Kadhafi sous la pression internationale

Kadhafi sous la pression internationale

La communauté internationale accroît sa pression sur le régime de Kadhafi. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a demandé lundi la fin des violences en Libye, tandis que les Etats-Unis et ses alliés européens envisagent d’établir une zone d’exclusion aérienne. Si la presse salue l’unanimité à l’ONU, elle met en garde contre une éventuelle intervention militaire.

Helsingin Sanomat – Finlande

Pas d’intervention militaire sans mandat

D’après certains journaux, les Etats-Unis envisageraient une intervention militaire en Libye si le dirigeant Mouammar Kadhafi continuait de réprimer dans le sang son propre peuple. On n’a toutefois pas encore épuisé toutes les options diplomatiques, estime le quotidien libéral Helsingin Sanomat : « L’UE a encore de nombreuses possibilités d’intensifier ses mesures en Libye et dans d’autres pays d’Afrique du Nord avant que l’on atteigne le cap d’une intervention militaire. Pour cela, il faudra en outre obtenir des mandats supplémentaires de l’ONU. Le recours à une interdiction de vol dans l’espace aérien libyen serait déjà une mesure militaire ambitieuse. Les ressources de l’OTAN suffiraient certainement pour cela, mais une intervention militaire contre Kadhafi nécessiterait l’assentiment inconditionnel de l’ONU. On la percevrait sinon comme une intervention de l’Occident, ce qui pourrait tourner à l’avantage de Kadhafi. » (01.03.2011)

Süddeutsche Zeitung – Allemagne

L’interdiction aérienne recèle des risques

Les Etats-Unis et ses alliés européens envisagent une interdiction de survol de la Libye pour empêcher les attaques aériennes de l’armée libyenne contre son peuple. Cette intervention irait pourtant trop loin, estime le quotidien de centre-gauche Süddeutsche Zeitung : « Il faudrait pour cela un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU qui permette le recours à la force. Et la Chine au moins s’opposera à un mandat aussi strict, redoutant ce qui pourrait former le moindre précédent. … Il s’agit finalement d’une décision avec des conséquences politiques. Avec un mandat pour une intervention aérienne, on déplacerait la question du pouvoir vers l’étranger. Mais si l’on s’implique, on se retrouvera au mauvais endroit, et l’on ne pourra plus se retirer si Kadhafi mène une résistance pendant des semaines, voire des mois, ou qu’une guerre de guérilla éclate. Alors la pression augmenterait, même pour une intervention terrestre. Pour le mouvement révolutionnaire arabe, ce serait la preuve qu’il ne peut miser sur la neutralité bienveillante de l’Occident. Celui-ci deviendrait subitement un tiers indésirable dans un duel clairement structuré jusque-là : les citoyens en bas contre les autocrates en haut. » (01.03.2011)

Le Temps – Suisse

Le Conseil des droits de l’homme solidaire

En l’espace de quelques jours, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a unanimement condamné les violences du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi contre la population et recommandé la suspension de la Libye de l’institution. Le quotidien Le Temps se réjouit de cette nouvelle unité : « Jamais le principal organe onusien chargé des droits de l’homme n’avait joui d’une telle crédibilité. L’événement est considérable. Le Conseil n’avait jamais parlé d’une voix aussi univoque. En quelques jours, il a réussi le prodige … de clouer le bec aux souverainistes conservateurs qui n’ont cessé de le décrier. Le printemps arabe est en train de fleurir au sein même du Conseil des droits de l’homme. … En son sein, les fronts semblent bouger. » (01.03.2011)

Respekt – République tchèque

Une solution pour les réfugiés ?

Lors de la séance mensuelle du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies lundi à Genève, de nombreux ministres des Affaires étrangères se sont penchés sur la question des travailleurs immigrés fuyant la Libye, mais n’ont toujours pas trouvé de solution, note l’hebdomadaire libéral Respekt : « La volonté du dictateur Kadhafi de s’accrocher au pouvoir sans tenir compte de la révolution qui se poursuit contre lui a mené la Libye au bord d’une crise humanitaire. Tandis que le riche Occident évacuait rapidement ses ressortissants par avion, des milliers de réfugiés originaires de pays pauvres et qui travaillaient dans le riche Etat pétrolier se sont rassemblés aux frontières de la Libye. Les ministres des Affaires étrangères du monde entier cherchent désormais une solution pour faire quelque chose contre la catastrophe qui s’étend. On peut toutefois se demander s’ils trouveront une solution. Si le siège de Kadhafi vacille sérieusement, il repose toujours sur les barils d’un pétrole sans lequel l’Occident, pauvre en énergie, ne peut s’en sortir. » (01.03.2011)

