Fin de l’indétermination démocratique

sQNWKWx

Opinion libre

Il est plus que temps que Hollande sorte la tête du sac et choisisse entre les Français et les agences de notation. La montée du FN était objectivement un levier stratégique pour se remettre en selle mais c’est aussi un calcul catastrophique de très courte vue.

 Les français n’ont rien à faire d’un changement de 1er ministre c’est un changement de politique gouvernementale qu’ils appellent de leurs voeux.

 La montée du FN en France en cache une autre, celle du fascisme à l’échelle européenne. Demain quand l’extrême droite européenne sera montée en force au parlement de l’UE, ce qui ne fait guère de doute, Bruxelles devra gérer le populisme de droite et choisir entre l’abandon de la politique d’austérité ou l’abandon de la démocratie.

 La France serait bien avisée de prendre dès à présent les devants en renouant avec le courage politique, en reprenant le fil historique d’une vision où le citoyen reste le sujet principal de la souveraineté.

JMDH

27/03/2014 Pensée du jour

Voir aussi  : Rubrique Citoyenneté, Désir politique en France, rubrique Opinion,

Un vote qui traduit un vif désir de politique en France

imagesPour un premier tour de municipales, l’abstention a atteint un niveau record, nourrissant l’idée d’un recul continu du sens civique. Pourtant, à bien y regarder, les votes exprimés et l’abstention de ce dimanche sont des prises de position très politiques.

La sous-performance des candidats socialistes au niveau local est exceptionnelle, entre dix et vingt points perdus en fonction des territoires. C’est le résultat direct d’une abstention asymétrique : à gauche on a boudé les urnes tandis qu’à droite on a davantage voté qu’en 2008, lors des précédentes municipales. Ces résultats décevants ont conduit certains candidats à se désolidariser de la politique du gouvernement. C’est une incompréhension et une erreur. En effet, les candidats de gauche ne sont pas tant sanctionnés pour les décisions prises par le gouvernement que par l’incapacité de ce gouvernement à donner du sens à ses actions. Lorsque l’inversion de la courbe du chômage devient l’alpha et l’oméga de toute action, que l’ambition de réenchanter le rêve français s’évanouit au profit du pilotage d’instruments statistiques, la politique disparaît. Cela se répercute à toutes les échelles. C’est vrai au niveau des régions, où les outils de gestion ont pris le pas sur la construction de projets partagés pour des territoires bouleversés par les logiques de métropolisation.

C’est encore plus vrai au niveau des villes où la difficulté des élus socialistes à donner un sens politique à leur action se traduit dans des projets techniquement aboutis mais qui ne semblent pas répondre aux enjeux auxquels la société française est confrontée. L’« effet national » n’est donc pas la sanction locale de mauvais résultats économiques et sociaux nationaux, c’est la déclinaison locale de la crise nationale d’une famille politique incapable d’inscrire ses politiques dans une vision renouvelée du monde.

NE PAS OPPOSER LOCAL ET NATIONAL

Pour les socialistes, le pire des diagnostics serait de ramener encore le scrutin de dimanche à des enjeux ultra-locaux quand les Français attendent au contraire qu’on leur parle de leur territoire dans la France, l’Europe et le monde. C’est d’ailleurs dans les villes où l’électorat est très politisé (Paris) ou celles dans lesquelles le débat politique est intense et où le candidat est porteur d’un projet en lien direct avec son territoire (Argenteuil, Dieppe ou Dijon) que la gauche résiste le mieux.

Dans un tel contexte, le succès d’Alain Juppé à Bordeaux témoigne de la force d’un élu quand il incarne des valeurs et des repères stables : à l’image des socialistes dans l’Ouest il y a vingt ans, il articule un projet urbain et une vision des enjeux auxquels la société française est confrontée. De la même manière, la réussite du Front national et, ponctuellement, des Verts ou du Front de gauche souligne cette attente. Les géographes ne cessent de souligner que la caractéristique du monde dans lequel nous vivons est l’interpénétration constante de toutes les échelles. De manière assez naturelle, les électeurs s’inscrivent dans ce nouveau système mondial : ils ne pensent pas les élections comme autant de tranches de compétences à distribuer à des gestionnaires efficaces, ils abordent chaque scrutin comme des citoyens concernés par la façon dont les candidats répondent à leurs attentes.
Le cas de Béziers est à ce titre éloquent. Robert Ménard marque des points non lorsqu’il dénonce la faillite du gouvernement, mais quand il note la nécessité de redonner de la fierté aux Biterrois. Il pointe les craintes et humiliations d’une ville qui ne trouve plus sa place et ne compte plus autant qu’auparavant, il s’attaque à la résignation des politiques traditionnels à lutter contre un monde qui échappe à tous. Localement, il exploite au profit d’idées détestables le même sentiment de déclin exprimé par d’autres au niveau national.

