Grèce : plan d’austérité innefficace et dangereux

dominique-plihonDominique Plihon est président du conseil scientifique d’Attac France. Il était à Athènes ces derniers jours et a pu s’entretenir avec plusieurs interlocuteurs de la situation économique du pays. Il revient sur la crise sociale et économique qui touche la Grèce.

Quel était le mot d’ordre principal dans les défilés mercredi?

Les Grecs sont révoltés par la manière dont le plan d’austérité va les toucher. Ils ont conscience que leur système économique ne fonctionne pas bien, mais ils ont l’impression que le fardeau d’ajustement n’est pas bien partagé, et qu’il va davantage toucher les classes moyennes et populaires.

Pourtant, les premières mesures du gouvernement Papandréou étaient plutôt bien réparties socialement. Il y avait une hausse de la TVA et du prix de l’essence, mais aussi une augmentation des droits de succession et de la progressivité de l’impôt sur le revenu. C’est sous la pression des gouvernements européens que des mesures plus régressives ont été prises. Notamment en réduisant les retraites. Certaines sont désormais inférieures à 600 euros par mois.

Hier, secteur public et privé défilaient ensemble. Les fonctionnaires sont déjà touchés, avec la suppression des treizième et quatorzième mois. Les salariés du privé s’inquiètent quant à eux de futures mesures directes sur leurs salaires, et de mesures induites, comme des licenciements.

Quels blocages peuvent intervenir dans la société grecque?

Le PIB est sous-évalué de 35% car il ne prend pas en compte le secteur informel. Cela représente un manque à gagner de recettes fiscales de 15% pour le pays. Il y a évidemment quelque chose à faire à ce niveau, mais les gouvernements n’ont jamais voulu aller jusqu’au bout car cela touche l’ensemble de la population. Par exemple, les professions libérales -médecins, avocats, architectes- ne déclarent pas leurs revenus.

Hier, outre l’incendie de la banque à l’issue dramatique, un centre des impôts a également brûlé. On m’a dit qu’il traitait des dossiers fiscaux litigieux. Il existe un gros problème d’évasion fiscale en Grèce, et Papandréou avait décidé de combattre ce problème. Il n’est pas impossible que des manipulations aient pu mener à cet incendie.

La population grecque est très sévère avec sa propre classe politique. Comment se positionne-t-elle par rapport à l’Union européenne et au FMI?

Les Grecs étaient plutôt pro-européens. Mais ils sont aujourd’hui déçus car les pays membres de l’Union européenne ont tardé à les aider. Certains économistes sont convaincus que si la commission était intervenue plus tôt pour garantir la dette grecque, on n’aurait pas eu besoin d’un plan d’austérité si rigoureux.

Quant au FMI, certains jugent qu’il est intervenu de manière plus réactive que l’UE. Mais d’autres soulignent aussi que Dominique Strass-Kahn, bien que socialiste, n’a pas modifié la doctrine du FMI sur les politiques d’ajustement structurel. Le peu d’attention porté aux effets redistributifs du plan n’a pas changé.

Le plan d’austérité doit être voté au Parlement ce jeudi. Peut-il améliorer la situation?

J’ai parlé avec plusieurs économistes grecs, et j’ai comme eux la conviction que le plan d’austérité va être inefficace et même dangereux. Il va avoir un effet dépressif sur l’activité ce qui rendra encore plus difficile le rééquilibrage du déficit extérieur. Les rentrées fiscales diminueront aussi.

A court terme, le plan va sûrement satisfaire les marchés. Mais les effets induits à moyen terme, d’ici un à deux ans, ne régleront pas les problèmes de fond.

Quelles mesures alternatives vous sembleraient intéressantes?

Il y a un effort à faire du côté des banques, qui bénéficient d’un circuit financier très pervers. Elles se refinancent auprès des banques centrales et prêtent cet argent à des taux beaucoup plus élevés. Pour mettre fin à ce phénomène de spéculation, on pourrait mettre en place un fonds européen. Celui-ci s’endetterait sur les marchés avec la signature européenne, garantie par des pays comme l’Allemagne et la France. Ces taux d’intérêt, plus bas, bénéficieraient à d’autres pays que la Grèce, comme l’Espagne et le Portugal.

