Au Musée Paul-Valéry l’identité au cœur de l’urgence et des enjeux contemporains

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A Sète, le Musée Paul-Valéry  poursuit son cycle 4 à 4, un rendez-vous bisannuel regroupant quatre expositions individuelles consacrées simultanément à quatre artistes contemporains. Le cru 2018 est saisissant. Il met en présence les œuvres de Thierry Delaroyère, Pascal Fayeton, André Cervera, Swarna Chitrakar et Mohamed Lekleti.

Pour cette troisième exposition 4 à 4 présentée sous le patronage de Maïté Vallès-Bled, ce sont, exceptionnellement, les travaux de 5 artistes que donne à voir le musée Paul-Valéry de Sète. Les invités ont tous en partage d’interroger le monde contemporain. Les voies et les médiums différents auxquels ils ont recours n’ouvrent pas sur une thématique commune. Cependant il émane de la visite comme un message partagé qui transcende les expressions propres pour évoquer la (dé)structuration de la personnalité.

Zones de Turbulences

La série de Thierry Delaroyère intitulée La paix en danger s’inscrit dans une matière picturale relevant d’une tradition abstraite et gestuelle. Invitation à un voyage mouvementé dans un aller-retour entre le signifié et le signifiant, la mise à l’écart du sens se trouvant parfois mis en défaut par l’apparition d’une embarcation de migrants. L’espace dénué de cadre, de limite et de frontière est toujours survolé par un oiseau sous un trait simple, et modeste, une colombe dont les traces varient en fonction des espaces traversés. « La paix est en danger à l’extérieur, comme on peut le ressentir parfois en marchant dans la rue, souligne l’artiste, mais aujourd’hui, il est perceptible qu’elle est aussi en danger dans l’intériorité de chacun » signale-t-il pour évoquer son travail.

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La paix en danger Thierry Delaroyère

Terrain de jeux d’esprit

L’artiste photographe toulousain Pascal Fayeton joue avec les signes, sur les traces d’un monde sensible qui lui appartient. Il puise son inspiration : « dans un environnement immédiat, des espaces sur les chemins de sa vie, de son enfance ou de ses errances d’adultes… » Hors du commun, les photos de l’artiste nous plongent parfois dans l’univers de la photographie abstraite : « alors qu’il n’y a pas plus concret, souligne le photographe que de regarder la terre à ses pieds. » Il émane des photographies de Pascal Fayeton une forme de connivence qui nous rappelle des émotions oubliées.

Confrontation des mythes

Le travail de l’artiste sétois André Cervera a croisé celui de la peintre conteuse Swarna Chitrakar originaire du Bengale-Occidental, en Inde. Point commun, celui de raconter des histoires. André Cervera est un adepte de la peinture narrative ayant trait à la mythologie. Son œuvre, s’oriente vers une dimension tragi-comique qui fait vivre la tradition en l’opposant de manière critique et drôle à la surabondante production de notre société de consommation. Swarna Chitrakar appartient à une famille de peintre conteur Patuas. Ceux qui peignent sur des rouleaux de feuilles de papiers cousues les unes aux autres et passent de village en village pour chanter les épopées hindoues et musulmanes. La confrontation des deux artistes aboutit à la réalisation d’un travail commun totalement inédit.

Swarna Chitrakar et André Cervera

Swarna Chitrakar et André Cervera

Multi connexions

En sa qualité d’artiste, Mohamed Lekleti déclare Washington comme capitale de la Palestine. Ses dessins propulsent des éclats de vie comme autant de strates de la politique, de la religion ou de la culture. A cela s’ajoute un questionnement sur notre rapport à l’animal et une perception qui pourrait évoquer la fausse neutralité de l’enfance. Une multiplication des croisements qui tend à l’universel.

JMDH

Source : La Marseillaise 20/02/2018

Démantèlement de la SNCF : avec 30 ans de retard, Macron va-t-il répéter les mêmes erreurs que les Britanniques ?

