Théâtre A l’heure où les politiques culturelles confuses se muent en enfer pour les créateurs et en lourdes menaces pour les lieux de diffusion et leur liberté de programmation, un petit retour sur les pièces diffusées récemment dans l’Hérault montre que les publics ne sont pas prêts à se laisser déposséder de la diversité et de la qualité de l’offre.
Au CDN hTh le controversé directeur Rodrigo Garcia qui ne souhaite pas renouveler son mandat à Montpellier reprend une de ses pièces à guichet fermé.
C’est comme ça et me faites pas chier de Rodrigo Garcia
Certaines édiles ont vu dans le titre un outrage, là où l’auteur et metteur en scène affirme son expression sur l’incommunicabilité. La réponse aux détracteurs se trouve dans le texte superbe de l’auteur argentin écrit il y a presque 10 ans : « Voilà ce que j’ai appris. À faire confiance à l’alphabet. J’ai appris qu’il faut faire confiance seulement aux mots et jamais à ce qui s’agite autour. Tu vas me dire que chaque être humain doit viser le mot juste. À ça‚ moi je réponds : effectivement‚ c’est là sa dette ; ce qu’il a de plus lourd à porter tient à sa nature. Langage : mille millions de tonnes que n’importe quel homme porte sur son dos. » De ce poids, on le sait, les politiques ne sont pas en reste. Le rôle titre est interprété par l’acteur aveugle et lumineux Melchior Derouet. Poussé par la puissance d’un monde intérieur proche de l’enfance mais affirmé, il performe avec la sensuelle et radicale Nuria Lioansi dans un échange sensible. Les ruptures sonores ou minimalistes laissent intacte la force d’un texte qui questionne les valeurs d’intelligibilité égarées de notre quotidien.
La Mouette d’Ostermeier Pour son adaptation de La Mouette, Thomas Ostermeier s’attache à l’expérience fondatrice de Tchekhov, très engagé socialement. Le spectacle vient d’être donné au Théâtre de Nîmes et au Théâtre Molière à Sète. La relecture de l’artiste allemand se traduit par une mise en scène contemporaine du texte. Ce qui apparaît très perceptiblement au début du spectacle dans les apartés des comédiens sur le théâtre de performance ou à travers l’évocation du conflit syrien, s’estompe lorsque l’action de la pièce de Tchekhov démarre. Mais le fil rouge qui met en exergue l’ambivalence et l’aveuglement volontaire des nantis obsédés par leurs petits problèmes personnels, sans que d’aucune manière la crise humaine et politique fondamentale qui se déroule sous leur yeux, ne leur pose question, demeure tendu. C’est avec finesse, qu’Ostermeier dessine la transposition des contextes, Les coupes opérées dans le texte et la direction des comédiens contribuent au renouvellement de l’intrigue qui se joue dans le monde intérieur des personnages et ouvrent sur une vision du monde très familière. A cet égard, le conflit artistique de génération figurant dans la pièce n’est pas sans rappeler les débats autour du CDN de Montpellier.
RDV Gare de l’Est à sortieOuest
Guillaume Vincent a mis en scène son texte Rendez-vous Gare de l’Est à sortieOuest. Il est question de restituer la parole prisonnière que ce soit celle prononcée par les accusés devant le juge, ou celle entendue aux urgences psychiatriques. Le texte résulte d’un travail intensif d’entretiens. Une femme se raconte, dit son trouble : la bipolarité. La pièce est donnée devant un public en alerte, mobilisé pour la sauvegarde du lieu où il se trouve encore aujourd’hui et peut-être plus demain, ce qui confère une écoute particulière, très attentive. Le silence est participatif. La déraison comme un fruit du mensonge et la vérité considérée comme inconsistante. La vérité humaine perdue que le théâtre rend perceptible. Cette inconnue de la gare, si proche de nous, traverse parfois la frontière qui contient la norme, sans trop s’éloigner. La performance d’Émilie Incerti Formentini, dont la présence électrique secoue ce monde vitré, s’inscrit dans nos mémoires.
Les grandes bouches
Le metteur en scène Luc Sabot adapte le texte Les grandes bouches de François Chaffin au Chai du Terral à St-Jean-de-Védas. Un spectacle musical qui renoue avec la verve du rock français des années 80 où le texte ordonne le chaos, la rage et la résistance. Ce texte nous parle des figures du pouvoir politique, militaire, médiatique, commercial, intellectuel qui parle à notre place. Ici encore, le théâtre réaffirme sa vocation politique dans le bon sens du terme.
