Nadia El Fani « En Tunisie les mosquées sont aussi pleines que les cafés »

Nadia El Fani :  » L’engagement ce n’est pas d’attendre la majorité ». Photo David Maugendre.

Nadia El Fani.Lauréate du prix international 2011 de la laïcité, la réalisatrice franco-tunisienne revient sur les écrans avec le documentaire, Laïcité inch’Allah.

Nadia El Fani, 51 ans, est réalisatrice de films. Fille d’un des ex-dirigeants du Parti communiste tunisien (à qui elle a consacré un film) elle s’est installée en France il y a dix ans parce qu’elle étouffait sous le régime de Ben Ali. En 2003, dans Bedwin Hacker, elle avait anticipé les événements en démontrant que la contestation viendrait d’Internet. Par la suite elle a eu envie de faire un film sur l’athéisme en terre d’islam. En filmant le peuple de la rue dans ses pratiques quotidiennes, Nadia El Fani dénonce l’hypocrisie religieuse. Sur le terrain politique, elle plaide pour un Etat laïc, appelant à la modification de l’article 1 de la Constitution tunisienne qui déclare que l’Islam est la religion d’Etat. Des opposants islamistes ont initié une campagne haineuse à son encontre, via les réseaux sociaux. Le compte « Pour qu’il y ait dix millions de crachats sur la tête de cette truie chauve » a totalisé près de 35 000 « j’aime ». Le propos sur la laïcité de son dernier documentaire Laïcité inch’Allah est central à deux semaines des élections en Tunisie. Il dépasse les frontières de ce pays laboratoire.

Après avoir abordé le thème de la résistance au ramadan obligatoire, vous vous êtes clairement engagée en faveur de la laïcité en Tunisie…

 
La question centrale du film est celle de la liberté. De la liberté de penser et de vivre, de celle de faire ses choix. Pour asseoir cet espoir, de nombreux démocrates tunisiens se sont engagés pour combattre en faveur de la laïcité. Parce que c’est la seule petite porte par laquelle nous pouvons entrer pour faire émerger l’hypocrisie de la religion et sortir du mensonge. Beaucoup de partis « instrumentalisent » les croyances  pour imposer un pouvoir politique illégitime. Au Maroc, Mohamed VI se prétend le commandeur des croyants en tant que descendant du prophète. Ce n’est pas le cas en Tunisie.

Comment s’est déroulé le tournage ?

 
J’ai débuté le tournage sous Ben Ali, en août 2010. Je voulais montrer comment les gens vivent le ramadan obligatoire. Les mosquées sont pleines comme les cafés sont pleins. La majorité des gens ne font pas ramadan mais se cachent. Quand la révolution a démarré, j’étais en plein montage. Je suis retournée en Tunisie en décembre pour participer au mouvement. La question de la laïcité a été un des premiers sujets débattus après la chute de Ben Ali. On voit dans le film la place que prend ce débat. D’ailleurs c’est ce point qui a fait apparaître les islamistes qui s’en sont pris aux femmes. Sinon, la situation sur place était très stimulante. Nous vivions un état de grâce. Les feux rouges ne fonctionnaient plus, on se laissait passer. C’était une agora permanente. Je me suis engagée aux cotés des progressistes parce que je pense qu’il est extrêmement important que l’on inscrive le principe de laïcité dans la future constitution.

Comment les tunisiens vont s’y retrouver avec l’explosion du nombre de listes * électorales ?

 
Il faut souligner que depuis la chute de Ben Ali l’Etat fonctionne en Tunisie. Les services publics ne se sont pas arrêtés , il n’y a pas de coupure de courant, et les fonctionnaires sont payés. Ce qui est bon signe pour un pays qui vient de sortir de la révolution. Dans ce type de situation l’émergence des partis est assez normale. Les petits partis essaient de faire campagne mais ils n’ont pas de moyens, à la différence des partis islamistes qui sont soutenus par l’étranger. Le peuple a mené un combat exemplaire et il reste très vigilant.

Vous défendez la liberté citoyenne mais aussi la liberté artistique ?

 

On ne quémande pas sa liberté artistique, cela s’arrache. On doit l’exercer. On manque en revanche d’un courant fort pour la défendre. Chez les intellectuels, les prises de positions claires sont rares.

