Il est grand temps d’abandonner le franc CFA, cet héritage de la colonisation française qui entrave le développement de l’Afrique, estime l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla.
Dans le cadre d’un débat démocratique, les adversaires doivent se vouer un respect mutuel et l’objectif devrait être d’éclairer les citoyens ordinaires, les décideurs publics, etc. Les meilleurs arguments doivent triompher des intérêts partisans. Autant nous devons nous réjouir de l’émergence d’un débat public sur le franc CFA partout dans l’espace francophone, autant nous devons déplorer le manque de courtoisie et d’honnêteté intellectuelle de nombre de partisans du franc CFA.
Lorsque l’on se limite aux faits, et uniquement aux faits, il est impossible de souhaiter le maintien du système franc CFA.
remier fait irréfutable : le franc CFA n’a pas favorisé le développement économique des pays qui l’ont en partage. L’appartenance à l’espace FCFA (par ce raccourci commode il est fait référence aux deux blocs monétaires que sont l’Uémoa [Union économique et monétaire ouest-africaine] et la Cémac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale]?; la zone franc en Afrique, c’est l’espace FCFA + les Comores) est corrélée avec le sous-développement et la pauvreté.
Lettre datée du 12 janvier 2015, adressée au Président du Conseil de sécurité par la Présidente du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo Au nom du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo, et en application du paragraphe 5 de la résolution 2136 (2014) du Conseil, j’ai l’honneur de vous transmettre ci-jointle rapport final du Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo.
Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter le texte du rapport à l’attention des membres du Conseil de sécurité et de le faire publier comme document du Conseil. La Présidente du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la République démocratique du Congo
Signé Dina Kawa
Rapport final du Groupe d’ experts sur la République démocratique du Congo
Afrique a la forme d’un revolver dont la gâchette se trouve au Congo. » Un demi-siècle après l’indépendance de l’ancien Congo belge, en 1960, le mot de Frantz Fanon sonne toujours aussi juste. Géant économique de l’Afrique centrale, la République démocratique du Congo (RDC) détient les premières réserves mondiales de coltan et les quatrièmes de cuivre. Cela fait d’elle une zone stratégique pour les industries du monde entier. Australiennes, canadiennes, chinoises, sud-africaines ou américaines, les sociétés minières se sont vu qualifier par l’écrivain In Koli Jean Bofane de « touristes à but lucratif (1) ». Depuis 2003, plusieurs rapports du groupe d’experts des Nations unies sur les causes économiques du conflit dans l’est de la RDC (2) ont mis en lumière le lien entre les milices armées et l’exploitation, pour le compte de sociétés étrangères, de minerais stratégiques indispensables à la fabrication de certains appareils électroniques comme les téléphones portables.
Affichant une volonté de changer les pratiques, Washington veille désormais à effectuer avec diligence toutes les vérifications concernant l’origine de ses approvisionnements en minerais. Les États-Unis ont même abandonné le Nord-Kivu après l’adoption en 2010 de la loi Dodd-Frank. Celle-ci exige que les sociétés cotées en Bourse outre-Atlantique rendent publique l’origine de certaines matières premières — étain, tantale, tungstène, or — contenues dans leurs produits, afin de prouver qu’elles ne proviennent pas de la RDC ou de l’un de ses neuf pays limitrophes. N’étant pas liés par cette mesure de lutte contre les « minerais de conflit », des comptoirs chinois ont pris le relais des sociétés américaines dans les régions concernées. En mai, un groupe américain, Freeport-McMoRan, a par ailleurs cédé à China Molybdenum, pour 2,6 milliards de dollars, la plus grande mine de cuivre et de cobalt de RDC, Tenke Fungurume, située dans le Katanga.
Une partie du jeu se déroule loin du territoire national, notamment en Belgique, pour des raisons qu’un diplomate européen estime relever de la « géopolitique pure ». L’ancienne métropole coloniale accueille volontiers les opposants en exil. Cinquante-cinq ans après l’assassinat par des policiers belges du héros de l’indépendance Patrice Lumumba, son vice-premier ministre Didier Reynders, chargé des affaires étrangères, a appelé le président Joseph Kabila à assurer pour la première fois dans l’histoire de son pays une « transition démocratique et pacifique ». L’avenir de la RDC se joue également à Washington, New York, Londres et Paris — qui surveille cet espace géostratégique et francophone —, mais aussi au Rwanda et en Ouganda et, dans une moindre mesure, en Zambie, en Angola et en Afrique du Sud, pour des raisons de stabilité politique et parce que l’on craint un afflux de réfugiés congolais.
