Echos syriens dans le surgissement des Gilets Jaunes

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Les peuples veulent la chute des régimes

Nous, qui avons connu la révolution syrienne, sur place et en exil, nous sommes réjouies d’assister au soulèvement du peuple français. Nous sommes, par contre, interpellés par les “mesures de sécurité” et de “maintien de l’ordre” exercés contre les Gilets Jaunes dans ce pays dit des “droits de l’homme”. Pourtant, nous n’étions pas dupes de la vitrine démocratique de la république française, nous souhaitons seulement faire constater que c’est l’État lui-même qui est en train de la briser.

Le nombre hallucinant d’interpellations qui a eu lieu ces dernières semaines, les motifs et jugements en comparutions immédiates qui visent les personnes du fait de leurs convictions politiques sans qu’il n’y ait de preuves de délit, les appels à l’intervention de l’armée, les arrestations préventives, les vidéos de la répression policière qu’on voit partout en France, la propagande gouvernementale et médiatique et ses tentatives ridicules pour apaiser la situation, tout ça nous renvoie à ce que nous avons vécu lors du déclenchement de la révolution syrienne.

La violence des forces de l’ordre françaises est, bien entendu, encore loin des balles réelles du régime syrien. Cependant, nous le comprenons comme une marque de prudence plutôt que comme un manque de volonté d’intensifier les moyens employés. Dans les déclarations et comportements du président, des policiers et bien souvent des médias, nous reconnaissons la réaction d’un régime prêt à garder son pouvoir coute que coute.

La scène de rafle à Mantes-La-Jolie nous a donné des frissons. A nous syriens, ca nous rappelle les élèves à Daraa, en 2011, qui à cause de tags (“ton tour arrive docteur” et “liberté”) sur les murs de leur école ont été interpellés, et pour certains, ont eu les ongles arrachés. Les deux scènes, bien que différentes par l’ampleur de la violence, attestent de la même aptitude des gouvernements contestés à humilier celles et ceux qui le déstabilisent. La révolution en Syrie s’est de facto déclenchée après le refus du maire de Deraa de libérer les enfants détenus avec comme réponse : ’Oubliez vos enfants, vos femmes vous en donneront d’autres. Sinon, amenez-nous vos femmes. On le fera pour vous.’

Mais revenons en arrière ; la place de la Contrescarpe le 1re Mai dernier. Car là, c’était quelque chose dont nous pensions avoir l’exclusivité. Des Benallas on en a plein ! Nous les appelons shabiha  ; les milices du régime, un peu comme la BAC, sauf qu’ils ne sont ni l’armée ni la police, mais des bandes en civil. En plus des pillages et des confiscations encouragées par le régime auparavant, pendant la révolution les shabiha se sont surtout spécialisés dans le matraquage, la torture, et le meurtre de manifestants qu’ils soient armés ou non.

À vrai dire, le tashbih est devenu une manière de normaliser la violence du régime, de la rendre patriotique. C’est tout un dispositif discursif et matériel qui s’est ainsi étendu au fur et à mesure aux personnes non liées au gouvernement mais qui sont toutefois décidées à défendre le régime jusqu’au bout. Le commentaire (d’un policier ? d’un civil ?) qu’on entend dans le vidéo du rafle à Mantes-la-jolie : “Voilà une classe qui se tient sage”, est un exemple du tashbih par excellence. Au fond, toute répression est sadique.

Certes, la répression ne se manifeste pas de la même manière ici – il y a plusieurs manières de dominer une population. Dans le cas français aujourd’hui, les miettes que ce régime accepte de concéder à contrecoeur ne sont que des prétextes auprès de l’opinion pour mieux justifier les coups portés à celles et ceux qui ne veulent toujours pas rentrer chez eux.

Il y a quelques années, on avait félicité les peuples arabes de s’être révoltés. Le printemps arabe était cette belle surprise car enfin, ils n’acceptaient plus d’être soumis au joug de la dictature. Quant au peuple français qui aurait, soi-disant, la liberté d’expression et de rassemblement et qui peut voter dans des elections “libres” (bien que mise en scène par les riches, leur argent et leurs médias), il se soulèverait pour des “enjeux sociaux”, comme disent les experts et les spécialistes. Pour leur répondre, il faut rappeler que les gens en Syrie ne se sont pas soulevés que pour utiliser leur cartes électorales ou écrire des articles d’opinion dans un journal. Il s’agissait de dignité. Nous nous sommes donc soulevés contre la dictature en Syrie. Aujourd’hui en France, nous côtoyons des manifestants qui luttent pour une meilleure répartition des richesses et contre une minorité qui abuse du pouvoir. Nous ne pouvons pas rester neutres. La dignité est à arracher ici comme ailleurs.

