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« C’est joli Anouch comme prénom, c’est vrai, on pense à une très jeune fille », souffle Gilles (Grégoire Leprince-Ringuet) à la femme, Anouch (Ariane Ascaride), qui dîne avec lui et, à ces paroles, sourit. Tous deux sont là, dans la tiédeur libanaise, en pleine guerre civile. Leur tête-à-tête est a priori improbable. Parce que Gilles, par un hasard malencontreux, a été grièvement blessé aux jambes dans un attentat commis à Paris par des militants arméniens, et qu’Anouch est la mère de celui qui a déclenché l’explosif. Son fils, Aram (Syrus Shahidi), s’est réfugié à Beyrouth pour y continuer, avec d’autres, la lutte. C’est que Robert Guédiguian, s’emparant d’un fait réel concernant le génocide arménien et les conséquences de sa non-reconnaissance par la Turquie, cherche, comme toujours, au sein de ses héros ce qui les élève.
Ainsi, Aram est tourmenté par son erreur et refuse de poser d’autres bombes risquant d’atteindre des innocents. Gilles, après un mouvement de rejet, veut comprendre, pour donner sens à sa souffrance, ce qui pousse ces Arméniens à la violence. Et Anouch a puisé au fond d’elle-même la force de se présenter face à Gilles. Les mères tiennent un rôle prépondérant dans le cinéma de Robert Guédiguian. Mais ici, il a dessiné un personnage qui n’avait chez lui jamais eu cette ampleur : une mère qui partage son amour entre le bourreau (son fils) et sa victime (Gilles). C’est la figure d’une mère universelle, qui permet non pas une illusoire réconciliation, mais de faire cheminer chacun, malgré le drame, vers une position juste. Ariane Ascaride et Grégoire Leprince-Ringuet forment ainsi un duo exceptionnel, de la même manière que Simon Abkarian est bouleversant en père aimant mais désapprouvant son fils activiste, tout en impuissance et souffrance silencieuse.
Ainsi l’émotion ne cesse d’affleurer dans ce film qui se confronte à des questions cruciales, comme celle des moyens de la lutte armée au service d’une cause indiscutable, mais aussi à la manière dont on réapprend à vivre après avoir été victime d’un attentat, ou encore à la question de la représentation au cinéma de scènes de génocide. Une question que Robert Guédiguian a résolue par un prologue en noir et blanc dont l’action se déroule au lendemain des massacres. Cette ouverture, constituée quasi exclusivement de scènes de tribunal, n’a pas moins de force que la suite, tant le cinéaste a réussi à y convoquer la présence tragique des fantômes des disparus. Qui hanteront à jamais leurs descendants.
Source : Politis 04/11/2015