crise diplomatique entre les deux pays, Bogota accusant le Venezuela d’abriter des guérilleros des Farc. Mais, alors que la tension montait entre les deux voisins, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) ont proposé vendredi au président élu Juan Manuel Santos, qui succédera officiellement le 7 août à Alvaro Uribe, de dialoguer pour trouver une solution politique au conflit colombien. Vendredi, Hugo Chavez a annoncé le déploiement d’unités d’infanterie et d’aviation à la frontière avec la Colombie, sans néanmoins en préciser les effectifs. Chavez a accusé le président sortant Uribe, avec lequel il entretient depuis des années des relations houleuses, d’être «capable de n’importe quoi dans les jours qui lui restent» au pouvoir. «Cela est devenu une menace de guerre et nous ne voulons pas la guerre», a-t-il ajouté.
Uribe dément
Le gouvernement du président Alvaro Uribe a démenti samedi avoir l’intention de lancer une opération militaire contre le Venezuela. «La Colombie n’a jamais eu l’idée d’attaquer le peuple frère de la République bolivarienne du Venezuela, comme le prétend le président de ce pays, trompant manifestement sa propre patrie», a affirmé un communiqué lu par le porte-parole de la présidence. Ce dernier a précisé que Bogota continuerait à avoir recours «aux voies du droit international» pour empêcher le Venezuela d’héberger des guérilleros. Le président vénézuélien a également menacé de suspendre les livraisons de pétrole aux Etats-Unis si ces derniers soutenaient une attaque de la Colombie contre son pays. Lundi dernier, Chavez avait annulé une visite à Cuba, affirmant que le risque d’une attaque aérienne colombienne n’avait jamais été aussi important.
La Colombie a installé une base aérienne
De son côté, l’armée de l’air colombienne a annoncé vendredi l’installation d’une base aérienne à Yopal, dans l’est de la Colombie, destinée à la surveillance de la zone frontalière avec le Venezuela et au combat contre les rebelles colombiens dans la région. Ce déploiement de troupes survient une semaine après l’annonce par Caracas de la rupture de ses relations diplomatiques avec Bogota, en réponse aux accusations du gouvernement sortant qui affirme que le Venezuela héberge 1.500 guérilleros et des dizaines de camps rebelles colombiens. Une réunion extraordinaire des chefs de la diplomatie sud-américains, jeudi à Quito, n’avait pas permis de rapprocher les deux pays. Le 22 juillet, l’ambassadeur de Colombie auprès de l’Organisation des États américains (OEA), Luis Hoyos, avait présenté une série de «preuves» (images satellites, coordonnées GPS, photos) de la présence «active» de rebelles colombiens au Venezuela.
Vendredi, le président Chavez a réfuté les accusations de Bogota, affirmant que l’armée vénézuélienne avait inspecté, sans rien trouver, les sites mis en cause par les autorités colombiennes. En Colombie, la guérilla des Farc a ouvert la porte au dialogue, proposant «une fois de plus, de discuter» avec le nouveau gouvernement de Juan Manuel Santos, investi dans une semaine. «Nous sommes toujours attachés à la recherche de solutions politiques. Nous souhaitons que le gouvernement qui va prendre ses fonctions réfléchisse et cesse de mentir au pays», a déclaré Alfonso Cano, principal chef des Farc, dans une vidéo diffusée sur le blog de la revue Resistancia, présentée comme un organe de diffusion de la guérilla. Les Farc, qui sont actives sur près de 50% du territoire colombien, compteraient entre 7.500 et 10.000 combattants.
Le réalisateur américain a estimé que le président du Venezuela était un modèle pour l’Amérique Latine et dénonce la « désinformation » qui règnerait aux Etats-Unis.
Le cinéaste américain Oliver Stone, dont le documentaire sur la gauche latino-américaine South of the Border sort vendredi aux Etats-Unis, déclare à l’AFP qu’il souhaite voir « un Hugo Chavez à la tête des Etats-Unis » et le considère comme un modèle pour l’Amérique latine. Pour le réalisateur de Né un 4 juillet, JFK ou Wall Street, « quoi qu’on en dise, la vérité c’est que (Hugo Chavez et son gouvernement) redistribuent l’argent au peuple, aident les gens, ils ne sont pas là pour enrichir et engraisser les grandes entreprises, c’est ça le plus important ».