Cette irruption de la société dans le monde politique est le deuxième enseignement de ce scrutin. Les deux forces politiques qui en sortent renforcées, le Front national et l’UDI, incarnent chacune à leur manière une façon de recomposer l’offre politique.

RÉDUIRE LA DISTANCE ENTRE ÉLUS ET HABITANTS

Dans une logique d’union nationale déclinée localement, l’UDI se pose comme un pivot de rassemblement des personnes de droite et de gauche intéressées à l’avenir de leur territoire, souvent, d’ailleurs, sur la base de listes « sans étiquette » même si l’essentiel des listes vient de la droite classique. C’est sur cette base que les succès de Brétigny, Niort ou Juvisy ont été construits. Surtout, l’instabilité des cadres politiques dans ces partis du centre ouvre un espace permettant à de nouveaux entrants (jeunes, entrepreneurs, enfants de l’immigration) de se faire une place. Ces élections municipales ont constitué un appel d’air pour des citoyens qui refusent le jeu des partis classiques, où ils sont obligés de passer sous les fourches Caudines des appareils politiques et de s’inscrire dans une « carrière » s’ils veulent jouer un rôle. C’est au même désir de renouvellement que le Front national répond, en proposant, lui, de renverser la table et en stigmatisant la distance entre les élus et les habitants.

Pourquoi le FN apparaît-il plus proche des habitants ? C’est en grande partie parce qu’il l’est véritablement. Pourquoi le PS paraît-il coupé des habitants ? En grande partie parce qu’il l’est vraiment. Les nombreux travaux en géographie et en sociologie électorale ont montré depuis des années la façon dont le Front national travaille à faire vivre une action militante au plus près du terrain. Symétriquement, on ne compte plus les travaux menés sur la professionnalisation des élites politiques.

En dehors du contenu des programmes et de la démagogie sur laquelle surfe le parti d’extrême droite, il n’est plus possible pour les grands partis républicains de rester sourds à ce que les résultats disent de leurs pratiques militantes, et de leurs façons d’élaborer les listes et de gérer les velléités d’engagement de leurs sympathisants.

Car les citoyens ont mûri, et l’exemple de ce premier tour à Grenoble est emblématique du fait qu’au-delà de l’orientation des projets, la façon de les faire vivre est devenue clivante. La différence fondamentale entre la liste socialiste et la liste EELV porte sur la façon de renouveler l’appareil politique et sur la place des citoyens dans le projet de la ville et son animation.

DES QUESTIONS PLUS QUE DES RÉPONSES

Ce premier tour n’apporte donc pas de réponses mais pose des questions qui doivent interpeller toutes les forces politiques. La droite peut difficilement s’abstraire d’un examen de conscience. Le PS peut dire qu’il a entendu le message et appeler aux urnes mais il a déjà dit cela en 1993 et en 2002. Les Français ont massivement dit : « Il y a une crise politique », et ces enjeux ne seront pas réglés par l’élection. Compte tenu du niveau de l’abstention, même les candidats élus au premier tour et dont les succès ont été salués ne sont choisis que par 30 % des électeurs… Quelle place faire aux 70 % restants ?

La capacité des prochaines équipes municipales à faire vivre leur territoire, à porter un projet, dépendra directement de leur aptitude à répondre de manière durable aux causes profondes de cette crise politique que la France et l’Europe traversent depuis plusieurs années : alors que leur mandat s’annonce placé sous les auspices des restrictions budgétaires en tout genre, il leur revient de s’attaquer en priorité à la question démocratique. C’est localement, dans les villes et les partis politiques, que cet enjeu national trouvera un début de solution.

Frédéric Gilli*

Le Monde 25/03/2014

*Frédéric Gilli est Chercheur à Sciences Po et directeur associé de l’agence CampanaElebSablic, auteur de « Grand Paris, l’émergence d’une métropole » (Presses de Sciences Po))

Voir aussi : Rubrique Actualité France, rubrique Politique, Politique locale, Rubrique ScienceScience politique,

Hollande – Gayet – Trierweiler : Un vaudeville écrit et mis en scène par les médias ?