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Les amitiés libyennes de Patrick Ollier

Patrick Ollier et Mam

Le compagnon de Michèle Alliot-Marie, Patrick Ollier, avait été relativement épargné par le scandale qui touche la ministre des affaires étrangères. Ce n’est plus le cas : le quotidien Libération revient, jeudi 17 février, sur les amitiés moyen-orientales du ministre des relations avec le Parlement. Et rappelle que le général Rondot, acteur-clé de l’affaire Clearstream, avait enquêté sur M. Ollier et ses relations avec la Libye.

Un amoureux de la Libye

Patrick Ollier, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien président de sa commission économique également, est familier du pays dirigé d’une main de fer par le colonel Kadhafi. Président, durant ses longues années de parlementaire, du groupe d’amitié franco-libyen, qu’il a fondé, il a effectué nombre de voyages dans ce pays, le dernier datant du 23 octobre 2010, selon l’ambassade de France en Libye.

Il fut le vice-président de l’association France-Libye. Fondée par l’archéologue spécialiste de ce pays, André Laronde, décédé le 1er février, elle se veut « l’instrument d’un partenariat renforcé entre nos deux pays dans tous les domaines de coopération, culturel, économique et scientifique ».

Il est aussi souvent cité pour sa participation à des conférences et autres activités de la Chambre de commerce franco-libyenne, qui regroupe de nombreuses grandes entreprises françaises désireuses d’investir dans ce pays et dont le siège est situé à Rueil-Malmaison, commune dont le maire n’est autre que M. Ollier .

En 2003, selon Jeune Afrique, Patrick Ollier est chargé par Jacques Chirac d’aller porter auprès de Mouammar Kadhafi un message sur la nécessité de soutenir la France dans la lutte contre la guerre en Irak. Il accompagnera le chef de l’Etat lors d’un voyage dans le pays l’année suivante.

Les soupçons de Rondot

En 2004, le général Rondot commence à enquêter sur les amitiés libyennes de M. Ollier. « Compromission de POL. Irak, Libye, Syrie », note l’espion dans ses fameux petits carnets. POL est son code pour le compagnon de Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la défense. Pour le général, il est soupçonné d’avoir avec certains pays arabes des « accointances excessives ».

Un article de France Soir, en mars 2005, insinue que M. Ollier est soupçonné d’avoir proposé à Thales, entreprise travaillant notamment pour le ministère de la défense, de l’aider à négocier un gros contrat avec le régime libyen. Il est également dit que Thales aurait alors enquêté sur lui. Furieux, M. Ollier somme Denis Ranque, président du groupe, de démentir, ce que ce dernier fait sans rechigner. Il affirme par la suite qu’un ancien de Thalès, membre de la DGSE, alimente le général Rondot en rumeurs contre lui.

A partir de 2006, Patrick Ollier fut l’artisan d’une tentative de rapprochement avec la Libye, dont le point d’orgue fut le projet de vendre un réacteur nucléaire civil au pays. M. Ollier explique alors que « Tripoli veut retrouver sa place dans le concert des nations et a engagé l’ouverture de son économie à l’Occident ».

Celui qui n’est alors que parlementaire regrette, dans Le Nouvel Observateur, que d’autres pays fassent des affaires en Libye tandis que « la France ne récolte que des miettes ». La raison, selon lui : « Les Anglo-Saxons savent mettre leur diplomatie au service de leurs entreprises. Nos fonctionnaires en sont loin ».

La torture en Lybie, « reliquat de pratiques anciennes »

En juillet 2007, suite à la libération des infirmières bulgares condamnées à mort par la Libye, Patrick Ollier promettait à L’Express.fr une « normalisation rapide » des relations avec le pays de Kadhafi.

