«La crise morale nous touche de l’intérieur»

Jacques Broda. Photo Simon Borysko

Jacques Broda un sociologue critique et provocateur.

Le sociologue Jacques Broda était invité à Montpellier par le Collectif éducation populaire et transformation sociale. L’enseignant chercheur est intervenu sur le thème d’une école qui résiste à la marchandisation. Il travaille depuis 20 ans sur la jeunesse dans le champ de la sociologie critique en s’impliquant sur le terrain.

Quelle définition donnez-vous à la jeunesse ?

« C’est une catégorie d’âge sur laquelle je porte un regard anthropologique. J’ai travaillé longtemps avec Armand Gatti avec qui je partage l’idée que nous sommes des sujets historiques. C’est ainsi que j’interroge la jeunesse. De quelle politique vient-elle ? Quelle politique fait-elle ou ne fait-elle pas ? Et quelle politique fera-t- elle ? Ce qui me pousse à considérer l’avenir avec une immense inquiétude.

L’école est-elle au centre de la problématique ?

L’école devrait être un lieu de résistance. Parce qu’il n’y a plus que l’école pour apprendre à penser et se rendre compte de ce qui se passe. Or l’école n’est pas l’école de la politique mais un lieu de dressage.

Vous êtes critique sur l’idée de démocratisation de l’école.

La démocratisation est un leurre. Bourdieu l’a analysée. L’inégalité scolaire redouble l’inégalité sociale. Je connais un jeune issu d’une famille de mineurs qui a dû emprunter  22 000 euros pour payer ses études de commerce. C’est la société qui a une dette envers lui et c’est lui qui doit en contracter une. Le problème est qu’il ne conteste pas. Une grande partie de la jeunesse s’adapte à la réalité sans se rendre compte qu’elle se met en difficulté et qu’elle met aussi en grande difficulté ses futurs enfants. Mais les jeunes ont beaucoup de mal à se projeter dans l’avenir.

Ne subissent-ils pas les effets d’une société qui ne leur laisse aucune place ?

Les jeunes sont des individus qui doivent s’investir dans le devenir politique et éthique. D’ailleurs tous les jeunes ne sont pas déresponsabilisés. Je suis admiratif d’une partie de la jeunesse dont personne ne parle qui est critique et a énormément de  courage. Ce sont les Antigone des temps modernes. Certaines font trois jours en un. Elles sont à la fois pilier au sein de leur famille, travaillent au Mac D’o et suivent leur études et les réussissent.

S’agit-il de jeunes issus de l’immigration ?

Pour la plupart oui. Mais pas seulement, Je connais aussi des fils de bourges qui refusent que leur parents leur payent une voiture parce qu’ils ont une certaine éthique. Je pense qu’il faut encourager cette forme de résistance spirituelle.

La religion y tient-elle une place ?

Les rares étudiants avec qui je peux dialoguer des valeurs sont ceux qui ont une éducation religieuse. Je sais qu’en tant que communiste, mes propos peuvent paraître provocateurs. Les formes de religions universalistes moderne ont laissé des dépôts. Je crois que le marxisme s’est trompé sur la religion. Il n’a pas compris qu’à l’intérieur des religions se niche une base morale.

Comment situez-vous la crise morale par rapport à la crise sociale ?

Elle est plus importante parce qu’elle touche les individus de l’intérieur. Pour avancer sur le social il faut des bases morales.

Comment concernez-vous les classes moyennes dans votre rapport à la lutte des classes ?

Je suis partisan du concept d’une alliance sur la base de l’émancipation des marchés financiers. Les classes moyennes n’ont aucun intérêt à vivre dans un monde barbare. La majorité de la population est en demande d’humanité, de tolérance, et de service public. La classe moyenne a tout à gagner à évoluer dans un monde civilisé.

Recueilli Par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Education, Ecole : revenir à l’essentiel, rubrique Sciences Humaines, rubrique Rencontre, Rubrique Religion

Gérard Guillaumat sur les traces de Gwynplaine

Gérard Guillaumat: une sensible exploration du texte par la parole. Photo Isabelle Mester

Printemps des Comédiens. L’homme qui rit : la parole juste de Gérard Guillaumat fait renaître le texte de Hugo.

