Kent Anderson : Noirceur d’un regard de l’Au-delà

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Invité des K-fé-krim Sauramps, l’auteur Kent Anderson est venu évoquer son troisième opus traduit sous le titre «Pas de saison pour l’enfer».

Il a développé très tôt une passion pour le verbe, prétend-il. Par goût des grands espaces, il s’est engagé à 19 ans dans la marine marchande. Trois ans plus tard, sa vie bascule sur le front du Nord Vietnam. Comme tous les vétérans, Kent Anderson a dû lutter contre des hordes de fantômes. Il combattait dans une unité des forces spéciales. Avec un collègue, ce sont les seuls bérets verts à être sortis en vie de leur unité. « Je me considérais comme déjà mort ». A son retour au pays il trouve du boulot dans la police.

Son second livre Chiens de la nuit, s’inspire des huit années où il fut officier de police dans les quartiers noirs de Portland et d’Oakland. « Ma vie est une se?rie d’erreurs. En rentrant du Vietnam, je ne pouvais rien faire d’autre. », explique -t- il. Pas de saison pour l’enfer est son troisième livre traduit en France. Il compile des récits parus aux Etats-Unis auxquels s’ajoutent une série d’inédits couvrant la période 1983-1993.

C’est peu de dire que la plume de Kent Anderson puise dans une matière trouble. Qu’il s’agisse des corridas, des combats de coqs ou de son parcours de zombie dans la jungle vietnamienne, les descriptions exaltantes ou douloureuses, respirent le vécu. « Toute littérature est un mélange entre fiction et me?moire, une perte de repère. »

Dans cette noirceur totale, les chevaux et la nature surgissent comme des oasis. Il évoque le film de Sydney Pollack Jeremiah Johnson : « C’est mon film préféré. J’ai besoin de la nature pour garder l’équilibre. Elle m’a évité,de mettre fin à mes jours. »

Il parle des difficultés qu’il a rencontrées quand il s’était mis dans l’idée de vendre les droits d’adaptation cinématographique de Sympathy for the devil, premier livre de témoignage sur l’enfer de la guerre. « C’est un roman sans héros. Le personnage principal est un tueur, un psychopathe, même, diraient certains » Pas très commercial… Par la force des choses Kent Anderson compatit avec les minorités américaines, les fêlés du bocal de tous poils. « Le Vietnam a fait de moi un tueur. », confie-t-il fébrile.

Jean-Marie Dinh

Pas de saison pour l’enfer – 13e Note Editions – 23 euros.

Source : La Marseillaise 06/04/2013

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David Vann « Désolations » : Dernière frontière sur les bords du lac glaciaire

Rentrée Littéraire : David Vann l’auteur de Sukkwan Island, prix Médicis 2010, est à Montpellier aujourd’hui où il dédicacera son second roman traduit en français Désolation à la librairie Sauramps. L’écrivain participera à une rencontre en partenariat avec le Festival du roman noir de Frontignan (FIRN) dont il était l’hôte en juin dernier.

Les lecteurs du premier opus de l’auteur américain retrouveront dans Désolation le climat géographique où l’auteur a passé son enfance. L’Alaska dont la puissance prend le pas sur l’Homme. Dans les romans de David Vann, la force de l’environnement présente à chaque page, semble nourrir la volonté désespérée des personnages qui confrontent leurs faiblesses aux forces gigantesques de la nature. David Vann fonde ses fictions à partir d’histoires qui l’ont touché personnellement. Dans Sukkwan Island il partait du suicide de son père qui a marqué à jamais son enfance.

Un homme en profonde dépression vend son cabinet dentaire et débarque sur une île déserte perdue au Sud de l’Alaska. Son fils de treize ans qui préférerait rester en Californie, l’accompagne pour limiter les dégâts. L’ado pressent que cette renaissance improvisée tire vers l’exorcisme et risque de finir par le suicide de son père. Seul face à la nature, il doit le porter  à bout de bras. Au milieu du livre tout bascule…

Gary entraîne sa femme dans une quête perdue

La matière littéraire de Désolation procède du même cheminement. David Vann évoque cette fois la mère de la seconde femme de son père qui a tué son mari après qu’il lui ait annoncé qu’il allait la quitter. L’auteur, se livre au récit factuel d’Irène et Gary, un couple au bout des désillusions après trente ans de vie commune. Gary entraîne sa femme dans une quête perdue. Il a pour obsession de construire une cabane de ses mains pour  aménager avec sa femme sur un petit îlot coupé du monde alors que s’annonce un hiver terrible.

