La nature humaine contrevient aux lois du marché

Essai. L’association Psychanalyse sans frontière recevait mardi  Marie-Jean Sauret pour « Malaise dans le capitalisme ».

Marie-Jean Sauret est psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique  à l’université de Toulouse-Le Mirail. Ses travaux approchent la croyance et la politique. Dans son dernier ouvrage « Malaise dans le capitalisme », il soutient que la psychanalyse a un rôle à jouer dans l’élaboration de concepts permettant de trouver un équilibre entre les revendications de l’individu et les exigences culturelles de la collectivité. Un apport répondant au pouvoir d’agir qui se révèle comme un besoin humain d’autant plus fondamental que le fonctionnement capitalistique global impacte notre rapport au groupe.

Pathologie du lien social

Le caractère pathogène du capitalisme et ses effets sur la santé mentale ne sont plus à démontrer. Marie-Jean Sauret ordonne la pathologie du lien social : généralisation du mensonge, des affaires, justification des guerres, poids de l’influence de l’opinion,  montée de la violence, dégradation des savoirs traditionnels. Il souligne la montée d’un climat paranoïaque avec le succès des thèmes de l’insécurité, des fichages et du harcèlement moral. S’il évoque l’expansion des mouvements religieux, notamment extrémistes, l’auteur ne pose pas un diagnostic relatif à la religion « qui invite à s’en remettre à l’autre ». Il s’attache à l’espace politique « pour récupérer la responsabilité du monde que nous vivons » contre la conviction d’une détermination économique inéluctablement orientée vers le marché global. « La question de la politique se confond avec celle de la possibilité de décision du sujet. »

Faire communauté avec la différence

« Il ne paraît pas qu’on puisse amener l’homme par quelques moyens que ce soit à troquer sa nature contre celle d’un termite. Il sera toujours enclin à défendre son droit à la liberté individuelle contre la volonté de la masse », assure Freud. Pour Lacan, le lien social désigne la façon dont un individu arrive à loger le plus singulier de ce qu’il est dans « le commun ». « La question n’est pas de savoir comment faire communauté avec son semblable  ou celui avec lequel nous sommes dans une relation aimable mais avec la différence, le dangereux et avec lequel la relation et de haine. »

Le lien social contemporain, celui du capitalisme, est dominé par la science et le marché que Lacan caractérise comme «  la copulation du discours capitaliste avec la science » exploitant la structure du sujet désirant pour lui faire croire  que la science fabriquera  l’objet qui lui manque et qu’il n’aura qu’à se servir sur le marché. Sans le secours d’aucun lien social établi.

La forme de vivre ensemble qui découle du capitalisme, est celle qui valorise l’utilitarisme, la consommation et la jouissance qui consume. Marie-Jean Sauret met en évidence trois aspects liés aux conditions de la globalisation : « La nature du modèle  de « tout »  qui  tend à s’imposer, le destin de la démocratie et du politique, et l’opération sur la langue qui semble l’accompagner ». Deux problèmes sont ainsi soulevés : celui des conséquences néfastes du capitalisme pour le sujet et le lien social et celui d’une conception du sujet sans actes possibles. Que peut apporter la psychanalyse en ce domaine ? Elle possède une expérience du défaire pour construire une singularité du vivre ensemble, observe l’auteur qui nous invite à exploiter les ressources humaines en notre possession pour faire face .

Jean-Marie Dinh

Malaise dans le capitalisme, Presse universitaire du Mirail 23 euros

 

Voir aussi : Rubrique Société, Sciences Humaines, Psychanalyse un douteux discrédit, rubrique Rencontre Daniel Friedman, Rolan Gori,

Chienne d’Histoire : Cinéma pictural et histoire poème

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« L’âme vivante qui traverse le film est noir. »

Sur la grande scène du Corum qui ouvre le festival Cinemed c’est à peine si Serge Avédikian affleure le propos de son film totalement traduit par son titre Chienne d’histoire. Un film d’animation de quinze minutes qui a reçu la Palme d’or du court métrage, cette année au Festival de Cannes.  » L’histoire du film, est elle même tirée d’un fait historique profondément méconnu en Turquie tant les autorités successives se sont évertuées à l’effacer de la mémoire populaire, au même titre que toute l’histoire de la fin de l’Empire Ottoman. » souligne le réalisateur.

