Mascarade électorale au Congo : la France « s’exprime à sa façon »

A Paris, on fait mine de ne pas approuver, mais sans condamner, et en maintenant la coopération, y compris militaire.

Après avoir imposé une nouvelle Constitution sur mesure pour le dictateur et avancé le scrutin, le clan présidentiel a coupé le pays du monde en imposant une suspension des télécommunications au moment du premier tour, le 20 mars, et les jours suivants. Rien que cette mesure aurait dû provoquer une pluie de condamnations internationales, tant il était prévu que le parti-État entendait annoncer une victoire du dictateur-candidat dès le premier tour. Si les États-Unis ont timidement dénoncé cette mesure liberticide, la France officielle a à nouveau brillé par son silence.

Langue de bois

Lors de son point presse du mardi 22 mars, le Quai d’Orsay s’est contenté de signaler que « ce scrutin s’est déroulé dans un contexte préoccupant, en raison notamment de la coupure des communications », ajoutant cyniquement que « la France, qui fait preuve de vigilance, rappelle son attachement à la transparence et à l’équité du processus électoral à toutes ses étapes ». La belle affaire ! Même l’agression de 3 journalistes français (du Monde et de l’AFP) et la confiscation illégale de leur matériel et de leur passeport par des policiers en civil, à la sortie d’une conférence de presse de l’opposition à Brazzaville le 23 mars, n’a pas infléchi la langue de bois diplomatique. Le 24 mars, le même Quai d’Orsay a en effet précisé que l’ambassadeur de France au Congo était « immédiatement intervenu auprès des autorités afin que leurs effets leur soient restitués sans délai, (…) et que toute la lumière soit faite sur cet incident » ? sans oublier la rengaine : « La France rappelle son attachement, partout dans le monde, à la liberté d’expression et à la liberté de la presse ». Et que pourraient faire de plus les autorités françaises, mon bon monsieur  ? Visiblement pas suspendre la coopération de défense, au titre de laquelle des militaires français « conseillent » et « forment » les forces de l’ordre congolaises (cf. Billets n°251, novembre 2015). Sans surprise, le 24 mars, les autorités congolaises annonçaient des « résultats partiels  » selon lesquels Sassou Nguesso serait élu au premier tour avec 67 % – un résultat relayé sur le champ sur Twitter par i-télé, dont le tweet a été immédiatement et abondamment retweeté par les faux comptes mis en place par le pouvoir congolais et ses communicants, afin de donner force de vérité médiatique à une annonce grotesque.

Au PS, dissidence sans impertinence

Comme lors du référendum frauduleux sur la modification constitutionnelle, le Parti socialiste a condamné le 25 mars, par la voix de son Secrétaire national à l’International, Maurice Braud, ce coup de force. Une prise de position appréciée par l’opposition congolaise, en mal de soutien international. Mais comme lors du référendum, le PS s’est bien gardé de demander à l’exécutif français de prendre des mesures concrètes comme le gel des avoirs de certains membres du clan ou la suspension de la coopération militaire. Le même jour, les cinq principaux candidats usurpés ont pour leur part, dans un communiqué commun, appelé à la désobéissance civile (avec une première journée « villes mortes » le 29 mars) et demandé à la communauté internationale la suspension de toute coopération. Depuis, ils se retrouvent de facto en liberté surveillée ou sont dans la clandestinité, comme le général Mokoko, dont plusieurs membres de l’équipe de campagne ont été arrêtés, d’autres se cachant comme lui – mais jusqu’à quand ? A partir du 25 mars, les décomptes organisés par l’opposition sont venus contredire largement les chiffres de la commission électorale officielle – présidée par un proche du ministre de l’Intérieur congolais (Lettre du Continent, 23/03). Empêtré dans la politique intérieure française (abandon de la réforme constitutionnelle, contestation massive de la réforme du Code du travail), François Hollande, on le devine, continuera sa stratégie faite de silences et de demi-phrases  : il « ne donnera donc pas son sentiment dans l’immédiat. L’information est confirmée à l’Elysée : le président veut attendre la fin du processus et l’examen des recours pour réagir » (Rfi.fr, 26/03).