 Photo : Barry Lewis CC via flickr

Le gouvernement envisage d’accélérer la libéralisation du rail et la transformation, sinon le démantèlement, de la SNCF. Les recettes proposées sont les mêmes que celles qui ont été appliquées aux autres entreprises publiques, de France Télécom à EDF, et qui n’ont bénéficié ni aux salariés ni aux usagers. L’exemple de la libéralisation des chemins de fer britanniques, initiée dans les années 1990 et marquée par une succession de faillites et de scandales, devrait pourtant inciter à la prudence. Au Royaume-Uni, un mouvement pour la ré-appropriation de ce service public par les usagers et les salariés prend de l’ampleur.

Le 15 février, Jean-Cyril Spinetta, ancien PDG d’Air France et ancien président d’Areva, a rendu public un rapport sur l’avenir de la SNCF et du rail en France. Ce 19 février, le gouvernement vient d’ouvrir une période de concertation sur ce nouveau chantier, en recevant direction de l’entreprise publique et syndicats. Transformation de la SNCF en société anonyme, ouverture à la concurrence des lignes ferroviaires, voire de la gestion du réseau, fin programmée du statut de cheminot, suppression des dessertes jugées non rentables… Les préconisations du rapport Spinetta n’ont rien pour surprendre, tant elles correspondent aux « recettes » appliquées précédemment à d’autres entreprises publiques, de France Télécom à EDF, en passant par La Poste. Elles ont immédiatement été reprises à son compte par le gouvernement, qui a annoncé l’ouverture d’une période de concertation en vue de leur mise en œuvre.

La « réforme » – ou le « démantèlement » – du service public ferroviaire serait rendue nécessaire et inéluctable par la dette de la SNCF et les exigences européennes de libéralisation du rail – l’ouverture à la concurrence étant fixée en 2020 pour les lignes nationales de transport de passagers. Ceux qui poussent ce projet – parmi lesquels il faut compter la direction de la SNCF elle-même – feraient pourtant bien de regarder ce qui se passe de l’autre côté de la Manche.

Le rail britannique est libéralisé dès les années 1990. British Rail, l’ancien service public, est alors divisé en plusieurs morceaux avant d’être vendu. Le réseau ferroviaire est séparé de la gestion des lignes, elles-mêmes réparties en plusieurs concessions régionales. Moins connu : la flotte des trains est confiée à des entreprises séparées, qui les louent au prix fort aux opérateurs des lignes, assurant à leurs actionnaires des millions de profits garantis d’année en année.

Hausse de 23 % des billets de train depuis la privatisation

C’est la privatisation du réseau ferroviaire – envisagée en filigrane pour la France par le rapport Spinetta, qui propose la transformation de SNCF Réseaux en société anonyme – qui en Grande-Bretagne a dégénéré le plus rapidement. Les problèmes de coordination et de perte d’expertise ont entraîné de nombreux incidents, qui ont culminé avec la catastrophe ferroviaire de Hatfield en 2000, laquelle a coûté la vie à quatre personnes. Le gouvernement s’est trouvé contraint de renationaliser le réseau dès 2002, et n’a jamais tenté de le privatiser à nouveau.

La gestion des lignes elles-mêmes est également marquée par des faillites et des scandales à répétition. Selon un sondage réalisé en 2017 pour la campagne We Own It (« Ça nous appartient »), qui milite pour la renationalisation ou la remunicipalisation des services publics au Royaume-Uni, 76% des Britanniques interrogés se déclarent en faveur d’un retour du système ferroviaire sous contrôle 100% public. Bien que les prix du train au Royaume-Uni soient parmi les plus chers d’Europe, ces services continuent d’être largement financés par les contribuables, tout en assurant des profits confortables à leurs opérateurs. Selon les chiffres mêmes du ministère britannique des Transports, les prix du train ont augmenté de plus de 23 % depuis la privatisation en valeur réelle (c’est à dire compte tenu de l’inflation). Les équipements ont vieilli. Et les firmes qui opèrent les lignes font l’objet des mêmes critiques sur la ponctualité des trains, les nombreuses annulations, les conflits sociaux, les wagons bondés et la qualité du service que la SNCF en France.