 En 1910, les rues de Constantinople sont envahies de chiens errants. Le gouvernement, influencé par un modèle de société occidental cherche une méthode d’éradication. Puis brusquement, il décide de tous les déporter sur une île déserte.

Hier matin, Serge Avédikian que l’on connaît aussi pour sa carrière de comédien et de metteur en scène est revenu sur le langage exploré dans son film.  » C’est un film dramatiquement pas correcte qui ne raconte pas une histoire. C’est une proposition pour rentrer dans un récit. » En collaboration avec son dessinateur, Serge Avédikian  travaille l’esthétique de ses films à la manière d’un peintre. Les images s’appuient sur une présence photographique documentée. Les photos de rues et de bâtiments issue de carte postale de  l’époque, servent d’armature à l’expression picturale de Karine Mazloumian qui compose avec  des intégrations vidéo. L’ensemble renvoie au besoin inné d’expression et de transmission d’information, aux sources même de la peinture préhistorique.

La grammaire d’Avédikian fait appel à un rapport fusionnellequi concerne le temps, les techniques utilisées, et le message. Un message où se juxtaposent, politique eugéniste, processus génocidaire, impérialisme scientifique, et politique de l’immigration.  » Le recours à l’esthétisme permet d’aborder des sujets qui ne seraient pas supportables « , confie le réalisateur d’origine arménienne. La réaction incertaine et palpable du public à la fin du film projeté vendredi, confirme qu’il a visé juste.

Jean-Marie Dinh

Chienne d’Histoire est le troisième film d’animation de Serge Avédikian, après Ligne de vie en 2003 et Un beau matin en 2005 qui font appel à des techniques similaires.

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Le désert chilien d’Atacama porte ouverte sur le passé

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Avant-première cinéma : Nostalgie de la Lumière un film de Patricio Guzman . Le réalisateur chilien présente un documentaire métaphysique sur la mémoire du Chili sur les écrans le 27 octobre.

patricio-guzmanLe réalisateur chilien Patricio Guzman était cette semaine l’invité du cinéma Diagonal pour la présentation de son film Nostalgie de la lumière en sélection officielle cette année à Cannes. Né en 1941 à Santiago du Chili, Patricio Guzman a fait ses études à l’Ecole officielle d’art cinématographique de Madrid. Il dédie sa carrière au documentaire et doit sa notoriété à ses films sur l’histoire du Chili ; notamment La bataille du Chili, une trilogie de cinq heures sur le gouvernement de Salvador Allende et sa chute. Nostalgie de la lumière nous entraîne dans un monde poétique et métaphysique à partir d’un espace hors temps. Au Nord du Chili entre la fosse océanique et la Cordillère des Andes, le désert d’Atacama héberge un gigantesque observatoire. A trois mille mètres d’altitude, les astronomes du monde entier y scrutent les galaxies les plus éloignées en quête d’une probable vie extraterrestre, et au pied des observatoires un groupe de femmes remuent les pierres, à la recherche de leurs parents disparus…

Le réalisateur qui a été arrêté et enfermé pendant deux semaines dans le stade national peu après le coup d’Etat de Pinochet, juxtapose progressivement ces deux univers. « J’ai voulu revenir sur la tragédie nationale du Chili et en sortir à travers une fable métaphysique, indique Patricio Guzman. Le désert d’Atacama est un lieu où la transparence du ciel permet de regarder jusqu’aux confins de l’univers. Et c’est aussi un lieu où la sécheresse du sol conserve intacts les restes humains : ceux des momies, des explorateurs et des mineurs mais aussi, les ossements des prisonniers politiques. Le calcium qui constitue notre squelette est le même que celui que l’on trouve dans les étoiles. »

Dans le film, une femme qui consacre sa vie à retrouver le corps de son fils dans l’immensité du désert affirme le lien commun entre le présent invisible des galaxies lointaines et la mémoire invisible de dix-huit ans de dictature. « Je voudrais que les télescopes géants se mettent à scruter la terre plutôt que le ciel », confie-t-elle à la caméra.