 

Le problème, c’est les autres

Jean-Marc Ayrault, invité Afrique de RFI le 31 mars, a à sa manière parfaitement résumé la situation. Alors que la journaliste Anne Cantener relève que la France « n’a pas parlé ouvertement d’irrégularités lors du scrutin, ce qu’ont fait par exemple les États-Unis  », et demande « comment expliquer cette différence de ton ? », le ministre des Affaires étrangères élude : « Chaque pays s’exprime à sa façon ». Et d’asséner les éléments de langage de l’Elysée, sur une posture générale pleine d’enfumage mais sans application concrète : « Ce qui est sûr c’est que la France n’est pas favorable à ces modifications constitutionnelles permanentes qui ont pour objet de maintenir au pouvoir un chef d’État qui est là depuis des dizaines et des dizaines d’années. Ce n’est bon pour aucun pays. Il y a des pays je pense au Burundi, à la République démocratique du Congo qui sont tentés par des réformes constitutionnelles de même nature. On voit bien que cela crée des troubles, de la tension et des dangers. Il faut vraiment que, dans tous ces pays, la raison démocratique l’emporte ». On aimerait qu’à Paris aussi la raison démocratique l’emporte et, par exemple, que la France suspende enfin sa coopération militaire.


par Alice Primo

 

Note. Cet article a été rédigé juste avant que n’aient lieu, à Brazzaville, des affrontements à l’arme lourde entre l’armée congolaise et un groupe armé (accusé par le pouvoir d’être lié à la milice dite « des Ninjas » de l’opposant surnommé Pasteur Ntumi), puis une répression militaire particulièrement violente dans la région du Pool.

Fin avril, on ignore toujours l’ampleur des exactions commises par l’armée congolaise dans cette région considérée comme un fief de l’opposition. Du fait de la coopération militaire française avec le Congo, Paris a pourtant la possibilité d’être parfaitement informée sur la situation. Les autorités françaises ont donc le devoir d’une part de divulguer les informations en leur possession, et d’autre part de condamner enfin ce coup d’État électoral en prenant des sanctions concrètes, telles que le gel des avoirs financiers des responsables congolais et la suspension immédiate de toute coopération militaire avec cette armée criminelle.

Source : Survie Publié le 23 avril 2016 (rédigé le 2 avril 2016)

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Afrique, Congo Brazzaville, rubrique Médias,

La Françafrique se porte bien avec Sarkozy

Edition Tribord, 4,5 €

Pendant la campagne des élections présidentielles en 2007, le candidat Nicolas Sarkozy a multiplié les annonces de rupture avec la politique africaine de ses prédécesseurs, dénonçant le soutien aux dictatures, la diplomatie secrète, le clientélisme, ou encore les détournements de l’aide au développement, bref la « Françafrique ».

Pourtant, au regard des actes posés depuis sa prise de fonction à l’Elysée, le président français n’a pas tenu ses promesses : perpétuation de relations clientélistes, discours essentialiste de Dakar sur l’« homme africain », soutien à des dictateurs (Bongo, Khadafi…), défense de l’affairisme français (Bolloré, Bouygues…), intervention militaire au Tchad, rôle joué par certains émissaires officieux (Bourgi, Balkany…), la politique africaine de Nicolas Sarkozy s’inscrit plus dans une continuité que dans une rupture. Elle est une perpétuation de la politique néocoloniale que chaque président français a poursuivit depuis les « indépendances » africaines.

Entretien avec Samuel Foutoyet auteur de « Nicolas Sarkozy ou la Françafrique décomplexée »

sarkobongo

« L’objectif principal se sont les matières premières »

Nicolas Sarkozy prône un nouveau modèle de relation franco-africaine quand est-il ?

Lors de sa campagne, le vainqueur des présidentielles a fait des déclarations importantes. Il a promis beaucoup de choses comme la fin du soutien aux dictatures, le remodelage de l’aide au développement, l’arrêt de la diplomatie secrète. Mon livre met en regard les discours et les réalités. Je me suis aussi penché sur le passé africain du Président Sarkozy et notamment sur ses liens avec Charles Pasqua qui sont l’une des clés de lecture pour saisir le rapport en Afrique de N. Sarkozy.

Vous évoquez notamment sa relation avec Omar Bongo ?

Juste après le discours « Nous sommes du côté des opprimés du monde », le Président reçoit la Présidente du Libéria, Mme Sirleaf, une quinzaine de minutes et réserve quelques jours plus tard un accueil fastueux au président gabonais Omar Bongo. Il faut se souvenir que cet ancien membre des services secrets français est arrivé au pouvoir en 1967 de manière très autocratique et qu’il s’y est maintenu grâce à des élections notoirement truquées. Entre 2004 et 2007, Sarkozy l’a rencontré au moins sept fois dans la résidence privée du président gabonais. Pour se dire quoi, on ne sait pas… Ce que l’on sait à travers les révélations de l’affaire Elf, c’est que Bongo a financé les partis politiques français, en particulier le RPR.

