Grèce : plan d’austérité innefficace et dangereux

dominique-plihonDominique Plihon est président du conseil scientifique d’Attac France. Il était à Athènes ces derniers jours et a pu s’entretenir avec plusieurs interlocuteurs de la situation économique du pays. Il revient sur la crise sociale et économique qui touche la Grèce.

Quel était le mot d’ordre principal dans les défilés mercredi?

Les Grecs sont révoltés par la manière dont le plan d’austérité va les toucher. Ils ont conscience que leur système économique ne fonctionne pas bien, mais ils ont l’impression que le fardeau d’ajustement n’est pas bien partagé, et qu’il va davantage toucher les classes moyennes et populaires.

Pourtant, les premières mesures du gouvernement Papandréou étaient plutôt bien réparties socialement. Il y avait une hausse de la TVA et du prix de l’essence, mais aussi une augmentation des droits de succession et de la progressivité de l’impôt sur le revenu. C’est sous la pression des gouvernements européens que des mesures plus régressives ont été prises. Notamment en réduisant les retraites. Certaines sont désormais inférieures à 600 euros par mois.

Hier, secteur public et privé défilaient ensemble. Les fonctionnaires sont déjà touchés, avec la suppression des treizième et quatorzième mois. Les salariés du privé s’inquiètent quant à eux de futures mesures directes sur leurs salaires, et de mesures induites, comme des licenciements.

Quels blocages peuvent intervenir dans la société grecque?

Le PIB est sous-évalué de 35% car il ne prend pas en compte le secteur informel. Cela représente un manque à gagner de recettes fiscales de 15% pour le pays. Il y a évidemment quelque chose à faire à ce niveau, mais les gouvernements n’ont jamais voulu aller jusqu’au bout car cela touche l’ensemble de la population. Par exemple, les professions libérales -médecins, avocats, architectes- ne déclarent pas leurs revenus.

Hier, outre l’incendie de la banque à l’issue dramatique, un centre des impôts a également brûlé. On m’a dit qu’il traitait des dossiers fiscaux litigieux. Il existe un gros problème d’évasion fiscale en Grèce, et Papandréou avait décidé de combattre ce problème. Il n’est pas impossible que des manipulations aient pu mener à cet incendie.

La population grecque est très sévère avec sa propre classe politique. Comment se positionne-t-elle par rapport à l’Union européenne et au FMI?

Les Grecs étaient plutôt pro-européens. Mais ils sont aujourd’hui déçus car les pays membres de l’Union européenne ont tardé à les aider. Certains économistes sont convaincus que si la commission était intervenue plus tôt pour garantir la dette grecque, on n’aurait pas eu besoin d’un plan d’austérité si rigoureux.

Quant au FMI, certains jugent qu’il est intervenu de manière plus réactive que l’UE. Mais d’autres soulignent aussi que Dominique Strass-Kahn, bien que socialiste, n’a pas modifié la doctrine du FMI sur les politiques d’ajustement structurel. Le peu d’attention porté aux effets redistributifs du plan n’a pas changé.

Le plan d’austérité doit être voté au Parlement ce jeudi. Peut-il améliorer la situation?

J’ai parlé avec plusieurs économistes grecs, et j’ai comme eux la conviction que le plan d’austérité va être inefficace et même dangereux. Il va avoir un effet dépressif sur l’activité ce qui rendra encore plus difficile le rééquilibrage du déficit extérieur. Les rentrées fiscales diminueront aussi.

A court terme, le plan va sûrement satisfaire les marchés. Mais les effets induits à moyen terme, d’ici un à deux ans, ne régleront pas les problèmes de fond.

Quelles mesures alternatives vous sembleraient intéressantes?

Il y a un effort à faire du côté des banques, qui bénéficient d’un circuit financier très pervers. Elles se refinancent auprès des banques centrales et prêtent cet argent à des taux beaucoup plus élevés. Pour mettre fin à ce phénomène de spéculation, on pourrait mettre en place un fonds européen. Celui-ci s’endetterait sur les marchés avec la signature européenne, garantie par des pays comme l’Allemagne et la France. Ces taux d’intérêt, plus bas, bénéficieraient à d’autres pays que la Grèce, comme l’Espagne et le Portugal.