Aucun des voisins africains ne peut être décrit comme un allié sûr de M. Kabila. Au milieu des années 1990, les présidents ougandais Yoweri Museveni et rwandais Paul Kagamé avaient soutenu Laurent-Désiré Kabila dans sa rébellion contre Joseph Mobutu. Ces aînés régionaux ont ensuite été accusés d’entretenir des rébellions dans le Nord-Kivu, une province frontalière de leurs pays, pour mieux en exploiter les minerais. Ils ont essuyé en octobre 2013 la défaite de leur allié, le Mouvement du 23 mars (M23). Ce groupe rebelle a été écrasé par l’armée congolaise avec l’appui de la brigade d’intervention africaine de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (Monusco) et, de manière non officielle, d’un escadron d’hélicoptères sud-africains (3).
Il n’empêche. L’Ouganda et le Rwanda ont intérêt à conserver une RDC faible sur leurs flancs, et restent craints pour leur capacité militaire. En 2015, après des années de froid, M. Kabila a habilement repris langue avec M. Kagamé, lui-même en délicatesse avec la « communauté internationale » en raison de son exercice autoritaire du pouvoir. Certains redoutent un nouvel embrasement dans le Nord-Kivu, qui pourrait servir de prétexte au report de l’élection présidentielle (lire « Transition à haut risque en République démocratique du Congo »).
La présence de la Monusco, la plus importante force des Nations unies jamais déployée dans le monde (22 400 personnes, dont 19 400 en uniforme), est un garde-fou bien peu efficace face aux dérives répressives. Malgré les demandes de retrait répétées formulées par M. Kabila, le Conseil de sécurité reconduit chaque année cette mission créée en novembre 1999. Les troupes internationales sont pour l’essentiel déployées dans l’est du pays, où elles ne parviennent pas à empêcher les massacres ni à endiguer la prolifération des groupes armés. Sur le qui-vive, elles peuvent cependant réagir dans la capitale, comme elles l’ont montré un soir d’affrontement entre la police et des civils, début août 2016, aux portes du domicile de l’opposant Étienne Tshisekedi. Mais la Monusco laisse également le souvenir d’une force prompte à s’évaporer en cas de troubles graves, comme en 2007 à Kinshasa, lors de l’assaut lancé par l’armée régulière contre la résidence de l’ancien vice-président de la République et opposant Jean-Pierre Bemba.
Les pressions internationales seront-elles déterminantes ? « Ici, nous ne pouvons pas échouer », affirme l’Espagnol José Maria Aranaz, directeur du bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme en RDC. Il n’en redoute pas moins le basculement vers un régime « prêt à manipuler les institutions et à réprimer, comme au Burundi, où la “communauté internationale” n’a pas réussi à résoudre le conflit électoral ». Les Nations unies avaient « certifié » la présidentielle de 2010 en Côte d’Ivoire, organisée avec cinq ans de retard, sans pour autant empêcher la grave crise qui a suivi (4). Elles ne prendront pas cette responsabilité en RDC, malgré l’argent dépensé depuis 1999 pour le maintien de la paix : 1,3 milliard de dollars par an, l’équivalent de 2 % du produit intérieur brut (PIB) de ce pays.
Rien ne dit non plus que l’« extrême vigilance » de la Cour pénale internationale (CPI) porte ses fruits à Kinshasa. En juin dernier, la Cour, qui a ouvert en 2004 une enquête sur les violations des droits humains commises en RDC, a condamné M. Bemba à dix-huit ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, mais pour ses agissements en Centrafrique et non en RDC. Touchant un opposant déclaré à M. Kabila, ce verdict a cependant été perçu comme favorable au pouvoir.
Les violences perpétrées contre les manifestants pourraient conduire à son tour le président congolais devant la justice internationale. Mais l’autorité de la CPI s’effrite en Afrique : le Burundi a décidé le 16 octobre de la quitter, suivi de peu par l’Afrique du Sud, la Gambie et la Namibie.
Sabine Cessou
(1) In Koli Jean Bofane, Congo Inc. Le testament de Bismarck, Actes Sud, Arles, 2014.
