Entretien avec Jean Varela directeur du Printemps des Comédiens

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Face aux mutations contemporaines, Jean Varela, le directeur du Printemps des comédiens, qui se tient jusqu’au 30 juin au Domaine d’O à Montpellier, évoque les défis de la politique culturelle publique.

Acteur, directeur de SortieOuest à Béziers et du festival du Printemps des Comédiens à Montpellier, Jean Varela figure aujourd’hui parmi les derniers mohicans. Dans la lignée de Jean Vilar et Gabriel Monnet c’est un acteur convaincu de la décentralisation culturelle et un fédérateur de talents artistiques, qui donne sens à la politique culturelle publique.

Cette troisième saison avec laquelle vous faite l’unanimité vous porte dans un quasi état de grâce. Quels étaient les ingrédients de base de votre programmation??

L’état de grâce, comme vous y allez… J’aime faire la cuisine, mais je n’ai pas vraiment d’ingrédient de base pour travailler la programmation. Je réponds cependant à certaines exigences, qui tournent autour du partage. La programmation est une alchimie particulière. On s’emploie à rassembler des artistes. Après on construit en regardant dans le même temps ce qui émerge. Il y a des renvois, comme par exemple entre les spectacles Kiss and Cry et Nobody, qui proposent chacun à leur manière, des images de cinéma en temps réel. Il s’est également dégagé un fil rouge autour du théâtre allemand avec Les revenants de Thomas Ostermeier, que je voulais faire venir depuis longtemps, le Woyzeck de Marie Lamachère, et le Richard II du Berliner Ensemble.

Le rôle de directeur artistique vous invite à répondre aux enjeux variés de la programmation artistique parmi lesquels l’hybridation des formes. Comment situez-vous l’art proprement théâtral dans cette profusion ?

Je me réfère à l’émotion. Pour présenter Kiss and Cry j’ai inventé une histoire un peu épique qui raconte une visite dans un grenier… Mais la sensualité du spectacle ; ce ne sont que des doigts qui bougent. Si on se réfère à la représentation habituelle du corps dans la pratique théâtrale, au premier abord, on peut éprouver un sentiment lié à l’absence corporelle, alors qu’en réalité, les artistes sont complètement dans leur corps. De la même façon, dans la pièce 300 El X 50 el X 30 EL de F.-C. Bergman, il n’y a pas de texte, mais le procédé narratif, proche du synopsis, nous emporte sans que nous quittions l’art de la représentation dramatique. On a beaucoup dit que le théâtre était en perte de vitesse ces dernières années. J’ai l’impression qu’il envahit d’autres formes d’expression comme la chanson, le cirque, la danse…, un peu comme l’olivier mort qui repart après le gel. Mais qu’est-ce que le théâtre ?

Face à la mutation profonde qui lamine les couches les plus fragiles de notre société et pèse fortement sur les classes moyennes, le spectacle vous paraît-il un moyen d’évasion ?

Je ne considère pas que le spectacle soit un moyen d’évasion dans le sens : offrir une récréation ou un divertissement. Pour moi, c’est un moyen d’édification. J’essaie de faire en sorte que notre action participe à la constitution des individus. Je pense que notre travail devrait se situer au commencement des politiques publiques pour contribuer à la découverte de la part sensible de chaque individu. En s’y prenant très tôt, dès le plus jeune âge, je suis convaincu que nous construirions une société différente, où les uns et les autres seraient plus forts que la crise économique. J’aimerais mesurer notre productivité en terme de bien-être. Envisager les choses ainsi suppose un travail sur le long terme. On a besoin d’un temps long.

Reste qu’aujourd’hui les vertus de la culture semblent loin de prendre le dessus sur les effets immédiats de l’orthodoxie économique. Une partie croissante de la population ne peut plus accéder au spectacle, tandis que le public habituel réduit ses sorties…

On observe concrètement dans notre environnement quotidien le problème du pouvoir d’achat. Les difficultés économiques imposent des choix aux gens qui se demandent : Où vais-je mettre mon argent disponible ? Le Domaine d’O peut procurer un bonheur immédiat avec une programmation qui nous ramène à l’intime, au partage, mais encore faut-il pouvoir le saisir. C’est pour cela que nous avons mis en place un tarif à 8 euros pour les jeunes de moins 25 ans.