Libération 06/05/10

Réflexion

Joseph Stiglitz exhorte les Européens à plus de solidarité

joseph_stiglitzL’économiste américain Joseph E. Stiglitz rejette dans un article pour le quotidien Der Standard deux issues théoriques pour sortir l’UE de la crise économique et financière actuelle : une diminution harmonisée des salaires dans les pays de la zone euro ainsi que la scission de la zone monétaire. Il demande à la place l’introduction de mécanismes de soutien financier pour les pays membres : « Il existe une troisième solution qui est porteuse des plus grands espoirs, comme l’Europe le constatera probablement. Il s’agit de la mise en œuvre des réformes institutionnelles qui auraient dû être conduites au moment de l’introduction de l’euro, et qui auraient dû intégrer son cadre nécessaire de politique fiscale. Il n’est pas encore trop tard pour l’Europe. Elle peut appliquer ces réformes et répondre ainsi aux idéaux qui s’appuient sur la solidarité et qui étaient les fondements sur lesquels reposait l’introduction de l’euro. Toutefois, si l’Europe ne le peut pas, il est peut-être préférable qu’elle reconnaisse son échec et poursuive de manière différente au lieu d’accepter, au nom d’un modèle économique défectueux, le prix fort que cela coûte en chômage et misère humaine. »

Der Standard (Autriche) 07/05/10


L’euro en état de mort clinique

La faiblesse persistante de l’euro dans le sillage de la crise grecque suscite des doutes autour de la monnaie commune. Le journal Weltwoche exprime une critique générale à l’égard de l’intégration européenne : « L’euro était dès le début un acte économique manqué. Les marchés financiers révèlent maintenant sans sentimentalisme ce qui était dès le départ erroné dans cette construction : il ne peut pas y avoir de politique monétaire commune raisonnable pour des économies nationales aussi différentes que la petite principauté du Luxembourg, le géant industriel allemand et les Etats négligents comme le Portugal ou la Grèce. L’euro est un projet politique – et ce projet a échoué. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, ce sont des mesures visant à maintenir en vie une monnaie en état de mort clinique. … L’euro est un symptôme. La maladie qui se cache derrière s’appelle l’intégration européenne. La monnaie commune devrait préfigurer l’Etat uni, de même que le traité de Schengen aurait dû être une étape sur la voie illusoire vers des Etats-Unis d’Europe. »

Die Weltwoche (Suisse ), 6/05/10

La France propose à la Grèce un accord de défense et de sécurité

Le ministre français de la Défense Hervé Morin, en visite lundi à Athènes, a proposé à la Grèce de signer un accord de défense et de sécurité pour sceller un socle commun dans les relations bilatérales.

« J’ai transmis un projet émanant du gouvernement français qui permettrait la signature dans quelques mois d’un accord de défense et de sécurité entre la France et la Grèce qui en quelque sorte permettrait une architecture commune, un socle commun pour notre relation », a déclaré M. Morin à l’issue d’un entretien d’un heure avec son son homologue grec, Evangélos Vénizélos. Il s’agit de la première visite de M. Morin en Grèce depuis la victoire des socialistes aux élections du 4 octobre. La France et la Grèce sont en négociations sur plusieurs gros programmes d’armement.

Le ministre français a « clairement indiqué » à M. Vénizélos que la France n’envisageait le programme d’armement notamment de la marine grecque « que dans le cadre d’un partenariat industriel très fort avec les chantiers navals grecs et les transferts technologiques qui vont avec ». Les deux pays discutent depuis le début de l’année sur l’achat par Athènes de six frégates européennes multimissions (FREMM), ainsi que de l’achat de 15 hélicoptères Super Puma de recherche et de sauvetage. Sur le dossier des frégates M. Vénizélos a indiqué que le gouvernement « annoncera tout quand cela sera mûr ».

Il a souligné une volonté commune pour poursuivre les négociations en tenant compte de « la plus grande participation possible de l’industrie grecque, et du plus grand transfert technologique possible sur tout le programme ». Pour les hélicoptères, « nous sommes convenus d’initiatives concrètes qui nous permettront de dépasser les problèmes et apporter des réponses pour le bien mutuel », a ajouté le ministre grec. M. Vénizélos a précisé que sur la question de l’acquisition prévue par la Grèce de 30 avions de chasse de la dernière génération, « le gouvernement n’a pas encore ouvert le dossier ». « Je connais, a-t-il dit, l’intérêt français pour le Rafale et l’intérêt d’autres pays, notre approche sera responsable et transparente », a-t-il affirmé.