Des entreprises privées qui laissent tomber les lignes qu’elles gèrent

Tout récemment, Virgin Trains et le groupe de transport Stagecoach, les deux entreprises privées qui ont obtenu la gestion de l’East coast main line – partie du réseau reliant Londres à Édimbourg en longeant la côte Est – ont annoncé qu’elles abandonneraient leur concession trois ans avant la fin du contrat. Et qu’elles ne payeront pas les redevances qu’elles devaient verser à l’État. Apparemment, la concession n’était pas aussi profitable que ces entreprises l’avaient espéré. Cet abandon représente un manque-à-gagner de plus de 2 milliards de livres (2,25 milliards d’euros) pour le trésor public britannique. Ironie de l’histoire : l’East coast main line a été gérée directement par le gouvernement de 2009 à 2014 suite à la défaillance successive de deux prestataires privés. Elle a été re-privatisée en 2015. Ces événements n’ont pas empêché le ministère britannique des Transports de confier – et sans mise en concurrence – le contrat de concession d’une autre ligne ferroviaire, InterCity west coast, aux deux mêmes entreprises, Virgin et Stagecoach.

Le gouvernement britannique se trouve ainsi régulièrement contraint, du fait de la défaillance des acteurs privés, de renationaliser aux frais du contribuable des services qu’il avait privatisés. Un scénario qui n’est pas sans rappeler le sauvetage et la renationalisation des banques durant la crise financière de 2008. Faut-il transformer ces renationalisations involontaires en entreprises ou régies publiques pérennes ? Beaucoup commencent à se poser la question. Ils ont été rejoints par le Labour (parti travailliste) qui, sous l’égide de Jeremy Corbyn et de son numéro deux John McDonnell, a adopté pour les élections de juin 2017 un programme radical de renationalisation des services publics, suscitant l’opprobre des milieux d’affaires et de l’aile néolibérale du parti. Ce programme semble avoir trouvé un écho dans l’électorat, puisque le Labour est passé à deux doigts d’une victoire surprise et reste en position de l’emporter en cas d’élections anticipées.

La Grande-Bretagne, laboratoire européen de la privatisation

Des années Thatcher aux années Blair, le Royaume-Uni est le pays européen qui a mené le plus loin la privatisation et la libéralisation des services publics. Eau, rail, télécommunications, gaz et électricité, poste, transports urbains, prisons… Il n’y a guère que le service public national de la santé, le NHS, qui ait résisté jusqu’à présent. Les autorités britanniques ont aussi massivement développé les montages financiers de type « partenariat public privé » pour construire écoles, hôpitaux et autres infrastructures. La vague néolibérale a gagné l’intérieur même de l’État : un grand nombre de fonctions administratives de base – la gestion de certaines aides sociales, la collecte de la redevance télévisée, les services de probation, les demandes d’asile… – sont aujourd’hui confiées à des entreprises privées. Les marchés de sous-traitance administrative absorberaient aujourd’hui l’équivalent de 250 milliards d’euros, soit le tiers des dépenses publiques britanniques !

Cette politique a fait la fortune d’hommes d’affaires et d’entreprises qui se sont spécialisées sur ce créneau et vu leur chiffre d’affaires exploser en quelques années. Elle a aussi donné lieu à des scandales à répétition – comme la gestion des allocations handicapés par l’entreprise française Atos (lire notre article) – et à des faillites retentissantes. Mi janvier, l’entreprise de BTP Carillion, à laquelle le gouvernement britannique et les collectivités locales ont confié de nombreux chantiers d’infrastructures, a soudainement déclaré faillite, laissant les pouvoirs publics et des milliers de travailleurs sur le carreau. Avant de mettre la clé sous la porte, les actionnaires et les dirigeants de Carillion se sont copieusement servis. Le scénario pourrait se répéter avec Capita, une firme spécialisée dans les services financiers qui s’est enrichie en multipliant les contrats de sous-traitance à partir des années 1990. Elle aussi vient soudainement d’annoncer des difficultés financières.