Quels choix faites-vous par rapport aux conditions préoccupantes de création et de diffusion ?

Le Printemps est un festival où tous les artistes sont payés. En matière de création, nous affirmons la volonté que le festival redevienne une référence qui entraîne le désir d’autres grandes maisons de théâtre. Nous accueillons cette année beaucoup de programmateurs et de directeurs importants. C’est un travail de retissage pour faire en sorte que les spectacles qui naissent ici, aient une vie en région et hors région.

Que vous inspire la confrontation entre ce qui fonde aujourd’hui les valeurs politiques et culturelles, et notamment la situation alarmante de la culture à Montpellier ?

Je suis très inquiet de cette situation pour les structures. Cela me conforte dans les sentiments que j’ai toujours exprimés en disant : soyez conscients que nos outils qui paraissent immuables sont d’une fragilité extrême. Ils n’existent que par la volonté politique. Cette volonté est grande quand elle porte des projets. On ne doit pas toucher à ça. Il ne faut ni considérer la culture comme un élément d’adaptation budgétaire, ni s’en servir comme un élément de promotion personnelle. Moi je continue à avoir confiance en la chose publique, et j’ai la chance ici, d’avoir avec elle une relation exceptionnellement heureuse. Grâce à l’argent public, je m’efforce de diffuser des valeurs d’ouverture sur le monde dans lequel nous vivons. J’essaie de démontrer qu’à partir du moment où l’on donne les clés, on peut porter les gens très loin.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Festival, rubrique Rencontre, Entretien avec James Thiérrée,

Festival Arabesques : Il était une fois les chibanis

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Arabesques est un festival soutenu par le Conseil Général de l’Hérault, ouvert sur la Méditerranée, la diversité culturelle et la découverte des arts arabes. Chaque année la manifestation ouvre au Domaine d’O à Montpellier, la saison estivale du vaste espace dédié à la culture. Expositions, manifestations, débats, concerts, pièces de théâtre nourrissent ce rendez-vous autour d’une thématique. Pour sa huitième édition, le festival rend selon la volonté de son président Habid Dechraoui, un hommage aux Chibanis.

Histoire et mémoire

En Algérien, le terme signifie ancien, de manière étendue. Il fait référence à la population de travailleurs immigrés issus de l’Afrique du Nord. La présence des Chibanis en France métropolitaine est liée à la colonisation, et aux efforts de guerre des troupes musulmanes qui jouèrent un rôle décisif dans l’armée française en Afrique du Nord et dans la libération de la France. Cette présence atteint une importance inégalée avec l’immigration économique durant les trente glorieuses où les migrations de main d’oeuvre se transforment en implantation définitive. C’est dire si cet hommage qui éclaire les douloureux efforts consentis dans la solitude, tombe bien pour relire une période opportunément ignorée de notre histoire. A l’heure où la crise qui traverse le pays engendre un retour inquiétant de l’ignorance et de l’intolérance, revenir sur le parcours des Chibanis offre des clés de compréhension bien utiles.

Une démarche pédagogique

L’association Uni’Sons, qui porte le festival, rallie depuis ses premiers pas le jeune public à son travail. Des interventions artistiques sont conduites en partenariat avec les deux collèges du quartier de La Paillade. «Nous travaillons sur l’ouverture culturelle et sur l’identité en étroite collaboration avec les équipes pédagogiques», explique Abdou Bayou, le CPE du collège des Escholiers de la Mosson. Cette année une classe de 3e a travaillé sur l’histoire de l’immigration avec le concours des profs d’histoire, de français et d’espagnol. Après s’être documentés aux archives départementales en élargissant la recherche à d’autre pays comme l’Espagne, les élèves se sont rendus à plusieurs reprises dans les foyers Adoma de la ville pour échanger avec les Chibanis. «Beaucoup d’élèves qui habitent le quartier ignoraient l’existence de ces foyers. Concernant, les témoignages, nous avions convenu avec la directrice de laisser la porte ouverte. Certains sont restés un quart d’heure, d’autres du début à la fin de la rencontre. La traduction a favorisé l’échange. L’une des personnes à qui l’on demandait pourquoi elle peinait à user du français a eu cette réponse : Mon patron m’a toujours demandé de travailler, jamais de parler…»