Le point commun de ces spectacles qui ont fait salle comble, pourrait être l’attachement du public au théâtre dans sa diversité d’expression. La volonté de ne pas se laisser happer par l’industrie du divertissement, si agréable soit-elle. Quoiqu’en pensent les responsables politiques, l’art théâtral n’est pas soluble dans les paillettes. Dans le contexte d’incertitude actuel, ils pourraient bien l’apprendre à leur dépens.
« »Les choses paraissent fragiles mais, en fait, c’est toute la vie qui est fragile » Patrick Neu
Déjà sous pression budgétaire, la vie théâtrale héraultaise et montpelliéraine subit les affres du redécoupage territorial et de la méconnaissance des politiques. Attention fragile !
Beziers : sortieOuest dissolution imminente de l’association
Le lieu culturel populaire et parfaitement compatible avec les questionnements contemporains est menacé. Le Conseil départemental programme la fin de l’association, les spectateurs se mobilisent jeudi à 16h, jour du Conseil d’Administration.
Montpellier. Départ de Rodrigo Garcia
Le président de la Métropole Philippe Saurel botte en touche.
« Il a porté à ma connaissance par courrier qu’il ne souhaitait pas renouveler son mandat. J’entretiens d’excellentes relations avec le directeur du CDN de Montpellier, Rodrigo Garcia. J’ai négocié avec beaucoup de doigté. Nous avons déjeuné ensemble. Il propose une programmation de qualité. C’est vrai que c’est un théâtre peut-être pas à la portée de tous les publics. Je l’ai soutenu. Dans les moments de crise, j’ai pris le parti de dire que le homard n’est pas un animal de compagnie. »
Nomination. Aurelie Filippetti s’adapte. L’ancienne ministre de la culture qui avait nommé Rodrigo Garcia à la tête du CDN assure aujourd’hui la présidence du festival montpelliérain CINEMED. « Pour les artistes c’est toujours délicat. On a souvent le cas de personnes qui ne veulent jamais lâcher leur mandat , cette fois c’est le contraire. C’est lui qui annonce son départ.»
VIE ARTISTIQUE
Déjà sous pression budgétaire, la vie théâtrale héraultaise et montpelliéraine subit les affres du redécoupage territorial et de la méconnaissance des politiques. Attention fragile !
Depuis toujours, le théâtre se passionne pour le quotidien ordinaire des hommes et des femmes. Face à la crise planétaire que traverse l’humanité, il doit faire face aujourd’hui à la barbarie d’une radicalisation religieuse, politique, sociale et économique qui se présente sous les traits d’une violence aux multiples facettes. A Montpellier, dans la Région et au-delà, cette violence quotidienne questionne les artistes et les acteurs culturels de façon aiguë. Comment l’éducation à la consommation qui va de concert avec la paupérisation des connaissances et la montée de la violence pourrait-elle ne pas peser de tout son poids sur les politiques culturelles et plus particulièrement le théâtre ?
Le théâtre est un art politique, non par son contenu idéologique, mais à travers la progression régulière de l’action qui fonde l’intensité dramatique, politique aussi, à travers la contestation des valeurs données comme intangibles. Certains artistes, c’est le cas de Rodrigo Garcia, annonçant vendredi qu’il ne briguera pas un second contrat à la direction du CDN de Montpellier, ont fait du consumérisme le tremplin d’une mutation des formes dramatiques et scéniques. Ils proposent un travail artistique affirmé plein d’ambivalence. Et le désordre s’empare du plateau, parce que le quotidien qui se présente résiste à toute forme de sens. La scène devient le lieu où se renouvelle l’espace.
Le public jeune perçoit l’expression d’une rupture
« Mes choix artistiques peuvent paraître radicaux si on les compare aux autres. Moi, je n’ai pas ce sentiment. La majorité de ce qui est programmé dans les CDN est radicalement conservateur, dans ce contexte, ma propre radicalité ouvre une fenêtre pour l’expression plurielle », formulait ily a peu, le directeur d’hTh.
Le public cultivé traditionnel ne voit pas dans «l’insignifiance» enchanteresse un moyen de relever le défi. Il peut éprouver dans cette transgression le sentiment d’un espace qu’on lui retire. A l’inverse, le public nouveau, plus jeune, perçoit dans cette inquiétante étrangeté l’expression d’une rupture liée à la violence de l’histoire contemporaine. Une alternative aussi à la culture high-tech que lui propose la société de consommation.