Le roman suit la ligne drammaturgique du tronc sur la rivière, dont on sait  qu’il va se faire caïman. La relation du couple est gelée.  Irène  a conscience du mensonge dès le début. Elle est torturée en permanence par d’inexplicables migraines. A la recherche d’un  destin qui lui échappe, son mari s’aveugle dans un rêve de petit garçon. La tragédie familiale prend son temps. On suffoque dans l’espace immense. L’auteur du bout de l’Amérique décrit  la nature pour mieux faire apparaître ses personnages. Ils s’y confrontent avec une capacité perdue à être spirituelle. Passée une certaine limite, le retour en arrière est impossible suggère David Vann.

Jean-Marie Dinh

Désolations , éditions Gallmeister, 23 euros
Rencontre avec l’auteur à partir de 18h chez Sauramps entrée libre.

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Bernard Pasobrola : « J’évoque l’aspect ridicule du pouvoir « 

Pasobrola. Photo Rédouane Anfoussi

Rencontre. L’écrivain montpelliérain Bernard Pasobrola revient sur la scène littéraire en trempant sa plume lucide et décapante dans le grand noir.

Bernard Pasobrola a été libraire à Grenoble puis à Bruxelles avant d’effectuer une longue migration au Portugal où il a exercé la profession de plasticien indépendant. Il vit actuellement à Montpellier. Il a publié plusieurs romans*. Il collabore avec diverses revues comme Temps Critiques ou La Revue des Ressources et traduit des ouvrages de philosophie et de linguistique américains.

Après dix années de silence, comment les Katz sont revenus dans Mortelle hôtesse ?

Le roman est parti de ce couple infernal. Humbert Katz, un vieux désabusé, en décalage avec le monde d’aujourd’hui qui se retrouve plongé dans ce qu’il y a de plus pointu grâce à sa fille, une jeune scientifique douée. A l’inverse de son père, Nora est totalement à l’image de son époque. Elle est pleine de piercing et de certitudes. Elle n’a peur de rien. Cette confrontation générationnelle mais aussi entre la foi religieuse et scientifique, figurait comme le point de départ de L’Hypothèse de Katz. Dans ce livre, qui n’était pas un roman noir, Humbert est pris d’un délire de persécution. Moi, je ne savais pas si c’était vraiment fondé et je ne voulais pas trancher là dessus. Il se trouve que le bouquin a été plutôt apprécié par les amateurs de polar. Comme l’indécision finale qui plane ne leur convenait pas, un certain nombre d’entre eux m’ont demandé une suite. C’est ainsi que je me suis lancé  dans Mortelle hôtesse en adoptant les codes du noir.

Comment s’est effectuée cette transition du genre ?

On peut classifier les stéréotypes d’un genre, mais je ne vois pas de vraie frontière entre le roman noir et la littérature, dite blanche. Il y a des romans noirs truffés de pathos dont l’ancrage social est faible. D’autres romans dits de littérature générale sont d’excellents roman noirs. C’est le cas de certains romans de Kundera, La valse des adieux par exemple, qui est d’une rare noirceur. Je pense que ce qui est bon échappe au contrôle des genres. Aujourd’hui, le problème des auteurs n’est pas un problème de genre mais de lectorat.

Au-delà des conventions du genre, quelle a été votre démarche pour parvenir à cette forme stylistique très aboutie ?

Le livre a sa propre mécanique. Je l’ai écrit en 2003, durant la canicule, dans un flux que je ne maîtrisais pas. Il comporte un certain nombre d’aspects scientifiques et techniques. Ayant essuyé quelques péripéties éditoriales, j’ai eu le temps de travailler le style, de le fluidifier. C’est assez difficile, dans un roman d’action, on n’attend pas de grandes discrétions sur la couleur des falaises mais tout ne tient pas non plus au basique…

A travers les visions froides et lucides que vous donnez du pouvoir, vous renouez avec une forme de réalisme, les longues descriptions en moins. Ce qui ne manque pas d’interpeller le lecteur sur notre époque…