Vertus de l’échange

Les élèves se sont passionnés pour ce travail d’enquête réalisé en dehors des heures de cours. « Cela les a amenés à s’interroger sur eux-même, et sur les autres, analyse Abdou Bayou, les ados se fabriquent des schémas de référence et oublient qu’ils en existent d’autres. Cette expérience les amène à comprendre que l’on doit cohabiter pour vivre ensemble. Je pense que c’était aussi positif pour les Chibanis qui n’avaient jamais eu l’occasion de transmettre, c’est valorisant d’être écoutés. Certains ont livré un regard critique sur le système, mais aucun n’a dit du mal de la France

Suite à ces rencontres les élèves ont écrit des récits de vie qui ont servi de matière à l’intervention artistique du metteur en scène Ali Merghache. «A partir des textes, nous avons travaillé sur le jeu d’acteur et construit une mise en scène». Celle-ci se compose de trois parties : le rapport à la guerre, quand les Chibanis portaient l’uniforme français, la vie quotidienne en France dans un foyer, et ce qui est resté là-bas, leur pays, leur femmes… « C’est un projet très intéressant qui est loin d’être anodin. D’un côté comme de l’autre, il y a une forte intensité. Pour beaucoup d’élève c’est un moyen d’interroger leurs racines. Les anciens qui ont vécu des vies très dures paraissent moins révoltés que nous. Ils étaient très touchés que l’on vienne à leur rencontre

Jean-Marie Dinh

Dans l’inconfort des habitudes

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Arabesques. Nasser Djemaï porte sur les planches l’histoire de l’immigration à travers la figure des chibanis. Rencontre…

Martin, la trentaine, hérite d’un petit coffret avec un nom et une adresse qui vont être le point de départ d’une quête identitaire le conduisant à la rencontre des Chibanis. Invisible mis en scène par Nasser Djemaï a dépassé le cap des cent représentations. La pièce est programmée aujourd’hui et demain au festival Arabesques.

Comment vous êtes-vous lancé dans cette aventure ?

Cette histoire est un peu celle de mon père arrivé en France en 1968. J’étais donc sensibilisé à ce sujet, jamais traité au théâtre. C’est un sujet casse-gueule, le danger aurait été de vouloir tout raconter. J’ai tenté d’ouvrir une petite lucarne pour mettre en lumière la vie de ses hommes qui sont arrivés pour travailler en se coupant de tout. Certains ont vécu la guerre contre leur propre pays. Leur désir de réussite s’est étiolé avec le temps. Ils se sont usés pour finir pauvres et oubliés. Il y a une dimension proche des Danaïdes dans cette histoire digne des tragédies grecques.

Avez-vous approché la réalité vécue sur le terrain ?

Oui, comme l’indique le titre, c’est une génération invisible. J’ai effectué un travail d’immersion à Grenoble, où j’ai passé un bout de  temps dans les cafés sociaux. Au foyer Adoma j’ai pu approfondir  en rencontrant des personnes qui connaissent bien le vécu de ses hommes toujours très discrets.

Quelle place réservez-vous aux femmes ?

Les femmes sont traitées de manière virtuelle. Elles hantent l’espace comme des fantômes. Elles apparaissent immenses, projetées en fond de scène sur quatre mètres de haut. Leur absence nourrit les fantasmes…

Comment peut-on s’expliquer le fait que ces hommes soient restés seuls après la loi sur le regroupement familial ?

