Printemps des Comédiens. L’homme qui rit : la parole juste de Gérard Guillaumat fait renaître le texte de Hugo.
L’œuvre multiforme de Victor Hugo s’illustre à plusieurs titres dans l’édition 2011 du Printemps des Comédiens. Avec Tempête sous un crâne Jean Bellorini portera prochainement* « Les Misérables » dans l’Amphithéâtre d’O, Les règles du savoir-vivre dans la société moderne de Lagarce évoquent Hugo comme une référence à citer pour briller en société.
La « lecture » que livre le comédien Gérard Guillaumat de L’Homme qui rit, vaste roman de la fausse apparence, arrive en contre point. S’il y est aussi question du cheminement de la vie à la mort et inversement, cet ouvrage assez méconnu, n’a rien du bon goût classique. Rédigé entre 1866 et 1868 c’est le dernier roman écrit par l’auteur durant son exil. Blessé, affecté par la mort de sa femme et de son petit fils, l’écrivain poursuit ses rêves où se croisent politique, philosophie et poésie. Dans un projet de préface il confie : « J’ai senti le besoin d’affirmer l’âme ».
L’homme qui rit apparaît comme un roman initiatique, baroque et métaphysique où, comme bien souvent dans la vie, l’horrible côtoie le voluptueux.
Renaissance
Par sa parole, Gérard Guillaumat porte merveilleusement le texte sur les planches, en y mettant l’expérience d’une vie éminente et précieuse : la sienne. Celle d’un jeune homme qui a perdu l’usage de la parole à Buchenwald et souhaitait faire du théâtre. Celle d’une carrière d’acteur singulière où défilent les rencontres inoubliables : Charles Dullin, Gérard Philippe, Peter Brook, Gabriel Monnet, Roger Planchon, Patrice Chéreau… L’énumération révèle à quel point la présence de l’acteur apparaît cohérente dans la programmation 2011.
Le parcours de Gérard Guillaumat dévoile une curieuse proximité avec le personnage hugolien de l’enfant défiguré Gwynplaine abandonné dans une crique « comme au fond d’un puit » par les comprachicos. Celui qui connaîtra une nouvelle naissance en devenant lord Clancharlie, après s’être exhibé sur les planches des théâtres populaires, et qui affrontera bien des épreuves.
Vertiges de l’ascension et de la chute
L’ascension qui conduit le saltimbanque au sommet de la société s’avère souvent redoutable. Dans le texte, Gwynplaine se laisse engloutir par la tentation de Josiane, tempête de la chair. Il subit celle de l’orgueil, en oubliant l’amour de Dea son étoile. Gwynplaine affronte aussi la Chambre des lords dans une lutte politique et sociale il oblige les lords à voir « le revers ténébreux de la société ». « Le peuple est un silence » dit-il, « je suis celui qui vient des profondeurs (…) je parlerai pour les muets. » Mais la surdité des hauts lieux l’emporte. La fin du roman marque la dernière naissance et perdition. Gwynplaine s’abîme dans la mer par amour et rejoint son âme, Dea, dans la mort.
Avant que l’on ait le temps de voir passer une heure, Gérard Guillaumat réhabilite cette œuvre majeure sans rien perdre de son essence. A sa sortie L’homme qui rit fut assez mal reçu. Son auteur s’opposait au matérialisme et au scepticisme qui triomphaient à son époque. L’accueil chaleureux et mérité qu’a réservé le public à Gérard Guillaumat relevait d’un profond partage, le temps serait-il au changement…
Jean-Marie Dinh
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