Dans son film, le cinéaste veut dénoncer la « désinformation » qui règne, selon lui, aux Etats-Unis, chaque fois qu’il est question de Hugo Chavez. « Je voulais montrer la face cachée de l’histoire à un pays (les Etats-Unis) intoxiqué par les mensonges », déclare-t-il. Dénonçant le « tissu de conneries » écrites sur Hugo Chavez « chaque semaine » dans le New York Times et le Washington Post, Oliver Stone estime que la liberté de la presse est plus grande au Venezuela qu’aux Etats-Unis. Là-bas, « vous pouvez dire tout ce que vous voulez. Ici, on ne peut pas dire, par exemple, ‘Il faudrait renverser Obama’« , affirme-t-il.
Les fermetures de radios au Venezuela, dénoncées par l’opposition, « sont un mensonge », pour Oliver Stone, qui reconnaît éprouver une admiration sans bornes pour « le combattant Chavez ». Au risque parfois d’y perdre son sens critique. Les radios « ont fermé pour des raisons techniques », assure-t-il. « Sur le millier de radios du pays, trente ont fermé pour des raisons techniques, des problèmes d’autorisations, et parce qu’elle violaient les lois du pays ». Et celles qui restent « sont majoritairement opposées à Chavez, alors il ne faut pas exagérer », s’emporte-t-il. Il estime que l’opposition vénézuélienne, loin d’être muselée, a suffisamment de canaux pour s’exprimer: « Vous allez sur (le site de vidéos) YouTube et il n’y a rien d’autre que des saloperies sur Chavez. C’est pour cela qu’il fallait un contrepoids à cette histoire », dit-il.
Oliver Stone ne s’est pas embarrassé de subtilités pour décrire la situation au Venezuela, et va jusqu’à le revendiquer. « Il est important d’être simple », affirme-t-il. Pour lui, les opposants aux changements en Amérique latine veulent rendre le débat plus compliqué qu’il n’est en réalité. « Quand vous êtes contre quelque chose, vous le rendez obscur, difficile à comprendre, plus complexe. Mais parfois, il faut être blanc ou noir », ajoute-t-il. « Il faut dire des choses simples comme ‘Les banques ne devraient pas garder tous les profits pour elles' ». « Quand Chavez et (le président brésilien) Lula sont arrivés au pouvoir, ils ont dit: ‘Nous voulons être maîtres de nos ressources naturelles, le pétrole est à nous, le gaz est à nous, ils appartiennent au peuple. Nous voulons distribuer les profits au peuple’. Et ils l’ont fait », poursuit-il.
« Ils ont dix ans d’avance sur les Etats-Unis », déplore-t-il. « Ici, on laisse les compagnies pétrolières tout voler et empocher les profits. Et qu’est-ce qu’elles en font? Elles se paient elles-mêmes, elles paient les actionnaires, elles paient de gros salaires, mais ne font rien pour aider la population. »
Selon des résultats portant sur 99,8% des bulletins dépouillés, Juan-Manuel Santos, candidat du parti social d’union nationale (Partido de la U), a obtenu 69% des suffrages avec neuf millions de voix. «Une fois de plus merci à Dieu, merci à la Colombie. Merci pour la confiance que neuf millions de Colombiens nous ont témoignée en dépit d’une pluie torrentielle et des matchs de football», a déclaré Juan-Manuel Santos devant des milliers de partisans rassemblés dans une salle de spectacles de Bogota.
Son rival, à qui il a rendu hommage en indiquant qu’il ne renonçerait pas à l’intégrer dans un «gouvernement d’unité nationale», l’ex-maire de Bogota Antanas Mockus, âgé comme lui de 58 ans, a pour sa part obtenu 27,5% des voix, avec quelque 3,5 millions de votes.