Le CDN hTh occupé en avril 2016
Le projet hTh se caractérise par un esprit d’ouverture sans frou-frou. Le hall du théâtre est devenu lieu de création et d’échanges tous azimuts. Rodrigo Garcia n’a jamais revendiqué le statut d’artiste engagé politiquement. Il a eu maille à partir avec le conflit des intermittents du spectacle. En 2014, il annule les représentations de Golgota Picnic au Printemps des Comédiens. S’il affirme à l’époque son soutien aux intermittents et précaires en lutte, il se fend d’une lettre où il fait référence aux artistes étrangers victimes de la grève. «Les intermittents français défendent leurs droits avec un égoïsme prononcé et ne se préoccupent pas de ce qui se passe autour d’eux.» En avril dernier, alors que le CDN est occupé il déclare «Je partage le point de vue des travailleurs. Perdre des droits correspond à un retour en arrière.» Cette fois, les spectacles se poursuivent et le combat trouvera une issue favorable.
Au-delà de la représentation esthétique, force est de constater que le communiqué de Rodrigo Garcia ne focalise pas sur le contenu de ses propositions mais sur l’étroitesse financière de son budget artistique, 350 000 euros, que l’on peut mettre en regard avec le budget d’une ZAT (Zone artistique temporaire), 500 000 euros pour deux jours. Le directeur du CDN hTh pointe notamment le refus de la Métropole de mettre à disposition un bus pour accéder au Domaine de Grammont qui n’est pas desservi par les transports en commun.
Enfin le projet de transfert du CDN au Domaine d’O proposé par le maire de Montpellier et président de la Métropole, Philippe Saurel, apparaît comme un élément majeur dans la décision de Rodrigo Garcia de ne pas prolonger son mandat. «Pour ce qui nous concerne, nous ne refuserons jamais de grandir. Toute initiative qui viserait à faire du CDN un projet plus important, j’y serai favorable », indiquait-il en avril dernier.
Il ne s’est rien passé depuis, qu’une stérile lutte de pouvoir sans l’ombre d’un projet artistique. Jean Varela directeur de sortieOuest et grand défenseur de l’action publique l’a dit d’un autre endroit : « La seule question est de savoir comment les politiques conçoivent un service public de qualité. »
Jean-Marie Dinh
PRODUCTION hTh 2016 Markus Ohrn s’attaque à l’ancien testament
Rodrigo Garcia l’a souligné, il remplira son contrat. Et qu’on se le dise, la saison hTh 2016/2017 mérite le détour. Elle se compose d’une succession de propositions internationales, mais pas seulement, parfaitement décoiffantes. Le coup d’envoi a été donné avec To Walk the Infernal Field, une création post bourgeoise, de l’artiste visuel suédois Markus Ohrn en collaboration avec le dramaturge Pär Thörn, qui s’inspire librement de l’Ancien Testament relu au gré d’un univers Hard metal.
Un retour à la genèse reposant sous la forme d’une série de 70 épisodes en 10 chapitres. L’aventure, pour le moins risquée, a débuté à Montpellier où les trois premières soirées ont été données du 5 au 7 octobre. L’inventivité débridée et le principe performatif adapté à celui de la série produisent pour beaucoup un effet addictif. Qu’ils se rassurent, le chapitre 2 se tiendra à hTh du 1er au 3 décembre. Pour les suivants, il faudra surveiller les programmations des théâtres et festivals des grandes villes européennes.
To walk the infernal fields donne une interprétation des Livres de Moïse en tant que doctrine d’économie politique, construction d’une identité nationale et des lois terrestres autant que religieuses. « Je trouve pertinent de procéder à un examen de la Bible dans une époque au cours de laquelle tout le monde est obsédé par l’interprétation du Coran », indique Markus Ohrn.
Autre parti pris radical exprimé par l’auteur face au public après l’une de ses représentations « Je ne veux pas créer une performance qui puisse être envisagée comme un produit à vendre ou à acheter. Je veux que l’expérience soit réellement ressentie comme l’ici et maintenant. C’est pourquoi, il n’y aura pas d’autre opportunité de la voir ensuite, car elle disparaîtra.»
Dans le public, auquel on a fourni à l’entrée des boules-Quies afin qu’il préserve son audition, une dame interroge le metteur en scène « Moi j’ai 80 ans, et je me demande si vous pensez au public quand vous faites vos spectacles ? – Oui bien-sûr, répond l’artiste, je considère que c’est un don que je vous fais.»