« Remettre ces industries entre les mains de ceux qui les font fonctionner et les utilisent »

Cette succession d’événements et l’audace du Labour de Jeremy Corbyn ont changé le sens du vent. « C’est incroyable à quel point la situation et le débat public sur la privatisation et la nationalisation ont changé en seulement un an », se félicite Cat Hobbs, animatrice de la campagne We Own It. Au point que même le Financial Times, peu suspect de sympathies envers le Labour, a publié un bilan sans complaisance des privatisations au Royaume-Uni, admettant que le recours au secteur privé n’est pas toujours adapté et qu’une régulation gouvernementale plus active apparaît nécessaire pour empêcher les abus.

Du côté des travaillistes, on n’entend pas se contenter d’aménagements marginaux. « Face à l’ampleur des problèmes, nous devons aller aussi loin que le gouvernement travailliste dans les années 1940 [qui avait créé ou nationalisé les grands services publics britanniques au sortir de la Deuxième guerre mondiale],voire encore plus loin », affirmait récemment Jeremy Corbyn, lors d’un événement sur les « modèles alternatifs de propriété » organisé par son parti [1].

S’ils revendiquent l’objectif de renationaliser ces services, les leaders actuels du Labour assurent qu’ils n’entendent pas en revenir aux monopoles centralisés et bureaucratiques d’antan. Ils envisagent des services publics plus décentralisés, donnant un large rôle au secteur coopératif, et gérés de manière plus démocratique. « Nous devons remettre ces industries entre les mains de ceux qui les font fonctionner et les utilisent au quotidien, les travailleurs et les usagers. Personne ne sait mieux qu’eux comment les gérer », déclare John McDonnell, numéro deux du parti. « Nous devons être aussi radicaux que Thatcher l’a été en son temps. »

Quand les privatisations britanniques profitent aux entreprises publiques françaises

Les privatisations britanniques ont largement profité aux entreprises étrangères, en particulier françaises : Atos ou Steria pour la sous-traitance administrative, Vinci, Bouygues et Eiffage pour les partenariats public-privé, Sodexo pour les prisons, EDF pour l’énergie… Côté transports, des filiales de la RATP gèrent des lignes de tramway à Manchester et de bus à Londres. Keolis, filiale privée de la SNCF – à 70%, les 30% restant appartenant au fonds de pension public québécois, la Caisse des dépôts et placements –, est déjà présente sur plusieurs concessions au Royaume-Uni, notamment la plus importante, « Thameslink, southern and Great northern » (Nord et sud de Londres), marquée récemment par des conflits sociaux [2], et « Southeastern » (Sud-est du pays). Paradoxe : ces nouveaux marchés issus des anciens services publics sont souvent dominés par des entreprises qui sont la propriété de l’État français, et qui font chaque année traverser la Manche à de généreux dividendes tirés de la gestion des services privatisés britanniques.

Pendant que la Grande-Bretagne se lançait corps et âme dans des privatisations tous azimuts, les dirigeants français suivaient en effet une tout autre stratégie : celle de transformer les anciens monopoles publics – Air France, France Télécom, EDF-GDF, La Poste, SNCF, etc. – en entreprises commerciales sous le contrôle plus ou moins dilué de l’État, tirant profit de leur situation de rente en France et de la protection du gouvernement pour s’étendre à l’étranger… y compris en acquérant les services privatisés par d’autres pays. Cela explique sans doute pourquoi les dirigeants français ne se sont toujours opposés que très mollement aux politiques d’ouverture à la concurrence impulsées depuis Bruxelles. C’est exactement le modèle poursuivi depuis une dizaine d’années par la direction de la SNCF (lire notre enquête) et que le rapport Spinetta vient valider aujourd’hui en proposant la transformation de l’entreprise ferroviaire en société anonyme.