Je m’intéresse à la biologie depuis longtemps. Rien ne m’étonne. La thérapie génique a déjà fait le lien entre les neurones et l’électronique. J’essaie d’anticiper un tout petit peu. Mais dans le rapport homme machine, tout est déjà canalisé. La marchandisation du corps ne relève pas de la fiction. Partout, on assiste à la transcendance de la technique. A partir du moment où il y a une médiation technique, elle prend le dessus. Il faut que l’on en trouve un usage soit commercial soit à travers un prestige convertible plus tard en termes financiers. Tout cela n’est pas apparent. Le livre met en relief l’aspect éminemment ridicule du pouvoir et de beaucoup de choses considérées comme respectables. Nous sommes dans un monde où les réseaux de puissance sont devenus extrêmement polymorphes, et n’ont de comptes à rendre à personne. C’est la victoire totale du capital. Il n’y a plus de différence entre réseaux légaux et illégaux. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

*Au diable vos verres  (ed. Séguier),  Le singe et l’architecte (ed. Séguier),  L’Hypothèse de Katz  (ed. Denoël) et  Mortelle hôtesse  (éd. La vie du Rail 2011).

Rien ne va plus, faites vos jeux…

Roman noir. C’est l’atmosphère d’un monde sans politique qui fonde la silencieuse et angoissante toile de fond du roman d’action « Mortelle hôtesse ».

Richard Meyer, salarié d’une officine privée qui donne dans le renseignement assiste à la mort de son collègue Gro sous la Manche. A bord du TGV Paris-Londres il fait aussi la connaissance de Nora, une jeune et brillante chercheuse à la recherche de son père Humbert Katz. L’homme pourrait avoir été kidnappé et retenu dans une clinique de thérapie génique. Il n’en faut pas moins pour convaincre le pessimiste réaliste,  Richard Meyer de se lancer sur la piste escarpée des intérêts de l’industrie pharmaceutique. Habitué à nager en eaux troubles, il parvient à tisser un lien entre les événements et une mystérieuse épidémie de cécité qui frappe le milieu fermé des diamantaires d’Anvers. Débute une course à tombeau ouvert où le lecteur traverse un tissu d’intrigues en empathie avec ce personnage désabusé d’un long voyage dans les arcanes du pouvoir. Bernard Pasobrola affirme avec ce quatrième roman un style grinçant mais tout en légèreté, l’ensemble teinté d’un humour, destructeur fort à propos. L’action rythmée se déploie dans un contexte très contemporain qui, de l’exploitation des mines de diamants aux expériences biotechologiques en passant par l’industrie florissante des armées privées, décrypte sobrement le milieu politico-économique dont l’équilibre apparaît en totale et durable perdition. Mortelle Hôtesse répond aux codes du roman noir, usant de ce ressort pour entraîner une sorte de boule miroir dans laquelle se réfléchit l’immoralité du monde.

Peut-être est-ce à ces raisons que Bernard Pasobrola doit ses mésaventures éditoriales… Les grandes maisons se sont confondues, jugeant son manuscrit trop complexe pour séduire les lecteurs. Il n’en est rien, tout au contraire, l’atmosphère introduite par l’auteur à travers le soin porté à la structure et à la fluidité de l’écriture, met en évidence des aspects profonds de notre époque. Une intelligence que l’on savoure avec délectation.

Jmdh

Mortelle hôtes,  Rail noir, 15 euros.

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Yishaï Sarid : « J’ai pu voir à travers les yeux du héros »

 

Yishaï Sarid : « En Israël la politique est une histoire sans fin ». Photo Rachel Sion

 

Rencontre avec l’auteur israélien Yishaï Sarid au Festival international du roman noir à Frontignan.

Né en 1956 à Tel-Aviv, Yishaï  Sarid est le fils d’un député de gauche militant pour la paix. Son deuxième roman, « Le poète de Gaza » traduit de l’hébreu au printemps a été salué par la presse israélienne. Un ouvrage captivant qui  évoque la vie d’un agent israélien de la sécurité intérieure dont l’engagement contre les attentats terroristes le conduit régulièrement à s’exonérer les droits de l’homme. A l’occasion d’une mission, il croise le chemin d’une romancière israélienne et d’un poète palestinien. L’humanité de ces rencontres vient perturber son sens aveugle du devoir.