Cela est lié à plusieurs facteurs. Il y a d’abord l’illusion du provisoire. Les Chibanis ont toujours nourri l’espoir d’un retour au pays. Ils ne comptaient pas s’installer en France. Les années passant, ils ont compris que leurs salaires ne leur permettraient pas de revenir chez eux. Ils ne vivaient pas de grand chose, mais avec l’argent qu’ils envoyaient à leur famille il fallait toujours travailler plus. Les années défilent et les enfants grandissent sans vous. On finit par s’habituer à votre absence. Et puis il y a le mythe du tonton d’Amérique que l’on entretient lorsqu’on se rend au pays les bras chargés de cadeaux pour tous. Au final le décalage s’enracine et vous renoncez à accueillir vos proches pour les faire vivre dans des conditions qu’ils n’imaginent même pas.

Quelle a été la nature de votre travail avec les comédiens ?

Il y a six comédiens. Pour Martin, je voulais un jeune homme naïf avec une maîtrise de la langue française pour favoriser l’identification des spectateurs. Pour les Chibanis cela a été plus difficile de trouver des comédiens d’origine arabe de plus de soixante ans. Leur savoir faire s’est perdu parce que le théâtre ne leur donne pas de travail. Ils sont employés à la télé ou au cinéma. Il a fallu se remettre sur les rails, remuscler par la pratique. C’est un peu comme un piano que l’on accorde. Aujourd’hui ils usent de toutes leurs cordes pour passer de l’histoire intime à l’histoire universelle des hommes. Ce sont des personnages totem.

Recueilli par JMDH

 

Repères historiques

Les manoeuvres de la république

Durant les trente glorieuses, pour sa reconstruction puis sa croissance économique, la France a d’importants besoins de main-d’oeuvre. Elle fait appel à de jeunes hommes pauvres et isolés venus d’Afrique et du bassin méditerranéen. Peu formés, peu exigeants, et peu payés, ils sont souvent employés avec des contrats de travail à durée limitée comme manoeuvre dans les travaux publics et les entreprises du bâtiment mais aussi comme ouvriers spécialisés (OS) du travail à la chaîne, en particulier dans l’industrie automobile.

La différence de niveau de vie, de développement économique et de potentiel démographique entre le Nord et le Sud, entre la métropole et ses colonies, puis avec les pays du champ de coopération nourrit ce mouvement de population.

Les travailleurs vendent leur force de travail, dépensent le moins possible sur place, afin d’envoyer à leur famille la plus grande partie de ce qu’ils peuvent économiser et songent surtout à rentrer au pays dans l’espoir d’y mener fortune faite, ou au moins épargne cumulée, une vie plus heureuse et plus aisée sur le plan matériel. Leur conditions de vie sont souvent précaires.

On bâtit à la hâte des foyers de travailleurs immigrés sur fonds publics, comme ceux de la Sonacotra (société nationale de construction pour travailleurs immigrés) devenus les foyers Adona. Mais beaucoup sont exploités par les marchands de sommeil dans des conditions d’insalubrité et d’insécurité extrême. Cette réalité s’inscrit toujours aujourd’hui dans le paysage de Montpellier.

Voir :  Histoire de l’Islam et des Musulman en France. Editions Albin Michel

Jean-Marie Besset Le frondeur insoumis

 

Depuis l’annonce de sa non-reconduction au CDN, le directeur du théâtre des Treize vents mène un combat d’homme libre » contre une décision politique.

Nommé il y a trois ans sans appel d’offres à la tête du CDN avec la bénédiction active du ministre de la Culture, Freédéric Mitterrand et le soutien de Georges Frêche, Jean-Marie Besset devrait être éconduit par les services d’Aurélie Filippetti à l’issue de son premier mandat. Depuis l’annonce de cette nouvelle, courroucé par cette « inique » décision, le directeur des 13 Vents oublie ses bonnes manières pour se dévoiler sous la facette de l’insoumission. Il menace d’attaquer la ministre en justice et prend à partie les tutelles locales. Le 11 avril dernier lors du comité de suivi réunissant les différentes tutelles du CDN, figurait à l’ordre du jour un appel à candidature pour un nouveau directeur. « Cela m’a contraint à réagir, affirme Jean-Marie Besset actuellement sur le tournage du dernier film d’Alain Resnais dont il a signé l’adaptation. Dans le Figaro du 2 avril la ministre de la Culture se disait prête à me rencontrer…»