L’association Survie a intenté une action en justice à l’encontre de Bongo…

Les associations Survie, Sherpa et la fédération des Congolais de la diaspora ont mené une enquête sur le patrimoine personnel de Bongo à la suite de laquelle elles ont déposé plainte en 2007 pour des biens mal acquis. La plainte a été suivie d’une enquête par les services de la répression de la grande délinquance financière. Dans le cas de Bongo, celle-ci met à jour la bagatelle de trente-trois résidences dans le XVIe arrondissement de Paris et sur la côte d’Azur, de multiples comptes en banque, un parc de voitures de luxe impressionnant mais au mois d’octobre 2007, le couvercle se ferme. Et l’affaire est classée sans suite au motif qu’il n’y a pas assez de pièces au dossier.

Sarkozy paraît moins habile que ses prédécesseurs, comme en témoigne le discours de Dakar ou sa proposition de partage des richesses entre la RDC et le Rwanda ?

Sarkozy pratique effectivement un double discours : d’un côté les grande tirades sur la démocratie et de l’autre un discours choquant, réactionnaire et colonialiste comme celui de Dakar. Cela crée beaucoup de confusion dans l’opinion publique française. En Afrique, les populations sont très remontées par ses discours comme par ses actes. Comme lors de son dernier voyage au Congo Brazzaville où il a soutenu Sassou Nguesso pour les élections de juillet.

La pression des multinationales françaises s’intensifie-t-elle avec le culte que voue Sarkozy à l’idéologie libérale ?

Aujourd’hui, l’Afrique est un nouveau far-west pour les Boloré, Vinci, Total Fina Elf, Véolia, Aréva… Le super VRP Sarkozy est bien loin de ses promesses qui assuraient que la diplomatie française prendraient des distances avec les multinationales. Il brise des tabous on est presque dans la glorification du pillage. Dans un premier temps on a tout bonnement nié l’existence de la Francafrique, puis on a reconnu son existence en disant qu’elle n’existe plus et aujourd’hui on dit la Françafrique existe mais la Chinafrique c’est pire ! L’association Survie critique ce que la Chine fait en Afrique mais il faut aussi continuer à bien voir ce que fait la France en Afrique qui reste le numéro un.

L’émergence d’une nouvelle génération de diplomates défendant une vision multilatérale des relations se pose-t-elle en rupture avec les tenant de la Françafrique ?

On distingue en effet deux tendances au sein de la diplomatie française, celle de Robert Bougi, de Balkany qui sont des anciens du clan Foccart et des gens comme Bruno Joubert, ancien directeur de la stratégie de la DGSE ou Jean David Levitte, le responsable de la cellule diplomatique de l’Elysée, qui ont une vision plus américano-française sur l’Afrique. De là à dire que l’on assiste à un changement des pratiques… La combinaison des deux tendances se retrouve autour de l’objectif principal qui sont les matières premières. La paupérisation de l’Afrique francophone et l’espérance de vie qui décline demeurent à ce titre des indicateur éclairants.

Quel parallèle faite-vous entre se déploiement politico-économique à l’étranger et la politique intérieur de l’immigration ?

Il existe un lien très fort entre l’immigration africaine en France et la Françafrique puisque la plupart des personnes qui quittent leur pays le font pour des causes politiques et économiques dans des pays devenus invivables en partie du fait des responsabilités françaises. L’indignité que l’on constate dans la gestion des sans papier en France rejoint le mépris des populations qui s’exprime en Afrique. Pour soutenir des dictature comme le fait la France en Afrique, il faut avoir une bien piètre image des populations africaines.

recueilli par Jean-Marie Dinh

Sarkozy ou la Françafrique décomplexée, éditions Tribord, 4,5 euros

Depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy la politique de la Françafrique  repose sur une défense inconditionnelle des positions économiques acquises (Gabon, Congo, Tchad …) ou à conquérir (Libye, RDCongo, Angola, Afrique du Sud …) a placé la Guinée parmi les territoires de prospection pour les entreprises françaises.


Voir aussi : rubrique Afrique , Centrafrique accord de défenseONG Survie , rubrique Médias, des ONG réclament la vérité sur la mort du  journaliste franco-congolais Bruno Ossébi , Rubrique  Côte d’Ivoire Gbagbo suspend les élections

Rubrique Musique Mory Kanté , Rubrique Afrique L’Afrique doit prospérer,