Dans l’enquête intitulée « Diesel sale », l’ONG Public Eye (ex-Déclaration de Berne) dévoile les pratiques peu scrupuleuses de traders pétroliers suisses en Afrique. Quatre enquêteurs ont travaillé durant trois ans pour percer les mystères toxiques de l’essence et du diesel distribués sur le continent africain par les géants suisses du négoce de matières premières.
Les résultats de cette enquête publiée jeudi 15 septembre sont sans appel : les carburants écoulés en Afrique ont une teneur en soufre entre 200 et 1 000 fois plus élevée qu’en Europe, mettant gravement en péril la santé de populations exposées aux particules fines et à d’autres substances chimiques cancérigènes.
Des produits toxiques ajoutés aux carburants pour augmenter les profits
Pour augmenter leurs profits, les traders effectuent des mélanges avec des produits toxiques et particulièrement nocifs pour l’environnement et pour la santé. Des opérations souvent risquées qui s’effectuent à quai, notamment à Rotterdam, Amsterdam et Anvers, ou en pleine mer à quelques miles des côtes de Gibraltar ou des ports d’Afrique de l’Ouest.
Les traders ont un nom pour qualifier ces produits pétroliers : « qualité africaine ». Ce carburant toxique est écoulé en Afrique de l’Ouest où les négociants en matières premières profitent de réglementations qui permettent encore l’importation de diesel et d’essence contenant un taux de soufre très élevé. Ils en ont fait un marché parallèle et opaque.
Dans les stations essence de Trafigura, Vitol ou Oryx
Public Eye a effectué des prélèvements dans des stations essence de huit pays africains (Angola, Bénin, Congo-Brazzaville, Ghana, Côte d’ivoire, Mali, Sénégal et Zambie) détenues ou alimentées par ces maîtres du négoce pétrolier, comme Trafigura, Vitol ou Oryx. Plus de deux tiers des échantillons contiennent un taux de soufre supérieur à 1 500 parties par million (ppm). Avec une pointe à 3 780 ppm au Mali. La limite est de 10 ppm en Europe, aux Etats-Unis et même en Chine, à compter de 2017.
Les grandes villes africaines pâtissent déjà d’une qualité de l’air déplorable et d’une urbanisation préoccupante. D’ici 2050, la population urbaine devrait tripler sur le continent. Et le nombre de véhicules devrait considérablement augmenter. Les grands acteurs suisses de ce marché du « diesel sale » disent respecter les normes en vigueur. Et ils insistent sur les efforts fournis par l’Association des raffineurs africains (ARA), une organisation basée… à Genève et dont ils sont membres, pour améliorer la qualité des carburants qu’ils importent, mélangent, revendent et distribuent sur le continent.
A Paris, on fait mine de ne pas approuver, mais sans condamner, et en maintenant la coopération, y compris militaire.
Après avoir imposé une nouvelle Constitution sur mesure pour le dictateur et avancé le scrutin, le clan présidentiel a coupé le pays du monde en imposant une suspension des télécommunications au moment du premier tour, le 20 mars, et les jours suivants. Rien que cette mesure aurait dû provoquer une pluie de condamnations internationales, tant il était prévu que le parti-État entendait annoncer une victoire du dictateur-candidat dès le premier tour. Si les États-Unis ont timidement dénoncé cette mesure liberticide, la France officielle a à nouveau brillé par son silence.
Langue de bois
Lors de son point presse du mardi 22 mars, le Quai d’Orsay s’est contenté de signaler que « ce scrutin s’est déroulé dans un contexte préoccupant, en raison notamment de la coupure des communications », ajoutant cyniquement que « la France, qui fait preuve de vigilance, rappelle son attachement à la transparence et à l’équité du processus électoral à toutes ses étapes ». La belle affaire ! Même l’agression de 3 journalistes français (du Monde et de l’AFP) et la confiscation illégale de leur matériel et de leur passeport par des policiers en civil, à la sortie d’une conférence de presse de l’opposition à Brazzaville le 23 mars, n’a pas infléchi la langue de bois diplomatique. Le 24 mars, le même Quai d’Orsay a en effet précisé que l’ambassadeur de France au Congo était « immédiatement intervenu auprès des autorités afin que leurs effets leur soient restitués sans délai, (…) et que toute la lumière soit faite sur cet incident » ? sans oublier la rengaine : « La France rappelle son attachement, partout dans le monde, à la liberté d’expression et à la liberté de la presse ». Et que pourraient faire de plus les autorités françaises, mon bon monsieur ? Visiblement pas suspendre la coopération de défense, au titre de laquelle des militaires français « conseillent » et « forment » les forces de l’ordre congolaises (cf. Billets n°251, novembre 2015). Sans surprise, le 24 mars, les autorités congolaises annonçaient des « résultats partiels » selon lesquels Sassou Nguesso serait élu au premier tour avec 67 % – un résultat relayé sur le champ sur Twitter par i-télé, dont le tweet a été immédiatement et abondamment retweeté par les faux comptes mis en place par le pouvoir congolais et ses communicants, afin de donner force de vérité médiatique à une annonce grotesque.