Le « guide suprême » libyen, dont la visite en France, à l’automne, provoque polémique sur polémique, trouve en M. Ollier un indéfectible soutien : « Le colonel Kadhafi est un homme surprenant. Quand vous lui parlez, vous avez l’impression qu’il est ailleurs mais en réalité il vous écoute et possède des capacités d’analyse et de décision qui sont stupéfiantes. Contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas un personnage fantasque », explique-t-il au Journal du Dimanche. Avant d’ajouter qu’il « doit peut être exister quelques reliquats de pratiques anciennes comme la torture » en Libye.

Dans les colonnes du Monde, le 16 décembre 2007, M. Ollier assure que « Kadhafi n’est plus le même qu’il y a vingt ans et a soif de respectabilité. Il lit d’ailleurs Montesquieu ».

Selon une note d’Amnesty international fin 2010, « les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile qui tentent de se rendre en Europe en passant par la Libye se trouvent exposés à la torture et à la détention illimitée ». Mercredi 16 décembre, la police libyenne a dispersé violemment des manifestations dans le nord-est du pays, faisant au moins quatre morts et des dizaines de blessés.

Samuel Laurent (Le Monde)

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Crise égyptienne: l’Otan appelle les Européens à ne pas trop désarmer

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Le secrétaire général de l’Otan Anders Fogh Rasmussen a invoqué la crise en Egypte pour inciter les Européens à dépenser « intelligemment » pour leur défense afin de faire face aux changements de l’ordre mondial. »Au moment où je vous parle, les événements s’accélèrent en Egypte, en Tunisie, et ailleurs au Moyen Orient et en Afrique du nord, et on ne sait quelle en sera l’issue », a-t-il lancé devant la 47è conférence sur la sécurité, à Munich (sud de l’Allemagne).A l’issue de ce discours, il a d’ailleurs déclaré à la presse qu’il était « choqué par la violence en Egypte », tout en se défendant de toute « ingérence ».

« Les plaques tectoniques bougent. Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement l’économie, mais l’ordre mondial », a-t-il poursuivi devant les conférenciers. Or, les pays européens de l’Otan, a-t-il estimé, risquent de désarmer à outrance, en raison de la crise budgétaire, les rendant « inaptes à défendre leur propre sécurité ».

« Ces deux dernières années les dépenses militaires des pays européens de l’Otan ont diminué de quelque 45 milliards de dollars, ce qui correspond au budget annuel de la défense de l’Allemagne », a souligné M. Rasmussen. « Les Etats-Unis représentaient il y a 10 ans un peu moins de 50% des dépenses de défense de l Otan. Aujourd’hui leur part tourne autour de 75%, et elle va continuer à augmenter en dépit des réductions des dépenses du Pentagone annoncées le mois dernier », a-t-il ajouté.

M. Rasmussen a critiqué ceux des Européens qui « suggèrent une division du travail » entre des Etats-Unis pourvoyant la force militaire et leurs alliés européens se concentrant sur des causes comme la construction d’un Etat de droit. « Je pense que cette proposition est au mieux naïve, au pire dangereuse, car elle ne répond pas à une donne de plus en plus complexe en matière sécuritaire », a-t-il assuré. Il a rappelé que « selon l’institut de recherche indépendant SIPRI de Stockholm, la Chine a triplé en une décennie son budget militaire tandis que l’Inde l’a augmenté de 60% ».

Aussi, afin d’éviter notamment que les Etats-Unis ne se détournent de leurs alliés européens, M. Rasmussen a plaidé pour une « défense intelligente », où l' »on assurerait une plus grande sécurité en dépensant moins », par le biais d’une coopération accrue entre Européens.

AFP

Egypte : Washington à la recherche du statu quo

Le tapis brûle

«Nous ne prônons aucune solution en particulier», a avoué Hillary Clinton hier sur CNN, résumant la position américaine. Pour Obama, qui avait fait de Moubarak son «ami» et «partenaire» pour la paix au Moyen-Orient, les soubresauts égyptiens sont une épreuve de vérité embarrassante. Les jours de Moubarak à la présidence sont certainement comptés, analyse-t-on en interne à Washington. Clinton a même parlé de «transition» vers un régime plus démocratique que les Etats-Unis appellent de leurs vœux.