Olivier Petitjean

Source Bastamag 20/02/2018

Appel à la mobilisation jeudi contre le projet de réforme de la justice

Magistrats, avocats et personnels judiciaires comptent dénoncer l'état de la justice en France jeudi prochain (image d'archives) @ JACQUES DEMARTHON / AFP

Magistrats, avocats et personnels judiciaires comptent dénoncer l’état de la justice en France jeudi prochain (image d’archives) @ JACQUES DEMARTHON / AFP

Face à une réforme de la justice jugée inadaptée, neuf syndicats de la magistrature, des avocats et des personnels judiciaires appellent à une journée d’action le 15 février prochain.

Neuf syndicats de la magistrature, des avocats et des personnels judiciaires, ainsi que la Conférence des bâtonniers, appellent à une journée d’action le 15 février contre la réforme engagée par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet.

Une consultation de « pure façade ». La garde des Sceaux a rendu publiques le 15 janvier des propositions issues d’une concertation lancée en octobre et censées nourrir une loi de programmation qui sera présentée au printemps en conseil des ministres. Union syndicale des magistrats (USM), Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat des avocats de France (SAF), Fédération nationale des unions de jeunes avocats (Fnuja), Conférence des bâtonniers et fédérations CGT, CFDT, Unsa et FO dénoncent une consultation de « pure façade » et des propositions qui « ne tiennent aucun compte de la réalité ».

Une « justice française en piteux état ». Dans un communiqué diffusé vendredi, ces organisations dressent un tableau apocalyptique d’une « justice française en piteux état », « submergée » et lente. Avec 64 euros par habitant et par an, le budget de la justice française est au 23ème rang sur 28 au sein de l’Union européenne, écrivent-elles.

« Les équipements informatiques sont indigents, les réseaux trop lents, les logiciels obsolètes et inadaptés », poursuivent-elles. « La France compte quatre fois moins de procureurs que la moyenne des autres pays européens, 2,5 fois moins de juges et presque deux fois mois de personnels de greffe. »

Une désorganisation de la justice. Ils estiment que les objectifs du projet de réforme de la carte judiciaire sont « purement gestionnaires » et risquent de désorganiser le fonctionnement quotidien de la justice. Pour ces organisations, le projet de réforme, qui insiste notamment sur la dématérialisation des procédures et prévoit l’obligation d’être représenté par un avocat pour tout litige supérieur à 5.000 euros, risque en outre de limiter l’accès des plus modestes à la justice.

Une journée d’action le 15 février. « Nous dénonçons ces projets régressifs et refusons le statu quo », concluent-elles. « Nous appelons à une journée d’action le 15 février pour une justice de qualité, accessible, avec un budget, des équipements et des effectifs à la hauteur d’un État européen du XXIe siècle. »

De leur côté, les syndicats de policiers font de l’amélioration de l’efficacité dans la répression de la délinquance une condition du succès de la future « police de sécurité du quotidien », présentée jeudi par le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb.

Source : Europe 1 avec AFP 09/02/2018

Atteintes à la liberté d’informer : ça commence à bien faire

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Médias

« La liberté de la presse aujourd’hui n’est plus seulement attaquée par les dictatures notoires, elle est aussi malmenée dans des pays qui font partie des plus grandes démocraties du monde », déclarait Emmanuel Macron lors de la cérémonie des vœux à la presse, le 3 janvier dernier. « Elle est malmenée jusqu’en Europe », précisait-il. Elle est malmenée jusqu’en France, est-on tenté d’ajouter, tant les menaces de restrictions de cette liberté fondamentale s’accumulent depuis quelque temps.

