Sète. Vénus Khoury-Ghata dimanche au Musée Paul Valéry.
Une femme aimante et libre.
Dans le cadre du Printemps des Poètes, une grande dame de la poésie est attendue dimanche à Sète; la poétesse d’origine libanaise Vénus Khoury-Ghata répondra à l’invitation du musée Paul Valéry en collaboration avec la Maison de la poésie de Montpellier-Languedoc. Insatiable et passionnée, Vénus Khoury-Ghata a su s’imposer très naturellement dans un monde d’homme et devenir l’une des plus célèbres écrivains et poétesses françaises.
Entre France et Liban; entre Orient et Occident, de «l’araméen caillouteux» à «l’arabe houleux» et dans un français puissant, la mémoire des êtres aimés et blessés, une mère, un frère et celle d’un époux perdu, donnent à cette voix de femme aimante et libre un échos rapidement reconnu et une profondeur universelle.
Elle a bâti au fil des ans une œuvre riche, alternant poésie et roman, couronnée par de nombreux prix : prix Apollinaire pour «Les ombres et leurs cris», prix Mallarmé pour «Un Faux pas du soleil», grandprix de Poésie de la SGDL pour l’ensemble de son œuvre, grand prix de poésie de l’Académie Française.
Lecture poétique et musicale de dim 16 mars à 16h, dans les jardin du Musée Paul Valéry entrée libre.
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GILLES KEPEL. Le Politologue spécialiste de l’Islam et du monde arabe est à l’Agora des Savoirs ce soir à 20h30 pour évoquer les révolutions arabes.
Gilles Kepel est politologue, spécialiste monde arabe contemporain est professeur des université à Sciences Po Paris
Par quel bout allez-vous aborder la question des révolutions arabes dont la perception des enjeux est pour le moins brouillée pour les citoyens français ?
Face à cette situation complexe il est difficile de comprendre. Je suis allé sur le terrain, entre 2011 et 2013, où j’ai rencontré tous les intervenants politiques de la région dont les dirigeants du Qatar, principaux rivaux de l’Arabie Saoudite pour l’hégémonie du monde arabe sunnite, qui se sont retrouvés fragilisés après la destitution du président égyptien Mohamed Morsi. J’ai rendu compte de cette expérience sous la forme d’un journal* dans lequel je croise ma vision de myope issue de ce parcours, avec mon regard de presbyte, celui du recul sur ce monde que je connais bien.
Ce soir, je vais tenter de présenter la diversité des choses et de mettre un peu d’ordre. En plusieurs partie : la chute des régimes anciens, Irak, Libye, Tunisie, Egypte, et leurs maintient comme au Yemen, au Qatar, ou en Syrie. Je parlerai des guerres civiles de plus en plus islamisées et des guerres abandonnées.
Comment analyser l’appel au dialogue lancé par les Frères musulmans en Egypte ?
Leur position s’est considérablement affaiblie avec la montée en puissance du général Al-Sissi, maître du jeu en Egypte, qui a bénéficié du soutien de l’Arabie Saoudite. Ils ne peuvent plus compter sur l’aide du Qatar et de la chaîne Al Jezeera qui a perdu, elle aussi, de son influence. Cet appel au dialogue est lié à une perte de popularité. Leur seule ressource est d’apparaître comme une force démocratique même si leur expérience du pouvoir s’avère désastreuse.
De l’aventurisme de Sarkozy en Libye aux déconvenues de Hollande en Syrie, on a le sentiment que la politique arabe française ne sait pas sur quel pied danser…
Elle est très difficile à décrypter. J’ai le sentiment qu’elle est devenue la propriété d’énarques omniscients et d’idéologues qui souhaitent faire parler d’eux. Cette politique nous vaut peu de considération dans le monde arabe où la voix de la France était respectée
Quels sont les éléments qui permettraient de construire un état de droit dans les pays arabes ?
Un modèle de ce type ne peut se constituer qu’à partir d’une classe moyenne porteuse d’un projet démocratique. Malgré ses turpitudes actuelles, la Tunisie est le pays qui en semble le plus proche.
L’occident qui prêche la démocratie n’est pourtant pas très légitime quand il abandonne les peuples et se discrédite moralement et symboliquement ?
Notre culture dispose d’assez peu de fondement démocratique. Nous sommes face à un processus où les forces souhaitent retrouver la liberté d’expression et s’inscrire dans la citoyenneté. Le monde arabe a beaucoup changé. Il est hétérogène, composé de démocrates et de salafistes, la réalité est entre les deux. Le parachutage d’un modèle démocratique n’a pas de sens sans l’implication des populations.