Mais la Maison Blanche a aussi très peur de ce qui pourrait advenir en Egypte, et dans les pays voisins, si Hosni Moubarak est renversé par la rue. Pour cela, Barack Obama refuse encore de lâcher cet allié de trente ans. Après lui avoir téléphoné vendredi soir, le président américain a fait mine de croire que Moubarak pourrait encore «donner sens» à des réformes politiques, sociales et économiques pour «répondre aux aspirations du peuple égyptien». Obama s’est aussi abstenu d’appeler à des élections libres en Egypte.

Rempart. L’Egypte est un allié clé pour les Etats-Unis, garant de la paix avec Israël, gardien du canal de Suez et rempart face à l’islamisme iranien. Washington subventionne cette «amitié» à hauteur de près de 2 milliards de dollars par an depuis 1979, une aide devenue essentiellement militaire ces dernières années. «Ce que veut Obama en Egypte, c’est le statu quo, résume un diplomate à Washington. Si l’Egypte tombe aujourd’hui, c’est l’Arabie Saoudite, la Jordanie, le Yémen qui peuvent tomber demain. Et en Egypte même, si des élections libres sont organisées, seuls les Frères musulmans sont en mesure de l’emporter aujourd’hui. Tout cela explique que Washington y réfléchisse à deux fois avant de lâcher Moubarak».

L’épouvantail de nouveau agité ces jours-ci est celui de l’Iran, où le lâchage du Shah par les Etats-Unis en 1979 avait ouvert la porte au régime islamique. Cette analyse n’est pas forcément juste, mais elle inspire encore largement les dirigeants américains, observe John P. Entelis, directeur des études sur le Moyen-Orient à l’université Fordham de New York. «En Egypte, on ne devrait pas avoir si peur de voir les Frères musulmans s’emparer du pouvoir, explique cet universitaire. L’armée peut jouer un rôle de transition comme elle l’a fait par le passé en Turquie. Et il y a aussi en Egypte des hommes politiques valables, comme Mohamed el-Baradei ou Ayman Nour. Mais il est vrai que du point de vue de l’administration américaine, une transition interne, autour d’Omar Souleiman, peut être considérée comme une très bonne option.» L’administration Obama évite de le dire trop ouvertement pour ne pas saper ses chances, mais Omar Souleiman, le nouveau vice-président égyptien nommé vendredi soir par Moubarak, est en effet un homme bien connu et apprécié à Washington.

Pour Obama, ce soulèvement égyptien tombe d’autant plus mal qu’il avait particulièrement misé sur le régime de Moubarak. C’est au Caire que le président américain avait prononcé son grand discours proposant un «nouveau départ» au monde musulman, en juin 2009. Ce faisant, Obama avait délibérément mis la sourdine sur les violations des droits de l’homme en Egypte. L’analyse faite alors par son équipe était que les grandes leçons de démocratie proférées par l’administration Bush n’avaient pas mené à grand-chose dans la région, si ce n’est à la guerre d’Irak et la victoire du Hamas aux élections de 2006 en Palestine.

Ambition. Soucieux aussi de relancer le processus de paix au Proche-Orient, une de ses grandes ambitions, pour laquelle il avait besoin du soutien de Moubarak, Obama avait donc remisé à la sphère privée la question des droits de l’homme. Il pourrait le payer cher aujourd’hui. Les plus féroces commentateurs, comme Jackson Diehl, éditorialiste du Washington Post, l’accusent déjà d’avoir provoqué cette révolution en empêchant l’émergence d’une «opposition démocratique modérée» en Egypte.

Cette grande prudence d’Obama face au soulèvement égyptien contraste aussi avec sa hardiesse, il y a quelques jours, au sujet de la Tunisie : cette semaine encore, le président américain a salué la victoire du «peuple tunisien» sur le «dictateur» Ben Ali. «En Tunisie, on peut se permettre de prendre une position morale. En Egypte pas, les intérêts géostratégiques sont trop importants», résume John P. Entelis.

Dans l’ensemble, la retenue d’Obama fait pourtant plutôt consensus aux Etats-Unis. L’équilibre que l’administration Obama tente de préserver, entre soutien aux droits du peuple égyptien et soutien au gouvernement, est «raisonnable», souligne Haim Malka, chercheur au Center for Strategic and International Studies : «Les autres options, notamment appeler Moubarak à démissionner, risqueraient de provoquer une plus grande instabilité encore.»

Lorraine Millot (Washington Libération)

Israël nerveux à l’idée de perdre son allié

Si les Frères musulmans accèdent au pouvoir, l’Etat hébreu craint une remise en cause du traité de paix.