Libération 06/05/10

Réflexion

Joseph Stiglitz exhorte les Européens à plus de solidarité

joseph_stiglitzL’économiste américain Joseph E. Stiglitz rejette dans un article pour le quotidien Der Standard deux issues théoriques pour sortir l’UE de la crise économique et financière actuelle : une diminution harmonisée des salaires dans les pays de la zone euro ainsi que la scission de la zone monétaire. Il demande à la place l’introduction de mécanismes de soutien financier pour les pays membres : « Il existe une troisième solution qui est porteuse des plus grands espoirs, comme l’Europe le constatera probablement. Il s’agit de la mise en œuvre des réformes institutionnelles qui auraient dû être conduites au moment de l’introduction de l’euro, et qui auraient dû intégrer son cadre nécessaire de politique fiscale. Il n’est pas encore trop tard pour l’Europe. Elle peut appliquer ces réformes et répondre ainsi aux idéaux qui s’appuient sur la solidarité et qui étaient les fondements sur lesquels reposait l’introduction de l’euro. Toutefois, si l’Europe ne le peut pas, il est peut-être préférable qu’elle reconnaisse son échec et poursuive de manière différente au lieu d’accepter, au nom d’un modèle économique défectueux, le prix fort que cela coûte en chômage et misère humaine. »

Der Standard (Autriche) 07/05/10


L’euro en état de mort clinique

La faiblesse persistante de l’euro dans le sillage de la crise grecque suscite des doutes autour de la monnaie commune. Le journal Weltwoche exprime une critique générale à l’égard de l’intégration européenne : « L’euro était dès le début un acte économique manqué. Les marchés financiers révèlent maintenant sans sentimentalisme ce qui était dès le départ erroné dans cette construction : il ne peut pas y avoir de politique monétaire commune raisonnable pour des économies nationales aussi différentes que la petite principauté du Luxembourg, le géant industriel allemand et les Etats négligents comme le Portugal ou la Grèce. L’euro est un projet politique – et ce projet a échoué. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, ce sont des mesures visant à maintenir en vie une monnaie en état de mort clinique. … L’euro est un symptôme. La maladie qui se cache derrière s’appelle l’intégration européenne. La monnaie commune devrait préfigurer l’Etat uni, de même que le traité de Schengen aurait dû être une étape sur la voie illusoire vers des Etats-Unis d’Europe. »

Die Weltwoche (Suisse ), 6/05/10

Athènes s’enlise toujours plus dans la crise

grece-flic-banqueL’heure est grave. Mais peut-être pas encore désespérée. Quoi qu’il en soit, la décision rendue publique vendredi par l’agence de notation financière Fitch risque d’aggraver un peu plus l’état de santé de la Grèce, déjà au bord de l’infarctus financier. Fitch, troisième et dernier larron des agences de notations, a annoncé qu’elle abaissait de deux crans la note de la dette à long terme de la Grèce, la faisant ainsi glisser de BBB+ à BBB-. Ses raisons ? L’accroissement des déficits budgétaires auxquels le gouvernement grec doit faire face. Début décembre, Fitch avait été la première des agences de notation financière à rétrograder la note de la Grèce, donnant ainsi le signal du départ d’une crise financière dans laquelle Athènes n’a pas cessé de se débattre.

«L’annonce de Fitch est soit totalement stupide, soit totalement irrationnelle, soit irresponsable…» s’emporte Sylvain Broyer, économiste chez Natixis. Avant d’ajouter : «Elle est les trois à la fois.» L’attitude de l’agence ressemble à celle d’un pompier pyromane. Cette nouvelle dégradation pourrait conduire les investisseurs à exiger des taux d’intérêt sur les obligations d’Etat émises par Athènes encore plus élevés. «La Grèce doit déjà verser près de 7,3% d’intérêt sur les nouvelles obligations émises sur les marchés financiers. Ce qui était déjà insupportable comparé aux 3% d’intérêt versés sur les obligations allemandes», note un économiste. Plusieurs questions restaient sans réponses vendredi.

Bulletin. D’abord, les deux autres agences de notation, Moody’s et Standard & Poor’s vont-elles emboîter le pas à Fitch ? Pour l’instant, le bulletin scolaire de la Grèce rédigé par Moody’s affiche un A2, quand celui de Standard & Poor’s est à BBB+. Pas de quoi imaginer le pire des scénarios. En clair, il faudrait que ces deux agences descendent encore de trois niveaux leur note sur la dette souveraine de la Grèce pour asphyxier totalement Athènes.