01-_Vie_privee-Closer-81843par Blaise Magnin,

L’accident de Michaël Schumacher déjà oublié, « l’affaire Dieudonné » à peine soldée, voilà que les frasques privées du Président de la République révélées par des photos (volées et ne prouvant pas grand-chose par elles-mêmes) publiées par le magazine Closer le 10 janvier ont offert à l’ensemble du microcosme médiatique un nouveau sujet d’emballement.

Mais comme seule la presse estampillée « people » peut se vautrer en toute bonne conscience dans le journalisme de trou de serrure et faire ses choux gras de la vie sentimentale des personnages publics, les médias d’information générale ont dû renoncer à l’aborder frontalement et trouver toute une série d’expédients pour s’en délecter sans avoir l’air d’y toucher. Il n’empêche : en quelques jours (si ce n’est en quelques heures), la curiosité insatiable des « grandes rédactions » et le flot intarissable des commentaires a transformé une « affaire privée » en pièce de boulevard mâtinée de drame républicain.

Pourtant, même traitée avec toute la hauteur de vue dont sont capables les « grands journalistes » face à « l’évènement », rien ne pouvait justifier que cette « affaire », qui n’a comme conséquences politiques que celles que lui confère sa médiatisation massive, interrompe le traitement « normal » de l’actualité et occulte pendant plusieurs jours d’autres informations devenues, d’un coup, secondaires.

Briseurs de tabous

Fondant sur les révélations de Closer comme un vol d’étourneaux, tous les médias les ont abondamment relayées. Mais pas n’importe comment… Aveugles à leur propre rôle et à leur propre frénésie, les grands médias ont ainsi passé la journée du 10 janvier à parler de la vie privée de François Hollande tout en cherchant gravement à comprendre, comme Le Figaro ou Europe 1, pourquoi « un verrou a sauté » s’agissant… de la médiatisation de la vie privée des Présidents de la République !

Et la plupart des médias d’opter pour la même stratégie : faire mine de prendre de la hauteur en retraçant de prétendues grandes évolutions « sociétales » et institutionnelles, pour mieux participer au commérage général sur la situation conjugale du Président : des Echos, à L’Est Républicain, ou 20 Minutes, en passant par le site de France Télévisions, ou le Huffington Post, il n’était question que de tabou levé, de grand déballage, de partage entre public et privé et… de la liaison entre François Hollande et Julie Gayet.

Le sommet de l’hypocrisie (et de l’absurde) étant atteint par Le Figaro qui organise un de ces pseudo sondages en ligne pour demander aux internautes si Closer a « eu raison de publier les photos de la vie privée du Président », mais omet opportunément de demander si Le Figaro a eu raison de s’en saisir comme d’une information incontournable…

Pour ce qui est du comble du moralisme, c’est Marianne qui l’atteint dans un article intitulé « Hollande, Gayet : respect de la vie privée, oui, mais pas quand la première dame est encore à l’Elysée », où le journaliste se fait juge des bonnes mœurs, condamnant François Hollande, « en porte-à-faux avec les principes minimum auxquels est tenu le chef d’un Etat où le mariage reste, pour l’heure, une institution civile définie par les lois de la République, avec ses contraintes et ses obligations, ses valeurs et ses devoirs. Ou alors c’est considéré que le pacs, le concubinage notoire et la vie à deux sous le même toit, notamment à l’Elysée, n’a pas la valeur du mariage à la mairie. Si Valérie Massonneau était Madame François Hollande, le président de la République irait-il quand même rejoindre Julie Gayet sur son scooter? ? On peut se poser la question. »

Enfin, on décernera la palme de l’aveuglement au journaliste de RMC qui, pour conclure leur entretien, demande à Olivier Besancenot : « Comment on fait pour que la vie privée n’interfère pas avec la vie publique et avec les vrais sujets qui intéressent les Français ? »

Très vite après les premières révélations, il fallut trouver d’autres angles pour pouvoir continuer à évoquer « l’affaire » en lui donnant une tonalité un peu moins burlesque et dérisoire qui justifierait qu’elle reste sur le devant de l’actualité.

Sur les traces du grand banditisme

La première tentative fut un fiasco. Pendant 24h, entre le 12 et le 13 janvier, se multiplièrent, souvent dans un même article, des reprises du « scoop » de Médiapart affirmant que l’appartement abritant les rencontres présidentielles était lié au grand banditisme, qui allait se révéler faux (misère du « journalisme d’investigation » quand il ne prend plus le temps… d’enquêter pour épouser le rythme effréné de « l’actu » en temps réel), et les démentis très vite obtenus, relatant l’ire du propriétaire réel et démontrant que l’information n’en était pas une ! Aucun média ou presque, qu’il s’agisse de la presse écrite (voir Le Parisien ou Le Point), des grandes radios (comme RTL) ou des télévisions (voir notamment les sites de France Télévisions ou de LCI) ne fut épargné par cette fuite en avant.