Juan-Manuel Santos, trois fois ministre (Commerce extérieur, Trésor et Défense) n’avait jamais auparavant eu de mandat électif. Il était cependant auréolé de victoires sur la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie, marxistes), à commencer par le sauvetage le 2 juillet 2008 lors de l’opération militaire Jaque de 15 de ses plus précieux otages, dont la franco-colombienne Ingrid Betancourt, qui fut l’une de ses collaboratrices lorsqu’il était ministre du Commerce extérieur. «Le temps des Farc est compté», a-t-il dit, provoquant les hourras de ses partisans. «Nous continuerons à les affronter avec toute la dureté et la fermeté», nécessaires, a-t-il promis en appelant la guérilla à libérer tous ses otages immédiatement, «de manière unilatérale».
DHuit ans après l’élection d’Alvaro Uribe, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes) sont encore actives sur près de 50% de territoire, mais ne cernent plus les villes. Les forces de l’ordre – police et armée – ont elles vu leurs effectifs doubler, passant de 220 000 hommes à 425 000. Cette politique a permis à Tulio A, comme à beaucoup de Colombiens, de pouvoir à nouveau sortir de Bogota sans craindre les enlèvements.
«Pendant deux ans, je n’ai plus pu aller (dans ma finca, ndlr). Ils avaient la liste des propriétaires terriens et les enlevaient» sur la route, raconte-t-il. Et, puis, ajoute cet électeur de Juan-Manuel Santos, «Uribe est arrivé»: «maintenant je peux y aller et il n’y a plus ni guérilla ni paramilitaires».
Alvaro Uribe a rapidement félicité son successeur, lui disant par téléphone qu’il priait Dieu «pour qu’il offre tous les succès à vous et votre famille», selon la présidence. Son rival Antanas Mockus, qui avait un temps suscité une vague d’adhésions auprès de Colombiens en accord avec sa dénonciation des violations des droits de l’Homme, de la «culture du narcotrafic», de la corruption et la violence, a également reconnu sa victoire. «Je veux féliciter Santos, son parti et les personnes qui ont voté pour lui», a déclaré l’ex-maire de la capitale (1995-97 et 2001-2003). La Commission européenne, dans un communiqué signé de Jose Manuel Durao Barroso, son président, a également félicité le futur président colombien.
Le scrutin a cependant été entaché par une certaine violence, avec onze policiers et soldats tués dans différentes attaques dont les auteurs n’ont pas été identifié. Sept policiers ont notamment été tués dans le département Norte de Santander, situé à la frontière vénézuélienne, dans une embuscade menée à l’aide d’un engin explosif, selon la responsable de la sécurité de ce département, Margarita Silva.
AFP 20/06/10
Premier Tour
Santos le dauphin d’Uribe largement en tête au premier tour de la présidentielle en Colombie
Contre toute attente, l’ancien ministre de la Défense Juan-Manuel Santos obtient une très large avance au premier tour de la présidentielle en Colombie. Il recueille 46% des voix alors que son rival l’ex-maire de Bogota, Antanas Mokus, obtient un peu plus de 21% des suffrages. Un second tour est prévu pour le 20 juin prochain. Ces résultats quasi définitifs ont déjoué les sondages qui donnaient les deux candidats au coude-à-coude. Juan Manuel Santos a proposé de nommer un gouvernement d’union nationale s’il est élu le 20 juin.
Avec 46% des voix au premier tour du scrutin, Jean Manuel Santos se voit déjà installé dans le fauteuil présidentiel, le rêve de toute sa vie. En célébrant dimanche soir 30 mai, ce résultat inespéré, l’ex-ministre de la Défense s’est posé en continuateur de la politique sécuritaire d’Alvaro Uribe et en rassembleur. Juan Manuel Santos a appelé de ses vœux un gouvernement d’union nationale, en promettant de faire de l’emploi sa priorité. Juan Manuel Santos sait qu’il doit sa victoire à l’immense popularité d’Alvaro Uribe. Il va continuer à en jouer mais il veut aussi, et déjà, s’en démarquer un peu.
