Motion adoptée au congrès du SNJ-CGT le 8 mars 2017
De nouveaux accords d’entreprise viennent d’être signés à l’AFP, qui sort ainsi d’une période de 15 mois de turbulence après la dénonciation brutale par la direction de l’Agence de l’ensemble des précédents accords, fruits d’un demi-siècle de négociations paritaires.
Toutes les composantes de la CGT de l’AFP (journalistes, cadres techniques et administratifs, ouvriers et employés) ont travaillé main dans la main pour négocier pied-à-pied et arracher un nouvel accord global, qui est certes « défensif » mais préserve l’essentiel des droits sociaux pour les journalistes, voire apporte des améliorations sur certains points, ce qui n’était pas gagné d’avance avec l’entrée en vigueur de la Loi Travail.
Les plus ciblés par la direction ont été les ouvriers et les employés – censés être des nantis –, mais la solidarité entre les catégories de personnel a permis de limiter la casse.
La CGT, de loin la première force syndicale à l’AFP, a signé les nouveaux accords, aux côtés du SNJ autonome et de la CFDT (ces trois syndicats représentant 70% des voix). FO, SUD et la CFE-CGC ne les ont pas signés.
Pour les journalistes, la grille de salaire et le plan de carrière sont préservés et même un peu améliorés. L’essentiel du débat a porté sur le temps de travail. Les organisations syndicales avaient obtenu un accord très favorable aux salariés après la loi sur les 35 heures en 2001, avec jusqu’à 18 jours de RTT et 7 semaines de congés payés par an. Mais cet accord a été dévoyé dans la pratique, les 35 heures de travail hebdomadaires n’étant absolument pas respectées. Le temps de travail des journalistes de l’AFP était en réalité illimité, tant que l’actualité l’exigeait. Une situation que le SNJ-CGT dénonçait, et que ces négociations auront eu le mérite de remettre en débat.
Les nouveaux accords instituent plusieurs options pour les journalistes, soit un décompte horaire de 35 ou 39 heures, soit un forfait jour, une nouveauté à l’Agence. Ce dernier a donné lieu à un débat intense non seulement entre la direction et les syndicats, mais aussi à l’intérieur des syndicats, y compris le SNJ-CGT.
En négociant fermement, et fort de l’expérience d’autres entreprises (merci notamment aux camarades de France Télévision et de Mediapart de nous avoir tuyautés), nous avons obtenu des garanties qui nous semblent suffisantes pour tenter l’expérience : capage du temps de travail quotidien et hebdomadaire, auto-déclaration du temps de travail, mécanisme de suivi régulier de la charge de travail, et réversibilité toujours possible vers le décompte horaire.
Comme nous l’avons fait valoir aux salariés, il faudra « faire vivre » ces nouveaux accords, et il reviendra à chacun, en s’appuyant sur les syndicats, de faire respecter des horaires de travail décents, qui permettent un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Ce qui contribuera également à redonner du sens à notre métier pour beaucoup de nos journalistes noyés dans l’information en continu – un gros problème à l’AFP.
Car si l’Agence n’est pas tombée sous la coupe d’un milliardaire ou d’un groupe industriel – contrairement à de nombreux médias- et que la rédaction y jouit d’une large indépendance, la question du sens de notre métier se pose pour beaucoup de journalistes, y compris des jeunes, avec le « toujours plus, toujours plus vite » réclamé par la hiérarchie sous la pression d’internet et des réseaux sociaux, avec la polyvalence texte-photo-vidéo-multimédia qui tend à devenir une obligation, et enfin le caporalisme de la hiérarchie et le manque de débat rédactionnel sur les angles et les choix de couverture.
L’AFP doit par ailleurs faire face à un lourd défi sur le plan économique et financier. La crise internationale du marché des médias entraîne la stagnation du chiffre d’affaire de l’Agence depuis 2010, et la gestion hasardeuse du PDG Emmanuel Hoog, depuis six ans, a plombé les comptes, avec une dette de 75 millions d’euros et des déficits récurrents depuis plusieurs années.
La direction a procédé à de lourds investissements sans avoir les financements correspondants : si le lancement d’un nouveau système rédactionnel multimédia était incontestablement nécessaire – quoique mal géré, ce qui a entraîné des surcoûts et des problèmes techniques récurrents- la rénovation simultanée des locaux du siège de l’Agence est contestable, notamment les travaux somptuaires de 2 millions d’euros effectués à l’étage de la direction générale, où ne travaillent qu’une douzaine de personnes. A quoi s’ajoutent des dépenses inconsidérées en frais de réception, en contrats de consultants, ainsi que le coût des nombreux procès (plusieurs millions d’euros) gagnés par des salariés titulaires ou pigistes du fait de violations graves du droit du travail (notons que l’AFP a été lourdement condamnée pour discrimination syndicale à l’encontre d’un délégué du personnel SNJ-CGT), plus un autre procès coûteux financièrement (plus d’un million de dollars) et en termes d’image contre un photographe haïtien à qui l’Agence a volé des photos, ou encore les indemnités de départ à cinq zéros accordés à une demi-douzaine de directeurs.
Les nouveaux accords d’entreprise devraient générer à terme quelques économies, mais cela ne règlera pas l’équation financière difficile de l’Agence.
La question qui se pose en fait est celle de la pérennité de l’AFP comme agence mondiale d’information. Aucune des grandes agences mondiales (les deux autres étant Reuters et Associated Press) n’est rentable, pour la bonne et simple raison que l’activité même d’agence internationale d’informations générales n’est structurellement pas rentable. Les grandes agences fonctionnent comme des services mutualisés pour l’ensemble des médias, utiles aussi pour les gouvernements, les grandes institutions et entreprises.
Il est donc insensé d’exiger de l’AFP qu’elle soit rentable et finance son développement sur ses marges bénéficiaires comme une entreprise privée classique. C’est pourtant ce à quoi tendent les directives de Bercy à travers le contrat d’objectif et de moyens imposé à l’AFP et le contrôle tatillon de la Commission européenne sur les aides accordées par l’Etat au titre de la « mission d’intérêt général » de l’Agence. Que l’AFP soit dirigée depuis 20 ans par une succession d’énarques carriéristes, qui se suivent et ressemblent – dont M. Hoog est le dernier avatar – sans réelle compétence ni légitimité, et fondamentalement sans vision industrielle pour développer l’Agence, participe évidemment au problème.
Les restrictions budgétaires qui frappent l’Agence depuis plusieurs années ont déjà eu un impact sur sa mission d’information, avec la baisse conséquente des budgets de reportage dans tous les services et bureaux en France et à l’étranger, et la dégradation générale des conditions de travail.
Le service AFP-TV, dont le développement se fait façon « low cost », avec du personnel précaire et pressuré, ne doit pas devenir la norme à l’Agence. Enfin le gel des salaires de l’ensemble du personnel depuis cinq ans n’est plus tenable. L’AFP, qui a été créée par une loi votée au parlement en 1957, a besoin d’une vraie volonté politique pour continuer à vivre et à se développer.
Le SNJ-CGT appelle les pouvoirs publics, la représentation nationale, la profession et les syndicats à tout mettre en oeuvre pour pérenniser le budget de l’Agence afin qu’elle demeure une des trois grandes agences mondiales d’informations.
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