Alors, on nous parle de radicalisation. Ce que nous voyons : c’est d’un côté, une violence contre des choses, des vitrines de magasins de luxe, des banques. Des choses bien (in)signifiantes. En face, c’est une violence contre des personnes, une violence, qui, pour défendre ces “choses” met des vies en péril. L’État, lui il tue. Partout et pas seulement dans des pays comme le nôtre.

Le vocabulaire nous est très familier. Vos casseurs et perturbateurs sont nos “malfaiteurs” “agitateurs”, vos ultra-gauche et extrême droite sont nos “infiltrés” et “agents extérieurs”. Le régime syrien a créé tout un lexique. Or, le gommage de la colère et de la contestation, en les disqualifiant, en les rendant étrangères – et ainsi extrémistes – nous montre que dès que le pouvoir est remis en question, il se met à parler le même langage. Ne les laissons jamais instaurer la confusion.

Enfin, concernant l’immigration et le racisme, nous avons entendu l’allocution de Macron. Le glissement qu’il a opéré en répondant à “la crise de fiscalité et de représentation” par ce qui serait unmalaise face aux changements de notre société, une laïcité bousculée et des modes de vie qui créent des barrières, de la distanceest grave et dangereux. Ce discours n’est pas différent de celui de Le Pen et d’autres. Il n’est pas nouveau non plus, et se traduit par des effets concrets et systématiques ; enfermement, humiliation, déportation. Pour ceux et celles qui rechignent à rejoindre les Gilets Jaunes, une chose est certaine : c’est d’abord l’état raciste, qu’il faut contrecarrer.

Quant aux propos anti-migrants de certains Gilets Jaunes, le combat est différent. Ici, la rencontre, le dialogue peuvent être une occasion. Un thé sur un rond point, des bavardages sur les barricades, permettent d’enfin parler loin des bouches institutionnelles et gouvernementales, qui sont elles, les vraies barrières. Pour dire que nous pensons que ceux qui privent les français d’une vie digne, ne sont ni les immigrés ni les exilés mais bien l’insolente richesse de certains.

Pour cela, nous appelons les exilés en France à se manifester, à avoir le courage d’assumer notre présence, à ne jamais nous sentir redevables d’un état colonial qui nous aurait accordé par grâce le droit de vivre. Il n’y a plus de non-concernés.

Nous ne voulions pas faire une comparaison. Il nous a semblé, cependant, important de dessiner quelques parallèles. De faire croiser des chemins. Alimentons des circulations révolutionnaires qui vont au-delà de la solidarité unilatérale (souvent blanche bourgeoise humanitaire et charitable). Pour notre part, nous choisissons de mettre nos forces à disposition pour essayer de construire un réel partage d’outils, d’idées et de soucis. Au fond, nous voulons dire – ce qu’on aurait aimé entendre au long ces dernières années – que notre lutte est commune.

La volonté de destitution n’est ni morcelable ni restreinte à l’échelle nationale : on ne peut pas être pour la révolution en Syrie tout en se rangeant du côté de Macron. Le combattre, lui et son monde, est pour nous un pas pour en terminer avec Assad et son enfer.

Il est encore trop tôt pour rentrer chez soi mais il n’est pas trop tard pour en sortir. Il sera toujours l’heure de dégager quelques têtes. Dans tous les cas, les choses ne seront plus comme avant. Les peuples ne veulent plus d’un monde pourri. Mais les renversements des régimes ne suffiront pas, c’est dans la suite ou il nous faut gagner nos batailles… C’est la chute d’un système qui engendre des Macron et des Assad qui nous satisfera.

A très bientôt.

Des révolutionnaires syriens et syriennes en exil.

Source Lundi Matin 14/12/2018

L’accord sur le nucléaire iranien sur la sellette

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La Libre Belgique

Quid de la solidarité européenne ?

