Pensée critique juive. Lettre ouverte de la philosophe américaine Judith Butler

Judith Butler

Judith Butler

Judith Butler, née le  24 février 1956, philosophe américaine et théoricienne du genre, domaine qui fait couler beaucoup d’encre ces temps-ci, est une intellectuelle complexe qui laisse peu de monde indifférent. Lauréate du Prix Adorno en 2012*, elle fut violemment attaquée pour ses positons critiques et antisionistes sur le conflit israélo-palestinien. Elle s’explique dans cette lettre : autoportrait épistolaire d’une des grandes figures intellectuelles de notre temps.

Le Jérusalem Post a récemment publié un article, rapportant que certaines organisations s’opposent à ce que je reçoive le prix Adorno, un prix décerné tous les trois ans à quelqu’un qui travaille dans la tradition de la théorie critique au sens large. Les accusations portées contre moi disent que je soutiens le Hamas et le Hezbollah (ce qui n’est pas vrai), que je soutiens BDS (partiellement vrai), et que je suis antisémite (manifestement faux). Peut-être ne devrais-je pas être aussi surprise du fait que ceux qui s’opposent à ce que je reçoive le prix Adorno aient recours à des accusations aussi calomnieuses, sans fondements, sans preuves, pour faire valoir leur point de vue. Je suis une intellectuelle, une chercheuse, initiée à la philosophie à travers la pensée juive, et je me situe en tant que défenderesse et dans la perpétration, la continuité d’une tradition éthique juive comme le furent des personnalités tel que Martin Buber et Hannah Arendt. J’ai reçu une éducation juive au Temple à Cleveland, dans l’Ohio sous la tutelle du Rabbin Daniel Silver où j’ai développé de solides fondements éthiques sur la base de la pensée philosophique juive.

J’ai appris, et j’accepte, que nous sommes appelés par d’autres et par nous-mêmes, à répondre à la souffrance et à réclamer, à œuvrer afin qu’elle soit soulagée. Mais pour ce faire, nous devons entendre l’appel, trouver les ressources permettant d’y répondre, et parfois subir les conséquences d’avoir parlé comme nous le faisons. On m’a enseigné à chaque étape de mon éducation juive qu’il n’est pas acceptable de rester silencieux face à l’injustice. Une telle injonction est difficile à mettre en œuvre, car elle n’indique pas exactement quand, ni comment parler, ni comment parler de manière à ne pas produire une nouvelle injustice, ou encore comment parler de façon à être entendue et compris clairement et justement. Ma position actuelle n’est pas entendue par ces détracteurs, et peut-être cela ne devrait-il pas me surprendre, car leur tactique consiste à détruire les conditions d’audibilité.

[…] Il est faux, absurde et pénible que quiconque puisse prétendre que ceux qui formulent une critique envers l’Etat d’Israël sont antisémites ou, si juifs, victimes de la haine de soi. De telles accusations cherchent à diaboliser la personne qui articule un point de vue critique et à disqualifier ainsi, à l’avance son point de vue. C’est une tactique pour faire taire : cette personne est inqualifiable, innommable, et tout ce qu’elle dira doit être rejeté à l’avance ou perverti de telle façon que la validité de sa parole soit niée. Une telle attitude se refuse à considérer, à examiner le point de vue exposé, se refuse à débattre de sa validité, à tenir compte des preuves apportées, et à en tirer une conclusion solide sur les bases de l’écoute et du raisonnement. De telles accusations ne sont pas seulement une attaque contre les personnes qui ont des opinions inacceptables aux yeux de certains, mais c’est une attaque contre l’échange raisonnable, sur la possibilité même d’écouter et de parler dans un contexte où l’on pourrait effectivement envisager ce que l’autre a à dire. Quand un groupe de Juifs qualifie un autre groupe de Juifs d’ « antisémite », il tente de monopoliser le droit de parler au nom des Juifs.

Ainsi, l’allégation d’antisémitisme recouvre en fait une querelle intra juive.

Aux États-Unis, j’ai été alarmée par le nombre de Juifs qui, consternés par la politique israélienne, y compris l’occupation, les pratiques de détention à durée indéterminée, le bombardement des populations civiles dans la bande de Gaza, cherchent à désavouer leur judéité. Ils font l’erreur de croire que l’Etat juif d’Israël représente la judéité de notre époque, et que s’identifier comme juif signifie un soutien inconditionnel à Israël. Et pourtant, il y a toujours eu des traditions juives qui s’opposent aux violences des Etats, qui prônent une cohabitation multiculturelle et défendent les principes d’égalité ; et cette tradition éthique vitale est oubliée ou écartée lorsque l’un d’entre nous accepte Israël comme étant le fondement de l’identité et ou des valeurs juives. Nous avons donc d’une part, les juifs qui critiquent Israël et pensent qu’ils ne peuvent plus être juif puisqu’Israël représente la judéité, et d’autre part, ceux qui pour qui Israël représente le judaïsme et ses valeurs, cherchant à démolir quiconque critique Israël en concluant que toute critique est anti-sémite ou, si juive, issue de la haine de soi.