«Moubarak, ce n’est pas Ben Ali», ont répété comme un mantra les responsables israéliens aux premiers jours des manifestations en Egypte. Même les services de renseignements israéliens assuraient qu’elles ne constituaient pas de «danger pour la stabilité du régime». Depuis vendredi, tous ont dû se rendre à l’évidence : un renversement pur et simple du raïs égyptien, un des seuls chefs d’Etat de la région à maintenir des liens avec Israël, n’est pas exclu. Avec potentiellement de lourdes conséquences diplomatiques, stratégiques et militaires.

Le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s’est fait l’écho, hier, de l’inquiétude qui s’est emparée d’Israël : «La paix avec l’Egypte dure depuis plus de trois décennies et notre objectif est que cela continue. Nos efforts portent sur la préservation de la stabilité et la sécurité dans la région.»

Nervosité. L’Egypte est le premier pays arabe à avoir signé un accord de paix avec Israël, en 1979, suivi de la Jordanie en 1994. Signe de la nervosité du gouvernement israélien, Nétanyahou, qui s’exprimait pour la première fois sur la crise égyptienne, a réitéré sa demande aux membres de son cabinet de ne pas faire de déclarations publiques sur le sujet. La chute de Moubarak serait probablement suivie d’une période de transition au terme de laquelle des élections auraient de grandes chances de porter les Frères musulmans au pouvoir, estiment la plupart des commentateurs israéliens. Les islamistes, hostiles à toute normalisation des relations avec l’Etat hébreu, pourraient alors remettre en cause le traité de paix entre les deux nations. «Alors que de nombreux pays considèrent avec satisfaction la chute d’un régime qui prive ses citoyens de leurs droits élémentaires, le point de vue israélien est complètement différent. Si le régime du Caire chute, cela aura une influence négative considérable sur la situation d’Israël. A long terme, cela risque de menacer la paix avec l’Egypte et la Jordanie, les deux atouts stratégiques les plus importants d’Israël après le soutien américain», résume Amos Harel, le spécialiste militaire du quotidien Haaretz.

Exagéré. Même si la paix signée avec l’Egypte a toujours été froide, limitée essentiellement aux aspects sécuritaires, elle a permis à Israël de désengager ses troupes du front sud. Sur le plan diplomatique, la perte de son partenaire égyptien, après la fin de son alliance avec la Turquie, laisserait Israël presque totalement isolé dans la région. A l’exception de ses relations avec la Jordanie, considérablement refroidies ces derniers temps en raison de l’intransigeance de Nétanyahou sur le dossier palestinien.

Certains analystes estiment cependant que le scénario catastrophe d’une dénonciation de l’accord de paix est exagéré. Il s’inscrit dans la «tendance des Israéliens à dramatiser les menaces», observe Uri Bar Joseph, professeur de relations internationales à l’université d’Haïfa. «Je ne crois pas à une révolution islamiste en Egypte en raison de sa grande dépendance vis-à-vis de l’Occident, explique ce spécialiste du renseignement. Même si les Frères accèdent au pouvoir, ils ne prendront pas le risque d’une dénonciation pure et simple de l’accord de paix avec Israël. Dans le pire des cas, l’ambassadeur israélien sera rappelé. Mais l’armée égyptienne ne leur laissera pas le champ libre dans le domaine de la collaboration sécuritaire avec Israël.»

Delphine Matthieussent (Jérusalem Libération)

L’onde de choc fait trembler les pays arabes

Du Yémen à la Mauritanie, des marches de contestation et des immolations par le feu ont lieu pour protester contre les difficultés économiques et les dictatures.

Risque immédiat de contamination, voire de contagion. C’est la lecture par les dictatures arabes des événements de Tunisie quand elles ont vu que ceux-ci avaient entraîné la chute du président Ben Ali. D’où des mesures prises rapidement dans plusieurs capitales arabes pour tenter de l’empêcher de se répandre. «On a prédit que la révolution du jasmin répandrait son parfum sur son voisinage. C’est chose faite et il semble que ses effluves aient atteint l’Egypte», écrivait hier l’éditorialiste du journal tunisien le Quotidien. Mais il n’y a pas que l’Egypte à être percutée par l’onde de choc tunisienne. Et la révolte égyptienne risque à son tour d’être un exemple, d’autant que ce pays est regardé par les populations des pays voisins comme la mère des nations arabes.

