En visite mardi à Londres, le Français, chargé des services financiers à Bruxelles, s’est dit «à l’écoute» des gestionnaires de hedge funds, inquiets des projets de réforme de la régulation financière européenne.
Opération calinothérapie. Le commissaire européen chargé des services financiers, Michel Barnier, a cherché mardi à rassurer les gestionnaires de fonds spéculatifs (les fameux hedge funds) et de fonds d’investissement dans les entreprises non-cotées, au deuxième jour d’une visite à Londres. «Mon principal objectif, c’est de vous écouter», a déclaré le Français au cours d’une réunion avec des représentants du secteur. Le commissaire européen, qui s’est dit conscient que les projets de réforme de la régulation financière européenne étaient une source d’inquiétude pour la City, a souligné qu’il fallait réformer le secteur financier sans «réguler pour le plaisir de réguler». Autrement dit, favorable à une «régulation intelligente et efficace».
«Les hedge funds et les fonds d’investissement dans les entreprises non-cotées sont un aspect important du système financier», a souligné Michel Barnier. Mais s’ils «jouent un rôle positif», «il est vital qu’ils soient soumis à une réglementation et une supervision appropriées». Michel Barnier a entamé lundi à Londres une visite de deux jours dans le but de rassurer la City. Celle-ci avait pris peur lors de la nomination du Français, craignant qu’il ne défende une régulation trop stricte du secteur financier qui risquerait de provoquer un exode des financiers de la capitale britannique. Ces inquiétudes britanniques avaient été exacerbées par des propos de Nicolas Sarkozy, qui avait vu un «triomphe» de la régulation à la française dans la nomination de son ancien ministre de l’Agriculture et de la Pêche.
L’Espagne, la Grèce et le Portugal, fragilisés par leur dette publique, sont attaqués par les marchés. Conséquences : baisse de l’euro et chute des Bourses.
La finance veut-elle la peau des Etats de la zone euro ? Vendredi, les principaux marchés européens (action, obligation et devises) ont continué leur dégringolade. La Bourse de Paris a perdu 3,40%. Et celle d’Athènes 3,73%. L’euro, lui, est passé sous la barre des 1,36 dollar pour la première fois depuis huit mois. En ligne de mire : les 30 000 milliards de dette publique cumulés par les pays du G7 et la situation de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal. Tout cela dans un climat «de très grande nervosité», selon un opérateur parisien.
Qui attaque la Grèce et l’Espagne ?
Plus personne ne le conteste, la situation des finances publiques de la zone euro, y compris celle de la Grèce, ne justifie pas une telle panique des marchés financiers qui, désormais, jouent clairement l’éclatement de la zone euro. Selon nos informations, émanant à la fois d’autorités de marché et d’établissement financiers, une grande banque d’investissement américaine et deux très importants hedge funds seraient notamment derrière les attaques contre la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Leur but ? Gagner un maximum d’argent en créant une panique qui leur permet d’exiger de la Grèce des taux d’intérêt de plus en plus élevés tout en spéculant. Pourquoi ne pas citer les noms ? Parce qu’il s’agit d’un faisceau de présomptions qu’un tribunal risque de juger insuffisant en cas de procès. Et comme le dit un opérateur de marché : «On ne joue pas avec ces gens-là.»
Comment gagner de l’argent avec la dette grecque ?
De mille façons. Grâce à la sophistication extrême des marchés financiers. D’abord, il faut savoir que la dette (c’est-à-dire les obligations d’Etat) est un produit financier comme un autre. Elle a un prix défini par une offre et une demande. Comme pour le baril de pétrole ou une action en Bourse. Or, doutant de la crédibilité de la Grèce à honorer sa dette, les opérateurs de marché exigent une prime de risque plus élevée (donc une hausse des prix). Et le marché n’aime rien d’autre que ces moments où il «joue à se faire peur», pour reprendre l’expression de Nicolas Véron, économiste au Bruegel Institute, car il y a matière à des allers et retours. Rapides et donc très profitables.