Du côté des Verts, la déception est à la taille de l’illusion qu’avait suscitée la percée d’Antanas Mockus dans les sondages. Mockus a appelé lui aussi à l’union, celle des forces anti-uribistes, du parti libéral à la gauche. Une façon de rappeler que 40% des électeurs colombiens veulent un changement, moins de corruption et plus de justice sociale. Le défi pour le parti Vert est désormais de se consolider comme une force d’opposition et, à terme, comme un parti gouvernemental crédible. Un défi immense.
Une semaine avant le scrutin tous les enquêteurs donnaient en effet au coude-à-coude Juan Manuel Santos et Antanas Mockus. L’écart entre les deux est de 25 points, on ne peut pas parler de marge d’erreur. Les sondages annonçaient également une participation record notamment de la jeunesse. Nouvelle méprise, l’abstention a comme d’habitude atteint 50% des voix. Et c’est le candidat Mockus qui a apparemment fait les frais de cette apathie électorale. Antanas Mockus est un universitaire assez excentrique qui a été deux fois maire de Bogota. Grâce à son image d’homme intègre, il a joué les outsiders dans la campagne. Son vrai parti est son programme politique.
Juan Manuel Santos, lui, a compté sur ce qu’on appelle ici, la machine électorale du parti uribiste et l’appui du président de la République qui est ouvertement intervenu dans la campagne électorale, ce que la Constitution interdit normalement. Juan Manuel Santos est assuré de remporter le deuxième tour. La question pour les Verts est de savoir si Antanas Mockus doit maintenir ou non sa candidature.
RFI 31/05/10
Second tour
Présidentielle en Colombie: les jeux sont quasiment faits
Deuxième tour aujourd’hui dimanche 20 juin de l’élection présidentielle en Colombie où Juan Manuel Santos, le dauphin du président sortant Alvaro Uribe, est donné favori. Toutefois, l’effervescence électorale semble être complètement retombée. Tant il est vrai que le deuxième tour des présidentielles ne passionne pas les Colombiens. L’ex-ministre de la Défense Juan Manuel Santos est sûr de l’emporter et le prof de maths Antanas Mockus est sûr de perdre. Ouverture des bureaux à 13h TU.
Fort de son avance inespérée au premier tour, Santos a réussi à rallier tous les grands partis et les petits candidats de droite autour d’un nouveau mot d’ordre, l’unité nationale.Le programme de Juan Manuel Santos est simple, il entend assurer la continuité de la politique menée par Alvaro Uribe. Priorité donc à la lutte contre la guérilla et à la pacification du pays, qui reste pour la majorité des électeurs colombiens un enjeu essentiel.
Du coup, du côté des Verts le coeur n’y est plus. Antanas Mockus, trop honnête pour un politique et très confus, n’a pas trouvé les mots pour ressusciter l’espoir phénoménal du premier tour quand les sondages le donnaient gagnant. Pourquoi aller voter si les jeux sont faits et qu’il y a du foot à la télé ? L’abstention qui touche traditionnellement 50% des électeurs en Colombie pourrait bien battre des records ce dimanche.
RFI 20/06/10
Les trois handicaps de Santos
Santos, pour imposer sa vision, doit surmonter trois handicaps.
En tant que ministre de la Défense du président Uribe, il a été le champion de la politique de sécurité. Or celle-ci a été un tel succès que la sécurité n’est plus aujourd’hui, pour les électeurs colombiens, l’obsession prioritaire qu’elle fut.
Il est peu crédible pour vraiment s’attaquer avec passion aux inégalités sociales et à la pauvreté, lesquelles demeurent, malgré plus de 7 milliards de dollars d’aides américaines versées à la Colombie au cours de la dernière décennie.Selon un rapport de l’ONU basé sur des chiffres de 2008 que cite le Washington Post dans son édition du 19 avril, 43% des Colombiens sont pauvres et 23% vivent dans une extrême pauvreté (à titre de comparaison, les chiffres du Brésil sont, respectivement, 26% et 7%).Santos, héritier d’une grande famille de l’élite sociale colombienne, fut ministre du commerce (1991-1994) et ministre de l’économie (2000-2002). Il est donc en partie responsable de cette situation et, contrairement à Uribe, qui faisait figure d’un homme anti-establisment, aimant les meetings dans des villages reculés, Santos apparaît plutôt comme un ami des puissants.Il n’a passemblé très à l’aise, par exemple, durant sa campagne électorale, au contact des pauvres.