Cette dame reviendra le jour suivant et répondra à l’invitation faite à l’ensemble de la salle d’investir le plateau…
La Baignoire : Elément indispensable au paysage artistique
Béla Czuppon capitaine de La Baignoire , 7 rue Brueys à Montpellier
La Baignoire débute sa saison. Le petit laboratoire montpelliérain consacré aux écritures contemporaines résiste modestement au tsunami qui ravage la création en Région.
Elle n’est pas insubmersible mais tient son cap, comme une petite bête d’eau qui se propulse sans raison apparente à la surface des eaux pas très claires, dans la bassine du mondillo culturel. Chaque saison, la Baignoire accueille des artistes, des auteurs et des compagnies.
« Chaque année la situation s’empire et les demandes s’accroissent, constate le capitaine Béla Czuppon qui sait de quoi il parle puisqu’il est aussi comédien et metteur en scène. Nous participons au glissement général. L’adaptabilité qui encode les solutions aux problèmes nous fait devenir coproducteurs en proposant des résidences dotées de 2 000 ou 3 000 euros » évoque-t-il avec dépit.
Ce lieu, il le tient, avec un budget de fortune, par passion, par goût, et aussi nécessité, celle d’offrir un lieu de travail et de découverte. A la Baignoire, les propositions et les formes sont diverses mais toujours qualitatives.
Lydie Parisse ouvre la saison avec L’Opposante (voir ci-dessous). La Comédienne et metteur en scène Marion Coutarel prendra le relais avec Si ce n’est toi, une sortie de chantier du 17 au 19 nov avant une création programmée au Périscope à Nîmes. Une virée poétique d’Andréa d’Urso sera conduite par le collectif marseillais Muerto Coco accueilli le 24 nov en partenariat avec la Cave Poésie à Toulouse. A découvrir aussi l’installation sonore immersive La Claustra de Marc Cals qui fait causer les meubles, et les micro-concerts de l’Oreille Electrique qui rythmeront la saison, ainsi que les lectures-déjeuners proposées par Hélène de Bissy qui feront la part belle aux nouvelles.
La Baignoire reste un lieu essentiel à l’écosystème du travail artistique local, les artistes et le public le savent déjà, il y aurait-il d’autres personnes à convaincre ?
Rens 06 01 71 56 27
Baignoire. L’opposante mise en scène par Lydie Parisse et Yves Goumelon
C’est à partir d’une histoire réelle que l’auteure a élaboré le récit de cette femme – morte à 97 ans – qui a enfoui dans le secret de son âme un amour interdit. Elle a aimé un Allemand durant la seconde guerre mondiale avant d’en être séparée, sans jamais l’avoir oublié. Depuis le jour de sa mort elle se met à parler pour un compte à rebours avant de s’enfoncer à jamais dans la brume. Lydie Parisse signe un texte saisissant de liberté, celle d’une femme morte un dimanche, jour où la France entre en guerre au Mali. Rapport de la petite histoire à la grande, rapport à une guerre du silence qui forge le destin de l’opposante. La pièce met en lumière une vie sous forme de confidences emportées. La simplicité intense et sincère d’Yves Gourmelon porte l’interprétation à un niveau de sensibilité rare. Le texte est touchant, drôle et jubilatoire quand il bouscule les tabous et les simagrées commémoratives. Pour ceux qui restent, la mort est un grand théâtre. La mise en scène présentée à Avignon, accueille le public dans une quasi-obscurité permettant aux spectateurs d’entrer dans un espace d’entre deux mondes où l’acuité s’aiguise. « C’est comme ça et pas autrement. »
L’opposante à La Baignoire les 14 et 15 oct
LIEU MENACÉ
sortieOuest dans la tourmente
Le poumon culturel du Biterrois en proie aux intrigues politiciennes dr
Créée il y a dix ans par le Conseil départemental et cultivée par son directeur Jean Varela et son équipe, sortieOuest est devenue un espace de diffusion pluridisciplinaire, un lieu privilégié d’élaboration de projets culturels pensés en collaboration avec les acteurs locaux. Une réussite totale remise aujourd’hui en question...
Après le quasi-avis de décès du festival la Terrasse et del Catet, c’est au tour des spectateurs-amis de sortieOuest, qui viennent de se monter en association, de manifester une vive inquiétude quant à l’avenir de leur théâtre « attaqué sur ses missions de service public de la culture par sa propre tutelle : le conseil départemental de l’Hérault.»
