“Prospérités du désastre”: et si on aidait la société à courir à sa perte?

Banlieue sud de Strasbourg, le 9 novembre 2005 (Vincent Kessler/Reuters

Banlieue sud de Strasbourg, le 9 novembre 2005 (Vincent Kessler/Reuters

La nuit n’est jamais complète. Paul Eluard.

Dans “Prospérités du désastre. Aggravation 2”, le philosophe Jean-Paul Curnier fait une analyse critique de quelques événements qui ont marqué la décennie écoulée. Son conseil: conduire le monde marchand au bord du gouffre, et l’encourager à faire un grand pas en avant.

 

Le philosophe Jean-Paul Curnier a réuni dans Prospérités du désastre (éd. Lignes) huit textes qu’il a écrits dans la décennie qui s’est écoulée. Autant d’occasions pour lui de nous livrer son regard acéré sur la politique, les émeutes de banlieues de 2005, le “Printemps arabe”, le mouvement des Indignés, ou encore la souveraineté populaire.

“Avec le dessaisissement consenti par les élus de la République du pouvoir qui leur était confié par le peuple au profit du pouvoir invisible, immatériel et hors de portée, de la finance, c’est le peuple, en tant qu’origine et détenteur en droit de ce pouvoir, qui s’est trouvé à son tour potentiellement liquidé”, écrit-il.

 

Ce n’est pas dans les émeutes de banlieues, ni dans le mouvement des Indignés, cette “insurrection à la portée des peluches”, qu’il décèle un potentiel retour du peuple, même embryonnaire, bien au contraire. Il soutient que ces mobilisations sont stériles: selon lui, les émeutes de banlieues ont perdu de vue “tout objectif de renversement de l’ordre social qui préside à la misère de ces quartiers et de ceux qui y vivent”, et le rapprochement qui a été fait entre les indignés et les mouvements révolutionnaires du printemps arabe relève de l’injure. “Le jour où les révoltes dans les villes seront armées par la lecture des poètes et la discussion critique des œuvres de philosophie et de sciences politiques, ce jour-là nous pourrons nous réjouir des émeutes à venir”, avance-t-il.

“Le pouvoir d’achat, c’est l’absence de pouvoir par excellence”

C’est précisément au réarmement du peuple par la pensée qu’il aspire. Cet usage critique de la raison passe par une remise en cause de certaines évidences, dont les mots courants sont les vecteurs. C’est pourquoi l’auteur s’applique à en décortiquer certains, pour en dévoiler la substantifique moelle, et déjouer les ruses de Sioux du lexique dominant. “La pauvreté, en novlangue, se dit ‘faiblesse du pouvoir d’achat’. […] Comment employer sans frémir le même mot pour désigner la détresse économique en Indonésie, au Guatemala, et la population des cités en France?”, interroge-t-il par exemple. Ou encore : “Qu’est-ce que le pouvoir d’achat? Eh bien je vais vous le dire: c’est l’absence de pouvoir par excellence, c’est la réduction au statut de signataire de chèques, de redistributeur de monnaie”.

Lorsqu’en 2006, peu de temps après les émeutes de banlieues, Nicolas Sarkozy fait du mot “rupture” son slogan de campagne, il affirme : “Si quelque chose a été réellement rompu, c’est d’abord le sens politique du mot rupture”. Au fil de sa réflexion, il détricote les évidences, déconstruit les mots, et dissipe les mystifications qu’ils recèlent, de manière parfois discutable, mais en tout cas avec une grande clarté.

 

Chaque événement d’actualité est interprété comme un symptôme du délitement inexorable de la société. Jusqu’au-boutiste dans son scepticisme et sa distance vis-à-vis de ce monde marchand en décomposition, il appelle à précipiter son agonie. C’est là le sens de l’”aggravation” : “Si ce monde va aussi franchement et volontairement à sa perte, autant qu’il y aille vite pour en vivre au plus vite le remplacement. Et il convient même de l’aider chaque fois que cela s’avère possible”.

Prospérités du désastre. Aggravation 2, de Jean-Paul Curnier, éd. Lignes, 172p., 14€

Source Les Inrocks 27/06/2014

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Patrick Chaudet « L’efficacité passe par l’équilibre »

patrick-chaudetEntretien avec Patrick Chaudet. Le nouveau directeur départemental de la sécurité publique qui vient d’être nommé entend redresser l’image de marque du commissariat de Montpellier.

Dans quel état d’esprit appréhendez-vous le cadre de vos nouvelles fonctions ?

Je suis assez serein, parce que je trouve une situation correspondant à ce que j’imaginais. Joël Guenot que je connais bien, m’en a souvent parlée. Elle est plutôt favorable.

Avez-vous des priorités face à la diversité des missions qui sont les vôtres ?