Car une fois atteinte la limite d’une note BB par les trois agences, la Banque centrale européenne (BCE) ne prendrait alors plus «en pension» les obligations grecques détenues par les banques et les assurances, essentiellement allemandes et françaises. Un établissement financier détenant des obligations d’un Etat ne peut pas se délester de ses titres auprès de la BCE, mais juste de lui déposer «en pension». En échange, la BCE verse aux banques la valeur de cette obligation moins une commission, avec l’obligation pour elles de reprendre leur dû plus tard. Une manière pour les banques de se financer à 1% et d’octroyer ensuite des crédits à 3 ou 4%. Tout bénéf. Mais si la note la Grèce est effectivement dégradée à BB par les trois agences, alors cette belle mécanique s’arrête.

Et les choses se compliquent sérieusement. «Dans ce cas, les consignes sont claires, confie un gestionnaire de fonds. Nous avons ordre de liquider nos positions sur la Grèce.» De quoi déclencher une grosse panique. En Grèce d’abord. En Europe ensuite. Cette contagion finirait par se répandre comme une traînée de poudre sur tout le reste du système financier européen, notamment via les fonds qui se sont gavés de titres de la dette grecque.

«À tout moment». C’est justement pour éviter le pire que l’UE s’est dit prête, dès vendredi, à aider si nécessaire la Grèce. «Nous serons prêts à intervenir si les Grecs le demandent», a déclaré le président de l’UE, Herman Van Rompuy. Quelques instants plus tard, c’était au tour de Nicolas Sarkozy de déclarer : «L’Union européenne est prête à activer son plan de soutien financier à la Grèce à tout moment.» Présent à ses côtés, l’Italien Silvio Berlusconi a abondé dans son sens, allant jusqu’à déclarer : «Nous avons intérêt à apporter tout notre soutien, sinon il y aura des conséquences très négatives sur notre monnaie.» Les dirigeants européens se sont mis d’accord le 25 mars sur un mécanisme, associant des prêts de pays de la zone euro et du Fonds monétaire international (FMI), pour aider Athènes. Selon plusieurs rumeurs, un plan sonnant et trébuchant pourrait même être annoncé dès lundi. Sur les 35 milliards d’euros dont la Grèce a besoin d’ici la fin de l’année, les pays de la zone euro pourraient financer Athènes à des taux allant de 1,5% à 3,5% et à hauteur de 25 milliards. Le reste serait apporté par le FMI.

Mais pour activer un tel plan, il faudra la bénédiction de Berlin. Pas gagné. Le gouvernement allemand est resté vendredi très prudent sur le sujet. Il a assuré par la voix d’un porte-parole du ministère des Finances que le plan d’aide «peut être mis en œuvre rapidement». Mais, a-t-il ajouté, «nous croyons que la Grèce peut arriver à atteindre ses objectifs par ses propres moyens».

Vittorio De Filippis  Libération

Voir aussi : Rubrique Finance La spéculation attaque l’Europe par le Sud, crise entretien avec Frédéric Lordon, Les banquiers reprennent leurs mauvaises habitudes, Grèce grève contre les mesures d’austérité,

Nouvelle grève nationale en Grèce contre les mesures d’austérité

 La Grèce à l’heure d’une nouvelle grève générale contre les mesures d’austérité du gouvernement.

grece-manifs1Le mouvement de 24 heures lancé à l’appel des syndicats des secteurs privé et public devrait paralyser le trafic aérien et provoquer la fermeture d’écoles, d’hôpitaux, de sites touristiques comme l’Acropole.  Il paraît toutefois peu probable que cette grève entame la volonté du Premier ministre socialiste George Papandréou d’assainir les finances publiques par le biais de mesures sévères de restriction budgétaire.