Patricio Guzman estime que l’amnésie est une particularité chilienne. « On a toujours adopté une attitude irresponsable face à la mémoire, cela vaut pour les victimes de Pinochet dont 60% des cas ne sont toujours pas résolus comme pour le XIXe, où l’exploitation des mineurs qui s’approchait beaucoup de l’esclavage comme la disparition des Indiens sont des faits que l’on a jeté dans les poubelles de l’Histoire. » L’idée créatrice de Nostalgie de la lumière touche au passé universel qui donne sens à l’instant présent. « Avec ce film, je suis entré dans le territoire de la mémoire. C’est une rencontre avec la vie dont on ne sort jamais. »

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Amérique Latine, Lien externe Human Rights Comment poursuivre les criminels des Droits de l’Homme, Histoire du Chili

Guerre mortelle aux kilos superflus

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Habituellement les éditeurs interpellent les chroniqueurs pour qu’ils parlent des livres qui vont sortir. Samedi à la Comédie du Livre de Montpellier, la démarche de Charles Kermarec, fondateur de la librairie brestoise Dialogues devenu éditeur, était tout autre. Il venait d’apprendre que les labos Servier, premiers laboratoires pharmaceutiques français indépendants, avaient déposé une plainte en référé * contre sa maison d’édition au motif de préjudice grave et éminent.

En cause, la sortie du livre de la pneumologue Irène Frachon et son titre sans équivoque : Médiator 150 mg Combien de morts ? qui doit paraître jeudi prochain. « Le labo ne peut pas faire valoir un préjudice commercial puisque le Médiator a été retiré du marché français en novembre dernier explique l’éditeur. Certains consommateurs pourraient les attaquer en justice mais cela relève de l’exercice d’un droit garanti par notre constitution. Ils n’ont pas connaissance du contenu et attaque juste sur la couverture. Ils veulent que le livre passe au pilon. »

Le Médiator est un coupe faim commercialisé en France depuis plus de trente ans. Le 25 novembre dernier, lorsque l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé – Afssaps – annonce la suspension de l’autorisation de mise sur le marché il est alors consommé quotidiennement par près de 300 000 Français.

Cette décision fait suite à la révélation d’une toxicité grave directement liée au médicament : une atteinte des valves du cœur, aux conséquences parfois mortelles. Ce médicament était vendu comme un adjuvant du régime adapté chez les diabétiques avec surcharge pondérale. La revue indépendante Prescrire, souligne les effets indésirables du médicament « Troubles neuropsychiatriques, dépendances, hypertensions artérielles pulmonaires, et précise : sous benfluorex : des patients restent exposés à des effets indésirables injustifiés.« 

Le livre menacé d’Irène Frachon nous éclaire sur certaines décisions de santé publique et souhaite contribuer « au débat public constitutif de l’exercice de la démocratie. » mais verra-t-il le jour…

Jean-Marie Dinh

Le procès à lieu aujourd’hui à 14h30 à Brest.

Voir aussi : rubrique Santé Entretien avec Patrick Pelloux, Derrière les morts du Médiator,

La question religieuse dans l’espace social

inter-religieuxSociété. Dans sa dernière livraison, la revue le Sociographe éditée à Montpellier s’intéresse à la prise en compte des croyances dans la pratique professionnelle des travailleurs sociaux.

 

Au cœur des pratiques quotidiennes des travailleurs sociaux, se loge une dimension religieuse. Mais souvent, la confession du bénéficiaire n’est pas prise en compte :  » Au nom d’une fausse dichotomie entre appartenance religieuse et laïcité « . On ne peut réduire les humains à leur pure fonctionnalité comprendra-t-on en se plongeant dans le dernier numéro du Sociographe.

La revue qui se nourrit des témoignages et des réflexions de travailleurs sociaux dans leurs pratiques professionnelles a choisi de revenir sur la question religieuse dans l’espace social.

La première partie qui porte sur la genèse situe l’action sociale comme un enjeu commun du politique et des cultures et croyances. S’appuyant sur l’affirmation souvent énoncée d’un retour du religieux, JD Causse, qui dirige le département de psychanalyse de l’Université Montpellier III, s’interroge sur le présupposé de ce retour qui impliquerait une absence. Le chercheur préfère y voir un redéploiement sous l’aspect d’une triple recomposition. Le fondamentalisme s’exprimant dans des mouvances très identitaires pour échapper aux dérives du monde moderne. Une forme narcissique détachée, collant aux aspirations d’auto thérapie du moment, et le transfert du religieux dans le pouvoir des technosciences selon l’idée chère à Foucault.