Par ailleurs M. Morin a indiqué que la France était prête « à faire des efforts supplémentaires sur un sujet d’importance pour la Grèce qui est la surveillance de son espace maritime ». Il a ainsi affirmé que la France allait renforcer « la présence de bâtiments français dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine ». Paris soutiendra aussi les efforts de la Grèce, « qui joue un rôle de leader dans la constitution d’un espace de surveillance maritime commun », de la mer Baltique à la Méditerranée et de la mer Egée à la Méditerranée occidentale, a expliqué M. Morin.

Il a d’autre part demandé à la Grèce de participer à « la formation des forces de sécurité en Somalie pour reconstruire l’Etat somalien », une action complémentaire à l’opération maritime européenne Atalante dans la région où les deux pays sont fortement engagés.

AFP

Les réalisateurs turcs exportent leurs richesses

L’esthétique soignée de my Only Sunshine introduit une belle fluidité dans les images.

Le Cinemed figure depuis longtemps comme une escale de choix pour le cinéma turc d’auteur. Le festival de Montpellier a largement contribué à la reconnaissance d’un cinéma de qualité très diversifié dans son mode d’expression. Souvent présent dans le palmarès du Cinemed, le cinéma turc a été couronné à trois reprises par l’Antigone d’Or*. A l’occasion de l’année de la Turquie en France, le festival offre à nouveau cette année un riche panorama de cette richesse cinématographique avec seize longs métrages projetés.

Mardi, une table ronde consacrée au renouveau du cinéma turc a permis d’aborder les questions liées au financement et au public du cinéma d’auteur. Il n’est pas inutile de préciser que certains réalisateurs reconnus bouclent leur long métrage avec 300 000 euros. La fourchette moyenne des films turcs se situant entre 500 000 et 700 000 euros contre 4 à 8 millions en France. Conscient de la portée positive de l’exportation culturelle, le ministère de la Culture turc s’engage de plus en plus dans le cinéma. Présent sur place, le consul général de Turquie a souhaité que le public français découvre à travers le cinéma son pays « sous son vrai visage. » Les réalisateurs peuvent compter également sur un soutien du fonds européen Eurimage mais peinent malgré tout à boucler leur projet. « Il est possible de coproduire avec les pays des Balcans et d’Europe centrale. C’est beaucoup plus dur avec la France. Une foule de critères font obstacle. Il faut entre 4 et 5 ans pour monter un projet ce qui est décourageant quand on veut faire un film », explique le réalisateur Dervis Zaim.

Chacun appelle de ses vœux les conditions d’une alternative permettant de produire et de distribuer les films auprès d’un public plus large. Mais personne ne souhaite se soumettre à la tyrannie commerciale de l’industrie cinématographique. Les contraintes financières n’entament pas l’exigence artistique des réalisateurs. Tayfun Pirselimoglu s’inquiète de l’avenir tout en affirmant la prédominance de la qualité sur le succès commercial. « Un bon film finit toujours pas trouver une place dans l’histoire du cinéma. Ce qui n’est pas le cas des films qui rapportent. » Même point de vue chez Reha Erdem. « Sans vouloir me vanter je peux facilement faire un film qui fera un million d’entrées en Turquie, mais je ne veux pas faire des films fonctionnels. » Son nouveau film My Only Sunshine met en scène une jeune adolescente livrée à elle-même sur les rives du Bosphore, entre un grand-père malade et un père absent. Reha Erdem use d’un langage sensible pour aborder la notion de passage et de transformation. L’esthétique soignée introduit une belle fluidité dans les images. Mais le film n’a pour l’heure pas trouvé de distributeur en France.

Dans En attendant le Paradis Dervis Zaim joue sur la forme de la structure. Le réalisateur opte pour le cadre historique de l’empire Ottoman du XVII e. Une plongée lumineuse dans l’histoire, l’art et la géographie pour aborder la question de l’identité contemporaine turque.« A propos du renouveau turc, on ne peut pas parler d’un moule esthétique commun. Cela s’approche davantage d’une succession de vagues individuelles », précise la critique de cinéma Fatih Ozguven. Des vagues qui montent comme le devenir d’un grand cinéma.