Je m’efforce, tant dans la sphère intellectuelle que dans la sphère publique de sortir de cette impasse, de cet emprisonnement.

À mon avis, il y a de fortes traditions juives, et même des traditions sionistes initiales, qui attachent une grande importance à la cohabitation et offrent une panoplie de moyens pour s’opposer aux violences de toutes sortes, y compris la violence d’Etat. Il est très important en ce moment, pour notre époque que ces traditions soient soutenues, mise à l’honneur, vivifiées, inspirées – elles représentent des valeurs de la diaspora, les luttes pour la justice sociale, et la valeur juive extrêmement importante, celle de « réparer le monde » (Tikkun).

Il est clair pour moi que les passions soulevées par ces questions rendent la parole et l’écoute très difficiles. Quelques mots sont sortis de leur contexte, leurs sens déformés, et ils étiquettent, labellisent un individu. C’est ce qui arrive à beaucoup de gens qui émettent un point de vue critiquant Israël – ils sont stigmatisés comme antisémites ou même comme collaborateurs nazis ; ces formes d’accusations visent à établir les formes les plus durables et les plus toxiques de la stigmatisation et de diabolisation. La personne est ciblée, en sélectionnant des mots hors contexte, en inversant leurs significations et en les collant à la personne : annulant en effet les propos de cette personne, sans égard pour la teneur de ses opinions, de sa pensée.

Pour ceux d’entre nous, qui sommes des descendants de Juifs Européens, détruits, exterminés par le génocide nazi (la famille de ma grand-mère a été anéantie dans un petit village au sud de Budapest), c’est l’insulte la plus douloureuse et une véritable blessure que d’être désigné comme complice de la haine des Juifs ou d’être défini comme ayant la haine de soi. Et il est d’autant plus difficile d’endurer la douleur d’une telle allégation lorsqu’on cherche à promouvoir ce qu’il y a de plus précieux dans le judaïsme, cette réflexion sur l’éthique contemporaine, y compris la relation éthique à ceux qui sont dépossédés de leurs terres et de leurs droits à l’autodétermination, à ceux qui cherchent à garder vivante la mémoire de leur oppression, à ceux qui cherchent à vivre une vie qui sera, et doit être, digne de faire son deuil. Je soutiens le fait que ces valeurs soient issues d’importantes sources juives, ce qui ne veut pas dire que ces valeurs soient spécifiquement juives. Mais pour moi, étant donné l’histoire à laquelle je suis liée, il est très important en tant que Juive de m’élever contre l’injustice et de lutter contre toutes formes de racisme. Cela ne fait pas de moi une Juive qui a la haine de soi ; cela fait de moi une personne qui souhaite clamer un judaïsme qui ne s’identifie pas à la violence d’Etat mais qui s’identifie à une lutte élargie pour la justice sociale.

[…]

J’ai toujours été en faveur de l’action politique non-violente, principe auquel je n’ai jamais dérogé. Il y a quelques années une personne dans un public universitaire m’a demandé si je pensais que le Hamas et le Hezbollah appartenait à « la gauche mondiale » et j’ai répondu sur deux points :

Mon premier point était purement descriptif : les organisations politiques se définissant comme anti-impérialistes et l’anti-impérialisme étant une des caractéristiques de la gauche mondiale, on peut alors sur cette base, les décrire comme faisant partie de la gauche mondiale.

Mon deuxième point était critique : comme avec n’importe quel groupe de gauche, il faut décider si l’on est pour ou contre ce groupe, et il faut alors évaluer de façon critique leurs positions.

[…]

A mon avis, les peuples de ces terres, juive et palestinienne, doivent trouver un moyen de vivre ensemble sur la base de l’égalité. Comme tant d’autres, j’aspire à un régime politique véritablement démocratique sur ces terres et je défends les principes de l’autodétermination et de la cohabitation des deux peuples, en fait, pour tous les peuples. Et mon souhait est, ce que souhaitent un nombre croissant de juifs et non juifs, celui que l’occupation prenne fin, que cesse la violence sous toutes ses formes, et que les droits politiques de chaque habitant soient assurés par une nouvelle structure politique.