Vous avez reçu des menaces des islamistes tunisiens…

 
Les islamistes ont manipulé mon propos et déformé  mon état d’esprit. Je ne combat pas contre l’Islam. Je ne dénigre pas les musulmans sincères. J’évoque le glissement de la religion de la sphère privée à la sphère publique. Je défends l’idée que chacun à le droit de penser et d’agir en toute indépendance. Dans un Etat où il est décrété que tout le monde appartient à la même religion, il est d’autant plus compliqué de se réclamer d’une idée et d’une pensée au mieux ignorée, au pire dénigrée et combattue.

Quel est le poids de l’histoire ? Comment la société tunisienne se situe-t-elle par rapport à la laïcité, le peuple tunisien vous semble-t-il mûre ?

 
Ce n’est pas ma préoccupation de savoir si la société est mûre ou pas. Moi je m’emploie à propager des idées progressistes. Les islamistes  se servent de cela comme arguments. Il disent : On vient de faire une révolution, on a plein de chose à régler. La Laïcité n’est pas une priorité. Cela disant, ils confisquent juste la liberté de penser. Mais comment peut-on réfléchir aux principes de la démocratie en faisant cette impasse ? L’engagement ce n’est pas d’attendre la majorité. Avant la révolution, les forces de progrès n’ont pas attendu que tous les feux passent au vert pour dire qu’il y avait des choses à régler.

Ne faut-il pas pour autant que cette avancée soit portée par un élan populaire ?

On ne peut pas dire à la place du peuple que celui-ci n’est pas prêt pour la laïcité. Il faut en revanche expliquer que piétiner la laïcité c’est un problème de liberté. Il y a  cinquante ans au moment de l’indépendance, on a déjà éliminé la réflexion sur cette question majeure. On ne peut pas continuer de refuser le problème aujourd’hui.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

111 partis politiques se présentent le 23 octobre prochain pour l’élection d’une Assemblée constituante.

Tunisie. Election de l’Assemblée constituante du 20 au 23 octobre.

Comment voter en France

L’Instance Régionale Indépendante pour les ElectionsFrance Sud informe les citoyens tunisiens résidents en France que les élections de l’assemblée constituante tunisienne auront lieu les 20, 21 et 22 octobre de 8h à 18h. Il s’agit d’élire des députés pour les tunisiens du sud de la France qui siègeront au sein de l’assemblée constituante en choisissant une liste parmi les 23 candidates.

Le vote aura lieu dans 71 bureaux répartis sur tout le territoire du sud de la France. Les électeurs peuvent consulter les listes électorales pour vérifier leurs bureaux de vote d’inscription à l’adresse

Les électeurs inscrits doivent se rendre au bureau de vote munis de leur Carte d’Identité Nationale Tunisienne ou de leur passeport tunisien. Le reçu d’inscription est fortement recommandé. Les électeurs non inscrits pourront également voter. Ils devront aller au bureau de vote le plus proche munis de leur Carte d’Identité Nationale Tunisienne ou de leur passeport tunisien et de leur carte consulaire. S’ils constatent qu’ils ont été inscrits automatiquement, ils pourront voter sur place, sinon, ils seront dirigés vers des bureaux spéciaux.

Le scrutin a lieu en un seul tour. Les sièges sont répartis au niveau des circonscriptions selon un mode de représentation proportionnelle à scrutin de liste.Irie France 2 a été créée par l’Instance Supérieur Indépendance pour les élections (ISIE) afin d’organiser, d’observer et de veiller au bon déroulement des élections dans la circonscription électorale France 2.

La campagne électorale est interdite dans les lieux de culte, sur les lieux de travail et dans les établissement scolaires et universitaires A Montpellier le bureau de vote est ouvert du jeudi 20, au samedi 22 octobre, de 8h à 18h. Il est situé Espace Jacques 1er d’Aragon (salle polyvalente), place de la révolution francaise, 117, rue des états généraux.

Contact: irie.france2@gmail.com

Voir aussi : Rubrique Tunisie, rubrique Rencontre,

Danse Latifa Laâbissi : « Ma responsabilité est toujours engagée »

Latifa Laâbissi. Photo Caroline Lablain

La danseuse et chorégraphe Latifa Laâbissi dont le travail ausculte la question du déterminisme social et culturel des minorités, investit actuellement le Domaine du Centre national chorégraphique Montpellier L.R dirigé par Mathilde Monnier. Les Domaines sont des propositions ouvertes permettant à des artistes de se saisir d’un espace de recherche nécessaire à la construction et à la réalisation de leur projet, tout en offrant au public la possibilité de circuler et de pénétrer dans le dispositif de la création chorégraphique. Depuis lundi, Latifa Laâbissi a animé un atelier avec la chanteuse Dalila Khabir. Elle propose au public d’assister à différentes projections qui nourrissent son travail, et présente ce soir son spectacle Loredreamsong à 20h dans le studio Bagouet.