Jean-Marie Dinh

* Le Brouillard (1989) de Zülfü Livanelli, Uzak (2003) de Nuri Bilge Ceylan lauréat de la palme d’or à Cannes la même année , et Des bateaux d’écorce de Pastèque (2004) de Ahmet Uluçay.

Voir aussi : Un cinéma entre deux mondes


Un cinéma entre deux mondes ?

en-attendant-le-paradis-zaim

En attendant le Paradis de Dervis Zaim

En terme quantitatif, le cinéma turc connaît son apogée entre les années 60 et 75 avec des mélodrames populaires et les westerns médiocres de la cavalerie ottomane qui séduisent un large public. La Turquie produit à cette époque 300 films par an. A la fin des années 70, l’effet de répétition exploité jusqu’à la corde par le cinéma commercial lasse le public. La censure qui fait suite au coup d’Etat militaire de 1980 donne un coup d’arrêt à la production turque qui passe à vingt films par an. Aujourd’hui, la production nationale est de  70 films par an, avec des œuvres très exigeantes  qui augure d’une vraie renaissance.

Le renouveau qualitatif, celui que l’on voit au Cinemed, arrive à partir des années 90. Le film Yol d’Yilmaz Güney (Palme d’or à Cannes en 1982) a certainement joué un rôle de déclencheur en propulsant le cinéma turc au rang de renommée mondiale et en affirmant un regard indépendant. Le fait que Yilmaz Güney ait été victime de la répression politique en raison de ses origines kurdes a-t-il eu une influence ? Une chose est sûre, les réalisateurs que l’on a croisés cette année à Montpellier affichent tous une farouche indépendance et portent chacun à leur façon la volonté d’exporter l’immense richesse de leur culture. Le cinéma turc est peut-être entre deux mondes mais il enrichit assurément le cinéma mondial.


Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Les réalisateurs exportent leurs richesses Expo de Byzance à Istanbul

Un cinéma libéré qui ouvre toutes les portes

Enquête sur un citoyen au-desus de tous soupçons de Elio Petri

Un cinéma de la Méditerranée de cœur et de sang. Au-delà de la diversité des expressions, les films issus du rivage méditerranéen présentent la particularité de se nourrir de la réalité. Le premier week-end de cette 31e édition en a offert un exemple significatif. Agora, le film de Alejandro Amenabar, a ouvert le festival dans une veine humaniste. L’action se situe à Alexandrie au IVe siècle après J-C, à l’heure où la révolte des chrétiens va faire reculer pour plusieurs siècles le savoir de ce berceau culturel méditerranéen. Le péplum met en jeu la question du pouvoir tyrannique politique et religieux qui légitime le désordre et astreint au silence toute forme de liberté qui le contrarie.

Ailleurs, à une autre époque, le réalisateur Merzak Allouache qui a tourné en partie dans la région, suit dans son film Harragas (Les brûlés), le parcours dramatique d’hommes désespérés de leur pays qui décident de prendre la mer. Avec beaucoup d’humanité, le réalisateur met dans la même barque les candidats algériens à l’exil clandestin (qui ne sont pas seulement des réfugiés économiques). On se dit qu’à seize siècles d’écart, la puissance destructrice de l’ordre du moment est toujours aveugle à la démesure de l’individu qui veut devenir lui-même à travers sa quête de liberté et de savoir.

Il est encore question de «l’approche politique des problèmes de l’Homme et de son insertion dans la société» avec la rétrospective que le festival consacre à Elio Petri auteur de La classe ouvrière va au Paradis (Palme d’or, Cannes en 1972). Fils d’ouvrier, le réalisateur italien décédé en 1982 était représenté à Montpellier par sa femme Paola Petri qui se désole de la situation en Italie. «Les gens refusent de regarder la réalité. Ils sont obsédés par la télé qui est occupée quasi militairement par le président du Conseil.» Dans Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970) qui démontre que la police est au-dessus des lois, on mesure à quel point le cinéma de Petri est d’actualité, pas seulement en Italie, et combien le Cinemed sait faire sortir les pépites de l’oubli.

Jean-marie Dinh

L’importante rétrospective Elio Petri propose 9 films et un documentaire (des films rares)