Judith Butler

Source : In der Frankfurter 27 août 2012

Voir aussi : Rubrique IsraëlEtre juif après Gaza: Un travail de conscience, L’appel à la raison des juifs européens, rubrique Palestine rubrique Politique, Philosophie, rubrique Société Religion, On LIne : Une morale pour temps précaires,

Le complexe militaro-financier pour la paix ?

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Opinion libre

Allez savoir pourquoi en me levant un peu tard aujourd’hui j’ai repensé au documentaire « we make weapons » de Yotam Feldman que j’ai croisé l’année dernière au Cinemed ?

Né à Tel-Aviv, Yotam Feldman n’est pas un amateur ni un militant politique, c’est un journaliste qui a bossé pendant plus de sept ans comme enquêteur pour l’édition du week-end de Haaretz, s’occupant des questions de politique militaire, des réfugiés et de la culture.

Son film démontre que durant la dernière décennie, le contrôle exercé par l’armée israélienne sur plus de 3,75 millions de Palestiniens s’est mué en une entreprise économique considérée comme essentielle à la richesse d’Israël. Les moyens employés par l’armée contre Gaza et en Cisjordanie s’exportent dans le monde entier. L’occupation militaire est si rentable pour l’État d’Israël qu’il ne peut y renoncer.

Cet éclairage explique aussi certains blocages incompréhensibles émanant d’Etats comme le notre. Les enjeux des conflits sont rarement liés, comme on veut nous le faire croire, aux bons ou aux méchants, aux positions humanistes ou humanitaires. Nous ne sommes pas dans la théorie du complot. Ces portraits qui apparaissent des coulisses du pouvoir sont bien réels.

De Washington à Paris en passant par Tel-Aviv, Londres, Berlin le pouvoir du complexe  militaro-financier (ensemble constitué par l’industrie de l’armement, les forces armées et les décideurs publics) est devenu le centre névralgique d’une finance mondiale en crise. Il est alimenté par des affaires de corruptions à grande échelle qui bénéficient du Secret Défense.

Comment imaginer un instant que le complexe militaro-financier qui dispose de moyens considérables agisse en faveur de la paix ? Il irrigue les industries nationales en se nourrissant de victimes civiles. Ce qu’il ne faut cesser de dénoncer, merci donc à Yotam Feldman.

JMDH

Le Vent se lève 26/07/14

Voir aussi : Rubrique Défense, rubrique Affaires, rubrique Cinéma, rubrique Méditerranée, Israël, Drones : les secrets de la success-story israélienne,

Montpellier. Un milliers de personnes dans la rue pour l’arrêt des bombes

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Importante mobilisation montpelliéraine en soutien au peuple palestinien. Photo JMDH

Montpellier mobilisé. Après le nouveau raid Israélien provoquant la mort de 120 personnes hier, le Collectif Palestine 34 rassemble la société civile.

L’offensive israélienne se poursuivait samedi matin dans la bande de Gaza avec de nouveaux raids, provoquant la mort de plus de 120 Palestiniens en cinq jours d’une opération visant, selon Israël à stopper les tirs de roquettes depuis l’enclave.

L’analyse politique du Collectif Palestine 34 qui appelait à manifester hier dans les rues de Montpellier est tout autre. « Le scénario est connu : chaque fois que l’Etat d’Israël se trouve en difficulté sur le plan diplomatique, il multiplie les provocations et les exactions sur le terrain, et se lance dans des actes de guerre qu’il qualifie de représailles.»

Il semble bien y avoir un rapport de cause à effet entre la formation du gouvernement palestinien de réconciliation nationale le 2 juin dernier et sa reconnaissance par de nombreux pays dont Les Etats-Unis, l’UE et la France et l’action militaire d’Israël.

Devant la répression engagé contre le peuple Palestinien – Selon des sources officielles gazouies, les frappes de samedi ont notamment visé des mosquées et des habitations de responsables du Hamas sur l’ensemble du territoire. – le gouvernement français se contente de « dénoncer l’engrenage de la violence » appelant Tel-Aviv  « à la retenu ». Le millier de manifestants qui a défilé hier dans les rue de Montpellier a dénoncé cette passivité coupable au cris de « Israël assassin, Hollande complice.» Aux cotés des drapeaux palestiniens flottaient dans le cortège ceux du PCF, du Parti de Gauche et d’Europe Ecologie les Verts.

Peu avant le début du repos du shabbat, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a proclamé qu’Israël résisterait à toute ingérence internationale en vue d’un cessez-le-feu. « Aucune pression internationale ne nous empêchera de frapper les terroristes qui nous attaquent », a assuré M. Netanyahu. Dans un entretien téléphonique avec le Premier ministre israélien, Barack Obama a pourtant proposé sa médiation pour tenter de rétablir le calme, exprimant « sa crainte d’une escalade ».