La Libre Belgique fait part de sa perplexité après les discussions entre Trump et Macron :

«Imagine-t-on un locataire dont les conditions du bail seraient durcies au gré des humeurs du propriétaire ? C’est pourtant ce que MM. Trump et Macron semblent trouver normal et légitime. A la veille de rencontrer Kim Jong-Un, Donald Trump est occupé à lui montrer qu’un accord passé avec les Etats-Unis ne présente en définitive aucune garantie. Ce n’est certainement pas la meilleure façon de convaincre le dirigeant nord-coréen de renoncer à son arsenal atomique. Quant à Emmanuel Macron, on ignore s’il a été ébloui par les fastes de sa réception à la Maison-Blanche jusqu’à en perdre toute notion de solidarité européenne, voire le simple sens des réalités.»

 

The Independent (GB)

Pas étonnant que l’Iran veuille l’arme nucléaire

Le cas de la Corée du Nord montre que les Etats-Unis ne respectent un régime rival que si celui-ci dispose de l’arme atomique, juge The Independent :

«Si Iran peut tirer un enseignement des récents développements, c’est bien qu’il vaut la peine de posséder un arsenal nucléaire. Car il est évident que la soudaine disposition de Donald Trump à faire des compromis avec la Corée du Nord est uniquement due à la capacité du pays à développer des armes susceptibles de représenter une menace directe pour les Etats-Unis. Les Américains seraient-ils aussi péremptoires avec les Iraniens si ceux-ci disposaient de têtes nucléaires ? C’est la question qu’on se posera à Téhéran. Le facteur déterminant dans l’actuel accord sur le nucléaire iranien, c’est qu’en dépit de toutes ses faiblesses, il ralentit le processus d’armement atomique de l’Iran.»

Orient XXI

Paris déçoit Téhéran

L’action du président français a de quoi dépiter Téhéran, fait valoir le spécialiste de l’Iran Bernard Hourcade sur le portail Orient XXI :

«L’Iran s’étonne qu’au lieu d’user de son influence pour inciter son allié américain à respecter l’accord et à lever effectivement les sanctions économiques, la France ait pris l’initiative, avec le concours du Royaume-Uni et de l’Allemagne, de demander à l’Union européenne de nouvelles sanctions, en espérant que cela ferait plaisir à Donald Trump. Ces questions font l’objet d’un consensus national à Téhéran. … La population espérait une ouverture économique et internationale depuis longtemps attendue et rejette unanimement la politique du ‘deux poids deux mesures’ quand les monarchies pétrolières ou les alliés de l’Occident sont en jeu.»

Der Standart (At)

Le plan Macron

Il ne sera pas aussi simple de renégocier l’accord sur le nucléaire iranien, analyse Der Standard :

«Le président français Emmanuel Macron a essayé de vendre [à Donald Trump] quelque chose qui n’existe pas encore : un accord auxiliaire censé transformer l’ancien accord en un ‘new deal’, comme l’a nommé Trump. … Macron sait qu’il est irréaliste de déficeler cet accord complexe. Pour le préserver, il entend traiter séparément le programme balistique de Téhéran et son influence politique dans les pays arabes. Sur ce dernier point, une approche plus globale est toutefois nécessaire : car on ne peut parler des Iraniens en Syrie sans consulter la Russie, la Turquie et d’autres Etats, comme l’Arabie saoudite. Juste après les frappes aériennes américaines, françaises et britanniques en Syrie, le 1er avril, Macron avait affirmé vouloir lancer une nouvelle offensive diplomatique en Syrie.»

 

Source Eurotopics

Le cabinet de guerre de Donald Trump

 John Bolton (g.) ; Mike Pompeo (d.) Gage Skidmore 2018 (J. Bolton) ; CIA 2017 (Mike Pompeo).


John Bolton (g.) ; Mike Pompeo (d.)
Gage Skidmore 2018 (J. Bolton) ; CIA 2017 (Mike Pompeo).

En nommant Mike Pompeo à la tête du département d’État et John Bolton à celle du Conseil de sécurité nationale, Donald Trump a profondément remanié l’équipe en charge de la politique étrangère des États-Unis. Et donné un poids accru aux « faucons ».