Ainsi, d’après nos informations, les deux hedge funds qui tiennent le marché grec ont été furieux de n’avoir reçu que 2 % du dernier emprunt grec (lancé le 25 janvier pour une durée de cinq ans, il a recueilli 25 milliards d’euros de demande, pour 8 milliards finalement levés) et sont décidés à faire courir la panique sur le marché des CDS, les fameux credit default swap. Que recouvre cette appellation ? Un titre d’assurances que l’on contracte pour se prémunir contre un potentiel défaut d’un Etat à qui l’on a prêté de l’argent. Un CDS a un prix et s’échange sur un marché non régulé et totalement opaque.
Vendredi, le CDS grec était à 428 points de base, un niveau sans précédent, alors que celui du Liban plafonnait à 255, ou celui du Maroc à 113… En clair, pour le marché, le risque de faillite de la Grèce serait quatre fois supérieur à celui du Maroc. Ce qui est irréaliste. La réalité du marché du CDS est plus triviale : voilà un far west où il est très facile de gagner beaucoup d’argent. Nos deux hedge funds, comme d’autres, attaquent donc la Grèce en créant de la panique pour faire monter les prix : «les CDS, c’est un puits sans fond : avec 200 millions de dollars, vous jouez comme si vous aviez un milliard de dollars», explique un analyste.
À quoi jouent les agences de notation ?
Les voici de nouveau à l’œuvre. Elles sont trois – Standard & Poor’s, Moody’s, les deux anglo-saxonnes, et Fitch, la française – et elles distribuent des notes à la terre entière. Leur métier : évaluer la capacité des emprunteurs à rembourser leurs dettes. Aucun produit financier n’échappe à leur zèle : aussi bien les obligations émises par Danone, que les produits structurés montés par les banques, mais aussi les fonds levés par les Etats – comme demain la France avec son grand emprunt. Une bonne note, le AAA, et voilà l’investisseur rassuré. Une mauvaise note, B ou moins – chaque agence a son système -, ce sont les taux d’intérêts qui s’envolent et aussi l’addition. Et voilà qu’avec leurs alertes sur les dettes publiques, elles font vaciller les Etats… Elles ont tout de même un sacré «culot», commente un opérateur, ces agences qui ont construit la bombe des subprimes.
Tiennent-elles là leur revanche ? «C’est comme si les agences voulaient récupérer leur réputation perdue», souligne Jean-Charles Rochet, professeur à la School of Economics de Toulouse. Au risque d’ajouter la crise à la crise, en dégradant la note des Etats. «Sans doute peut-on s’interroger sur leur rôle de déclencheur de panique ou d’amplificateur dans la crise», note Benoît de Brossia, analyste chez KBL-Richelieu, pour autant, «c’est logique que des pays laxistes en matière budgétaire, en paient les conséquences».
Que peut faire l’europe pour enrayer cette attaque ?
Calmer les marchés en leur faisant comprendre qu’ils sont victimes de spéculateurs et qu’ils risquent de perdre beaucoup en les suivant. Si le message est entendu, nos deux hedge funds et la banque américaine «vont se retrouver en culotte», affirme un opérateur de marché… Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, a ironisé, jeudi, sur les inquiétudes des investisseurs : «Savez-vous que le FMI s’attend à un déficit budgétaire de 6% du PIB en 2010 pour les seize pays de la zone euro ? D’autres grandes nations industrielles, le Japon comme les Etats-Unis, sont-elles à plus de 10.%» Un langage que l’on n’avait pas l’habitude d’entendre.
L’heure n’est plus au rappel du traité de Maastricht, qui interdit que l’on vienne au secours d’un Etat membre de la zone euro. Si les investisseurs ont la garantie que la Grèce ne coulera pas, le calme reviendra. Même l’Allemagne commence à comprendre que l’euro est en danger : jeudi, Angela Merkel, la chancelière allemande, a estimé qu’il fallait mettre en place «un gouvernement économique des Vingt-Sept», et va faire avec Paris des propositions communes lors du sommet du 11 février. Et il faut aller plus loin dans la régulation : Michel Barnier, le commissaire européen au Marché intérieur, a confirmé hier à Libération qu’il avait l’intention de proposer une directive «sur les marchés des produits dérivés [notamment les CDS, ndlr], dont 80% échappent à tout contrôle alors qu’ils représentent plus de 600 000 milliards de dollars dans le monde. Il faut inverser cette proportion.»