La position des tutelles

J-M Besset décide de passer à l’offensive. Il assigne Aurélie Filippetti devant le Conseil d’Etat « pour sanctions disciplinaires déguisées et non fondées », et entame une campagne médiatique pour dénoncer une chasse aux sorcières en prenant les tutelles locales à partie. « Je n’ai pas démérité. Habituellement, la reconduction est tacite. Ce débarrasser ainsi d’un directeur sans faute grave, on n’avait jamais vu ça.» Le président de Région, Christian Bourquin reconnait le travail mené par Jean-Marie Besset en direction du public mais déclare qu’il a suivi la position de l’Etat et de l’Agglo, compte tenu de la hauteur de l’implication financière régionale*. « L’Etat pèse de façon conséquente et peut jouer les gendarmes, concède la responsable culturelles de l’Agglo, Nicole Bigas. Mais sur le fond je pense que la raison l’emporte et que M. Besset va trop loin. Il ne peut prendre en otage les spectateurs. »

Le directeur régional des affaires culturelles, Alain Daguerre de Hureaux évoque « une position partagée par l’ensemble des tutelles, et confirme, qu’elles travaillent à la définition du profil pour l’appel à candidature qui est fermement établi.» Concernant la procédure, le Directeur des affaires culturelles qui a fait une courte carrière dans les tribunaux administratifs précise : « on ne peut assigner ainsi un ministre devant le Conseil d’Etat qui juge des actes et pas des personnes. La juridiction compétente c’est le tribunal administratif. Pour l’heure l’acte est exécutoire. » Jean-Marie Besset a finalement dépose? un référé au TA de Montpellier qui devrait statuer d’ici la fin du mois de mai. S’il obtient l’annulation de la décision, l’appel d’offres serait suspendu pour un an.

Dans son combat digne du grand héros de Cervantès, Jean-Marie Besset s’appuie sur quelques maladresses. « Dans le rapport, on me reproche d’être incapable de corriger ma façon de penser. Je n’aime pas les conflits mais l’injustice ne passe pas. Les fonctionnaires doivent être nommés aux service des artistes et pas l’inverse. Je suis un homme de théâtre au service de la liberté. Je suis libéral en matière d’économie et en matière de moeurs. Je ne fais pas de politique. Je défends la liberté de l’individu. »

L’évaluation du travail artistique demeure, on le sait, subjective. On doit reconnaître à Jean-Marie Besset d’avoir ouvert certains pans de sa programmation à un théâtre innovant et peu joué dans le réseau des CDN. Il a aussi opéré des choix confortant le public bobo et bourgeois. Mais s’il a raison de dénoncer certaines orientations tortueuses de l’institution , ce diplômé de sciences-po n’est pas un homme ingénu. En ce sens, les conditions de sa nomination peuvent paraître aussi exceptionnelles que celles de sa non reconduction.

Jean-Marie Dinh

* L’Etat concourt au financement du CDN à hauteur de 1,5 M, l’Agglo de 750 000 euros et la Région de 300 000 euros.

voir  aussi : Rubrique Théâtre, Besset donne le change, Rubrique Politique culturelle,

Festival Hybrides : Trouver les moyens d’un langage nouveau

Julien Bouffier. Photo Rédouane Anfoussi

Festival Hybride. La quatrième édition lance ses pépites dans différents lieux de la ville aiguisant la curiosité des chercheurs d’or et des curieux.

Le directeur d’Hybrides, Julien Bouffier, évoque les axes de la quatrième édition. Du 24 au 31 mars, la création théâtrale plonge dans le noyau de la vie, en bousculant les habitudes…

Comment définissez-vous le Festival Hybrides ?