On est saisi par le rythme de votre thriller qui joue finement sur l’intensité émotive du personnage et on adhère tout de suite à votre style épuré. Quelle a été votre démarche du point de vue de l’écriture ?

« Je voulais me garder de l’émotion facile, éviter les stéréotype de situation. J’ai beaucoup travaillé pour épurer le style sans endommager le sentiment. Je me suis efforcé de restituer la façon dont mon héros parle et pense en restant proche de lui à un point où j’ai pu voir à travers les yeux du héros.

On suit cet homme dans sa vie de tous les jours avec ses difficultés familiales et professionnelles. Ce personnage n’a rien d’une brute. Il est cultivé, sensible et en même temps, il est animé d’un sentiment patriotique très fort qui joue presque contre lui…

En Israël la famille est très importante. Dans cette histoire, le personnage n’arrive pas à gérer cette situation. Quand il a fini son travail, il rentre chez lui mais ne parvient pas à s’adapter à une situation normale. Il est aspiré par son engagement qui lui fait perdre le contrôle de sa propre vie.

Le livre fait état d’une situation politique à l’égard de laquelle vous prenez une distance très mesurée.

Je ne voulais vraiment pas faire du roman un thème politique. Ce n’est pas intéressant, ce qui présente de l’intérêt c’est la dimension humaine. A travers les yeux du personnage principal, je regarde ce qui se passe en essayant de ne pas le juger parce que je pourrais très bien me trouver à sa place. En Israël, la politique est une histoire sans fin. Ce sont toujours les mêmes situations qui se répètent. Traiter de politique à travers la littérature ne sert ni la littérature ni la politique. Ce qui m’intéresse ce sont les conséquences d’une situation politique sur les gens. Cela peut d’ailleurs avoir un impact profond sur la conscience du lecteur.

Comment vivez-vous votre condition d’artiste israélien lorsque vous êtes à l’étranger ?

C’est assez variable. La situation diffère entre les Etats-Unis et l’Europe où la question palestinienne est posée de manière plus exacerbée. Moi je suis un homme de gauche, mais je me sens aussi patriote. De manière générale, quand on sort d’Israël on est considéré comme des ambassadeurs du gouvernement et quand on revient dans le pays on nous considère comme des opposants critiques… »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

 

« Le poète de Gaza », Actes-Sud, 20 euros.

 

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Roman noir : les vrais héros sont-ils morts ?

Festival international du roman noir de Frontignan

Chaque année, Frontignan vit une semaine dans le noir… et la bonne humeur. Cette éclipse correspond au Festival international de roman noir, rendez-vous prisé qui permet aux amateurs de polar de rencontrer des écrivains confirmés (une cinquantaine) et de repérer des auteurs d’avenir dans un domaine où 1 200 titres sont publiés chaque année.

Cette année, la thématique choisie est celle des « métamorphoses du héros ». On constate en effet une évolution du héros récurant avec l’apparition de nouvelles figures. « On est passé du détective dilettante, à la Agatha Christie, au héros de polar à la Humphrey Bogart, mais aujourd’hui le flic ou le détective n’est plus du tout un mec macho et de moins en moins un homme, indique Michel Gueorguieff, le Président de Soleil Noir à l’origine du festival. Les héros ont des failles, les minorités ethniques ou sexuelles sont très présentes. Cette évolution est un miroir de nos sociétés ».

Ce thème réunit des auteurs venus de tous horizons. Parmi lesquels on peut citer : Yishaï Sarid, un Israélien, jamais venu en France, qui situe son roman Le poète de Gaza au cœur du conflit israélo-palestinien ; le Suédois Inger Frimansson, plutôt connu dans la littérature « blanche », qui a obtenu le prix du meilleur roman noir suédois pour Bonne nuit mon amour ; l’Américain David Vann dont le livre au suspens insoutenable Sukkwan Island a été couronné du prix Médicis étranger 2010.

A noter que l’invitée d’honneur du FIRN n’est autre que Fred Vargas, particulièrement rare sur la scène littéraire, qui vient de publier L’Armée furieuse, où l’on retrouve le mémorable commissaire Adamsberg en prise avec un seigneur d’un autre âge.

Jean-Marie Dinh

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