La France est prête à supporter une partie des surcoûts de l’avion de transport militaire Airbus A400M, qui atteindraient un total de 5 milliards d’euros, a déclaré jeudi le ministre de la Défense Hervé Morin. « Le fait de porter une partie des surcoûts ne me dérange pas, parce que je pense que ce programme est un programme magnifique », a dit le ministre sur RFI, au moment où doit se tenir une réunion des pays clients à Londres. Aujourd’hui, il « reste à négocier la question des surcoûts et ces surcoûts, il faut qu’ils soient partagés entre les pays et le constructeur », a toutefois ajouté M. Morin.
La discussion actuelle « porte sur 5 milliards (d’euros) à peu près », a-t-il précisé. Selon certaines sources, les surcoûts pourraient même atteindre 11 milliards, en comptant une évaluation des risques de développement du programme, qui est déjà en retard d’au moins trois ans. Une réunion à huis clos doit se tenir jeudi à Londres, rassemblant des représentants de l’Allemagne, de la France, de l’Espagne, du Royaume-Uni, de la Belgique, du Luxembourg et de la Turquie, qui ont commandé au total 180 exemplaires de l’A400M à EADS, la maison mère d’Airbus. Airbus et EADS menacent d’arrêter le programme si un accord financier n’était pas trouvé d’ici la fin du mois. L’Allemagne, premier client de l’appareil avec 60 exemplaires commandés, apparaît comme le pays le moins disposé à accorder une rallonge financière à EADS.
Les banquiers ont repris leurs mauvaises habitudes: celles de décider entre eux ce qui leur semble « juste » pour la finance mondiale. Ainsi ce week-end, banquiers centraux et dirigeants des principales banques privées se sont réunis dans la plus grande discrétion à Bâle. Pour discuter de quoi? Difficile de le savoir exactement, puisque ni la liste des participants, ni l’ordre du jour n’ont été officiellement rendus publics. Les différentes fuites laissent cependant à penser que le gratin de la finance mondiale a passé le week-end dans les locaux de la banque des règlements internationaux (BRI). Jean-Claude Trichet, pour la Banque centrale européenne (BCE) et Ben Bernanke, pour la banque centrale américaine (la FED), étaient bien présents pour discuter avec les dirigeants des principales banques privées mondiales comme Deutsche Bank, Citigroup ou encore HSBC.
L’opacité de cette rencontre interpelle. En tant que parties prenantes, les banques privées doivent être consultées dans le cadre de la réforme de la régulation du système financier. Pourquoi dans ce cas une telle discrétion alors que cette rencontre n’a rien de choquant en soi? Difficile à expliquer. S’il s’agit de rappeler à l’ordre des banques défaillantes dans le contrôle de leurs risques, un rappel individuel confidentiel ou public se justifie. S’il s’agit d’un comportement collectif des banques, discuter de manière confidentielle avec elles ne semble pas d’une grande utilité… Ce ne sont pas les banques privées qui vont défendre des mesures qui viendraient au final diminuer leur rentabilité et par conséquent les salaires de leurs dirigeants ou les dividendes de leurs actionnaires. Le dialogue entre banquiers privés et régulateurs implique donc une certaine distance. Or, seule la transparence peut garantir aux citoyens et aux décideurs publics le fait que les régulateurs conservent la distance nécessaire vis-à-vis des banques privées. Un enjeu crucial car la faillite de la régulation bancaire actuelle est en partie liée à l’influence trop importante des banques privées dans la définition de leur propre régulation. Les banquiers centraux, en charge de la future règlementation bancaire internationale, doivent donc changer leurs habitudes.
Un enjeu d’autant plus important que les recommandations publiées mi-décembre par le comité de Bâle font actuellement l’objet de consultation et seront très probablement reprises par la Commission européenne. En effet, celle-ci, faute de volonté politique mais aussi de ressources humaines et techniques, s’est contentée jusqu’à présent en matière de régulation bancaire, de reprendre directement les recommandations du comité de Bâle. Quand il s’agira de voter ces futures directives, il est essentiel que le Parlement européen puisse connaître la nature des débats à Bâle afin de juger du niveau de prise en compte du discours du lobby bancaire dans les recommandations émises par les régulateurs mondiaux.