A partir d’un éclairage historique, J.M. Gourvil rappelle comment, à la fin du Moyen-Age, l’invention des  » bonnes œuvres  » permet à l’Eglise de s’approprier les pratiques solidaires des communautés locales qu’elle cédera plus tard à l’Etat providence. Ce qui lui permet de surgir dans la crise actuelle qui agite le débat autour de l’action sociale : entre l’appel à une intervention de l’administration centrale et une vision citoyenne laissant davantage de place au développement des cultures et des solidarités locales.

Les différents éclairages émanant de témoignages, qui constituent la seconde et la troisième partie de la revue, soulignent que des difficultés de compréhension émergent aux contacts de certaines minorités communautaires. L’expérience de terrain invite à la prise en compte de valeurs différentes autant qu’à une certaine réflexivité.

Gérald Dudoit.  » Est-ce que l’autre est acceptable quand il est identique ou faut-il intégrer la différence ? « 

Gérald Dudoit enseigne la sociologie à l’IRTS-LR*. Il a coordonné ce trente-deuxième numéro du Sociographe.

Gérard Dudoit

Gérard Dudoit

 » La question religieuse dans l’espace social, par les temps qui courent, c’est un peu poser le pied sur un champ de mines. Avez-vous balisé le parcours ?

Le champs de mines, nous étions pressés de le déterrer en essayant de ne pas tomber dans un quelconque dogmatisme. Dans ce numéro consacré aux croyances dans le travail social, nous avons cherché des confessions pour lever un objet peu abordé par les travailleurs sociaux et les institutions. Nous avons d’ailleurs rencontré quelques difficultés. Sur la liste des personnes sollicitées, certaines n’ont pas souhaité répondre à notre proposition. C’est une question difficile qui renvoie inévitablement à nos propres croyances. Le mode d’expression est resté libre comme pour chaque numéro de la revue.

Le parallèle entre l’histoire sociale et religieuse apparaît clairement dans la première partie qui met en regard deux institutions parfois aliénantes…

Le champ abordé n’est pas seulement religieux, c’est aussi celui de la croyance qui participe au fondement de l’action sociale, comme le souligne l’intervention de Jean-Marie Gourvil. Le système religieux comme l’institution sociale sont aliénants lorsqu’ils dépassent la prise en compte de l’individu et de la différence pour imposer une société contre l’individu, une société de prêt-à-porter religieux ou social.

Dans la partie témoignages, une éducatrice évoque une expérience où elle se trouve confrontée à une croyance étrange qui marque un contrepoint aux représentations religieuses…

En effet, ce témoignage de l’éducatrice spécialisée, Brigitte Mortier, souligne notre volonté de ne pas se limiter à la religion en tant que dogme. En arrière plan, il soulève le fait que nous ramenons souvent l’objet de croyance à une confession qui nous est étrangère, qui vient de chez les autres. Là nous sommes face à une croyance surnaturelle issue de la France profonde qui renvoie et interroge le travailleur social à sa propre perspective scientifique.

Un autre témoignage de terrain évoque la perte de repères absolue, y compris de leur croyance, de demandeurs d’asile. Est-ce le rôle du TS de toucher au fondement identitaire ?

On touche ici le problème des situations extrêmes traversées par les demandeurs d’asile victimes de traumatismes générés par des persécutions qui ébranlent leur croyances. Entre l’acculturation et l’assimilation d’un nouveau mode de fonctionnement, il existe un entre deux où la réorganisation n’est pas possible parce que la personne a perdu le respect de son groupe d’origine, à la fois le contenant et le contenu.

Les travailleurs sociaux sont-ils formés pour faire face à ce type de situation ?

Par rapport à ces différences, l’usager vient globalement travailler le professionnel. L’altérité nous permet de bouger de déplacer nos valeurs. La formation s’apparente à une mise en conformité des travailleurs sociaux. Les institutions veulent-elles des individus ou cherchent-elles à fournir des rôles sociaux occupés par des individus ? Est-ce que l’autre est acceptable quand il est identique ou faut-il intégrer la différence ? C’est un sujet toujours brûlant d’actualité. Après la formation, c’est en situation que se construit le positionnement professionnel et dans l’éthique que se situe ce qui se travaille en chacun « .

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : rubrique société il n’y a pas de société sans croyance , position de la LDH sur la burka, rubrique revue le travail social est-il de gauche ?,