Angoisse sécuritaire

Après cette consternante « séquence médiatique » et puisque l’appartement ne posait en définitive pas de problème, il s’agissait d’en chercher du côté de la sécurité du Président lors de ses escapades en scooter. Là encore, le suivisme de la plupart des grands médias fut sans faille. Du Nouvel Observateur à Libération, en passant par L’express, Le Figaro ou BFM-TV, la plupart relayaient sans sourciller les « analyses »… du paparazzi ayant réalisé les clichés pour Closer – à croire qu’il est aussi un expert de la protection des personnalités.

Statut or not statut ?

L’artifice suivant utilisé par les médias pour maquiller leur torrent de commentaires sur les amours présidentielles en enjeu institutionnel décisif fut de s’interroger sur le statut de première dame. Une question si impérieuse que toute la presse fut encore au rendez-vous pour entonner le refrain du moment : Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur, etc.

Au chevet de Valérie Treierweiler

Un statut de première dame qui leur tient tant à cœur qu’aucun média ne jugea que l’hospitalisation de Valérie Trierweiler, consécutive aux révélations de Closer, ne méritait pas, ne serait-ce que par égard pour l’intéressée, d’être claironnée dans l’heure sur toutes les ondes… Plus consciencieux encore que ses confrères, Le Figaro interviewa la biographe de la compagne du Président qui fit cette confidence si importante qu’elle se retrouve en titre à l’article : « Dès qu’elle ira mieux, Valérie Trierweiler rendra coup pour coup à Hollande ». Et c’est sans doute aussi avec la ferme intention d’informer coûte que coûte, qu’une semaine après l’annonce de l’hospitalisation, L’Express ou Le Figaro relèvent que les médecins n’auraient pas autorisé à François Hollande à rendre visite à Valérie Trierweiler à l’hôpital…

Questions pour communicants

Après avoir glosé sur tous les aspects de « l’affaire » sans jamais distiller la moindre information significative, les médias essayèrent péniblement de la raccrocher à l’actualité politique. À moins que ce ne soit l’inverse : une tentative de rapprocher l’actualité politique de la seule question qui les intéressait ! Alors que François Hollande s’apprêtait pourtant à détailler le « pacte de responsabilité » qu’il entend proposer aux entreprises et qui constitue une inflexion politique majeure de son mandat, les journalistes n’étaient préoccupés que par une seule question relevant de la stratégie de communication du Président : le télescopage entre les révélations sur sa privée et la tenue de sa conférence de presse [1] ! Europe 1 et Télérama allaient même encore plus loin dans le souci de précision de l’information en cherchant à savoir qui, parmi les journalistes présents, oserait « poser la question » à François Hollande. On imagine la fièvre des lecteurs découvrant cette information…

En quête de « modèles »

Soyons justes : tout ne fut pas totalement futile. On s’interrogea donc gravement sur les limites entre vie privée et vie publique. L’immixtion des médias dans la vie privée des responsables politiques et particulièrement du président de la République est-elle justifiée et dans quelles limites ? Mais d’abord, pour se convaincre eux-mêmes de la légitimité d’offrir une place aussi démesurée à cette « affaire », et s’en dédouaner, les journalistes français du Monde, de L’Express, des Échos ou du Parisien, entre autres, ont largement rendu compte la façon dont les médias étrangers s’en saisissaient. Comme si les turpitudes de la presse au-delà de nos frontières justifiaient celles des médias français et amenuisaient leur responsabilité… Après le « modèle allemand » en matière de compétitivité, les « modèle anglo-saxon » sur la libido des responsables politiques ?

Le fond et le reste

Tout ne fut pas futile, mais quand les médias s’interrogent sur leur propre rôle ou que l’on s’interroge sur leur rôle dans les médias, la médiatisation elle-même se transforme en spectacle. Médiatique, bien sûr. Avec, parmi les conséquences, une omission et une inflation lamentables

Vie privée/vie publique ? Le tohu-bohu d’arguments contradictoires orchestré autour du respect de la vie privée du Président s’est accompagné d’un silence assourdissant : pas un mot ou presque sur le respect dû à la vie privée de Valérie Treierweiller et de Julie Gayet. Des « dégâts collatéraux » ?