L’œuvre multiforme de Victor Hugo s’illustre à plusieurs titres dans l’édition 2011 du Printemps des Comédiens. Avec Tempête sous un crâne Jean Bellorini portera prochainement* « Les Misérables » dans l’Amphithéâtre d’O, Les règles du savoir-vivre dans la société moderne de Lagarce évoquent Hugo comme une référence à citer pour briller en société.

La « lecture » que livre le comédien Gérard Guillaumat de L’Homme qui rit, vaste roman de la fausse apparence, arrive en contre point. S’il y est aussi question du cheminement de la vie à la mort et inversement, cet ouvrage assez méconnu, n’a rien du bon goût classique. Rédigé entre 1866 et 1868 c’est le dernier roman écrit par l’auteur durant son exil. Blessé, affecté par la mort de sa femme et de son petit fils, l’écrivain poursuit ses rêves où se croisent politique, philosophie et poésie. Dans un projet de préface il confie : « J’ai senti le besoin d’affirmer l’âme ».

L’homme qui rit apparaît comme un roman initiatique, baroque et métaphysique où, comme bien souvent dans la vie, l’horrible côtoie le voluptueux.

Renaissance

Par sa parole, Gérard Guillaumat porte merveilleusement le texte sur les planches, en y mettant l’expérience d’une vie éminente et précieuse : la sienne. Celle d’un jeune homme qui a perdu l’usage de la parole à Buchenwald et souhaitait faire du théâtre. Celle d’une carrière d’acteur singulière où défilent les rencontres inoubliables : Charles Dullin, Gérard Philippe, Peter Brook, Gabriel Monnet, Roger Planchon, Patrice Chéreau… L’énumération révèle à quel point la présence de l’acteur apparaît cohérente dans la programmation 2011.

Le parcours de Gérard Guillaumat dévoile une curieuse proximité avec le personnage hugolien de l’enfant défiguré Gwynplaine abandonné dans une crique « comme au fond d’un puit » par les comprachicos. Celui qui connaîtra une nouvelle naissance en devenant lord Clancharlie, après s’être exhibé sur les planches des théâtres populaires, et qui affrontera bien des épreuves.

Vertiges de l’ascension et de la chute

L’ascension qui conduit le saltimbanque au sommet de la société s’avère souvent redoutable. Dans le texte, Gwynplaine se laisse engloutir par la tentation de Josiane, tempête de la chair. Il subit celle de l’orgueil, en oubliant l’amour de Dea son étoile. Gwynplaine affronte aussi  la Chambre des lords dans une lutte politique et sociale il oblige les lords à voir « le revers ténébreux de la société ». « Le peuple est un silence » dit-il,  « je suis celui qui vient des profondeurs (…) je parlerai pour les muets. » Mais la surdité des hauts lieux l’emporte. La fin du roman marque la dernière naissance et perdition. Gwynplaine s’abîme dans la mer par amour et  rejoint son âme, Dea, dans la mort.

Avant que l’on ait le temps de voir passer une heure, Gérard Guillaumat réhabilite cette œuvre majeure sans rien perdre de son essence. A sa sortie L’homme qui rit fut assez mal reçu. Son auteur s’opposait au matérialisme et au scepticisme qui triomphaient à son époque. L’accueil chaleureux et mérité qu’a réservé le public à Gérard Guillaumat relevait d’un profond partage, le temps serait-il au changement…

Jean-Marie Dinh

 

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Ecole: revenir à l’essentiel

Vu la situation actuelle, il s’avère difficile d’évaluer dans quel état sera  le système éducatif après la suppression des 16 000 postes qui figurent dans les tablettes comptables 2011/2012 du gouvernement. Sur le terrain, le combat se poursuit pour réclamer des  remplacements, maintenir des options, intégrer des élèves, ou refuser des suppressions de classe. Il est voué à s’intensifier et augure déjà d’une rentrée explosive.

En solidarité avec cette légitime indignation citoyenne, le Collectif éducation populaire et transformation populaire propose de prolonger  l’action par une réflexion globale pour sortir l’école de la marchandisation. Après avoir  rappelé les enjeux de  l’école, le collectif envisage la rencontre et le débat comme des étapes préalables, permettant à tous les acteurs de l’école de poser les bases d’une co-construction coopérative.

C’est en mesurant le traitement infligé à l’école publique par le pouvoir en place, et en observant à quel point la déconstruction des valeurs républicaines s’est inscrite dans la structure même de l’Etat, que l’on mesure l’urgence. Le combat défensif pour les valeurs solidaires doit s’accompagner d’une réflexion plus globale. Il importe de remettre au centre du débat la place que nous voulons donner à l’école dans notre société.