On vous sent plutôt à l’aise face à cette proposition du Domaine ?


Oui je sors d’un atelier mené sur la matière mixte corps et voix avec la chanteuse Dalila Khabir. Le dispositif des Domaines me paraît tout à fait adapté. Cette possibilité d’aller à la rencontre d’autres projets artistiques de manière large me semble être au cœur des enjeux de la création contemporaine. Moi qui me nourris beaucoup du cinéma, cela me permet de faire partager ma recherche, sur le plan théorique, mais aussi en faisant émerger des associations inattendues qui font sens.

Pasolini, Alice Diop, Spike Lee, Kara Walker, les œuvres que vous mettez en résonance révèlent par différents endroits la colonisation et l’agressivité de la culture occidentale…


On observe cependant une différence entre le regard  porté sur la situation afro-américaine par les artistes et la pensée critique américaine qui va au bout des choses, et la position française qui traite la question de la colonisation de façon très refoulée. Ici on reste plutôt dans un impensé et en voulant atténuer les phénomènes on oublie. Outre-atlantique, le statut critique permet de « problématiser » les questions, sans tomber dans le binaire du bon et du méchant, pour toucher la complexité. Et c’est profitable.

Où situez-vous la politique dans votre démarche artistique ?


Pour moi, l’art n’est pas un lieu de propagande. Mais il est concerné par la question politique au sens platonicien, celle d’une réelle mutation. Cela n’a rien de manichéen. L’art  s’attache à la question de la responsabilité, de l’organisation collective. Il participe à la nécessité de se prendre en charge collectivement, de se légitimer, de s’auto-légitimer… Je porte intrinsèquement ces questions dans mon travail.

Distinguez-vous vos responsabilités artistiques et citoyennes ?


Il n’y a pas de dichotomie à l’endroit de l’art. C’est une autre nature avec laquelle je joue. Pour moi il ne s’agit pas de se départir d’un camp. Je sais que dans cette société je m’ « auto-capitalise ». Ma responsabilité est toujours engagée. En ce sens je ne me sens jamais victime. Je n’ai pas peur des lieux communs. Je travaille beaucoup sur les clichés où s’infiltre l’idéologie pour les tordre.

Est-ce que le désir d’altérité vous amène aussi à tordre le langage de la danse ?


J’ai été formée à l’école abstraite américaine avec Cunningham, mais certaines données se révélant intraduisibles « chorégraphiquement », la parole est arrivée dans mon travail. Je ne me sens plus assignée au solfège de la danse. Je fais feu de tout bois, je parle, je chante, ma construction dramaturgique répond au choc des hétérogénéités. J’ai beaucoup à le défendre dans le milieu de la danse, mais bizarrement le public saisit les enjeux d’une chorégraphie qui choque le réel. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

 Ce soir à 19h installation vidéo de Kara Walker suivi  du spectacle Loredreamsong de Latifa Laâbissi à 20h.

Voir aussi : Rubrique Danse,

Rencontre Fred Vargas : Combat, amour et dépendance

Entretien avec Fred Vargas dans le cadre du Festival du Roman noir de Frontignan (FIRN) cet été où l’écrivain est reparu au terme d’une longue absence dans les festivals. Il émane de l’écrivain, une puissante détermination et une grande sensibilité qui ne vient pas la contrarier. Considérée comme la reine du polar français, l’auteur figure sur la liste des romanciers qui vendent le plus.

Traduite dans plus de quarante pays, elle est reconnue et encensée par ses lecteurs, mais comme Maria Vargas dans La Comtesse aux pieds nus, ne se laisse pas bercer par l’idylle qui la noue au succès.

La rencontre s’est tenue sur un coin de table peu après la libération de César Battisti dont l’auteur s’est fait l’ardente défenseuse à l’ombre des frasques médiatiques. Au moment de l’entretien, Fred Vargas ne tenait pas à aborder cette affaire pour préserver l’intégrité physique de l’auteur italien qui venait d’être libéré au Brésil.