Deux choses essentielles correspondent à l’identité du festival. Nous proposons une forme de théâtre envisagée dans une optique transdisciplinaire qui s’élève contre la vision un peu réductrice : un acteur un texte. Il y a évidemment des textes et des acteurs au théâtre, mais ce ne sont pas les seuls outils. Hybrides explore, en se rapprochant d’autre disciplines, comme la musique, la danse, la vidéo, le cinéma, la BD… On cherche les moyens qui peuvent  fournir un langage nouveau, des idées nouvelles, des points de vue nouveaux. L’autre particularité du festival est de lier le théâtre au documentaire. Un aspect présent dès la première édition qui s’est renforcé l’année dernière et se poursuit à travers différentes propositions d’artistes.

Depuis les années 90, le genre documentaire s’affirme au théâtre comme un style difficile à définir, peut-on l’appréhender comme une autre façon d’envisager le rapport au public ?

Le rapport au public est une de mes préoccupations centrales. Je m’y confronte dans mon rôle de  programmateur avec Hybrides et en même temps c’est une question qui a toujours fait partie de mon travail de metteur en scène avec la Cie  Adesso e sempre. Indépendamment de nos créations nous avons initié des actions en relation avec d’autres structures culturelles. Cette démarche est à l’origine du festival. J’intègre la médiation autour des spectacles et au sein même du processus de création. Le prisme du documentaire est très large, dans la nature des rencontres, comme dans les modes performatifs. On peut collecter des documents pour s’inspirer. On peut s’engager dans un univers fictionnel en partant d’un fait divers, à l’image du comédien belge, Fabrice Murgia qui présentera Le Chagrin des Ogres au Théâtre Jean Vilar. On peut aussi partir d’un questionnement et aller chercher sa matière dans le réel, comme Pascal Rambert. A seize ans, il propose un spectacle sur les adolescents joué par des adolescents dans le cadre de la saison de Montpellier Danse.

Quel regard portez-vous  sur l’usage des nouvelles technologies…

Elles contribuent  au renouvellement de l’offre artistique mais on ne peut pas en rester à une identité de forme. Dans la forme se joue la rencontre avec le public, mais si l’on ne parle de rien cela n’a pas d’intérêt. Hybrides choisit des artistes qui utilisent les outils d’aujourd’hui pour ouvrir des brèches. Avec la vidéo, il faut sortir de la tarte à la crème, depuis les années 20 les gens essayent de mettre des images dans les spectacles.

Hybrides revendique aussi un regard critique, comment s’exprime-t-il ?

Le premier geste d’Hybrides a été la volonté de travailler ensemble, ce qui est une façon de briser les chapelles cloisonnées du monde culturel. En partenariat avec Kawenga nous éditerons quotidiennement les critiques du public dans Le journal des spectateurs. Il y a aussi le projet Démocratie Culturelle 2.0 où l’on pousse les limites en décrétant l’abolition du ministère de la Culture pour y substituer le ministère des jeux. Dans ce monde où l’Opéra Comédie devient un centre commercial et le Musée Fabre un hôtel de luxe, la résistance s’organise sur les réseaux sociaux avec un appel à la contribution critique… Hybrides fait du théâtre un miroir du monde qui lui pose des questions.

Recueilli par JMDH

Les nouveaux territoires du théâtre nous parlent

L’artiste israélienne Ruth Rosenthal

Samedi, le Festival hybrides s’est mis en action un peu comme un train fou dont les étapes urbaines sont autant d’attentats. On ne couve pas sa place pour être au premier rang, dans ce grand jeu de rôle de la confrontation, on en change pour voir ce que ça fait. C’est drôle, et l’on peut toujours dire ce qu’on en pense, dans le quotidien du festival, Empreinte, qui émule du côté du Kawenga. Le côté festif et branché ne se mord pas la queue grâce à la qualité des propositions et à leurs propensions à écorcher l’édifice du temple. Samedi, Winter Family a ouvert le bal au studio Cunningham de l’Agora. L’artiste israélienne Ruth Rosenthal accompagnée du musicien Xavier Klaine ont renoué avec l’agitprop pour évoquer la propagande omniprésente du gouvernement israélien en direction de sa population. Un théâtre documentaire efficace qui restitue les paroles du peuple, ouvre sur des émissions de variétés à la gloire de l’armée, le tout émaillé d’un chapelet de résolutions de l’ONU rappelant l’Etat d’Israël à ses obligations en matière de droit international. On mesure autant l’impuissance des Nations unies que le poids de l’idéologie nationaliste et religieuse sioniste sur les israéliens. Au-delà on s’interroge sur la dictature des mass médias qui jouent sur l’émotion sans permettre la compréhension.