Donald Trump entend-il lancer une guerre contre la Corée du Nord ou plus probablement l’Iran ? Si l’on ne peut répondre à cette question de façon catégorique, une chose est sûre : il prépare le terrain à cette éventualité. En nommant Mike Pompeo à la tête du département d’État, puis John Bolton à celle du Conseil de sécurité nationale, il a désigné deux des figures les plus belliqueuses du Parti républicain. Bolton, en particulier, incarne depuis trois décennies la propension à vouloir tout régler par la force militaire — hier contre Cuba ou en Irak, aujourd’hui contre l’Iran ou la Corée du Nord — au point de jouir, jusque dans des cercles républicains, du surnom de « Strangelove », le fameux Docteur Folamour du film de Stanley Kubrick, qui symbolise la folie nucléaire. Avec ces nominations (et celle de Gina Haspel à la tête de la CIA, une femme qui a personnellement dirigé un site américain de tortures après le 11-Septembre et a autorisé la destruction de cassettes montrant ces pratiques), Trump a mis en place l’équipe dirigeante la plus va-t-en-guerre de l’ère moderne américaine, une équipe idéologiquement très marquée à l’extrême droite, du moins pour les deux premiers nommés.

Depuis quarante ans, Bolton personnifie une vision unilatérale et exceptionnellement belliciste de la politique extérieure américaine, qui fait de la « guerre préventive », prohibée par le droit international, son fondement stratégique. Il appartient à l’école ultra-nationaliste agressive, dans la tradition de Douglas MacArthur, l’homme qui prônait en 1948 de lancer la bombe A sur la Chine pour contrer l’avancée communiste, puis en 1951 contre la Corée du Nord. Il incarne jusqu’à la caricature ce que le politologue Richard Hofstadter désigna dans un ouvrage célèbre de 19651 comme « le style paranoïaque » d’une droite radicale américaine où les théories du complot prolifèrent, accompagnées d’une insondable détestation pour tout ce qui viendrait enrayer la mission légitime des États-Unis de dominer le monde. Ainsi Bolton déclara-t-il à l’ONU : « Il faudrait recomposer le Conseil de sécurité et qu’il n’y ait plus qu’un seul membre permanent : les États-Unis »

La droite radicale qu’étudie Hofstadter n’hésite devant aucun mensonge ou fabrication pour justifier ses ambitions. Bolton non plus. Lorsqu’en 2002, George W. Bush invoqua son « axe du mal » entre la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak de Saddam Hussein, Bolton décréta immédiatement qu’il existait « des connexions puissantes entre les trois régimes » pour la fabrication d’armes de destruction massive. Ses outrances devinrent légendaires quand Bush le nomma ambassadeur à l’ONU, où il fit un passage éclair en 2005-2006. Vite marginalisé, y compris dans des milieux conservateurs, cela n’empêcha pas le Wall Street Journal puis Fox News, la chaîne de toutes les droites, de l’accueillir dès lors et jusqu’à ce jour avec bienveillance. L’homme eut tout loisir d’y déverser ses diatribes contre les innombrables menaces qu’affrontent les États-Unis — l’islam, l’Europe, la Chine, plus les ennemis intérieurs, eux aussi innombrables — et l’unique moyen qu’il connait pour les endiguer : frapper, encore et encore.

« Bombardons l’Iran »

Même si l’on se restreint au seul Proche-Orient, les citations affolantes de Bolton ne se comptent plus. Peu avant que l’accord international avec l’Iran sur le nucléaire militaire soit finalisé, il signe dans le New York Times un article titré : « Pour arrêter la bombe iranienne, bombardons l’Iran » (« To Stop Iran’s Bomb, Bomb Iran », 26 mars 2015). Cet appel advenait après des centaines d’autres. De 2002 à ce jour, Bolton n’a cessé d’annoncer que la menace nucléaire iranienne était « imminente ». En 2009, il déclare à l’université de Chicago : « Sauf si Israël est disposé à user de l’arme nucléaire contre le programme iranien, l’Iran aura une arme nucléaire dans un très proche avenir ». Comme l’écrit Uri Friedman dans The Atlantic (« McMaster is Out, and even Bigger North Korea Hawk is In », 22 mars 2018), c’est le seul cas connu où un politicien américain a justifié qu’un autre pays que les États-Unis, « puisse non seulement utiliser la bombe A, mais y est même encouragé. »