Le dernier épisode en date a vu notre confrère Challenges sévèrement condamné par le tribunal de commerce de Paris pour avoir informé ses lecteurs d’une procédure de « mandat ad hoc » concernant le distributeur de meubles Conforama, l’obligeant à retirer l’article incriminé et à ne plus traiter ce sujet sous peine d’amende. Nombre de sociétés de journalistes et de rédactions, dont celle d’Alternatives Economiques, se sont émues de cette condamnation, qui fait prévaloir le secret des affaires sur la liberté d’informer.

Coup de force

Cette décision, prise par des juges issus du monde de l’entreprise, ressemble à un coup de force destiné à créer un précédent : plusieurs initiatives législatives ayant pour but de consacrer le délit d’atteinte au « secret des affaires » dans le droit français ont en effet échoué ces dernières années. Et la controversée directive européenne de 2016, qui ménage un équilibre très incertain en la matière, doit encore être transposée par le législateur dans l’Hexagone d’ici le mois de juin.

Les poursuites judiciaires déclenchées par les grandes entreprises à l’encontre d’ONG, de lanceurs d’alerte ou de médias, sont devenues monnaie courante

Cette incertitude juridique a de quoi inquiéter. Les poursuites judiciaires déclenchées par les grandes entreprises à l’encontre d’ONG, de lanceurs d’alerte ou de médias, sont en effet devenues monnaie courante, comme l’a montré encore récemment le procès ouvert à l’encontre de trois médias et de deux ONG à la suite d’une plainte en diffamation déposée par deux entreprises liées au groupe Bolloré. Même si ces procédures n’aboutissent pas toujours, elles paraissent avoir pour objectif premier d’intimider et de faire taire les médias. Compte tenu du risque encouru et des difficultés économiques qui frappent nombre de titres de presse écrite, elles pourraient en effet avoir pour résultat d’éteindre toute couverture médiatique heurtant certains intérêts privés.

L’information de qualité menacée par la pression financière

La menace ne vient cependant pas toujours de l’extérieur : l’intégration croissante de nombre de médias dans de grands conglomérats confronte souvent ceux-ci à une pression financière incompatible avec le maintien d’une information de qualité. En témoigne le cas de l’ancien pôle presse du groupe Wolters Kluwer, éditeur de plusieurs publications de référence de l’information du secteur social et médico-social (Liaisons sociales magazine, Entreprise & Carrières ou encore ASH) : passant des mains d’un actionnaire à un autre, celui-ci a vu ses rédactions décimées en quelques mois, mettant en péril une expertise précieuse aussi bien pour les professionnels de son secteur que pour l’ensemble des médias.

Enfin, les pouvoirs publics eux-mêmes ont joué avec le feu. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la direction de France Télévisions a été mal inspirée, lorsque fin 2017, elle a tenté de réduire drastiquement les moyens des magazines d’investigation de France 2, Envoyé spécial et Complément d’enquête. Face au tollé de l’opinion, elle est revenue partiellement sur cette décision, mais l’épisode a laissé un arrière-goût de censure déguisée sous des motivations d’ordre économique.

Pour tarir les fuites concernant les ordonnances, le gouvernement n’a pas hésité à porter plainte

Quelques mois plus tôt, en juin 2017, le nouveau gouvernement, à peine installé, dégainait l’arme judiciaire dans le but de tarir les fuites publiées par le quotidien Libération concernant les futures ordonnances sur le marché du travail. En ayant recours à la plainte contre X pour « vol, violation du secret professionnel et recel », le ministère du Travail avait dans sa ligne de mire aussi bien les sources de Libération que le quotidien lui-même. Une épée de Damoclès a pesé par conséquent sur tous les médias, qui, à l’instar d’Alternatives Economiques, ont eu alors accès aux projets d’ordonnances et ont voulu en rendre compte à leurs lecteurs.