Elle évoque son rapport avec ses personnages, notamment la psyché de l’intuitif commissaire Adamsberg en prise avec l’âme noire des cavaliers terribles dans son dernier livre, L’Armée furieuse.

César – A quoi tient votre absence des festivals ?
Fred Vargas – Depuis quelques années, je ne me rends plus dans les festivals. Je ne me sentais pas le cœur à participer à des festivités. Le FIRN, c’est différent. C’est une affaire d’amitié, de solidarité affective et de politique littéraire. Ici, c’est particulier. Je ne dirais pas qu’on y est bien accueilli parce que c’est plus fort que cela. C’est un peu la famille. Je me sens à l’aise. C’est amicalement doux.

On connaît votre combat en faveur de César Battisti que vous accompagnez d’une grande discrétion médiatique. Pourquoi choisir l’engagement privé plutôt que celui de l’auteur reconnu ?
Je ne suis pas une militante et la notoriété s’avère parfois à double tranchant. Je me suis engagée dans cette bagarre politique depuis quatre ans. Parfois le pouvoir politique agit sur les hommes de manière injuste.

Depuis mon enfance, j’ai toujours été sensible à l’injustice et à la cruauté. Il y a des choses qui croisent le chemin de votre vie sans que vous sachiez pourquoi. Et puis on se retrouve dans une situation qu’il faut gérer. Quand je commence un travail, il faut que je le finisse. Je me suis impliquée dans cette affaire, et cela m’a pris un certain temps.

La récurrence des héros de roman noir est-elle une dépendance ?
Nous allons aborder cette question difficile lors d’une table ronde. Je n’y ai pas encore répondu. Cette récurrence est à la fois un réconfort et un risque de dévotion par rapport à son personnage.

C’est ni plus ni moins différent qu’avec les gens que l’on aime dans la vie. J’aime les organisateurs de ce festival et cela crée une forme de dépendance avec eux. Le petit-déjeuner que l’on apprécie le matin est-il une dépendance ? Cela se passe un peu comme ça avec mes personnages. J’essaie de combattre la récurrence en créant des personnages nouveaux.

Ce n’est pas si confortable. Lorsque vous faites dix livres avec les mêmes personnages, il faut trouver de nouvelles histoires qui imprègnent leur vie. Vos personnages vous habitent affectivement. Vous avez envie de les retrouver. Il arrive aussi que le héros évolue de lui-même, et pas toujours dans le bon sens. Je pense qu’Adamsberg devient de plus en plus placide. Il adopte une manière d’être très personnelle. Je lui envie sa capacité contemplative, sa façon de vivre les choses sans anxiété. (Elle allume une cigarette.)

Qu’est ce que cela vous inspire ? (Désignant l’image répulsive sur le paquet avec la légende « Fumer tue »).
A l’étranger, on utilise depuis longtemps les images les plus atroces à des fins pédagogiques. Au Brésil, une fois, j’étais derrière un homme à qui on venait de donner un paquet sur lequel était mentionné l’effet nocif du tabac sur la virilité. Il l’a rendu au commerçant en demandant : « pouvez-me donner celui qui donne le cancer ? »…

Dans L’Armée furieuse, vous jouez sur un double registre à plusieurs intrigues. Comment avez-vous abordé cette structure complexe où se mêlent superstition et enquête rationnelle ?
J’avais mon intrigue qui se déroulait à peu près comme je l’avais prévue. Dans ce livre, il y a une histoire en mode majeur et une petite thématique qui passe derrière ; le chœur de l’orchestre, c’est la légende de L’Armée furieuse.

Et d’un coup, je vois Adamsberg (commissaire zen sans véritable méthode d’investigation – ndlr) qui marche avec désinvolture dans la forêt, puis je vois une vieille dame assise sur le sentier. Il va dormir chez elle. Vous pourriez peut-être m’informer, je me suis dit. Je n’avais pas idée de où cela m’entraînerait.

Une partie de l’histoire se fait en écrivant. Des personnages arrivent, je les vois arriver, je les suis un moment et je parviens quelque part. Il faut laisser de la souplesse, c’est ainsi qu’a émergé l’histoire du pigeon. À un moment, bien sûr, l’histoire se termine. Il faut boucler avec tous les personnages.