Victime des dégâts collatéraux liés au bras de fer qui oppose le Conseil départemental de l’Hérault à la Métropole de Montpellier à propos de la compétence culturelle métropolitaine, le lieu a vu sa présentation de saison repoussée, puis annulée. Aucun programme n’a été édité, ce qui renforce l’inquiétude du public fidélisé autour d’une programmation accessible de grande qualité.
Le directeur artistique Jean Varela, par ailleurs directeur du Printemps des Comédiens garde le silence. Il avait évoqué lors de la présentation à la presse de la saison d’hiver du Domaine D’o « l’impatience du public biterrois» et les répercutions néfastes de la loi NOTRe sur les territoires ruraux : « cette loi pose la question des politiques en milieu rural. Le populisme est partout…»
Depuis la situation n’a pas évolué, des spectacles programmés ont été annulés et rien ne s’éclaircit si ce n’est que l’équipe qui compte dix salariés ne peut plus faire son travail. SortieOuest est en théorie à l’abri du conflit impliquant la Métropole Montpelliéraine mais se retrouve concernée dans un projet alambiqué notamment défendu par le président de la structure Philippe Vidal, qui consisterait à élargir l’Epic du Domaine d’O à d’autre structures dont sortieOuest.
Dans cette perspective, le Conseil départemental a annoncé la dissolution de l’association. Un Conseil d’administration de l’association se tiendra demain à Béziers, précédé d’un rassemblement du public qui s’est approprié la démarche artistique et la convivialité de ce lieu incontournable. Le flou n’est cette fois pas artistique mais bien politique.
THÉATRE UNIVERSITÉ Au coeur de la fac La Vignette consolide sa mission
Les problèmes du théâtre seraient-ils inhérents au marasme politique ? La question mérite d’être posée si l’on se réfère à la bonne santé du Théâtre universitaire montpelliérain La Vignette, qui évolue partiellement hors de cette arène.
L’université Paul Valéry a bien compris l’intérêt d’assumer pleinement sa mission culturelle figurant au cahier des charges de toutes les universités françaises. Elle dispose d’un Centre culturel très actif et d’un théâtre qui développe les échanges intra-universitaires et inter-universitaires tout en restant ouvert au public extérieur.
Douze ans après sa création La Vignette est devenue une scène conventionnée pour l’émergence et la diversité. «Cette année, Patrick Gilli, le nouveau président est venu approuver la place du théâtre en tant que lieu d’échanges et de recherches, se félicite le Directeur Nicolas Dubourg, le théâtre s’est affirmé comme un outil de rayonnement sur le territoire, nous poursuivons maintenant sur la voie de la professionnalisation en tissant des liens qui favorisent l’insertion des étudiants dans le monde actif.»
Le Théâtre s’inscrit par ailleurs comme partenaire du nouveau Master Création Spectacle Vivant du département Cinéma&Théâtre en participant à la formation des étudiants en études théâtrales. En tant que représentant régional du Syndeac, Nicolas Dubourg n’est pas insensible à la crise actuelle.
«Les attaques contre la liberté de programmation par les maires ou par le public via des débats participatifs tronqués se multiplient, il faut que la profession se mobilise. Ici nous ne sommes pas concernés car notre théâtre n’est pas un simple lieu de diffusion. Il y a une différence entre programmer un spectacle et voir ce qui se passe avant et après, pour nous le spectacle n’est pas un événement mais un parcours où interviennent professionnels, chercheurs, étudiants et public.»
La programmation de cette saison réserve de très bonnes surprises ; elle se décline cette année autour de l’engagement et de l’intention de réaffirmer un théâtre de texte contemporain.
Théâtre. Sélection de trois spectacles qui ouvrent les esprits sur le monde
L’offre théâtrale montpelliéraine de cette saison demeure globalement qualitative à l’instar de ces trois spectacles à découvrir prochainement. Les spectateurs citoyens doivent se manifester s’ils ne veulent pas mesurer les répercutions du désastre qui s’annonce dans les années à venir.
Hearing texte et mise en scène de l’artiste iranien Amir Reza Koohestani qui conçoit ses récits comme des jeux de miroirs pour évoquer le rapport aux autres et la distance entre les individus. Proposé par le Théâtre La Vignette les 15 et 16 novembre prochain.
Pleine Texte et mise en scène de Marion Pellissier par la cie montpelliéraine La Raffinerie. Une femme qui n’accouche pas, une sage-femme et un médecin inquiétants, un foetus qui observe la vie de l’intérieur…Spectacle proposé par le Domaine d’O du 13 au 15 oct.