Si le gouvernement a fini par retirer la partie de sa plainte qui les visait expressément (le recel), il a maintenu celle visant l’origine des fuites et diligenté des enquêtes internes pour l’identifier. Une manière détournée de chercher à tarir l’information en s’attaquant à ses sources. L’intention affichée par la ministre de la Culture Françoise Nyssen en novembre dernier de « porter plainte contre X » après la publication par Le Monde de révélations tirées d’un document de son ministère sur la réforme de l’audiovisuel, montre que le gouvernement n’a pas renoncé à manier ce registre.

Le travail journalistique démonétisé

D’où qu’elles viennent, ces pressions alimentent un climat délétère autour de la liberté d’informer. Elles se conjuguent, pour le pire, avec d’autres évolutions inquiétantes : face au déferlement des fake news et au rouleau compresseur des grands infomédiaires du numérique, pour qui l’information n’est qu’une commodité comme les autres, le travail journalistique sérieux apparaît de plus en plus démonétisé.

Le système de distribution égalitaire et solidaire de la presse, destiné à garantir le pluralisme, pourrait prochainement sauter

La crise de son modèle économique qui en résulte place aujourd’hui la distribution de la presse écrite dans l’Hexagone au bord du gouffre, avec le risque de catastrophes en chaîne chez les éditeurs et marchands de presse. Au passage, le système de distribution égalitaire et solidaire, destiné à garantir le pluralisme, qui régit la presse en France depuis l’après-guerre pourrait bien sauter, si l’on en croit l’intention affichée aussi bien par le gouvernement que par nombre d’acteurs de la filière de revoir de fond en comble la loi Bichet.

De toutes ces « disruptions », on ne saurait tenir pour responsables les pouvoirs publics, ni même attendre d’eux qu’ils y apportent toutes les solutions. A minima cependant, on peut légitimement attendre de nos élus qu’ils confortent et garantissent la liberté d’informer. Ce n’est pas une simple revendication corporatiste, mais l’une des conditions sine qua non au bon fonctionnement de notre démocratie.

Marc Chevallier

Source : Alternative Economique 08/02/2018

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Médias, Entretien avec Laurent Mauduit autour de son livre « Main basse sur l’Information »,

Blocages et opérations escargot : le gouvernement contraint de revoir les zones agricoles défavorisées en Occitanie

Opération escargot et blocus des agriculteurs dans la région de Toulouse, le 7 février. Eric Cabanis AFP

Opération escargot et blocus des agriculteurs dans la région de Toulouse, le 7 février. Eric Cabanis AFP

Plus de 1 000 communes sont concernées par une réforme des zones agricoles, qui débouchera sur de nouvelles aides financières en provenance de l’Europe (75 %) et de l’Etat (25 %).

Les périphériques intérieurs et extérieurs de Toulouse fermés, l’A62 close entre Langon (Gironde) et la ville rose, la circulation des trains interrompue entre Bordeaux et Sète (Hérault), les transports scolaires suspendus dans le Tarn-et-Garonne… Le gouvernement a dû revoir sa copie sur les « zones agricoles défavorisées », mercredi 7 février, face au mouvement de protestation des agriculteurs d’Occitanie.

Dans ces zones soumises à des contraintes naturelles (sols, sécheresse…) ou économiques (rendements à l’hectare, densité..), les agriculteurs sont éligibles à des indemnités de l’Union européenne liées à ce handicap naturel (ICHN). Depuis 1976, une carte détaille sur le territoire français ces zones, calquées sur des communes. Elle permet de répartir une aide importante de la politique agricole commune (PAC), environ un milliard d’euros par an. La Commission européenne veut modifier cette carte début 2019 et a donc demandé à la France de nouvelles propositions sur deux types de zones : les zones défavorisées simples et les zones affectées de handicaps spécifiques, les zones de montagne en étant exemptées.

Une première proposition a été rejetée en 2013 par Bruxelles. Et la nouvelle étude, initiée par Stéphane Le Foll, alors ministre de l’agriculture, publiée mi-janvier, a provoqué la colère du monde agricole, uniquement en Occitanie. 1 058 communes pouvaient être exclues de ces zones, dont 181 dans le Tarn-et-Garonne, et 40 % des communes classées en Haute-Garonne.