Jeudi, lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon avait déjà appelé à un cessez-le-feu.

BsWaieHCEAEC9CDCe nouveau conflit est le plus meurtrier depuis l’opération « Pilier de Défense » en novembre 2012, qui visait déjà à faire cesser les tirs à partir de l’enclave palestinienne. Les tirs de part et d’autre avaient alors provoqué la mort de 177 Palestiniens et de six Israéliens. Selon l’armée israélienne, le Hamas et le Jihad islamique, un groupe radical allié, ont tiré en cinq jours environ 660 obus et roquettes ont été tirés, dont 140 ont été interceptés par le système de défense antimissiles Iron Dome.Les roquettes palestiniennes n’ont fait aucun mort, mais une dizaine de blessés.

La société civile occidentale demande l’arrêt immédiat des bombardements sur Gaza. Hier, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs capitales européennes. Pas moins de trente cinq rassemblements se sont tenues France.

« L’objectif de Netanyahu est de détruire l’union nationale, Israël va donc continuer son offensive, prédit un porte-parole du Collectif Palestine 34, mais le Fatha et le Hamas ont déclaré qu’ils maintiendraient leur union.» Le collectif appelle à une nouvelle manifestation nationale le 16 mai.

JMDH & AFP

Source : L’Hérault du Jour : 13/07/2014

NB :Cette manifestation était à l’initiative du Comité BDS France 34 était co-organisée par :  APLR, ATTAC, BDS france34, CCIPPP, CIMADE, CMF, ENSEMBLE ! LDH, Montpellier, MAN, MIB34,  MRAP, NPA, PG, SOLIDAIRES34, UJFP ,

Voir aussi : Rubrique Actualité Internationale, rubrique Moyen Orient  Israël, Palestine, rubrique Montpellier, rubrique Politique, Politique Internationale,

« Le but d’Israël vise à faire exploser l’union nationale »

Opération "Gardien de nos frères"

Opération « Gardiens de nos frères »

Mobilisation. Comme ailleurs en France, le Collectif Palestine 34 a appelé hier
sur la Place de Comédie à ce que cesse la barbarie en Cisjordanie.

Jusqu’où le gouvernement israélien veut-il aller ? La tension n’en finit plus de monter à la frontière entre la bande de Gaza et Israël. Suite à l’enlèvement le 12 juin de trois jeunes Israéliens dans le sud de la Cisjordanie occupée, l’armée israélienne a lancé une vaste opération pour les retrouver dans cet espace de plus en plus israélien et de moins en moins palestinien.

Sept palestiniens ont été tués par des soldats israéliens pendant cette opération. « Que dirions-nous ici des violences exercées si pour retrouver trois jeunes on en tuait sept en saccageant des habitations et en arrêtant 550 personnes?» interroge le président de AFPS 34 Ronert Kissous. En tant que membre du Collectif Palestine 34, il appelait hier ainsi qu’une quarantaine d’organisations au rassemblement qui s’est tenu sur la Comédie pour « que cesse la barbarie » et demander au gouvernement français « d’agir et pour dénoncer le silence assourdissant qui entoure ces exactions. »

Pour l’heure la France s’est contentée de condamner l’enlèvement des israéliens et de déplorer les morts palestiniens. Israël impute le rapt au Hamas, mais jusqu’ici aucun groupe ne l’a revendiqué. « La thèse d’Israël n’est pas sérieuse, indique Ronert Kissous, si le Hamas était à l’origine, il l’aurait revendiqué et demandé en échange la libération de prisonniers. Tous laisse à penser que l’opération de représailles était préparée et ne demandait qu’à être déclenchée. Je pense comme une partie de la presse israélienne que le but est politique. Il vise à faire exploser l’union nationale entre le Hamas et le Fatha. »

Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme s’est dit alarmé par la répression et les pertes de vie causées par l’opération Gardien de nos frères. Un porte-parole du Haut-Commissariat, a appelé « à des enquêtes rapides et exhaustives (…) dans les cas où il y a eu un usage excessif de la force ». Plusieurs centaines de manifestants arabes israéliens ont manifesté dans la localité d’Oum al-Faham dans le nord d’Israël pour protester contre ces mesures répressives, a indiqué la télévision publique israélienne. Selon la télévision, le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman, chef d’Israël Beiteinu, un parti ultranationaliste, a accusé les manifestants d’avoir exprimé leur soutien à l’enlèvement des trois jeunes Israéliens et proposé qu’ils soient traités « comme des terroristes ».

JMDH & AFP

Source : L’Hérault du Jour : 29/06/2014

Voir aussi : Rubrique Israël, rubrique Palestine,