Abstraction : Forces et richesse créatives de la seconde école de Paris

Hartung T 1964 R8

Exposition. Le Musée Fabre poursuit son exploration des grands courants artistiques qui ont jalonné le XXe siècle avec Les sujets de l’abstraction. A découvrir jusqu’au 25 mars 2012.

 

Entrer dans l’abstrait par le sujet n’est pas la moindre des gageures. C’est l’objet ou le pari de l’exposition accueillie au Musée Fabre jusqu’au 25 mars 2012. Le choix des 101 œuvres présentées est issu de la collection de la Fondation Gandur pour l’Art.

Après le Musée Rath de Genève, Montpellier s’inscrit comme la première étape internationale de cette éclairante exposition sur les partisans de l’expressionnisme abstrait de la seconde école de Paris.  Le Musée Fabre poursuit ainsi son exploration des grands courants artistiques qui ont jalonné le XXe siècle. Son directeur Michel Hilaire, et Nicole Bigas, en charge de la culture pour l’Agglomération de Montpellier, ont tous deux souligné le dialogue ouvert entre l’exposition accueillie et les collections contemporaines du musée. Une relation où les œuvres, de Nicolas de Staël, d’Hans Hartung,  de Vieira da Silva, de Serge Poliakoff et bien sûr celles de son principal thuriféraire à Montpellier, Pierre Soulage, trouvent de nouvelles perspectives.

Ecole nouvelle

Le terme Ecole de Paris est apparu dans les années vingt sous la plume du critique d’art André Warnod. Il désigne la situation spécifique à la capitale, foyer de création incontournable qui attirait nombre d’artistes étrangers à la recherche de conditions favorables pour développer leur art. Il a été reconduit après la deuxième guerre mondiale sous le vocable Seconde école de Paris qui fait référence à la liberté d’expression vécue conjointement dans les années de combat de la seconde guerre mondiale.

 

Schneider Opus 27 C

Resserrées entre 1946 et 1962, les œuvres présentées retracent l’histoire de la peinture non-figurative expressionniste. Le choix muséographique répond à plusieurs objectifs. Une certaine fidélité au collectionneur, la mise en exergue des liens avec la collection du Musée Fabre et la volonté du commissaire scientifique Eric de Chassey de contribuer à une réécriture de l’histoire de l’art de l’après guerre en sortant des querelles nationalistes.

« Seules les oeuvres peuvent assurer une transformation des regards, un renversement des a priori et l’établissement éventuel de nouvelles hiérarchies, y compris à l’intérieur de la Seconde École de Paris, qui réhabiliteront des artistes que leur époque ou la postérité a, jusqu’à présent, mal ou peu considérés. » Cette démarche cognitive s’affirme à travers le parcours qui s’émancipe de la chronologie comme le fil le plus cohérent.

Fécondité créative

L’exposition se développe en sections permettant de saisir la fécondité créative de différentes tendances dans lesquelles s’affirment les personnalités.

 

Zao Wou-ki.1961

Née de la recherche d’un nouveau langage, la Sarah (1943) de Jean Frautier, se confronte au primitivisme renouvelé porté par Jean-Michel Atlan ou Karel Appel. Un peu plus sage, mais non moins puissant, Nicolas de Staël transmet son monde intérieur avec Fleurs blanches et Jaunes (1953). Partout la subjectivité s’affirme de manière radicale. Simon Hantaï combat avec la matière en « utilisant la peinture contre lui-même et contre elle-même. » Hans Hartung évoque  sa passion pour la foudre avec T 1964-R8 en souhaitant saisir le zigzag de l’éclair pendant l’orage.

Chaque faction, chaque courant esthétique a ses représentants.  Le niveau supérieur s’ouvre sur le courant « Paysage » saisi par les effets subjectifs qu’il suscite chez les artistes. On y retrouve la sensibilité polysensorielle de la nature des artistes chinois Chu Teh-Chun et Zao Wou-ki. Avec Paris la nuit (1951), Maria Viera da Silva déploie un paysage mental scintillant et sophistiqué comme une partition musicale à interpréter avec le regard.

Le parcours se clôture par une section « Ruine » où les artistes assument la fin du tableau. Cela peut passet par une attaque directe de la surface picturale chez Lucio Fontana, ou par sa transformation en une matière brute chez Jean Dubuffet.

 

Salvadore Scarpitta, Trapped canvas, 1958.

Les sujets d’abstraction des artistes européens ont longtemps été dépassés par l’hégémonie culturelle new-yorkaise, et méprisés plus tard par le scepticisme des soixante- huitards  et de leur fameux slogan «Abstraction piège à con »

« Je me suis rendu compte que l’Europe avait oublié ses propres enfants. Pourtant, la souffrance européenne qu’ils exprimaient au sortir de la guerre, n’est pas la même que celle des Américains », explique le collectionneur Jean-Claude Gandur, dont la collection permet de redécouvrir la richesse de leur conquête plastiques. Un sujet qui en recoupe beaucoup d’autres.