Blocage d’un convoi de l’A380

« Il s’agit d’espaces agricoles qui ont pour contraintes d’avoir un climat ou un relief particulier, des terres pauvres ou très pentues ou bien d’accueillir un système d’élevage précis », souligne Luc Mesbah, secrétaire général de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de Haute-Garonne. « Cela représente une perte sèche de 5 000 à 12 000 euros par an et par agriculteur, la plupart éleveurs de bovins », explique Alain Iches, de la FDSEA 82. Dans le Tarn, 300 éleveurs seraient touchés et la perte de revenus atteindrait presque les deux millions d’euros.

Dès le 24 janvier, à Montauban (Tarn-et-Garonne), un millier d’agriculteurs ont bloqué les routes et le 29 ils ont annoncé la création d’une ZAD, en référence à Notre-Dame-des-Landes – sauf qu’il s’agit là d’une « zone agricole à défendre ». Rapidement rejoint par les Jeunes Agriculteurs (JA) et les autres départements (Tarn, Gers, Haute-Garonne, Lot ou Aude), le mouvement a grossi jusqu’au lundi 5 février avec le blocage d’autoroutes et même d’un convoi de l’A380 partant de Toulouse.

« Dans une région qui compte 170 000 emplois dans l’agriculture, contre seulement 70 000 dans l’aéronautique, on n’imagine pas que le gouvernement ne revienne pas sur ses propositions », déclarait ce jour-là Alain Iches. Les syndicats, qui avaient été reçus une première fois par le ministre Stéphane Travert le 2 février à Paris, avaient donc décidé d’une nouvelle journée d’action, plus importante.

Barrages de bottes de foin, de pneus ou de fumier, tout avait été minutieusement installé, mercredi, par des dizaines de manifestants sur leurs tracteurs, affluant de nombreux départements. Aux alentours de 17 heures, alors que Toulouse était totalement isolée, une nouvelle délégation composée de syndicalistes et d’élus était reçue au ministère à Paris.

L’ex-région Midi-Pyrénées ne perdrait plus que 182 communes au lieu de 472

A l’issue de celle-ci, une modification importante du projet de la carte a été actée, avant une nouvelle réunion du groupe de travail national qui doit proposer un nouveau projet au président de la République fin février. L’ex-région Midi-Pyrénées ne perdrait plus que 182 communes au lieu de 472, dans le Tarn-et-Garonne 30 communes seraient concernées au lieu de 180, et la Haute-Garonne ne perdra que 22 communes en zone défavorisée au lieu des 182 initialement prévues.

Au cabinet du ministre, on assure que « rien n’était figé » : « Nous allons donc opérer des ajustements, avec une nouvelle carte. En intégrant de nouvelles communes et en en faisant sortir d’autres. Mais globalement la région Occitanie conserve la même enveloppe financière. »

Yvon Parayre, président de la chambre d’agriculture de Haute-Garonne, s’est dit « satisfait à 90 % » car le nouveau plan permet « de réintégrer des communes grâce aux critères que nous avons proposés ». « Je comprends la gêne pour les citoyens mais ils ont pris conscience, je crois, que nous avons besoin des éleveurs pour fournir des produits de qualité en quantité suffisante », ajoute-t-il.

Cette spécificité de la région, très axée sur l’élevage bovin, fait dire à José Bové, député européen et ancien syndicaliste paysan : « Aujourd’hui la PAC ne protège pas, on ne fait que réguler la disparition des éleveurs. La vraie question est de savoir comment vont se négocier les futurs accords internationaux et l’importation massive de viande d’Argentine ou du Brésil. » En milieu de nuit, les barrages avaient été levés, après une dégustation de cochon grillé.

Philippe Gagnebet

Source Le Monde 08/02/2018