Time’s Journey Through a Room scénario et mise en scène de la japonaise Toshiki Okada reconnue comme une figure majeure des arts de la scène. Les 18 et 19 oct à hTh.
Le directeur du CDN Rodrigo Garcia évoque son spectacle Mort et réincarnation en cow-boy présenté à hTh du 10 au 14 mai.
Une fois n’est pas coutume, dans la perspective du prochain spectacle de la saison d’hTh, Rodrigo Garcia le directeur du CDN de Montpellier s’est prêté lundi au jeu des questions réponses avec la presse. Au coeur de cette rencontre la pièce Mort et réincarnation en cow-boy créée en 2009 au Théâtre national de Bretagne. « C’est peut-être la pièce la plus mystérieuse que j’ai fait » indique spontanément Rodrigo Garcia avec cet éclair singulier que l’on observe dans son regard alors que le reste de son apparence corporelle semble sortir d’un songe lointain.
Venant d’un metteur en scène considéré comme sulfureux, avant d’apparaître comme un grand auteur de la scène contemporaine européenne dont les pièces désarçonnent les attentes, le premier acte de cette qualification, qui appelle à la profondeur du mystère ne peut qu’attiser la curiosité. « C’est un diptyque, poursuit l’artiste, où se confronte le problème, toujours le même chez moi, d’être un auteur et un metteur en scène. »
S’ensuit une description sommaire du déroulement de la pièce scindée en deux parties. Dans la première s’exerce le mouvement dans la seconde, le texte. « Cela marque une dichotomie entre l’action sur le plateau et la littérature mais il demeure une ambiguïté, pas très clair dans ce rapport... » Que cultive sans doute le metteur en scène lorsqu’il demande à ses comédiens, qui ne disposent d’aucune expérience en danse contemporaine, d’interpréter des extraits d’une chorégraphie de Merce Cunningham.
« Il y avait cette idée de départ d’une personne à l’agonie, qui s’illustre dans la pièce par un extrait du film Cris et chuchotements de Bergman. Et aussi la volonté de rupture avec cet univers noir. J’ai demandé aux comédiens de danser le mieux qu’ils pouvaient mais aufinal, la recherche se révèle pathétique et la chorégraphie ridicule. C’était un moyen de casser la gravité. Comme l’arrivée de la musique, une basse et une guitare qui campentun univers de bruit et de douleur dans la création sonore de Vincent Le Meur dont le travail colore l’obscurité.»
La scénographie s’inspire des visions du plasticien américain Bruce Nauman. « J’imaginais un couloir étroit avec une cabane au fond dans une ambiance lynchienne avec de la drogue et des putes. Mais on ne trouve rien de tout ça finalement puisqu’à l’arrivée, comme dans un espèce de rêve, émerge du fond de la cabane un troisième personnage, une geisha... »
Et les cowboys dans tout ça ? « Pourquoi des cow-boys, je ne sais pas. C’est un stéréotype pour parler du quotidien. »
Fin de saison
A l’issue de cette présentation Rodrigo Garcia a évoqué les projets à venir d’hTh. L’accueil du spectacle Las Ideas de Frédérico Leon artiste phare de la scène indépendante argentine du 18 au 20 mai. Et celui du musicien Marino Formenti qui avec Nowhere jouera du piano à la vue de tous de 10h à 22h sans dire un mot pendant une semaine (16bd du jeu de Paume du 11 au 18 juin).
JMDH
hTh du 10 au 14 mai réservation . : 06 67 99 25 00. www.humaintrophumain.fr
Les comédiens Sofia Dias et Vitor Roriz , grandeur et subtilité . Photo dr
Antoine et Cléopâtre mis en scène par Tiago Rodrigues. Shakespeare est mort, vive Shakespeare…
Antoine et Cléopâtre, la pièce montée par Tiago Rodrigues, a été créée en mémoire à la tragédie de Shakespeare. « L’érosion du temps et du langage condamne la mémoire à l’incomplétude et, pour cela même, ouvre la porte à notre contribution personnelle », indique le jeune directeur du Théâtre National D. Maria à Lisbonne, invité par Rodrigo Garçia au CDN de Montpellier hTh. Les sources de la mise en scène empruntent à Plutarque comme l’avait fait lui-même le dramaturge dont on célèbre cette année les 400 ans de sa disparition.
Tiago Rodrigues change les valeurs relatives des incidences et des personnages secondaires, tire sur un fil de conscience, s’émancipe du texte pour se concentrer sur le couple prestigieux et donner toute la force au thème central de la pièce. L’histoire du couple Antoine et Cléopâtre qui assume les valeurs mythiques de leur passion dans les rapports avec l’histoire extérieure qui déterminera leur destin.