Au PS, dissidence sans impertinence
Comme lors du référendum frauduleux sur la modification constitutionnelle, le Parti socialiste a condamné le 25 mars, par la voix de son Secrétaire national à l’International, Maurice Braud, ce coup de force. Une prise de position appréciée par l’opposition congolaise, en mal de soutien international. Mais comme lors du référendum, le PS s’est bien gardé de demander à l’exécutif français de prendre des mesures concrètes comme le gel des avoirs de certains membres du clan ou la suspension de la coopération militaire. Le même jour, les cinq principaux candidats usurpés ont pour leur part, dans un communiqué commun, appelé à la désobéissance civile (avec une première journée « villes mortes » le 29 mars) et demandé à la communauté internationale la suspension de toute coopération. Depuis, ils se retrouvent de facto en liberté surveillée ou sont dans la clandestinité, comme le général Mokoko, dont plusieurs membres de l’équipe de campagne ont été arrêtés, d’autres se cachant comme lui – mais jusqu’à quand ? A partir du 25 mars, les décomptes organisés par l’opposition sont venus contredire largement les chiffres de la commission électorale officielle – présidée par un proche du ministre de l’Intérieur congolais (Lettre du Continent, 23/03). Empêtré dans la politique intérieure française (abandon de la réforme constitutionnelle, contestation massive de la réforme du Code du travail), François Hollande, on le devine, continuera sa stratégie faite de silences et de demi-phrases : il « ne donnera donc pas son sentiment dans l’immédiat. L’information est confirmée à l’Elysée : le président veut attendre la fin du processus et l’examen des recours pour réagir » (Rfi.fr, 26/03).
Le problème, c’est les autres
Jean-Marc Ayrault, invité Afrique de RFI le 31 mars, a à sa manière parfaitement résumé la situation. Alors que la journaliste Anne Cantener relève que la France « n’a pas parlé ouvertement d’irrégularités lors du scrutin, ce qu’ont fait par exemple les États-Unis », et demande « comment expliquer cette différence de ton ? », le ministre des Affaires étrangères élude : « Chaque pays s’exprime à sa façon ». Et d’asséner les éléments de langage de l’Elysée, sur une posture générale pleine d’enfumage mais sans application concrète : « Ce qui est sûr c’est que la France n’est pas favorable à ces modifications constitutionnelles permanentes qui ont pour objet de maintenir au pouvoir un chef d’État qui est là depuis des dizaines et des dizaines d’années. Ce n’est bon pour aucun pays. Il y a des pays je pense au Burundi, à la République démocratique du Congo qui sont tentés par des réformes constitutionnelles de même nature. On voit bien que cela crée des troubles, de la tension et des dangers. Il faut vraiment que, dans tous ces pays, la raison démocratique l’emporte ». On aimerait qu’à Paris aussi la raison démocratique l’emporte et, par exemple, que la France suspende enfin sa coopération militaire.
Note. Cet article a été rédigé juste avant que n’aient lieu, à Brazzaville, des affrontements à l’arme lourde entre l’armée congolaise et un groupe armé (accusé par le pouvoir d’être lié à la milice dite « des Ninjas » de l’opposant surnommé Pasteur Ntumi), puis une répression militaire particulièrement violente dans la région du Pool.
Fin avril, on ignore toujours l’ampleur des exactions commises par l’armée congolaise dans cette région considérée comme un fief de l’opposition. Du fait de la coopération militaire française avec le Congo, Paris a pourtant la possibilité d’être parfaitement informée sur la situation. Les autorités françaises ont donc le devoir d’une part de divulguer les informations en leur possession, et d’autre part de condamner enfin ce coup d’État électoral en prenant des sanctions concrètes, telles que le gel des avoirs financiers des responsables congolais et la suspension immédiate de toute coopération militaire avec cette armée criminelle.
Source : Survie Publié le 23 avril 2016 (rédigé le 2 avril 2016)