Vie privée /vie publique ? Le tintamarre a atteint son maximum d’intensité dans le prétendu service public : trois « débats » en cinq jours sur France 2, dans les émissions « Des Paroles et des actes » du 16 janvier (avec, notamment, les duettistes Christophe Barbier et Franz-Olivier Giesbert), « Ce soir ou jamais » du 18 janvier, « Mots croisés » ce soir 20 janvier (avec notamment, les « incontournables » Jean Quatremer et Nicolas Domenach). La semaine prochaine, c’est promis : trois débats sur la vie privée des licenciés et, plus généralement, des chômeurs !

***

De cette pathétique et unanime focalisation médiatique sur l’idylle supposée entre le Président de la République et une comédienne, nous n’avons retenu que le plus saillant. Nous aurions aussi pu relater la brusque célébrité de l’ex mari de Julie Gayet, interrogé sur toutes les ondes pour connaître l’état d’esprit de son ex épouse. Ou encore, « l’info » servie à peu près partout à propos… des croissants (au beurre ou ordinaires, nous ne saurons jamais) que son garde du corps aurait apporté à François Hollande au petit matin.

Nous aurions également pu évoquer les portraits à répétition de Sébastien Valiela, auteur de l’article dans Closer. Mais aussi, la resucée de voyeurisme provoquée le 17 janvier par la publication de nouveaux articles dans le même magazine. Alors que le soufflé semblait doucement retomber à la suite des déclarations de François Hollande renvoyant au respect de sa vie privée et à des déclarations ultérieures, leur contenu fut repris une nouvelle fois par une grande partie des grands médias, décidément jamais rassasiés.

On pourrait voir dans cet emballement médiatique insensé un épisode ponctuel et somme toute accidentel. Mais intervenant quelques jours à peine après que les médias ont fait de « l’affaire Dieudonné » une affaire d’État, on en vient à se dire qu’il s’agit là d’un mode de (dys)fonctionnement ordinaire, dans lequel les médias se complaisent. Et si la concurrence mimétique qu’ils se livrent pour l’audience explique largement cette couverture hors de toute proportion « d’évènements » qui n’en sont pas et ne devraient pas le devenir, cela ne justifie en rien que l’information et le public en soient les premières victimes.

Blaise Magnin (avec Henri Maler)

Acrimed le 20 janvier 2014

Voir aussi : Rubrique Médias,

Lou Marin :  » Il y a une sous estimation de la pensée libertaire de Camus »

Lou Marin invité chez Sauramps, Photo Redouane Anfoussi

Lou Marin invité chez Sauramps, Photo Redouane Anfoussi

Lou Marin est un chercheur allemand militant engagé dans le réseau des libertaires non–violents. Résidant à Marseille depuis une quinzaine d’année il a rassemblé l’intégralité des textes écrit par Albert Camus dans les revues libertaires en France et dans le monde. Le fruit de son travail a été publié en 2008 par Egrégores éditions, une petite maison marseillaise mais cet ouvrage est passé quasiment inaperçu. Il vient d’être réédité par les éditions montpelliéraines Indigène dirigé par Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou qui en a signé la préface. Lors de la présentation de l’ouvrage qui vient de se tenir à la librairie Sauramps en présence de l’auteur, J-P Barou s’est insurgé de l’impasse que font les grand médias sur cet ouvrage reçu avec un peu d’agacement par les maîtres à penser du monde intellectuel et médiatique français. Rencontre avec Lou Marin.

Qu’est ce qui vous a poussé à entreprendre ce travail sur Camus auquel vous vous êtes attelé durant vingt ans ?

Cette entreprise est liée à mon parcours personnel de militant au sein du mouvement anarchiste non-violent en Allemagne. En France, ce mouvement est assez méconnu. Il a été occulté par les actions de la Fraction armée rouge, or le mouvement non violent est une vieille tradition. On trouve trace de cette philosophie dès le XVIème siècle dans le Discours de la servitude volontaire de La Boétie. Au XIXème des gens comme Proudhon pensaient que la révolution sociale pouvait être atteinte pacifiquement. J’ai collaboré à des journaux comme le Graswurelrevolution et je me suis engagé dans le combat antinucléaire.

Nous avons mis en oeuvre des stratégies non-violentes nouvelles, celle par exemple, de ne pas s’attaquer au coeur du système nucléaire mais à ses infrastructures en s’en prenant au convoi de déchets nucléaires ou en coupant des pylônes électriques construits par les nazis. Détruire du matériel reste une action non-violente car cela ne produit pas de douleur. Nous avons beaucoup d’influence en Allemagne et aussi des résultats avec la fin du nucléaire programmé à échéance 2021.