Le collectif éducation populaire et transformation populaire soutient le rôle prépondérant que tient l’école dans la construction du vivre ensemble, à travers la capacité qu’elle a à transmettre les savoirs tout en éveillant les consciences des futurs citoyens.

La soirée sera scindée en trois parties avec une intervention du FRIT (Front de résistance et d’intervention théâtrale), un exposé du sociologue Jacques Broda sur l’enjeu de la démocratisation scolaire, et un espace réservé aux interventions de la salle.

Jean-Marie Dinh

le 17 juin à 17h15 entrée libre à IUFM. Rens : 06 21 31 27 33

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Qui a tué le jardinier Omar Raddad ?

Roschdy Zem et Sami Bouajila. Photo Rédouane Anfoussi

Le 24 juin 1991, Ghislaine Marchal est retrouvée assassinée à son domicile de Mougins. Omar Raddad, son jardinier, est arrêté et devient le coupable idéal… Il est condamné à 18 ans prison dans des circonstances pour le moins troublantes. Sept ans plus tard, Omar sort de prison suite à une grâce présidentielle, mais demeure toujours coupable aux yeux de la justice. Pierre Emmanuel Vaugrenard, écrivain et journaliste, nommé à l’Académie Française, est persuadé de son innocence. Il décide de mener une contre-enquête dont il tirera un livre.

C’est cette histoire qu’a choisi d’adapter au cinéma Roschdy Zem pour son 2e  long métrage produit par Tessalit production.  « L’idée de départ est de Rachid Bouchared, explique Roschdy Zem. Il avait dans l’idée de faire un film sur cette histoire et m’a proposé de jouer Omar. J’ai commencé à m’intéresser à l’affaire. Puis j’ai rencontré Omar et plus je découvrais sa personnalité, plus je me disais que le rôle était fait pour Sami Bouajila. Nous entretenons des relations de confiance avec Rachid, et comme le film n’était pas une priorité pour lui, je lui ai demandé d’assurer la mise en scène. On est tombé d’accord. » 

Des pressions

Le film s’en tient exclusivement aux faits. « On est en empathie avec le personnage mais je voulais rester objectif. J’ai conscience que cela peut être considéré  comme un cinéma engagé mais  ma volonté première est de faire une fiction, de raconter une histoire qui emporte les gens. Il ne s’agit pas de régler des comptes. »

Le réalisateur évoque pourtant des pressions qui lui sont venues de la famille de la victime pour qu’il renonce à faire le film. « Omar est le seul protagoniste de cette affaire qui souhaite encore que l’on en parle. On a voulu me dissuader de tourner avant même que j’ai écrit une ligne. On a brandi la menace de procédures. La nature de leurs soucis est assez explicite. On voulait savoir si figurerait bien dans mon film le fait que Omar est été condamné à une peine de 18 ans. Et que le pourvoi en cassation se soit soldé par un rejet. Cela m’a plutôt motivé pour le faire. »

Un homme simple

Une partie du tournage a eu lieu dans la région, le procès au palais de justice de Montpellier et les scènes de prison dans les murs moyenâgeux de  l’ancienne prison de Béziers. « J’ai croisé Omar à Montpellier. Il venait assister à une scène du procès. C’est un homme simple, authentique, pour lequel j’éprouve une forte compassion,  indique Sami Bouajila. Mais je me suis protégé du mythe d’Omar pour entrer vraiment dans le rôle. »

A l’écran, le résultat est saisissant. Rythmé, le film croise l’univers d’Omar avec celui de l’écrivain, très dandy parisien, qui enquête sur l’affaire. La caméra colle aux personnages. On ressent la pression, et on se laisse emporter par la fluidité des prises de vue et le jeu d’acteur. « A travers le film, on sent bien que cette histoire n’est pas tout à fait terminée», souligne le réalisateur. Une réussite cinématographique pourrait faire bouger les lignes dans la vie réelle d’Omar qui « reste en prison dans sa tête ». D’ailleurs, la chancellerie vient de donner son feu vert pour engager une expertise ADN alors qu’elle s’y refusait depuis 10 ans.