Tribune de Samir Daher, conseiller du Premier ministre libanais pour les Affaires économiques publiée dans le quotidien libanais L’Orient le Jour 31/10/2013
Depuis l’avènement du conflit syrien, le gouvernement libanais œuvre sans relâche pour faire face aux conséquences économiques et sociales, et autres retombées du conflit sur le Liban, dont un flux de réfugiés d’une ampleur sans précédent. Le Liban, déjà pays le plus densément peuplé de la région, porte le poids principal de la présence de réfugiés. En effet, il est devenu le plus grand pays d’accueil à la fois en nombre absolu, et en comparaison avec la taille de son territoire et sa faible population. Dans cette crise, le peuple et le gouvernement libanais, aux prix de grands efforts, font preuve d’une compassion et solidarité manifestes envers la détresse et le désespoir des réfugiés. Toutefois, les ressortissants syriens représentent déjà plus du quart de la population résidente du Liban et cette proportion ne cesse d’augmenter. Devant ce fait, il devient impératif qu’une politique rationnelle émanant d’un consensus national solide soit adoptée pour mettre en place des solutions réalistes et appropriées. Cet afflux peut donner lieu à des divisions susceptibles, à terme, d’affaiblir la cohésion nationale au sein de la société libanaise, et d’élargir le fossé de discorde et d’inimitié qui se creuse entre réfugiés et communautés d’accueil.
Outre la question des réfugiés, la guerre en Syrie a des retombées directes et indirectes sur l’économie libanaise. Cela s’est notamment traduit par le déclin de l’investissement, la perte d’emploi, la perturbation des routes commerciales et l’émergence d’un environnement peu propice au tourisme ainsi que la baisse des recettes du Trésor. Au Liban, ces effets négatifs sont substantiels vu la dépendance profonde de l’économie sur le secteur des services qui représente 75 % du produit économique, et est fortement vulnérable aux risques politiques et à l’insécurité.
Dans ce cadre, le Premier ministre a demandé à la Banque mondiale et aux Nations unies d’aider les autorités libanaises à mesurer l’impact multidimensionnel et le coût économique de cette situation, afin de mieux cibler et d’améliorer l’efficience de l’appui de la communauté internationale au Liban sur ce dossier, et l’amener à supporter la charge de cette crise majeure dont le Liban n’est en rien responsable.
Pour ce faire, la Banque mondiale a examiné les effets à court et long terme de cette crise sur le développement économique et social, en mettant l’accent sur : l’incidence du conflit sur le produit intérieur brut ; la capacité amoindrie de l’État à satisfaire la demande sans cesse croissante des réfugiés dans les domaines de l’éducation et la santé, et les secteurs divers de l’infrastructure ; et les conséquences de la crise sur les finances publiques. L’étude n’aborde pas l’aide humanitaire selon l’hypothèse que cette dernière sera toujours fournie par les agences humanitaires spécialisées. Les questions de sécurité et leurs retombées financières étaient au-delà des termes de référence de l’évaluation de la Banque mondiale.
Les principales conclusions de cette évaluation en termes de coûts économiques et budgétaires sur la période 2012-2014 appellent à la prudence et la circonspection, d’autant qu’elles ne reflètent que les conditions actuelles d’une crise encore en voie d’évolution, sans aucune visibilité quant à sa durée de stabilisation. Les effets du conflit se font sentir à plus d’un niveau. Tout d’abord sur l’économie nationale, par un manque à gagner de 7,5 milliards de dollars en PIB. Ensuite, sur le Trésor public, par un coût de 5,1 milliards de dollars, dont 1,1 milliard de dollars en dépenses budgétaires courantes pour les services fournis aux réfugiés, tels que les soins médicaux dans les hôpitaux publics, l’éducation dans les écoles publiques, et les subventions pour l’électricité et autres services et produits de consommation ; 2,5 milliards de dollars en investissements supplémentaires nécessaires pour maintenir l’accès aux services à leur niveau d’avant la crise en 2011, par exemple le nombre d’heures d’approvisionnement en électricité par jour pour 4 millions de résidents libanais et 1,2 million de ressortissants syriens ; et 1,5 milliard de dollars en diminution de recettes publiques résultant de l’affaiblissement de l’économie.
Les coûts sociaux sont tout aussi dévastateurs, car l’afflux massif de réfugiés augmente sensiblement l’offre de la main-d’œuvre, exerçant par là une pression à la baisse sur les niveaux des salaires. Pour les citoyens libanais, les conséquences sociales en sont désastreuses et se traduisent par la hausse des taux de chômage à près du double de leurs niveaux actuels, en particulier parmi les travailleurs non qualifiés dans les régions les plus pauvres (Nord et Békaa) qui, par le hasard de la géographie, abritent le plus grand nombre de réfugiés ; et l’ajout de 170 000 personnes au million de Libanais qui vivent en deçà du seuil de la pauvreté.