L’audition des nouveaux commissaires européens aura lieu tout au long de cette semaine à Bruxelles. Auditions qui devraient fournir un début de réponse sur la volonté politique du nouveau commissaire en charge du marché intérireur et notamment des services financiers, Michel Barnier, de peser sur les discussions en cours sur la régulation financière. Une affirmation du pouvoir politique nécessaire pour sortir de ces tête-à-tête entre banquiers où les intérêts des banques priment sur les intérêts des citoyens et des entreprises.
Il croûle sous une des dettes les plus élevées du monde, emprunte plus qu’il ne gagne et refuse d’envisager de nouvelles sources de revenus: ce qui, pour un particulier, mènerait à la saisie et l’interdiction bancaire n’attire à l’Etat japonais que des sermons vite oubliés.
Alors que la situation budgétaire de la Grèce, du Mexique ou de Dubaï agitent ces dernières semaines les marchés mondiaux, le Japon, malgré des finances publiques dans un état tout aussi désastreux sur le papier, ne semble inquiéter ni les investisseurs, ni les agences de notation.
Pour la première fois depuis 1946, le Japon va émettre plus de dette qu’il ne percevra d’impôts lors de l’année budgétaire 2009-2010, qui s’achève fin mars. Selon l’OCDE, qui admoneste régulièrement Tokyo à ce sujet, son déficit budgétaire dépassera les 10% du produit intérieur brut l’an prochain. Sa dette publique flambera à 204% du PIB: en la matière, seul le Zimbabwe fait pire.
A l’origine du problème: les plans de relance mis en oeuvre à répétition depuis les années 1990, ainsi qu’un système fiscal peu lucratif pour l’Etat, avec notamment une taxe sur la consommation exceptionnellement basse pour un pays développé (5%). De plus, le nouveau gouvernement de centre-gauche de Yukio Hatoyama s’est engagé à n’augmenter aucun impôt avant 2013.
« Si nous étions le Botswana, on verrait immédiatement que nous prenons l’eau. Mais le Japon est comme le Titanic: notre économie est tellement grosse que personne ne s’aperçoit que nous coulons », déplore Noriko Hama, économiste à la Doshisha Business School de Kyoto.
N’importe où ailleurs, pareille situation budgétaire « mènerait droit à une annulation forcée de la dette ou même à l’instauration d’un Etat fasciste », poursuit-elle. Mais pas au Japon, dont la dette continue de jouir du troisième ou quatrième meilleur score possible chez les agences de notation.
« Le montant de la dette, en soi, ne dit pas tout concernant les qualités du Japon en tant que débiteur », justifie James McCormack, analyste chez Fitch.
« Des taux d’intérêt très bas permettent à l’Etat de contracter une dette exceptionnellement lourde, tout en déboursant des intérêts identiques à ceux que doivent payer d’autres pays dont l’endettement est moindre », explique-t-il.
M. McCormack met également en avant « l’énorme stock d’épargne » des Japonais, dans lequel le gouvernement a encore bien de la marge pour puiser.
Autre facteur positif: la dette nippone est, à plus de 93%, détenue par des investisseurs japonais. Dans un pays en proie à une déflation record et où la Bourse a chuté de près de 75% en 20 ans, des bons du Trésor au rendement de l’ordre de 1,3% continuent d’offrir un taux d’intérêt réel intéressant.
Cette quasi-absence de dette en devises rend improbable un scénario de crise du type Mexique ou Argentine. « Il est toujours possible de monétiser une dette en monnaie locale », rappelle Hervé Lievore, stratège chez AXA.
La monétisation consiste à faire tourner la planche à billets pour acheter les nouveaux bons du Trésor. Une pratique dangereuse, génératrice d’hyperinflation et que la Banque du Japon a exclue, mais qui, en dernier recours, reste toujours préférable à la faillite de l’Etat.
« Le seul rayon de soleil, dans cet affreux problème de la dette, est qu’elle est entièrement détenue à l’intérieur du pays et donc beaucoup plus gérable », notait le secrétaire général de l’OCDE Angel Gurria, de passage fin novembre au Japon. « La question est: quand cela va-t-il commencer à inquiéter les marchés? Eh bien, nous ne voulons pas le savoir, car alors il sera trop tard ».