Jean-marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Arts, Artistes méconnus de RDA, Cy Twombly tire un trait, rubrique Exposition, rubrique Montpellier,

Rythmes et nouvelles partitions

pierrette-bloch venezzia biennial photo DR

Elle est discrète et entière, faite de concentration et de détente comme son œuvre. Elle a dû en entendre des remarques ringardissimes sur son travail. Elle ne dit presque rien comme si sa clairvoyance était supérieure. Elle sourit, écoute. On la sent présente. L’œil et l’esprit sont vifs. A 81 ans, Pierrette Bloch demeure très accessible. Sa matérialité rudimentaire touche à la métaphysique. « Je dois avoir un tempérament de fauve », confie-t-elle. Depuis cinquante ans qu’elle pratique, elle sait qu’on ne ponctue pas un caractère en déposant une goutte d’encre au hasard. D’ailleurs, rien ou presque n’est dû au hasard dans son travail. L’artiste joue sur le mouvement, les distances, le rythme, la capacité d’absorption du papier, la variation infinie de la coloration… « Je travaille par plaisir », résume-t-elle. L’organisation rigoureuse des aléas constitue son monde fait de vide et de plein. Pierrette joue avec le temps. « Je n’ai jamais fait un travail de rupture. C’est une continuité. »

Au Musée Fabre, face à ses lignes de papier (2001/2003) dont certaines s’étendent jusqu’à douze mètres, elle se souvient : « Il y a eu un changement dans mon travail quand j’ai compris que je pouvais continuer, traverser mon atelier. » Les fusains griffés sur isorel (2009) que l’on découvre pour la première fois dans l’exposition, renvoient une pensée forte. « L’absorption de l’encre laisse ses traces », commente-t-elle sobrement.

« Ce travail du presque rien, de l’ordre du chuchotement, oblige le spectateur à une remise en cause radicale de son mode de perception du temps et de l’espace » écrit le directeur du Musée Fabre Michel Hilaire. Il a raison. A propos du Travail de l’herbe, l’une de ses œuvres réalisée en 1995, une critique d’art interroge : « Quand Lucrèce, dans le De natura rerum, raconte les origines de la terre, il situe l’herbe avant toute autre création… ». « C’est très bien » répond l’artiste.


Pierrette Bloch jusqu’au 26 septembre 2009 au Musée Fabre.

La renaissance d’un Poussin

Vénus et Adonis pour la première fois unis dans un même cadre

Après l’exposition Poussin et la nature qui s’est close en mai au Metropolitan Museum de New-York, le Musée Fabre présente pour la première fois en France, l’œuvre reconstituée de Nicolas Poussin (1594-1665) Vénus et Adonis. La réunion de ces deux toiles fait du bruit dans le landernau des amoureux de l’école française. L’histoire insolite, mais pas exceptionnelle chez les coquins qui font de l’art un commerce, veut que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, un marchand d’art peu scrupuleux ait profité du format étendu de l’œuvre pour couper le tableau en deux et en tirer double bénéfice.

Selon les précisions fournies par le directeur du Musée Fabre, Michel Hilaire, lorsque François Xavier Fabre, qui jouissait pourtant de l’étendue de ses relations dans le monde des arts, se porte acquéreur de Vénus et Adonis (la partie droite de l’œuvre), il ne connaît pas l’existence du morceau manquant. Il en serait de même pour la galeriste new-yorkaise Patti Cadby Birch ayant acquis l’autre moitié de la toile. Le manque de cohérence de la partie gauche rebaptisée « Paysage au Dieu-fleuve » laisse cependant assez septique sur cette version des faits. Ce n’est que depuis 1979 qu’un marchand anglais a fourni la clé du mystère en associant les deux morceaux comme une seule et même œuvre. Les deux fragments qui viennent d’être présentés à New York ont fait événement. Michel Hilaire qui les rassemble à Montpellier pour la première fois sous un cadre commun, espère bien convaincre le propriétaire et quelques mécènes de l’intérêt d’une union définitive. Il n’y a visiblement plus de doute sur l’intention, reste la question du prix… L’enjeu de cette omelette est d’autant plus de taille que sur les 15 tableaux de Poussin que disait léguer François Xavier Fabre dans la donation qu’il fit au musée en 1825, seuls deux sont à présent considérés comme authentiques, ou plutôt, un et demi.


Vénus et Adonis, l’œuvre reconstituée