L’amplitude des coûts dérivés de l’analyse devrait soulever auprès des responsables comme des donateurs de graves préoccupations quant à la viabilité des politiques qui régissent actuellement les programmes d’assistance aux réfugiés, et ce à la lumière de coûts poussés à la hausse par les flux de réfugiés sans cesse grandissants. Ces conclusions soulignent la nécessité impérative pour le gouvernement de réévaluer ces politiques, notamment la nature et le contenu du programme de services offerts par secteur, ainsi que la gouvernance et le cadre organisationnel dans lequel l’aide est fournie. En outre, le gouvernement doit continuer d’explorer de nouveaux mécanismes et outils financiers susceptibles d’accroître et d’optimiser les flux de financements extérieurs reçus par les institutions libanaises, et qui jusqu’ici se sont avérés négligeables.
En conclusion, pour assurer de façon réaliste la viabilité du programme d’assistance aux réfugiés, les modifications à apporter à l’ensemble des services offerts doivent être basées sur le principe d’airain que les réfugiés se trouvent au Liban en des circonstances exceptionnelles et à titre temporaire dans l’attente de leur retour en Syrie, leur patrie.
Le devoir moral des autorités libanaises au cours de cette période par définition limitée est d’offrir, dans les domaines essentiels, un niveau abordable de services de base conforme aux normes appliquées de par le monde aux réfugiés de guerre dans des situations critiques comparables. Ne bénéficieraient de ces prestations que ceux qui seraient admis au Liban à titre de réfugié de guerre dûment qualifié selon des critères établis et vérifiés par les autorités libanaises. Les services publics et sociaux que les citoyens libanais sont habilités à recevoir ne peuvent plus constituer, en termes d’accès et de qualité, la référence qui définit l’aide apportée aux réfugiés. L’inexorable loi du nombre rend d’ailleurs cette approche aujourd’hui inabordable.
Si elle devait être poursuivie, une politique qui en termes de services offrirait le même niveau de prestations au réfugié qu’au citoyen, serait de fait une politique non déclarée visant à promouvoir, indépendamment de toute considération de sécurité, une immigration économiquement motivée de la Syrie vers le Liban voisin, facilement accessible et accueillant, où le niveau de vie mesuré par le revenu par habitant est de 3 à 4 fois plus élevé qu’en Syrie, et où les ressortissants syriens qui le souhaitent peuvent, par simple enregistrement, accéder à des services publics gratuits ou largement subventionnés. Pour illustrer comment le paquet de services offert jusqu’ici aux réfugiés peut être une incitation effective à l’immigration économique, il suffit de noter qu’en moyenne les coûts au Liban de l’éducation par élève syrien (2 300 dollars), ajoutés aux coûts des soins de santé par réfugié (400 dollars), actuellement dépasseraient à eux seuls le revenu total moyen par habitant de Syrie.
L’élection dès le premier tour du candidat modéré Hassan Rohani à l’élection présidentielle est en partie la conséquence du mouvement vert d’il y a quatre ans, analyse Azadeh Kian, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de l’Iran. Le futur président pourrait contribuer à l’apaisement des tensions régionales.
Comment expliquer la surprise que constitue la victoire du modéré Hassan Rohani et la forte mobilisation des électeurs?
Après les huit années de politique radicale et populiste menée par le président sortant Mahmoud Ahmadinejad, les Iraniens ont fait un choix rationnel et modéré. Dans une sorte d’élan patriotique, ils ont montré avec vigueur leur désir de changement, en plébiscitant les promesses d’ouverture de Hassan Rohani. Le principal motif de leur mobilisation est la situation économique catastrophique laissée par son prédécesseur. Les sanctions occidentales pèsent très lourdement sur l’économie iranienne. Les revenus pétroliers et gaziers ont diminué de moitié. Même les classes moyennes, longtemps épargnées, ne le sont plus aujourd’hui.
La population veut aussi en finir avec l’angoisse permanente des menaces de bombardement contre leur pays, et l’isolement grandissant dans lequel l’Iran est maintenu.
L’élection paraissait pourtant verrouillée, notamment avec l’invalidation de la candidature de l’ancien président modéré Hachémi Rafsandjani trois semaines avant le scrutin ?
En effet ; mais Hassan Rohani avait fait savoir, auparavant, qu’il se désisterait au profit de Rafsandjani si ce dernier présentait sa candidature. Ensuite, le candidat réformateur Mohammad Reza Aref a eu l’intelligence de se retirer avant le scrutin afin d’éviter la dispersion des voix modérées, ce que n’ont pas fait les conservateurs.