Dimanche à la Chapelle, le performer catalan Roger Bernat soumettait le public à l’expérimentation d’une démocratie d’opinion ouverte en dotant chaque spectateur d’un boîtier pour se prononcer par oui ou par non. Ludique, interactif, le dispositif de FFF permet aussi une prise de parole individuelle ou collective et interroge le pouvoir de l’artiste, du critique et du citoyen. Personne n’est parfait !

Le Festival Hybrides se poursuit jusqu’au 31 mars, voir le programme sur wwwfestivahydrides.com

Voir aussi : Rubrique Festival, rubrique Théâtre, Rubrique Montpellier, rubrique Israël,

Les nègres : Le grotesque salvateur

 

Après sa relecture des Nègres, le metteur en scène Emmanuel Daumas, parle de mise en abîme à l’infini, à propos du texte de Genet. Ce qui l’a poussé à aller chercher ses comédiens en Afrique. Il a rencontré au Bénin des comédiens prêts à donner suite à l’idée qui le taraudait : mettre en scène des jeunes qui puissent dire leur quotidien urbain en faisant paraître leur ressenti sur la manière dont les blancs les perçoivent et « qu’ils déconnent avec ça ».

Le résultat sur scène nous entraîne sur un fil sensible. La puissante présence des comédiens qui campent le plateau en appuyant sur le mauvais goût s’écarte des critères de la bienséance. On néglige la diction chère au théâtre classique au profit d’un langage corporel, tout paraît plus libre. Étrange sensation que d’éprouver un autre monde qui est pourtant le nôtre, celui de la cruauté et de la barbarie, celui de l’absurdité, de la honte, celui des célébrations travesties…

On est bien dans l’esprit de l’auteur qui voulait prendre les blancs à leur propre jeu. Genet a écrit ce texte à la fin des années 50, dans les années 70, il s’est investi aux côtés des Black Panthers. C’était un type convaincu et peu fréquentable qui mettait du blanc sur les visages noirs et du noir sur la peau noire en faisant ressortir la bouche bien rouge et les dents bien blanches, comme dans The Very Black Show de Spike Lee.

Cinquante ans plus tard, la confrontation entre le noir africain et le blanc français demeure ambiguë. La décolonisation institutionnelle s’est bien accomplie, mais elle n’a pas été suivie d’une décolonisation des esprits. Est-ce au théâtre d’en chercher les raisons ? Peut-être pas, mais le théâtre, pour Genet en tout cas, reste un art provocateur et subversif. Dans la pièce les nègres parlent aux morts.

Jean-Marie Dinh

Théâtre des 13 Vents, jusqu’à vendredi, résa 04 67 99 25 00.

Théâtre Trioletto

Hb Project, Les Européens d’Howard Barker

Howard Barker

Nous n’aurons pas peur des monstres ; nous serons capables d’être monstrueux et de mon(s)trer les monstres. Auteur anglais contemporain sulfureux, Barker décrit une humanité cruelle par nature et, paradoxalement, toujours séduisante d’intelligence et de lucidité. Dans les années 80, sa langue prend un tournant radical en rompant définitivement avec la narration et le sens, explorant avec rigueur l’effondrement du discours. Les thèmes très présents de la mutilation, et des violences spectaculaires ou invisibles font de son théâtre une œuvre puissante. Mise en scène de Stefan Delon

Au Théâtre Trioletto jusqu’au 23 mars à 20h30, entrée libre Résa Crous : 04 67 41 50 09.