C’est un exercice qui m’est assez difficile. J’aimerais faire des thrillers bien carrés, mais je n’y parviens pas. A chaque fois ça prend le chemin de l’école buissonnière.

C’est à cause d’Adamsberg ?
Sans doute, ce qui lui arrive le désorganise. Il laisse les choses se faire constamment. Et les rêves entrent comme par les portes battantes du saloon. Il n’a pas peur de l’arrière de son cerveau. Il ne se connaît pas lui-même et je ne le connais pas vraiment non plus.

C’est un type qui arrive à laisser monter les choses comme de l’eau, vous voyez ? Dans le livre, il est en prise avec son fils adoptif. Celui-là, j’ai peur qu’il devienne comme son père. Lui non plus, je ne le connais pas. Je le suis un peu selon les principes des contes à catharsis dans un univers indéterminé dans le temps et l’espace, magique, car tout peut y arriver.

Vous agissez de même avec la conscience de vos personnages secondaires ?
Je crois. J’aimerais que Danglard arrête de boire et puis il descend à sa planque et il le fait. Je ne suis pas d’accord. Est-ce que c’est une dépendance de regarder vivre ses personnages secondaires ?

Je m’y attache. C’est le cas avec les membres de la famille Vendermot : je les aimais bien. Mais je n’en dis pas plus pour ne pas donner de repères aux lecteurs. Je les respecte.

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh  (Cesar)

Titulaire d’un doctorat d’Histoire, sur La peste au Moyen-Âge, ex-chercheuse au CNRS, elle est spécialiste d’archéozoologie et a travaillé sur des chantiers de fouilles archéologiques. Ces dernières années, ses livres se sont vendus entre 500 000 et 1 million d’exemplaires. Elle a été récompensée de nombreuses distinctions. Son dernier ouvrage, L’Armée Furieuse est publié aux Editions Viviane Hamy.

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique  Roman noir, rubrique Rencontre,

Entretien Philippe Saurel « Ma vision de la culture à Montpellier »

Philippe Saurel vient de prendre ses nouvelles fonctions en tant qu’adjoint au maire délégué à la Culture suite au remaniement de l’équipe municipale décidé par Hélène Mandroux en juin dernier. Le socialiste (tendance Valls) qui se verrait bien dans le fauteuil du maire en 2014, était auparavant en charge de l’Urbanisme qui revient à Michael Delafosse (tendance Aubry), son prédécesseur à la culture. Philippe Saurel est aussi Conseiller général. Il est Conseiller municipal depuis 1995, (troisième mandat de Georges Frêche), il était alors délégué aux affaires sociales.

Comment s’explique selon vous ce remaniement de l’équipe municipale opéré par Hélène Mandroux à mi mandat ?

« Je pense qu’Hélène Mandroux a voulu booster l’ensemble de l’équipe municipale. Je n’avais pas demandé la culture mais j’ai accueilli cette délégation avec enthousiasme et j’envisage aujourd’hui cette responsabilité avec passion. J’occupe déjà au Conseil général de l’Hérault la vice-présidence de la commission culture.

Quelle est votre relation à la culture ?

Dès le plus jeune âge, j’ai fait du violon. A l’origine mon cursus est littéraire. J’ai par la suite poursuivi des études dentaires, puis j’ai repris l’université pour obtenir un DEA en histoire de l’art..

Quelle différence faite-vous entre art et culture ?

On peut considérer que tout est art. Cela dépend de notre appréhension. Un boulon, une vis, c’est de l’art. L’art pour moi, c’est tirer parti de ce dont on dispose pour arriver au meilleur. A la beauté, et plus encore à l’harmonie, qui est moins subjective que la beauté. J’ai une conception très ouverte de la culture. Je ne l’entends pas sous l’angle d’une accumulation de savoirs mais comme quelque chose qui nous unit, que l’on met en partage dans notre vie quotidienne. Je suis souvent touché par l’émotion que l’on trouve dans l’expression de la vie. Au spectacle ou au cinéma, je suis bon public.

Que vous évoque le concept d’excellence artistique ?