La notion de discours est importante. Sur ce point on pourrait nous situer entre Bakounine et Ghandi. Mais nous étions à la recherche de revendications actuelles et modernes. Camus a fondé sa pensée à l’épreuve du quotidien. Il a traversé les catastrophes du XX e siècle, il s’est demandé comment est-ce possible qu’une civilisation soit devenue aussi barbare en partageant ce questionnement avec les anarchistes. L’analyse de sa révolte est utile aux militants qui luttent aujourd’hui pacifiquement partout dans le monde.

Cette question de la violence et de la non-violence reste au coeur de ses préoccupations ?

Il y a une conjugaison entre violence et non-violence chez Camus. Dans une auto-interview (1) il écrit : « La violence est inévitable et je ne prêcherai pas la non-violence », ce qu’il fera finalement dix ans plus tard. En 1942-1943 il observe à Chambon-sur-Lignon l’accord non-violent que passe la population du village pour le sauvetage des juifs. Cela le touche profondément. En même temps il ne souhaite pas que le pacifisme aille trop loin dans les compromissions pour éviter les conséquences qui mènent à la collaboration.

En 1958, il soutient les objecteurs de conscience en Algérie où il constate que la lutte armée échoue là où la non violence réussit.

Camus est aussi très lié à l’Espagne où il défend la cause des libertaires…

Pour lui c’est avant tout une question de moralité en tant que résistant. A la fin de 1944, de Gaule reconnaît le franquisme alors que pour Camus la guerre n’est pas finie sans que l’Espagne soit libérée. Cette position l’oppose également aux alliés, notamment à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis qui ont récupéré les troupes franquistes dans le cadre de la guerre froide. Camus trouve ses amis parmi les 500 000 réfugiés espagnols qui subissent la rétirada. Il s’insurge au côté des anarchistes syndicalistes contre l’ONU lorsque l’Unesco reconnaît l’Espagne de Franco.

camus-idgL’objet de votre ouvrage réhabilite la pensée libertaire de Camus Pourquoi a-t-elle été sous-estimée ?

A son époque Camus était un ovni parce qu’il était  à la fois antimarxiste et anticapitaliste, ce qui était inconcevable dans les années 50. Aujourd’hui, ce phénomène me paraît inexplicable. Alors que les essais sur son œuvre abondent et ont mobilisé plus de 3 000 universitaires, philosophes, hommes et femmes de lettres. Personne n’expose cet aspect de sa pensée. Il y a une sous-estimation du militantisme libertaire qui a bénéficié d’une continuité de pensée jusqu’en 68, avant de s’évanouir dans un grand vide. Le mouvement libertaire est jugé sans importance dans le milieu philosophique.

Il n’y a pas de respect pour ceux qui ont pris L’homme révolté en tant qu’oeuvre philosophique. Je crois que le monde libertaire qui milite dans les mouvement sociaux a un but. Ce n’est pas le cas des chercheurs qui ne font pas le lien entre un principe et sa réalisation sociale. Leur but est avant tout égocentrique. Il s’agit d’avoir du renom.

Ne pensez-vous pas que nous sommes plus mûrs aujourd’hui pour saisir cet aspect de sa pensée ?

Il y a certainement un renouveau d’intérêt pour la pensée libertaire. Camus a écrit une phrase comme : « La propriété c’est le meurtre », ce qui prend une certaine résonance quand les ouvriers se suicident sur leur lieu de travail. Sarkozy voulait le transférer au Panthéon ce qui est fort de café pour un antinationaliste.

Tous les droits que nous avons dans une société n’émanent pas de la société. Ils viennent d’en bas. L’État a pour fonction de les arrêter et de les faire reculer lorsqu’il n’y a pas de résistance pour les conduire vers l’extrême droite. »

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

(1) Défense de l’Homme n°10, juin 1949

Albert Camus écrits libertaires, Indigène éditions, 18 euros.

Source : La Marseillaise 18/11/2013

Voir aussi : Rubrique Rencontre, rubrique Livre, Philosophie, rubrique Science Science politique, rubrique Médias,

La première victime de guerre c’est la vérité

images

Par Edwy Plenel

L’hommage le plus fidèle que l’on puisse rendre à notre consœur et à notre confrère de RFI assassinés au Mali, c’est de défendre le journalisme, la nécessité de ses curiosités et l’exigence de son indépendance. Y compris, sinon surtout, contre ceux qui seraient tentés d’embrigader leurs morts dans leur « guerre contre le terrorisme ».