 Sous la pression des marchés et de l’Union européenne, le gouvernement grec a présenté la semaine dernière une nouvelle vague de mesures d’austérité incluant un gel des retraites, des baisses de salaires et une hausse de la TVA pour tenter de résorber son déficit. L’objectif des autorités est de dégager 4,8 milliards d’euros.  « Les travailleurs vont lever leur poing et crier d’une seule voix: ‘Nous ne payerons pas pour la crise' », a prévenu le principal syndicat du secteur privé GSEE dans un communiqué. « Rien ni personne ne peut terroriser les travailleurs. »

 GSEE et son homologue du secteur public ADEDY, qui représentent à eux deux la moitié de la population active, estiment que le plan d’austérité soutenu par l’Union européenne va affecter les plus pauvres et aggraver les problèmes économiques du pays frappé par la récession.  Le taux de participation à la grève et les manifestations seront observés avec attention par les pays étrangers.

 Les dirigeants européens, les agences de notation et les marchés financiers ont salué le dernier volet de mesures mais souhaitent les voir s’appliquer rapidement et sans accrocs.  Alors que le soutien de l’opinion est nécessaire pour la mise en oeuvre du plan, des sondages dénotent une opposition grandissante au gouvernement.

 « Tout sera paralysé en Grèce mais la majorité des personnes comprennent qu’il n’y a pas d’autres options », assure pourtant Costas Panagopoulos de l’institut de sondage Alco. « Je ne crois pas qu’une grève ou des manifestations peuvent affecter sérieusement les politiques gouvernementales. »

 Employés de banque, pompiers, agents du fisc et policiers doivent participer au mouvement. Les bus et les trains ne fonctionneront pas à Athènes et des sites archéologiques et des musées auront leurs portes closes. Environ 1.500 policiers surveilleront le centre de la capitale pour éviter une répétition des incidents qui ont émaillé une manifestation contre l’austérité la semaine dernière.

 Le syndicat communiste PAME inaugurera cette journée de grève par un rassemblement dès 09h00 GMT, suivi d’une manifestation en direction du parlement à l’appel des deux grands syndicats du public et du privé.  ADEDY a indiqué qu’il préparait d’autres actions pour les mois d’avril et de mai, sans donner plus de détails. (version française Marine Pennetier)

Reuter

Voir aussi : Rubrique Finance La spéculation attaque l’Europe par le Sud,

La spéculation attaque l’Europe par le sud

monnaieL’Espagne, la Grèce et le Portugal, fragilisés par leur dette publique, sont attaqués par les marchés. Conséquences : baisse de l’euro et chute des Bourses.

La finance veut-elle la peau des Etats de la zone euro ? Vendredi, les principaux marchés européens (action, obligation et devises) ont continué leur dégringolade. La Bourse de Paris a perdu 3,40%. Et celle d’Athènes 3,73%. L’euro, lui, est passé sous la barre des 1,36 dollar pour la première fois depuis huit mois. En ligne de mire : les 30 000 milliards de dette publique cumulés par les pays du G7 et la situation de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal. Tout cela dans un climat «de très grande nervosité», selon un opérateur parisien.

Qui attaque la Grèce et l’Espagne ?

Plus personne ne le conteste, la situation des finances publiques de la zone euro, y compris celle de la Grèce, ne justifie pas une telle panique des marchés financiers qui, désormais, jouent clairement l’éclatement de la zone euro. Selon nos informations, émanant à la fois d’autorités de marché et d’établissement financiers, une grande banque d’investissement américaine et deux très importants hedge funds seraient notamment derrière les attaques contre la Grèce, le Portugal et l’Espagne. Leur but ? Gagner un maximum d’argent en créant une panique qui leur permet d’exiger de la Grèce des taux d’intérêt de plus en plus élevés tout en spéculant. Pourquoi ne pas citer les noms ? Parce qu’il s’agit d’un faisceau de présomptions qu’un tribunal risque de juger insuffisant en cas de procès. Et comme le dit un opérateur de marché : «On ne joue pas avec ces gens-là.»

Comment gagner de l’argent avec la dette grecque ?

De mille façons. Grâce à la sophistication extrême des marchés financiers. D’abord, il faut savoir que la dette (c’est-à-dire les obligations d’Etat) est un produit financier comme un autre. Elle a un prix défini par une offre et une demande. Comme pour le baril de pétrole ou une action en Bourse. Or, doutant de la crédibilité de la Grèce à honorer sa dette, les opérateurs de marché exigent une prime de risque plus élevée (donc une hausse des prix). Et le marché n’aime rien d’autre que ces moments où il «joue à se faire peur», pour reprendre l’expression de Nicolas Véron, économiste au Bruegel Institute, car il y a matière à des allers et retours. Rapides et donc très profitables.