Jean-Marie Dinh

« Omar m’a tuer » sur les écrans le 22 juin

Voir aussi : RubriqueCinéma, rubrique Justice, rubrique Politique de l’immigration,

Littérature : Semprun s’en va Nizon vagabonde

A la recherche de l’art authentique

Paul Nizon un vagabond des rues dans les grandes villes

« Ecrire une histoire ça ne m’intéresse pas. J’aime bien écrire sur tout et sur rien à partir de quelque chose qui me concerne.  » C’est en ces termes que l’écrivain suisse exilé à Paris, Paul Nizon, évoque son travail, dans le cadre des Grands entretiens. Colette Fellous, qui le connaît bien, le lance sur la musique de sa prose. « Mon premier talent c’est la musique. J’ai été élevé dans cet univers, ma sœur était pianiste. Il y avait tout le temps de la musique chez nous. J’ai toujours travaillé avec des règles musicales. Je ne suis pas un narrateur. Je suis attentif au rythme. Je me situe entre des mouvements longs, courts, et des silences… »

Parallèlement à ses livres Paul Nizon consigne depuis plus de quarante ans ses réflexions au jour le jour. Les journaux de l’écrivain ont été édités. Ils témoignent de la profusion des  sources d’inspirations de l’artiste. Le quatrième volume Les carnets du coursier coure sur la période 1990-1999. Il vient d’être traduit en français. C’est une forme de radiographie du processus de l’écrivain où apparaît certains motifs de son roman  Chien (Actes Sud 98) . « Les journaux sont comparables aux esquisses d’un peintre, explique Nizon, là où se mêle le regard intérieur et extérieur, sur un milieu, une réflexion philosophique, un déplacement, une lecture, l’apparition d’un personnage comme celui du clochard noté du coin de l’œil en sortant de chez moi qui deviendra un personnage important dans le livre. »

L’écrivain défend un idéal de liberté qui le rend volontiers subversif. Bien avant le faux débat sur l’identité nationale, en 1990, il consigne dans son journal :  « A propos du phénomène patrie, je songeais récemment que l’élément décisif, pour que la patrie ne constitue pas un fardeau et une obligation, c’est le sentiment d’appartenance.  La vraie patrie d’un écrivain de mon genre c’est le trottoir » ajoute-t-il aujourd’hui. « Le sujet d’un livre n’a aucune importance si l’œuvre se fonde sur une véritable vision artistique. Le mot clé pour moi, c’est le quotidien. Le mystère de la vie se cache derrière le quotidien. Là, il y a victoire où défaite. »

Jean-Marie Dinh

Les Carnets du Coursiers , éditions Actes Sud, 23 euros.

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique Lecture La comédie du Livre 2011,

Adieu Semprun

L’écrivain et homme politique espagnol Jorge Semprun est mort à Paris à l’âge de 87 ans, a-t-on appris auprès de son petit-fils Thomas Landman. Il sera inhumé « dans la plus stricte intimité » dimanche en Seine-et-Marne « dans le drapeau républicain espagnol », a annoncé Thomas Landman. « Mon grand-père sera inhumé dans le drapeau républicain espagnol comme il l’avait souhaité. Il reposera au côté de sa femme, Colette, décédée en 2007 » dans le village de Garentreville, où il avait une maison de campagne, a-t-il ajouté. Il n’y aura pas de cérémonie religieuse.

Jorge Semprun avait confié un jour vouloir être enterré dans ce même drapeau à Irun, ville du nord de l’Espagne depuis laquelle il franchissait pendant la clandestinité la frontière franco-espagnole, raconte Thomas Landman. Par ailleurs, samedi  un hommage public a été rendu à Jorge Semprun au prestigieux lycée Henri-IV, où l’écrivain avait été pensionnaire, avec son frère Gonzalo, quand il était arrivé à Paris à la fin des années 1930.

Jorge Semprun est un de ces hommes qui a autant marqué le 20ème siècle que le siècle l’a marqué. Communiste qui a lutté contre le fascisme en Espagne, il s’exile en France où il rentre dans la résistance. Capturé, il est déporté à Buchenwald. Il y est marqué du sceau de la mort. Il lui faudra le suicide de Primo Levi, parmi les « déclics », pour écrire L’écriture ou la vie. Il devra se détacher du communisme et admettre l’horreur de Staline. Il servit l’Espagne, comme ministre de la culture.

Voir aussi : Rubrique Rencontre avec Jorge Semprun,  rubrique livre, Orwell un cran à gauche, mémoire combattante en région sud, crime franquiste,