Il est perçu comme l’héritier d’Uribe alors que le bilan de ce dernier est désormais réexaminé à l’aune des scandales de corruption et des massacres de l’armée.Santos a beau dire qu’il a puni les responsables militaires impliqués dans ces massacres de civils présentés comme des guérilleros (ce qu’on a appelé en Colombie « los falsos positivos »), et qu’il n’est pas Uribe, mais quelqu’un qui aura son propre style de gouvernement, son discours n’est pas très convaincant.
Présentée comme naturelle, la mondialisation sert de grille d’analyse à la plupart des politologues. Cette vision masque les contradictions qui traversent les relations internationales et minore le jeu des forces économiques, politiques et sociales. Souvent loin des feux médiatiques, les liens se font et se défont entre acteurs connus et moins connus d’une géopolitique en gestation.
Ce qu’on a résumé un peu rapidement par le mot « globalisation » ou par le terme très idéologique de « mondialisation » fut en réalité plus contradictoire que le mouvement harmonieux et univoque décrit par ses chantres. Négligeant ou méprisant le passé, ces derniers ont ignoré les lignes d’opposition qui affectaient la période, présentant comme archaïque toute contestation du nouvel ordre.
Une tout autre interprétation est pourtant possible. L’historien Robert Bonnaud, analyste des tournants historiques, explique ainsi : « Au cours du XXe siècle, l’histoire s’était décentrée, désoccidentalisée. L’expansion et même l’innovation étaient beaucoup mieux réparties. Etaient… car, à partir des années 1970 et 1980, la situation a évolué en sens inverse… Est-ce, pour les trois quarts de l’humanité, la fin de l’histoire (1) ? » En fait, le discours sur la globalisation a eu pour fonction essentielle de légitimer la domination financière occidentale, sous le manteau d’un aimable et naturel mondialisme.
On feint ainsi d’ignorer que, d’une part, l’actuelle globalité n’est, pour l’essentiel, que celle, bien conjoncturelle, des questions financières ; et que, d’autre part, l’unité planétaire des phénomènes historiques n’est pas une nouveauté. Il y a déjà un siècle et demi, l’historien et philosophe franco-italien Joseph Ferrari a pu écrire : « Dans mon Histoire des révolutions d’Italie, j’ai montré comment les Etats les plus variés marchaient sur la même route, sans le savoir… [Je cherche à confirmer] ces généralisations en expliquant le monde par la Chine (2). » Toute époque connaîtrait ainsi une sorte de mondialisation ou, plus justement, de mondialité. La seule question serait alors de savoir quels sont les phénomènes mondiaux dominants, et qui en profite.
De façon assez iconoclaste, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a posé la question : « La mondialisation est-elle un facteur de paix ? » Certaines conclusions éclairent autant les relations actuelles que les conflits passés : « Plus les pays sont ouverts au commerce international, plus leur conflictualité tend à augmenter. Le commerce bilatéral entre deux pays diminue la probabilité de guerre future entre ces deux pays. Le commerce total multilatéral entre ces deux pays et le reste du monde augmente la probabilité de guerre future entre eux. Il n’existe pas de relation claire et évidente entre commerce mondial et prévalence des conflits (1870-2001) (3). »
L’affaiblissement du monde unipolaire à la fin du XXe siècle et l’émergence sur la scène commerciale de pays à la démographie dynamique (Brésil, Chine, Inde, Afrique du Sud…) accentuent d’autant plus les confrontations que le néolibéralisme transforme les biens vitaux en ressources rares — eau, terres cultivables, hydrocarbures, etc.