« La première victime de la guerre, c’est la vérité » : il y a précisément vingt ans, le cinéaste Marcel Ophüls était parti de cette maxime, attribuée à Rudyard Kipling et reprise par l’historien des médias Philip Knightley, pour son exceptionnel Veillée d’armes, enquête sur le journalisme par temps de guerre, de Bagdad à Sarajevo (retrouver ici la rencontre, il y a un an, entre Ophüls et Mediapart). L’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, artisans de la vérité au risque de leur vie, nous rappelle brutalement que la France est en guerre au Mali et que cette guerre, sans autre horizon politique lisible qu’une opération de police antiterroriste, n’est pas près de se terminer.

De cette guerre dans un des pays les plus pauvres de la planète, nous avions regretté à Mediapart (voir ici notre vidéo et là notre réente série) qu’il n’en soit pas débattu de façon plus approfondie, au-delà des refrains va-t-en guerre de l’antiterrorisme qui embrigadent et endorment, tant ils ignorent la réalité des peuples (la question Touareg), la complexité des situations (la faillite de l’Etat malien) et le poids de l’histoire (le statut d’ex-puissance coloniale de la France). C’est pour que nous ne soyons pas les spectateurs passifs de cette guerre menée en notre nom, sous notre drapeau et par notre armée, pour que nous soyons à même d’en discuter les enjeux et les finalités, bref pour que nous nous sentions concernés que Ghislaine Dupont et Claude Verlon n’avaient de cesse de retourner au Nord-Mali.

Il suffit de réécouter leurs reportages de l’été dernier, lors de l’élection présidentielle (c’est ici) – élection qui, selon un François Hollande bien imprudent, devait signifier la fin d’une guerre qu’il jugeait déjà gagnée –, pour prendre la mesure de leur souci de la vérité. Le souci de toutes ces vérités de fait, diverses et contradictoires, qui composent le puzzle de ces réalités complexes qui résistent aux simplifications guerrières. Car dire la vérité par temps de guerre, c’est aussi dire des vérités qui dérangent le monde auquel on voudrait nous assigner, d’énoncer des faits qui bousculent le camp dans lequel on voudrait nous enrégimenter.

L’honneur de nos deux journalistes et, à travers eux, des équipes de Radio France Internationale, c’est d’avoir maintenu cette distance nécessaire, esprit critique et liberté d’action, qui les préserve de toute assimilation à une quelconque propagande officielle française. Si nous y insistons, alors que c’est l’évidence même – y compris dans les choix pratiques qu’ils ont fait pour mener leurs reportages à Kidal, jusqu’à celui qui leur a été fatal –, c’est que nous n’avons guère goûté la façon dont, au lendemain de leur assassinat, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a paru annexer leurs morts dans sa propre croisade, déclarant à la sortie de l’Elysée que ceux qui les avaient tués sont les ennemis auxquels la France fait la guerre : « Les assassins sont ceux que nous combattons, les groupes terroristes qui refusent la démocratie et refusent les élections ».

Or, en temps de guerre et d’autant plus si c’est son propre pays qui la mène, dans une disproportion des forces évidentes, un journaliste n’a pas d’autre ennemi, d’ennemi plus intime, que le mensonge. Mensonges en tous genres, de silence, d’omission ou de propagande, de conviction ou d’idéologie, de raison d’Etat ou de secret défense. Informer librement, honnêtement et loyalement, sur la guerre au Mali, ce n’est donc pas mener une guerre médiatique à ceux que combat la France. C’est tout dire sur tous les camps pour que nous puissions savoir, comprendre, débattre et, du coup, faire entendre notre avis, tant, en démocratie, la guerre ne saurait être l’apanage d’un seul homme, fût-il président de la République.

Dire la guerre au Mali, c’est donc dire aussi ce qui contredit ce partage simpliste énoncé depuis le palais de l’Elysée entre un Mal terroriste indistinct, dont on n’évoque ni ne cherche ni n’explique les causes, et un Bien autoproclamé dont la France, avec ses alliés – subordonnés de fait – locaux, aurait l’apanage par essence. C’est, par exemple, faire état des enquêtes minutieuses menées sur le terrain par Amnesty International qui, en juin dernier, ont établi que « les violations graves des droits humains se sont multipliées au Mali depuis l’intervention de la France ». Rapport suivi d’autres, concernant ici « des enfants forcés à combattre, détenus avec des adultes et torturés » et là, tout récemment, « des soldats mutins capturés et tués dans le cadre d’une purge ».