Jordanie. La contestation a débuté dès le 14 janvier, lorsque des milliers de personnes ont manifesté contre la politique économique. Plusieurs autres défilés ont eu lieu à Amman, malgré l’annonce de nouvelles mesures sociales. Le 28, plusieurs milliers de Jordaniens sont descendus dans la rue à l’appel des Frères musulmans, réclamant un changement de gouvernement et des réformes. Depuis plusieurs jours, le roi Abdallah II multiplie les initiatives pour tenter d’apaiser la grogne populaire.

Yémen. Les manifestations antirégime se multiplient depuis la mi-janvier. Le 27, elles ont pris de l’ampleur avec le défilé de milliers de personnes à Sanaa pour réclamer le départ du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis 1978. Samedi, il y a eu des heurts entre opposants et partisans du régime. Le gouvernement a annoncé une augmentation des salaires. Au moins trois tentatives d’immolation par le feu et un décès ont eu lieu en quelques jours.

Algérie. Début janvier, cinq jours d’émeutes contre la vie chère ont fait cinq morts et plus de 800 blessés. Le mouvement de protestation a pris fin après l’annonce d’une baisse des prix des produits de base. Une marche «pour la démocratie» a été empêchée le 22 par la police, une autre pour demander le «départ du système» est prévue le 12 février à l’appel de la toute nouvelle Coordination nationale pour le changement et la démocratie. Deux décès par immolation et sept tentatives ont eu lieu depuis le 14 janvier.

Soudan. Les tensions politiques et les difficultés économiques ont provoqué des manifestations ces dernières semaines, et au moins un homme s’est immolé par le feu. Début janvier, des heurts avaient déjà opposé la police à des étudiants protestant contre la hausse des prix. Ils ont repris à Khartoum.

Mauritanie. Dès le 13 janvier, une marche et un meeting ont réuni plusieurs milliers de personnes à Nouakchott, à l’appel de l’opposition, et des lycéens ont manifesté contre la hausse des prix. Un homme d’affaire s’est immolé le 17. Face à la montée en flèche des prix, les autorités ont annoncé le 20 janvier une baisse de 30% sur les produits de première nécessité.

Maroc. Trois personnes ont tenté de s’immoler par le feu le 21 janvier, une autre le 25. Les autorités ont lancé des appels d’offres pour l’achat d’importantes quantités de céréales, afin d’éviter des pénuries.

Oman. Quelque 200 personnes ont manifesté le 17 janvier à Mascate pour protester contre la cherté de la vie et la corruption.

Syrie. Visiblement, la révolution du Nil n’a pas atteint l’Euphrate. Le régime de Damas, l’un des plus policiers du monde arabe, demeure néanmoins sur le qui-vive. Il a augmenté les subventions sur le fuel, resserré le contrôle sur Internet et un tribunal spécial a condamné à sept ans de prison un opposant pour avoir contesté le pouvoir absolu du parti Baas. Pourtant, la crise agricole est terrible. La mauvaise gestion de l’eau a transformé l’est du pays en désert et, selon un rapport des Nations unies, 800 000 personnes sont gravement affectées par cette pénurie. Mais les nombreuses minorités, le clientélisme, l’omniprésence des services secrets, l’érosion de la classe moyenne et le pauvre niveau d’éducation rendent difficile l’émergence d’une contestation.


Omar Souleiman, vice-président, vrai fidèle et possible successeur

Avec Omar Souleiman, le régime se replie sur lui-même

Le vice-président égyptien est un homme de l’ombre, plus connu des diplomates occidentaux que du grand public égyptien. Depuis une décennie, Omar Souleiman, qui dirige les moukhabarat, les très redoutés services de renseignements, était cité comme l’un des possibles successeurs du raïs. Il est désormais officiellement son dauphin et un recours en cas de vacance du pouvoir. En ces temps agités, Hosni Moubarak a fini par se résoudre à nommer un homme qui incarne la stabilité et la continuité du régime.