Certes, la solidité et la prééminence des intérêts occidentaux ont pu alimenter les illusions quant à un équilibre relatif du monde. Les échanges transatlantiques constituent encore le principal moteur des relations commerciales internationales et la puissance américaine semble garantir une certaine cohésion. Mais le monde unipolaire issu des années 1990 a révélé des contradictions jusqu’alors souterraines.
Les plans de redressement successifs ont exposé au grand jour l’instabilité de l’économie américaine. Depuis 2003 et leur intervention en Irak, les Etats-Unis, affaiblis, éprouvent l’échec de la domination militaire (hard power). Les moyens budgétaires ne sont plus de nature à répondre à la situation et les forces armées subissent elles-mêmes une forme de crise ; l’US Air Force, la Navy et les marines voient leurs parcs d’appareils vieillir et les coûts de maintenance s’alourdir. La « politique du gros bâton » n’est apparemment plus réaliste, même s’il ne faut pas écarter une intervention en Iran, soit directe, soit par Israël interposé ; de plus, les régimes qui servaient de relais locaux, comme celui de l’Egypte, semblent s’essouffler.
Rêves gaullistes
en Allemagne
Le traditionnel partenariat transatlantique hoquette, et même le commerce, gage théorique de bonnes relations, marque des fléchissements. Ainsi le Conseil économique et social français constate-t-il : « Les différends commerciaux opposant en particulier les Etats-Unis à l’Union européenne se caractérisent de plus en plus par une non-mise en œuvre des décisions arbitrales de l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (4). » De quoi s’interroger sur une harmonie jusqu’alors présentée comme historiquement évidente. « Etats-Unis et Europe appartiennent-ils désormais à deux mondes différents ? Le débat sur le lien transatlantique dérive souvent vers un débat relatif à la pérennité de la communauté de valeurs entre les deux continents (5) », observe en 2005 M. Axel Poniatowski dans un rapport à la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale (6).
L’Europe elle-même, pourtant très avancée dans la croissance de son marché unique, subit des forces centrifuges. Si une augmentation très sensible du commerce intérieur a accompagné la formation de l’Union jusqu’en 1990, la croissance du commerce intracommunautaire est désormais, en dépit de l’élargissement à vingt-sept, moins soutenue que celle des exportations à destination de pays non membres de l’Union européenne. Même le commerce au sein de la zone euro a nettement fléchi (7).
Parallèlement, les relations politiques internes à l’Union ont évolué. Depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, et l’élargissement de l’Union à des pays d’Europe de l’Est, en 2004, l’Allemagne se retrouve au centre géostratégique du Vieux Continent. Symbole de son importance : elle siège au sein du groupe de contact sur la question nucléaire en Iran (8). La Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a souligné le « déficit démocratique structurel » de l’Union européenne en conditionnant la ratification du traité de Lisbonne à l’adoption de mesures destinées à « assurer l’effectivité du droit de vote et [à] préserver l’autodétermination démocratique (9) ».Affirmant ainsi à la fois la pérennité du peuple allemand et l’inexistence du peuple européen.
L’Union européenne vit de fait entre un apparent approfondissement de sa cohésion et un développement de ses contradictions internes. Au moment où les dirigeants européens imposent au forceps l’avènement du traité de Lisbonne — enfant des années 1990 —, M. Joschka Fischer, ancien ministre allemand des affaires étrangères, sonne le glas de l’époque en déclarant : « Nous n’introduirions plus l’euro aujourd’hui. (…) Nous devenons gaullistes. Comme la France, nous voyons de plus en plus l’Europe comme un moyen, non comme un projet (10). »
On peut ne discerner dans tous ces événements que des rééquilibrages, penser que l’Union européenne, un condominium Etats-Unis – Chine et une transformation du G8 en G20 permettront de gérer le monde sans remettre en cause la « bonne gouvernance ». Mais le monde est déjà à la fois dans une tentative de maintien de cette stabilité et dans un émiettement qui la contredit.
Un puzzle d’alliances à géométrie variable caractérise les oscillations entre un équilibre ancien et un autre en construction. Face à la globalisation financière reviennent les stratégies nationales, un patriotisme économique et social comme en Allemagne ou en Russie, voire, en Amérique latine, une dimension plus contestataire de l’ordre global.