Ainsi, d’après nos informations, les deux hedge funds qui tiennent le marché grec ont été furieux de n’avoir reçu que 2 % du dernier emprunt grec (lancé le 25 janvier pour une durée de cinq ans, il a recueilli 25 milliards d’euros de demande, pour 8 milliards finalement levés) et sont décidés à faire courir la panique sur le marché des CDS, les fameux credit default swap. Que recouvre cette appellation ? Un titre d’assurances que l’on contracte pour se prémunir contre un potentiel défaut d’un Etat à qui l’on a prêté de l’argent. Un CDS a un prix et s’échange sur un marché non régulé et totalement opaque.

Vendredi, le CDS grec était à 428 points de base, un niveau sans précédent, alors que celui du Liban plafonnait à 255, ou celui du Maroc à 113… En clair, pour le marché, le risque de faillite de la Grèce serait quatre fois supérieur à celui du Maroc. Ce qui est irréaliste. La réalité du marché du CDS est plus triviale : voilà un far west où il est très facile de gagner beaucoup d’argent. Nos deux hedge funds, comme d’autres, attaquent donc la Grèce en créant de la panique pour faire monter les prix : «les CDS, c’est un puits sans fond : avec 200 millions de dollars, vous jouez comme si vous aviez un milliard de dollars», explique un analyste.

À quoi jouent les agences de notation ?

Les voici de nouveau à l’œuvre. Elles sont trois – Standard & Poor’s, Moody’s, les deux anglo-saxonnes, et Fitch, la française – et elles distribuent des notes à la terre entière. Leur métier : évaluer la capacité des emprunteurs à rembourser leurs dettes. Aucun produit financier n’échappe à leur zèle : aussi bien les obligations émises par Danone, que les produits structurés montés par les banques, mais aussi les fonds levés par les Etats – comme demain la France avec son grand emprunt. Une bonne note, le AAA, et voilà l’investisseur rassuré. Une mauvaise note, B ou moins – chaque agence a son système -, ce sont les taux d’intérêts qui s’envolent et aussi l’addition. Et voilà qu’avec leurs alertes sur les dettes publiques, elles font vaciller les Etats… Elles ont tout de même un sacré «culot», commente un opérateur, ces agences qui ont construit la bombe des subprimes.

Tiennent-elles là leur revanche ? «C’est comme si les agences voulaient récupérer leur réputation perdue», souligne Jean-Charles Rochet, professeur à la School of Economics de Toulouse. Au risque d’ajouter la crise à la crise, en dégradant la note des Etats. «Sans doute peut-on s’interroger sur leur rôle de déclencheur de panique ou d’amplificateur dans la crise», note Benoît de Brossia, analyste chez KBL-Richelieu, pour autant, «c’est logique que des pays laxistes en matière budgétaire, en paient les conséquences».

Que peut faire l’europe pour enrayer cette attaque ?

Calmer les marchés en leur faisant comprendre qu’ils sont victimes de spéculateurs et qu’ils risquent de perdre beaucoup en les suivant. Si le message est entendu, nos deux hedge funds et la banque américaine «vont se retrouver en culotte», affirme un opérateur de marché… Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, a ironisé, jeudi, sur les inquiétudes des investisseurs : «Savez-vous que le FMI s’attend à un déficit budgétaire de 6% du PIB en 2010 pour les seize pays de la zone euro ? D’autres grandes nations industrielles, le Japon comme les Etats-Unis, sont-elles à plus de 10.%» Un langage que l’on n’avait pas l’habitude d’entendre.

L’heure n’est plus au rappel du traité de Maastricht, qui interdit que l’on vienne au secours d’un Etat membre de la zone euro. Si les investisseurs ont la garantie que la Grèce ne coulera pas, le calme reviendra. Même l’Allemagne commence à comprendre que l’euro est en danger : jeudi, Angela Merkel, la chancelière allemande, a estimé qu’il fallait mettre en place «un gouvernement économique des Vingt-Sept», et va faire avec Paris des propositions communes lors du sommet du 11 février. Et il faut aller plus loin dans la régulation : Michel Barnier, le commissaire européen au Marché intérieur, a confirmé hier à Libération qu’il avait l’intention de proposer une directive «sur les marchés des produits dérivés [notamment les CDS, ndlr], dont 80% échappent à tout contrôle alors qu’ils représentent plus de 600 000 milliards de dollars dans le monde. Il faut inverser cette proportion.»