Depuis son arrivée au pouvoir, il y a vingt-neuf ans, Moubarak se refusait à pourvoir le poste de vice-président. Il était bien placé pour savoir qu’un vice-président a toutes les chances de succéder à son numéro 1, lui-même ayant repris les rênes après l’assassinat d’Anouar el-Sadate, par un commando de soldats islamistes, le 6 octobre 1981. El-Sadate lui-même avait remplacé au pied levé Gamal Abdel Nasser mort d’une crise cardiaque à l’automne 1970…

Fidèle. Mais Omar Souleiman n’a pas la fibre d’un putschiste. Fidèle d’entre les fidèles de Moubarak, il l’a sauvé à plusieurs reprises contre des tentatives d’attentats. Notamment en lui conseillant d’emmener sa propre voiture blindée au sommet de l’Organisation de l’unité africain (OUA), en juin 1995 à Addis-Abeba, où un commando d’islamistes égyptiens venu du Soudan avait mitraillé le cortège présidentiel, tuant un garde du corps mais ratant le raïs et son bras droit.

Omar Souleiman sait parfaitement dans quel état est l’Egypte, même s’il n’a jamais participé à la gestion du pays. «Au jour le jour, l’Egypte est gouvernée par un « cabinet noir » de cinq ou six conseillers, qui travaillent au palais présidentiel», assure un diplomate occidental. Omar Souleiman, lui, a surtout traité de deux dossiers : la répression de l’islamisme, depuis son arrivée à la tête des services de renseignements en 1991, et les dossiers régionaux, en particulier le conflit israélo-palestinien cette dernière décennie. Sur la lutte contre l’islamisme armé, il s’est montré implacable dans les répressions des Gamaat al-islamiya et du mouvement Al-Jihad, qui ont causé un millier de morts durant les années 90. Il est aussi bien connu et apprécié des services occidentaux, en particulier de la CIA américaine qui n’a pas hésité, depuis le 11 septembre 2001, à faire transférer illégalement plusieurs islamistes égyptiens au Caire afin qu’ils soient débriefés par les moukhabarat, connus pour ne pas prendre de gants durant les interrogatoires.

«En fait, Omar Souleiman est un ministre bis des Affaires étrangères», assure le diplomate. Il assiste à tous les entretiens importants, est chargé des missions les plus délicates et secrètes.

Depuis le début de la deuxième Intifada, il est plus particulièrement en charge du dossier israélo-palestinien. Il a négocié une bonne dizaine de trêves, plus ou moins éphémères, entre Israéliens et Palestiniens. A partir de 2005, il gère le dossier du Hamas, dont la montée en puissance inquiète autant Israël que l’Egypte. Les islamistes du Hamas sont en effet très liés aux Frères musulmans égyptiens que Souleiman combat et déteste. Malgré le soutien égyptien aux forces de sécurité de l’Autorité palestinienne, le Hamas s’empare du pouvoir dans la bande de Gaza en juin 2007, au grand dam de l’Egypte, qui doit désormais faire avec un régime islamiste à sa frontière orientale. L’Egypte participe au blocus de la bande de Gaza en contrôlant le point de passage de Rafah, mais lorsque l’armée israélienne lance l’opération Plomb durci, en janvier 2009, Omar Souleiman s’active pour obtenir un cessez-le-feu. Il travaille aussi à réconcilier Hamas et Fatah, sans succès. Sa nomination a été très appréciée à Washington, en Israël et dans les chancelleries occidentales qui le connaissent bien, ce qui n’est pas forcément bon auprès de l’opinion égyptienne.

Trop tard. Agé aujourd’hui de 74 ans, Omar Souleiman, sort de l’ombre peut-être trop tard pour incarner une véritable rupture. L’homme, originaire d’une famille aisée de Qena, en Haute-Egypte, est apprécié pour sa compétence et son peu de goût pour le luxe. Aucune affaire de corruption ne lui colle aux basques. Mais il est trop associé au règne de Moubarak et ne fait pas forcément l’unanimité dans l’armée, qui aurait probablement préféré le ministre sortant de la Défense, le maréchal Tantaoui, l’un des derniers héros de la guerre d’octobre 1973.

Christophe Ayad (Libération)

Voir aussi : Rubrique Egypte, politique, L’armée clé de la crise du régime, Moubarak joue avec le feu, Rencontre, Khaled Al Khamissi , rubrique Livre Sarkozy au Proche Orient, Politique internationale Vers un printemps démocratique arabe, rubrique Histoire Repères sur la bande de Gaza,