Personnellement pas grand chose, je souhaite conduire une politique culturelle qui ne soit ni élitiste ni populiste. La culture populaire peut être de grande qualité. Je pense au festival des fanfares dans le quartier des Beaux Arts qui est à la fois singulier et populaire. Dans le domaine de la photo, Montpellier a sa place entre Arles et Perpignan. Le travail que mène Gilles Mora au Pavillon populaire est remarquable et doit être poursuivi. Je pense qu’il faut en même temps positionner en réseau tous les acteurs montpelliérains de la photo. Avec Sophie Boniface-Pascale, nous allons signer une convention entre le service culture et les Maisons pour tous pour avancer dans ce sens.

Avez-vous eu le temps de vous plonger dans les grands dossiers ?

C’est en cours, je rencontre les acteurs culturels. Je viens de   faire connaissance avec Jean-Pierre Le Pavec, le nouveau directeur du Festival de Radio France. En 2012 nous ferons deux grands concerts gratuits place de l’Europe avec une soirée musique du monde et une soirée de musique classique et de musique de film. Je vais bientôt me pencher sur la Comédie du Livre. 2012 verra l’ouverture du centre d’art la Panacée. Ce projet de pépinière d’artistes, n’est pas incompatible avec celui d’un Musée d’art contemporain à vocation régionale. Je souhaite développer des relations productives avec les collectivités territoriales. En matière de culture il faut penser à une échelle supérieure à la ville.

Qu’avez-vous envie de dire aux créateurs montpelliérains ?

Les budgets 2011 sont consommés. Mais je serai extrêmement attentif à leurs demandes pour l’avenir. Dans les manifestations liées à la ville comme les Zat, je souhaite que leur participation soit plus grande. Je pense qu’il faut à la fois conserver les bons côtés de Quartier Libres et ceux des Zat. Allier les initiatives locales avec une nouvelle façon d’envisager la ville.

Le type d’alliance vers laquelle tendent toutes les politiques culturelles depuis Malraux sans y parvenir ?

Je suis utopiste. Je veux faire se rencontrer des mondes qui ne se rencontrent pas. Il manque une connexion entre l’institution culturelle et la culture populaire.

Quel regard portez vous sur le projet culturel du Parti socialiste ?

Une politique de gauche doit donner plus de place à la culture. C’est une affaire de cohésion sociale et de solidarité. Ce n’est pas un hazard si Lang a encore une image nationale. Je ne suis pas en accord avec la politique de Frédéric Mitterrand mais je lui reconnais une hauteur d’esprit. La gauche est vraiment la gauche quand les artistes et les intellectuels sont avec elle. Quand ils la désertent, elle est en piteuse état. Moi je suis pour la remise en question ».

recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi :  Rubrique Politique culturelle, Montpellier Christopher Crimes au Domaine d’O, Le retour des Guitar Heores , Le bilan du surintendant Koering, Première saison Scarpitta, Trois expos à ne pas manquer, rubrique Rencontre, Olivier Poivre d’ArvorJérome Clément, Marion Aubert,

La conférence de Christophe Pellet mise en scène par Stanislas Nordey

Stanislas Nordey, La Conférence. Photo Giovanni Cittadini

Par Jean-Marie Dinh

Ce ne sera pas comme le dit Stanislas Nordey, dans la première phrase de la pièce, « une erreur fatale de donner cette Conférence dans une entreprise culturelle française », mais une exception. Le Théâtre des 13 vents, dirigé par Jean-Marie Besset, est en effet à ce jour le seul CDN à avoir programmé ce texte de Christophe Pellet couronné grand prix de littérature dramatique en 2009. Cette séance inaugurale met en scène un auteur français à bout qui se lâche sur « la médiocrité » de l’institution théâtrale française et l’esprit français qui le détruit.

Dans une scénographie tricolore frontale, type meeting nationaliste, la performance d’acteur de Stanislas Nordey nous emporte dans une dualité hypnotique ou la hardiesse de l’acteur et du spectateur qui accepte de le suivre, s’émancipe de la représentation. Dans la salle à jauge réduite, la fièvre surgit du corps du comédien et les murs du théâtre s’effritent par la force de la parole. Dénonçant notamment les entreprises culturelles comme « lieux de perdition pour l’esprit et la beauté », ce texte, nous arrive comme un coup de poing.

Le monologue époustouflant  dépasse le stade de l’aigreur comme il franchit le périmètre du microcosme théâtral français qui en prend pour son compte. On touche aux questionnements profonds qui fondent l’honneur, le bon goût et l’attachement à la nation française. Le vrai l’emporte sur le faux, (ce qui nous reste inaudible), dans ce voyage lucide proche du point de bascule. On reconnaît la voix de souffrance, celle de la poétique de l’excès qui vous rend « irrécupérablement » génial ou simplement  méprisable.