Je pense que le mouvement vert (la contestation de la réélection frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad en 2009) est pour beaucoup dans le résultat de l’élection de vendredi. Le Guide de la révolution, Ali Khamenei, qui a la haute main sur tout ce qui se décide dans le pays, a compris que les Iraniens dans leur grande majorité voulaient sortir de cette situation de blocage. En descendant dans la rue en 2009, les manifestants avaient signifié leur indignation contre le non-respect de leur vote. Cette fois, contrairement à la précédente, le Guide ne s’est pas entêté à soutenir un candidat, et il n’y a pas eu de fraude.
L’élection de Hassan Rohani devrait aussi permettre un assouplissement sur la question des droits de l’Homme et la libération de prisonniers politiques. Le futur président en a fait un de ses thèmes de campagne.
Quelle sera la liberté d’action de Hassan Rohani vis-à-vis du Guide ? Y a-t-il un risque que ses velléités de réformes soient entravées par le reste des acteurs politiques de la République islamique, comme ce fut le cas pour l’ancien président réformateur Mohammad Khatami entre 1997 et 2005 ?
Hassan Rohani s’entend bien avec le Guide, c’est un atout de poids. Il ne s’est pas non plus opposé frontalement aux candidats conservateurs « rationnels » que sont Ali Velayati, l’ancien ministre des Affaires étrangères, et le maire de Téhéran, Mohammad Bagher Qalibaf et devrait sans doute former un gouvernement de coalition incluant ces tendances du régime. Ne seraient être exclus que les ultra-conservateurs, qui ont reçu un désaveu cinglant des électeurs. Cela laissera au futur président une certaine latitude pour mener la politique de son choix.
On peut s’attendre à une certaine détente sur la question nucléaire…
Oui. Hassan Rohani a mené une campagne très modérée sur cette question. Il a déclaré que c’était bien de maîtriser la technologie nucléaire, mais encore mieux de normaliser les relations de son pays avec le reste du monde. Le futur président va certainement se montrer prêt à accepter le contrôle des installations nucléaires par l’AIEA, mais dans le respect des droits du pays dans le cadre du traité de non prolifération.
La réussite de sa politique d’ouverture dépendra surtout de la réaction de l’Occident. Il ne faut pas oublier qu’en 2003, l’équipe de Khatami -Hassan Rohani dirigeait la délégation iranienne- avait accepté, au grand dam des conservateurs, de suspendre l’enrichissement d’uranium. Mais Téhéran n’avait rien obtenu en échange. C’était, il est vrai, l’époque de la croisade contre l' »Axe du mal » de George Bush. Le président américain était dans une logique de changement de régime, alors même que l’Iran avait aidé les pays occidentaux contre Al-Qaïda et les Talibans en Afghanistan, après les attentats du 11 septembre.
Il faut espérer cette fois que les pays occidentaux sauront saisir la main tendue de Rohani. Les modérés attendent des signaux forts, comme la levée progressive des sanctions qui pénalisent si lourdement la vie quotidienne de tous les Iraniens. Les grandes puissances doivent cesser de chercher à imposer une reddition sans conditions de Téhéran. A ce stade, les Européens se sont montrés plus attentistes que l’administration Obama.
Cette élection peut-elle aussi contribuer à réduire les tensions régionales ?
Egalement. Le futur président est un homme de négociation. Il a manifesté une volonté de normalisation des relations avec l’Arabie saoudite. Si les deux rivaux régionaux y parviennent, ce sera fondamental pour l’apaisement des deux principales crises régionales, la Syrie et l’Irak. La recherche de solutions pacifiques à la crise syrienne en serait facilitée. Mais pour que Téhéran mette fin à son soutien inconditionnel au régime de Bachar el-Assad, il faudra qu’il ait la garantie que le pouvoir qui remplacerait le président actuel ne soit pas anti-iranien.
Dans cette perspective, il serait intelligent, si la conférence Genève II sur la Syrie est vraiment organisée, de ne pas en exclure l’Iran comme l’a plaidé la France. Difficile d’imaginer de régler une crise en excluant l’un de ses acteurs majeurs.
La nouvelle donne iranienne pourrait aussi, dans un deuxième temps, jouer un rôle de modérateur sur le Hezbollah libanais. Non pas directement, parce que je ne pense pas que ce parti soit seulement un instrument de l’Iran. Le Hezbollah est un parti foncièrement libanais qui a son propre agenda. Mais dans un contexte d’apaisement régional, une ligne plus modérée pourrait émerger au sein du mouvement chiite libanais, comme cela a été le cas par le passé, en particulier pendant les années Khatami.