Les groupes d’Etats liés par des accords officiels se multiplient : parallèlement à l’Union européenne ont été conclus l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), le Marché commun du Sud (Mercosur), l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Anase). La Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial du Japon, et ce dernier effectue la moitié de ses échanges extérieurs avec la région qui s’étend de la Corée du Sud et de la Chine à l’Australie. Dans le même temps, le groupe composé par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (BRIC) revendique officiellement un nouvel équilibre international ; on estime que « son poids total dans l’économie passera de 10 %en 2004 à plus de 20 % en 2025 (11) ».
Ces nouvelles solidarités soutiennent et critiquent tout à la fois l’ordre dominant, comme le montrent l’échec des dernières négociations de l’Organisation mondiale du commerce (cycle de Doha) et celui du sommet de Copenhague sur le climat. De façon plus radicale, des nationalismes économiques émergent et s’opposent à cet ordre même. Ainsi, l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS) (12) affiche, certes, des objectifs économiques, mais elle prend un aspect très politique en organisant des exercices militaires russo-chinois simulant ce qui ressemble à un débarquement à Taïwan.
Sur un autre continent, l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) rassemble des pays d’Amérique latine et des Caraïbes opposés à la traditionnelle domination des Etats-Unis. Affirmant le principe de la souveraineté populaire, ils contestent la suprématie du dollar avec la création du Système unique de compensation régionale (Sucre), monnaie commune adoptée le 16 avril 2009. La naissance de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) a marqué la prise d’autonomie du Brésil.
Dans ce monde multipolaire, les mêmes acteurs peuvent être à la fois alliés et opposés. Ainsi la Russie et la Chine — toutes deux membres du BRIC et du groupe de Shanghaï — acceptent-elles le discours antiterroriste de Washington… tout en gardant des liens avec Téhéran. Pékin, qui garantit le dollar par ses achats de bons du Trésor américain, évoque tour à tour la possibilité d’une monnaie asiatique puis l’arrimage du yuan au dollar. Brasília entretient de bonnes relations avec Washington mais aussi avec La Havane, et appuie l’accession de Téhéran au nucléaire civil. Luttant dans son pays contre la hiérarchie catholique au nom de la laïcité, le président vénézuélien Hugo Chávez s’affiche aux côtés du régime théocratique de M. Mahmoud Ahmadinejad. Grand ami du chef d’Etat Luiz Inácio Lula da Silva, le Bolivien Evo Morales conteste le rôle du G20… dans lequel le Brésil joue sa partition.
Tentant de réagir aux volontés d’émancipation, les forces conservatrices soutiennent le coup d’Etat au Honduras, menacent le Venezuela ou se félicitent du retour de la droite au Chili. Les illusions se multiplient quant à une mondialisation plus morale, sociale ou écologique. Si l’ordre existant dispose des moyens de durer encore, la crise idéologique du mondialisme et de son épicentre, les Etats-Unis, affaiblit la confiance dont il bénéficiait encore ; la crise financière, depuis 2008, en est le révélateur.
Trop d’alliances nouvelles ou potentielles s’éloignent du cadre existant pour qu’on puisse les considérer comme marginales. L’historien et chroniqueur William Pfaff, spécialiste de la politique étrangère américaine, dresse un parallèle entre la victoire de l’opposition social-démocrate au Japon, l’élection de M. Barack Obama aux Etats-Unis et le débat mené au Royaume-Uni quant à l’avenir des relations transatlantiques (13). On peut ajouter à cette liste nombre de positionnements nouveaux, tels que l’évolution de la diplomatie allemande, les nouveaux contacts entre Russie et Pologne, les réorientations stratégiques de la Turquie (14)… Ainsi se profile, au sens de Ferrari, une nouvelle mondialité, c’est-à-dire un lien objectif, un cheminement commun à des acteurs apparemment éparpillés.
André Bello.
Ancien président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale ; auteur de Pourquoi je ne suis pas altermondialiste – Eloge de l’antimondialisation, Mille et une nuits, Paris, 2004 et d’Une nouvelle vassalité. Contribution à une histoire politique des années 1980, Mille et une nuits, Paris, 2007.