Libération Jean Quatremer

Voir aussi : Rubrique Finance , Les banquiers reprennent leurs mauvaises habitudes, Le Sénat américain  adopte un paquet de dépense, crise financière entretien avec Frédéric Lordon, Grèce Grève générale,

Le Japon croûle sous une dette monstrueuse

Il croûle sous une des dettes les plus élevées du monde, emprunte plus qu’il ne gagne et refuse d’envisager de nouvelles sources de revenus: ce qui, pour un particulier, mènerait à la saisie et l’interdiction bancaire n’attire à l’Etat japonais que des sermons vite oubliés.

Alors que la situation budgétaire de la Grèce, du Mexique ou de Dubaï agitent ces dernières semaines les marchés mondiaux, le Japon, malgré des finances publiques dans un état tout aussi désastreux sur le papier, ne semble inquiéter ni les investisseurs, ni les agences de notation.

Pour la première fois depuis 1946, le Japon va émettre plus de dette qu’il ne percevra d’impôts lors de l’année budgétaire 2009-2010, qui s’achève fin mars. Selon l’OCDE, qui admoneste régulièrement Tokyo à ce sujet, son déficit budgétaire dépassera les 10% du produit intérieur brut l’an prochain. Sa dette publique flambera à 204% du PIB: en la matière, seul le Zimbabwe fait pire.

A l’origine du problème: les plans de relance mis en oeuvre à répétition depuis les années 1990, ainsi qu’un système fiscal peu lucratif pour l’Etat, avec notamment une taxe sur la consommation exceptionnellement basse pour un pays développé (5%). De plus, le nouveau gouvernement de centre-gauche de Yukio Hatoyama s’est engagé à n’augmenter aucun impôt avant 2013.

« Si nous étions le Botswana, on verrait immédiatement que nous prenons l’eau. Mais le Japon est comme le Titanic: notre économie est tellement grosse que personne ne s’aperçoit que nous coulons », déplore Noriko Hama, économiste à la Doshisha Business School de Kyoto.

N’importe où ailleurs, pareille situation budgétaire « mènerait droit à une annulation forcée de la dette ou même à l’instauration d’un Etat fasciste », poursuit-elle. Mais pas au Japon, dont la dette continue de jouir du troisième ou quatrième meilleur score possible chez les agences de notation.

« Le montant de la dette, en soi, ne dit pas tout concernant les qualités du Japon en tant que débiteur », justifie James McCormack, analyste chez Fitch.

« Des taux d’intérêt très bas permettent à l’Etat de contracter une dette exceptionnellement lourde, tout en déboursant des intérêts identiques à ceux que doivent payer d’autres pays dont l’endettement est moindre », explique-t-il.

M. McCormack met également en avant « l’énorme stock d’épargne » des Japonais, dans lequel le gouvernement a encore bien de la marge pour puiser.

Autre facteur positif: la dette nippone est, à plus de 93%, détenue par des investisseurs japonais. Dans un pays en proie à une déflation record et où la Bourse a chuté de près de 75% en 20 ans, des bons du Trésor au rendement de l’ordre de 1,3% continuent d’offrir un taux d’intérêt réel intéressant.

Cette quasi-absence de dette en devises rend improbable un scénario de crise du type Mexique ou Argentine. « Il est toujours possible de monétiser une dette en monnaie locale », rappelle Hervé Lievore, stratège chez AXA.

La monétisation consiste à faire tourner la planche à billets pour acheter les nouveaux bons du Trésor. Une pratique dangereuse, génératrice d’hyperinflation et que la Banque du Japon a exclue, mais qui, en dernier recours, reste toujours préférable à la faillite de l’Etat.

« Le seul rayon de soleil, dans cet affreux problème de la dette, est qu’elle est entièrement détenue à l’intérieur du pays et donc beaucoup plus gérable », notait le secrétaire général de l’OCDE Angel Gurria, de passage fin novembre au Japon. « La question est: quand cela va-t-il commencer à inquiéter les marchés? Eh bien, nous ne voulons pas le savoir, car alors il sera trop tard ».

Afp