L’honneur d’une démocratie, et d’un peuple attaché à la démocratie, c’est de ne pas avoir peur qu’on lui dise la vérité et d’accepter de l’entendre, même si elle fait mal. A l’orée du centenaire de la levée en masse d’août 1914 qui fut une terrible boucherie humaine, cataclysme inaugural de la catastrophe européenne, de ses crimes de guerre et crimes contre l’humanité, méfions-nous de ces mots guerriers qui embrigadent et qui enrégimentent, autrement dit qui aveuglent et qui égarent. C’est ainsi que, sous le coup de l’émotion provoquée par la mort des journalistes de RFI, on entendit parler de « barbares » pour évoquer les auteurs de leur assassinat.

Il est bien vrai qu’il y a des actes barbares – et ce crime en est évidemment un – et que, de ces actes qui soulèvent le cœur, l’humanité, hélas, n’a jamais été avare. Mais il n’y a pas d’hommes barbares par essence, naissance, origine, situation ou assignation. Sauf à se considérer en droit de décréter que des hommes n’appartiennent pas à l’humanité, sauf à s’autoriser à faire le tri parmi cette humanité dont nous sommes… Désigner l’autre, quel qu’il soit, ennemi, adversaire, criminel, etc., comme un barbare, c’est emprunter, dans l’ignorance de nos propres passions, ce chemin pernicieux où l’on risque un jour de se barbariser à son tour en considérant que l’ennemi, parce que barbare, mérite d’être privé de ses droits humains.

De la torture aux enlèvements, des crimes collatéraux aux prisons secrètes, la part d’ombre de la guerre américaine contre le terrorisme, dont la justice la plus élémentaire fut absente, témoigne amplement de cette potentielle perdition, largement documentée grâce, encore une fois, à des journalistes libres et audacieux. Grâce aussi à des citoyens lanceurs d’alerte. La première des informations transmises à WikiLeaks par le soldat Bradley Manning, aujourd’hui condamné à trente-cinq années de prison, témoignait du tribut payé par le journalisme en Irak. C’était une vidéo, captée depuis un hélicoptère d’assaut de l’armée américaine dont l’équipage prit pour cible, sans guère d’état d’âme, un groupe de civils. Parmi ceux-ci, deux journalistes irakiens qui travaillaient pour l’agence Reuters. « Collateral murder » : c’est l’intitulé que lui a donné WikiLeaks en contrepoint de l’habituel euphémisme « dommage collatéral » dont on recouvre les bavures guerrières, et c’est à retrouver ici et à voir là.

Ghislaine Dupont et Claude Verlon honorent, par leur sacrifice même, un métier plus que jamais nécessaire, dans ce monde de l’immédiateté où la vérité, c’est-à-dire l’information véritable, recoupée, sourcée, documentée, expliquée, justifiée, contextualisée, etc., a tant d’adversaires, de la rumeur au divertissement, de la marchandise à l’idéologie, des mensonges étatiques aux aveuglements idéologiques. Ils sont morts à quelques jours de l’ouverture des Assises internationales du journalisme et de l’information qui tiennent leur septième édition à Metz les 5,6 et 7 novembre avec, en thème central, cette injonction : « Réinventons le journalisme ». Ce qu’ils nous lèguent, c’est cette certitude que nous ne réussirons à réinventer ce métier au service du droit de savoir des citoyens qu’en commençant à le défendre, pied à pied : défendre sa nécessité, sa vitalité, son risque, ses exigences.

Les vérités de fait sont « les vérités politiquement les plus importantes », insistait la philosophe Hannah Arendt en écrivant Vérité et politique, au cœur des années 1960, ajoutant : « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat ». Aussi défendait-elle les journalistes, sans lesquels, écrivait-elle, « nous ne nous y retrouverions jamais dans un monde en changement perpétuel, et, au sens le plus littéral, nous ne saurions jamais où nous sommes ». Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont donné leurs vies pour que nous ne soyons pas perdus.

Dans le monde, depuis le début de l’année 2013, selon le décompte de Reporters sans frontières, 45 journalistes ont été tués, 183 ont été emprisonnés, mais aussi 28 net citoyens et citoyens journalistes ont été tués tandis que 157 étaient emprisonnés.

Source : Médiapart 06/11/2013

Voir aussi : Rubrique Médias, Trois syndicats de journalistes demandent commission d’ enquête parlementaire,