(1) Robert Bonnaud, Y a-t-il des tournants historiques mondiaux ?, Kimé, Paris, 1992.
(2) Joseph Ferrari, La Chine et l’Europe, leur histoire et leurs traditions comparées, Librairie académique, Paris, 1867.
(3) Institut de sciences humaines et sociales, CNRS, 14 avril 2008.
(4) Conseil économique et social, avis du 24 mars 2004 sur le rapport de Michel Franck, Paris.
(5) L’abandon du bouclier antimissile peut ainsi également s’analyser comme la manifestation d’un intérêt moins prioritaire des Etats-Unis pour l’Europe.
(6) Rapport n° 2567 du 11 octobre 2005.
(7) La part du commerce extérieur intrarégional des Quinze a représenté jusqu’à 66 % en 1990 ; elle était de 61 % en 2004. Au sein de la zone euro, cet indicateur passe de 55 % en 1990 à 51 % en 2004.
(8) Ce groupe comprend les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), plus l’Allemagne.
(9) Arrêt du 30 juin 2009 concernant la constitutionnalité du traité de Lisbonne. Lire Anne-Cécile Robert, « Où l’on reparle du “déficit démocratique” », Le Monde diplomatique, septembre 2009.
(10) Cité par Arnaud Leparmentier dans Le Monde, 16 juillet 2009.
(11) « BRIC II et la croissance big bang », Rediff.com, 10 novembre 2004.
(12) Aussi appelée pacte de Shanghaï, l’OCS regroupe la Russie, la Chine et des pays d’Asie centrale.
(13) « Notes sur une tentative de révolte », 5 septembre 2009.
(14) Lire Wendy Kristianasen, « Ni Orient ni Occident, les choix audacieux d’Ankara », Le Monde diplomatique, Juin 2010.
L’association pour le souvenir de l’exil républicain espagnol était samedi dernier sur la Comédie en soutien au juge Baltasar Garzon en lutte contre le franquisme.
Tenace figure du droit international, le juge Baltasar Garzon est à l’origine de l’arrestation d’Augusto Pinochet. Il occupe depuis 22 ans l’Audience nationale, la plus haute instance pénale d’Espagne et s’apprête à faire ses cartons. Ses pairs du Conseil général du pouvoir judiciaire (CGPJ), l’équivalent espagnol du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), devraient le suspendre de ses fonctions.
Le juge est poursuivi pour prévarication. C’est-à-dire pour avoir manqué au devoir induit par ses fonctions après avoir enquêter à la demande des familles des victimes en 2008, et voulu ouvrir une instruction contre le franquisme et ses crimes contre l’humanité. La plainte de trois associations d’extrême droite, dont la Phalange espagnole, a été suivie. Elle accuse le juge Garzon d’avoir monté » un artifice juridique « en requalifiant en crimes contre l’humanité, donc imprescriptibles, les disparitions forcées.
L’affaire ravive de part et d’autre des Pyrénées la mémoire d’une guerre jamais cicatrisée. » Une condamnation serait une nouvelle victoire de Franco « , s’est ému le cinéaste Pedro Almodovar le 13 avril, lors d’une mobilisation à Madrid.
A Montpellier L’ASEREF, reprend le flambeau. » Ce qui se passe est important pour l’avenir de l’Espagne et de l’UE. Les conditions économiques de crise favorisent les desseins totalitaires, comme on le voit en France avec le FN. On s’aperçoit par ailleurs que les franquistes tiennent toujours les rouages de la justice en Espagne, s’indignait hier le porte-parole de l’association Éloi Martinez, Au- delà de la mémoire l’heure est toujours à la définition de la démocratie. » Le gouvernement social démocrate qui s’en remet pour l’heure à la justice ne prend pas parti. » Nous les enfants et les petits enfants des 150 000 disparus dans les fosses communes, on n’a jamais signé la loi d’amnistie des crimes signée en 1977. J’ai le droit de savoir où est mon oncle… «