L’oeuvre en elle-même poussait à cet acte transgressif. Elle ne figure pas sur le podium des tragédies de Shakespeare en raison de sa structure construite sur une série de dichotomies?: Orient et Occident, raison et sentiments, masculin féminin, sexe et politique… Autant d’appels à la liberté dont Tiago Rodrigues et son équipe se saisissent en réduisant la distribution pharaonique à un duo intense.
Dans un corps étranger
Suivant la trame de Plutarque selon laquelle «l’âme d’un amant vit dans un corps étranger», dans ce spectacle, Antoine et Cléopâtre assurent et précisent la possibilité d’une transcendance des passions humaines au sein même de la corruption et du désespoir et en face de la mort. «Il est important de dire qu’étranger ne signifie pas éloigné, précise Tiago Rodrigues. Bien au contraire. Cette collaboration est née de la reconnaissance de l’affinité artistique à ce corps étranger. Bien qu’il soit étranger, nous pourrions l’imaginer nôtre.» Le propos fait écho à l’actualité, tout comme cette pièce complexe où la richesse et l’expérience humaine et poétique s’enchevêtrent. A cet endroit, Shakespeare n’infléchit pas la tragédie vers le drame politique.
Loin des contingences
Il est question d’une tragédie personnelle, dans le cadre d’une lutte gigantesque au cours de laquelle, malgré leur statut, les amants seront écrasés. Mais qu’importe, l’autre, l’étranger, ouvre sur une renaissance, sur les vastes perspectives d’un monde où l’homme pourrait se réconcilier avec ses passions.
Cléopâtre parle obsessionnellement d’un Antoine et Antoine parle avec la même minutie de Cléopâtre. L’amante décrit tous les faits et gestes de son amant vivant dans une mise en scène imaginaire. Et vice et versa. Le procédé offre des passages d’une grande beauté. La passion est traitée au présent de manière pleine et entière. Elle ne craint pas le passage du temps. Chacun garde sa personnalité et l’infléchit chez l’autre.
Toutes les épreuves contingence, absence, infidélité, tentation de puissance, honte de la défaite, n’ont d’autre effet que de renforcer l’emprise de l’amour, jusqu’au dépassement final.
L’espace scénique et la création lumière jouent sur l’instabilité et le mouvement permanent renforçant l’exaltation, la sensualité et la puissance des comédiens qui transmettent une énergie vitale.
JMDH
Ce soir et demain à 20h. Domaine de Grammont. Montpellier (34).
04 67 99 25 00 ou http://www.humaintrophumain.fr/web
Rodrigo Garcia : « Je suis profondément athée mais je pense que Dieu existe pour nous emmerder» Photo Marc Ginot
Deux ans après sa nomination à la direction du Centre dramatique national de Montpellier, l’auteur-metteur en scène hispano-argentin inscrit une ligne artistique qui renouvelle le paysage et les publics.
Réputé provocateur, Rodrigo Garcia considère aujourd’hui les controverses autour de son projet comme naturelles. Il évoque les fondements de son travail artistique qui bouscule la tradition du théâtre français, particulièrement «texto-centré», pour introduire une coexistence de formes et de pratiques qui se déploient sur le plateau. Un espace dans lequel l’esprit du spectateur serait l’ultime atelier dramatique.
A la mi-parcours de votre mission à la tête du CDN de Montpellier, on observe votre projet de manière contrastée. Le bon côté d’avoir nommé un artiste à cette fonction, c’est qu’il est contraint de rester fidèle à sa vision, contrairement à un directeur culturel qui sera par nature, plus poreux aux demandes de l’institution…
Cette porosité que vous évoquez est importante. Je dois tenir compte des attentes et en même temps, il m’est impossible de renoncer à mes idées. Je dois trouver un équilibre avec çà. Je ne peux pas être autiste. Ou du moins, je peux l’être dans ma création, mais pas dans ma programmation. Mes choix artistiques peuvent paraître radicaux si on les compare aux autres. Moi, je n’ai pas ce sentiment. La majorité de ce qui est programmé dans les CDN est radicalement conservateur, dans ce contexte, ma propre radicalité ouvre une fenêtre pour l’expression plurielle.
Quelle place occupe l’écriture dans votre quotidien ?