Ce soir à  à 19h, rens : 04 67 99 25 00

 

Trois questions à Christophe Pellet

Dans quel contexte avez-vous écrit ce texte qui aurait pu être une contribution intéressante au débat sur l’identité nationale ?

Vous pensez ? Je l’ai écrit en 2005. Ce n’est pas un texte contre le théâtre mais contre le travail et la hiérarchie. Je me rends à l’évidence : fondamentalement, l’homme n’est pas fait pour travailler. J’ai écrit du théâtre, sur l’aliénation du travail, parce que c’est mon métier. Une amie hôtesse m’a dit : ce que tu racontes dans La Conférence, je le vis à Air Inter. Chacun devrait écrire sa conférence, les profs, les médecins, les cadres de France Télécom…

Le texte ne se limite pas à l’aliénation professionnelle, il questionne aussi l’esprit français sur lequel la politique culturelle théâtrale rayonne ?

Dans la pièce, le personnage fait feu de tous bois. Il est un peu excessif quand il dit qu’au XXe siècle les Allemand se sont inspirés de l’esprit français pour le conduire au point de non-retour, même si cela étaye le propos de certains historiens. C’est de la provocation. Je me provoque moi-même en écrivant. Mais ce n’est pas gratuit cela correspond à la souffrance que je ressentais à ce moment. Ce que je dis des Centres dramatiques nationaux, je ne l’aurais pas écrit aujourd’hui, parce qu’ils sont en danger et ça m’embête d’apporter de l’eau au moulin.

Le fait d’avoir vécu à Berlin, vous a-t-il permis de prendre la distance qui nourrit votre implacable lucidité sur la domination et la dangerosité des entreprises culturelles d’Etat ?

La mise à distance permet de sortir de l’aveuglement. La France regorge de figures artistiques dont le commerce nous assomme et le conformisme institutionnel nous empoisonne. Berlin offre un espace privilégié pour les artistes. C’est une ville  en mouvement permanent. Il y règne une atmosphère libertaire. La conférence  est une critique terrible. L’appropriation remarquable de Stanislas Nordey l’enrichit. Mes autres pièces sont plus utopiques, La conférence, c’est le texte le plus nihiliste que j’ai écrit. »

Voir aussi :  Rubrique Politique culturelle, rubrique Théâtre,   rubrique Rencontre, Olivier Poivre d’ArvorJérome Clément, rubrique Littérature,

Ce ne sera pas comme le dit Stanislas Nordey, dans la première phrase de la pièce, « une erreur fatale de donner cette Conférence dans une entreprise culturelle française », mais une exception. Le Théâtre des 13 vents, dirigé par Jean-Marie Besset, est en effet à ce jour le seul CDN à avoir programmé ce texte de Christophe Pellet couronné grand prix de littérature dramatique en 2009.

Cette séance inaugurale met en scène un auteur français à bout qui se lâche sur « la médiocrité » de l’institution théâtrale française et l’esprit français qui le détruit.

Dans une scénographie tricolore frontale, type meeting nationaliste, la performance d’acteur de Stanislas Nordey nous emporte dans une dualité hypnotique ou la hardiesse de l’acteur et du spectateur qui accepte de le suivre, s’émancipe de la représentation. Dans la salle à jauge réduite, la fièvre surgit du corps du comédien et les murs du théâtre s’effritent par la force de la parole. Dénonçant notamment les entreprises culturelles comme « lieux de perdition pour l’esprit et la beauté », ce texte, nous arrive comme un coup de poing.

Le monologue époustouflant dépasse le stade de l’aigreur comme il franchit le périmètre du microcosme théâtral français qui en prend pour son compte. On touche aux questionnements profonds qui fondent l’honneur, le bon goût et l’attachement à la nation française. Le vrai l’emporte sur le faux, (ce qui nous reste inaudible), dans ce voyage lucide proche du point de bascule. On reconnaît la voix de souffrance, celle de la poétique de l’excès qui vous rend « irrécupérablement » génial ou simplement méprisable.

JMDH

y Ce soir à 20h30 demain à 19h, rens : 04 67 99 25 00