Il y en a deux, qui sont la lutte contre la petite et moyenne délinquance et la lutte contre l’insécurité routière qu’il faut maintenir dans le département. La priorité, c’est aussi que la police soit réactive par rapport aux événements, comme à l’égard d’elle-même. Il est important que l’image de marque du commissariat soit bonne pour les partenaires qui travaillent avec nous, parce que le problème de la sécurité ne relève pas seulement de la police, c’est l’affaire de tous.

Comme au niveau national, la situation se caractérise par une réduction des délits de voie publique, mais une hausse des violences faites aux personnes ?

C’est vrai que statistiquement ces infractions augmentent, mais il faut comprendre que le législateur a augmenté le nombre d’incriminations dans ce domaine. Ce qui fait que l’on a une vision un peu déformée du nombre de faits concernés. Autrefois, les coups et blessures volontaires étaient poursuivis lorsqu’il y avait une incapacité de travail supérieure à huit jours. Pour protéger la sphère familiale, le législateur a considéré que les cas de violence étaient des délits. Donc, fatalement, ces infractions augmentent artificiellement les statistiques. S’agissant des vols avec violence, je note qu’ils n’ont globalement pas augmenté depuis cinq ans. Mais rien n’est jamais vraiment acquis.

Quel est l’équilibre à trouver  entre le répressif et le préventif ?

L’équilibre, c’est d’abord la dissuasion, c’est-à-dire une présence policière visible. C’est aussi établir une bonne complémentarité entre les services de l’Etat et les services locaux. Ce qui implique des diagnostics pertinents sur la délinquance et permet d’impliquer tout le monde. Dissocier la prévention de la répression est une erreur.

Faut-il renforcer la présence policière dans les quartiers sensibles ? Doit-on avoir recours à un personnel plus expérimentés ?

Les gens plus expérimentés, on les voudrait partout, mais il faut faire avec les moyens que l’on a. Avec le mouvement massif de départ à la retraite, on est dans une période de rajeunissement de nos effectifs. Il ne doit pas y avoir de zone de non-droit. Les quartiers ne doivent ni être abandonnés, ni surfliqués. Je pense qu’à Montpellier, les choses sont assez équilibrées.

Quelle place tient le rôle de l’orientation politique en matière de sécurité ?

La sécurité ne relève pas seulement d’une fonction politique, même si elle reste une fonction régalienne de l’Etat. Dans la loi sur la prévention de la délinquance, le maire dispose désormais d’un rôle très important. Mais c’est aussi l’affaire des associations d’aide aux victimes qui sont impliquées notamment dans l’accueil des personnes victimes de violence. Le politique donne les moyens et les orientations, mais la sécurité implique aussi les citoyens qui doivent faire preuve de vigilance et de solidarité.

Après Outreau, on vient de voir paraître le décret d’application qui supprime le critère protéiforme de trouble à l’ordre public. Qu’est ce que cela vous inspire ?

Selon ma conviction personnelle, je pense que ce n’est pas une bonne mesure. Surtout pour les infractions graves. Prenons un exemple : quelqu’un en état d’ivresse tue quelqu’un. Si une information est ouverte, sans le recours au trouble à l’ordre public, cette personne sera remise tout de suite sous contrôle judiciaire et peu recommencer demain. Je crois que cela va handicaper les magistrats dans leurs actions.

Comment développer la capacité d’anticipation des services de police marqués par une culture de réaction ?

Certains idéologues considèrent que la police est réactive mais pas proactive. Pour moi, c’est un faux problème. Proactif, cela veut dire que l’on anticipe les problèmes. C’est sûr qu’on dispose d’un bon contact avec la population qui nous permet de savoir si des tensions sont en train de naître. C’est le rôle des renseignements généraux de jouer les météorologues de la sécurité et de la situation sociale. Dès lors que la police est présente et efficace sur l’ensemble d’un territoire, cela lui permet de mesurer les degrés de tension. La police est à la fois réactive et proactive.

Vous avez déclaré que la police ne doit pas être critiquable. Avez-vous fait des recommandations dans ce sens au service de la BAC souvent mis en cause ?

Toute action de police peu à un moment ou à un autre être mis en cause sur ses méthodes ou sur son action. Je veillerais à ce que les principes de déontologie soient respectés et que les principes d’action soient dans le droit. Il n’est pas acceptable que des violences ne soit pas légitimes, même s’il y a aussi parfois des réactions disproportionnées par rapport à l’événement. Je ne veux pas que, sous le prétexte de l’efficacité, on se permette des dérives. Et ça, j’y veillerais.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique société statistiques de la délinquance dans l’Hérault, hausse de la violence des jeunes en question, Affaires Affaire Villiers-le-Bel,