Je suis attentif à ce qui se passe, aux artistes. Mon écriture est liée à la littérature du corps qui n’est pas toujours ce que l’on croit qu’il est. Le corps et le texte sont sujets à d’infinis avatars. Dans la pièce de Marija Ferlin donnée ce soir *, on voit bien comment le chorégraphe est imprégné de la matière textuel.
Pouvez-vous évoquer la nature du jeu que vous entretenez avec vos comédiens, et l’importance qu’ils occupent pour monter le texte à la scène ? Ce ne sont plus vraiment des interprètes mais des créateurs…
Je connais mes comédiens depuis longtemps. Nous sommes ensemble depuis quinze ans. Cela facilite les choses et ça les complique aussi, parce qu’à un moment ma difficulté est de savoir comment je vais les surprendre. Je cherche à conserver une partie secrète. Lorsque nous travaillons, personne ne sait comment les choses vont finir ni où nous allons arriver. C’est un processus organique. J’injecte dans les corps et les corps absorbent, assimilent. Au fil des représentations le texte et la pièce prennent de l’épaisseur. Dans ma dernière création 4, en deux mois tout a changé alors que techniquement rien n’a bougé.
Le statut du texte se transforme sur le plateau…
Le texte est un problème fondamental du théâtre. Parce qu’il faut que les comédiens s’approprient des mots qui ne sont pas les leurs. Je rêve d’un théâtre complètement libéré. Ce ne serait sans doute pas la meilleure des choses… a minima, il faut que les comédiens soient d’accord. On travaille à tâtons.
Revendiquez-vous, comme Pasolini, le statut d’amateur ?
Amateur… Oui, ou plutôt chercheur. Pour moi, le mot professionnel est horrible. Cela signifie que tu détiens la règle. Moi je veux déconstruire pour découvrir ce que l’on peut faire avec nos limites. Et pourtant, je me répète. D’une pièce à l’autre les éléments sont les mêmes, je m’en rend compte avec le temps. C’est fatiguant de faire la même pièce depuis 27 ans.
Quand vous dites « Je ne supporte pas que l’on parle au public » cela lui confère de fait, une place active. Quelle rôle lui accordez-vous ?
Si vous m’aviez demandé cela avant la première de 4, je vous aurais répondu que cette place n’est pas majeure. Mais maintenant, j’ai conscience que cette place est très importante. La pièce provoque beaucoup de réactions auxquelles je n’avais pas pensé. Freud ou Lacan me diraient « tu le savais. Tu montres la folie .» Mais cela relève totalement de l’inconscient chez moi, comme la manière dont on vit sa vie quotidienne. Il y a des moments où les réactions des gens t’énervent. Parce que c’est toi qui t’exposes et que tu as peur. C’est normal. Le paradoxe c’est que quand les comédiens jouent mal, tu existes parce que c’est ton travail qui est en cause et quand ils sont dedans, tu ne sers plus à rien et tu disparais.
Vous n’attachez pas d’importance à la mise en scène de vos textes. Quel rapport entretenez-vous avec la notion d’oeuvre ?
Ce qui est écrit dans le livre m’appartient. La littérature est un récit de la pièce. Un metteur en scène qui travaille avec mon texte, pour moi, c’est un peu comme s’il le récupérait dans une poubelle. C’est étrange, mais je n’ai aucune curiosité pour les pièces auxquelles cela peut donner lieu.
Quel regard portez-vous sur cette première expérience à la tête du CDN de Montpellier ?
C’est une chose très importante dans ma vie. En tant qu’artiste on se regarde souvent soi-même. Cette fonction m’a ouvert à la société. Je regarde les autres artistes d’une autre façon. Je suis très attentif à la valeur de l’accueil. J’ai dans l’idée que cela relève de ma responsabilité. Pour moi, c’est une leçon d’humanité. Je suis heureux de voir les autres bien, et cela me fait plaisir. Au début ce n’était pas facile. Maintenant, je suis plus tranquille. J’accepte la controverse autour de mon projet et la conçois comme une chose naturelle.
Vous êtes vous fixé des perspectives d’ici 2017 ?
Rien de formel, je n’ai pas d’objectif précis. Je veux continuer à faire des propositions en relation avec les acteurs et les publics. Je conçois l’évolution dans un rapport dialectique.
Faire du théâtre au présent, est-ce travailler dans l’incertitude ?
Faire du théâtre aujourd’hui, c’est trouver la matière et l’envie de vivre joyeusement dans un monde détestable et difficile. Je suis profondément athée mais je pense que Dieu existe pour nous emmerder. Grâce à ces problèmes, je fais le théâtre que je fais.