Car Bolton est également un grand ami d’Israël, ou plus précisément de sa fraction ultra. « La solution à deux États est un non-sens. Un État palestinien deviendrait inévitablement un État terroriste à la frontière d’Israël », a-t-il toujours expliqué, reprenant une vieille antienne israélienne. Sa nomination au Conseil national de sécurité américain a d’ailleurs été accueillie avec enthousiasme par le gouvernement israélien. « Le président Trump continue de nommer de vrais amis d’Israël à de hautes positions, et Bolton ressort parmi eux », a déclaré Ayelet Chaked, ministre de la justice et membre de l’extrême droite coloniale religieuse. À l’opposé, Hanane Hachrawi, une figure intellectuelle du nationalisme palestinien, a jugé qu’avec Bolton, l’administration Trump « s’adjoint les sionistes extrémistes, les fondamentalistes chrétiens et les racistes blancs ». Quant à l’islam, il suffit de rappeler que Bolton, adepte du « choc des civilisations », fit l’éloge en 2010 d’un ouvrage, The Post-American Presidency, signé par deux islamophobes des plus radicaux, Robert Spencer et Pam Geller, cofondateurs du mouvement Stop Islamization of America. Ils y assurent que Barack Obama est un musulman masqué, suggérant que le gouvernement américain est « infiltré » par un « complot islamique secret ». Qui s’étonnera que le sénateur républicain Rand Paul, après la nomination de Bolton, ait vu en lui un homme « dérangé » ?

 

« Nous savons que Jésus-Christ est notre sauveur »

Mike Pompeo, lui, est un radical d’un type différent, mais aux opinions similaires. Chrétien fondamentaliste, politicien de carrière — il a siégé huit ans à la Chambre — il a été proche de Steve Bannon, l’idéologue de l’« alter »-droite, et un leader important du Tea Party, mouvement qui a diffusé les attaques les plus désolantes et racistes contre l’ex-président Obama. Dès la victoire de Trump acquise, en novembre 2016, Pompeo s’exclame concernant l’accord sur le nucléaire signé avec l’Iran par les grandes puissances et validé par deux résolutions de l’ONU : « J’ai hâte d’abroger cet accord désastreux conclu avec le plus grand sponsor du terrorisme au monde ». Proche de Benyamin Nétanyahou, Pompeo déclarait en 2014, à Wichita, au Kansas, que le terrorisme islamiste « nous oblige à prier, nous battre et clamer que nous savons que Jésus-Christ est notre sauveur, qu’il est vraiment la seule solution pour notre monde ». Sa vision apocalyptique d’un combat engagé entre le « bien » (l’Amérique telle que Pompeo la conçoit) et le « mal » (tous les autres et l’islam d’abord) a été sa référence constante — jusqu’à ce qu’il minore cet aspect une fois nommé à la tête de la CIA. Sa définition de la politique ? « Un combat jamais fini… jusqu’à parvenir au ravissement ». Ce thème du « ravissement », qui doit marquer le retour de Jésus sur terre, est très ancré dans l’évangélisme américain. Enfin, Pompeo s’est vu décerner un prix d’honneur par ACT for America !, autre association réunissant de grandes figures de l’islamophobie radicale aux États-Unis.

Pourquoi avoir nommé deux figures si « identitaires », l’une de la droite nationaliste extrême et l’autre de l’évangélisme militant ? Ces derniers mois, Trump a multiplié les gestes, y compris sur le terrain international, qui montrent qu’il se préoccupe d’abord… de politique intérieure. Des propos menaçant l’Iran (et la Corée du Nord) proférés aux Nations unies jusqu’aux mesures de taxation accrue de l’acier étranger en passant par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, la liste est longue des décisions prises récemment par Trump destinées, en premier lieu, à conforter sa base électorale — laquelle, grossièrement, unit précisément des nationalistes protectionnistes aux évangélistes radicaux. Avec, dans les deux camps, une obsession à défendre l’homme blanc américain menacé dans son identité, parce que progressivement dépossédé de son statut dominant. À l’approche d’échéances électorales, flatter cette base et ses espérances est, pour Trump, un impératif.

Comme le président Nixon au Vietnam

Qu’attendre, désormais, de nominations si inquiétantes ? On sent poindre, parmi les commentateurs américains, deux écoles. Soit Trump continue de « faire du Trump », soit on est réellement entré dans une phase nouvelle de son mandat. Qu’est-ce que « faire du Trump » ? L’Institution Brookings a révélé, en octobre 2017, une discussion privée à la Maison Blanche entre Donald Trump et ses conseillers. Elle tourne autour d’un ultimatum à la Corée du Nord. Trump s’emporte. « Non, non, vous ne leur donnez pas trente jours [pour accepter]. Vous leur dites que s’ils n’acceptent pas les concessions exigées dès maintenant, ce fou peut balancer l’affaire à chaque instant » ! Bref, Trump, simule la « dinguerie » pour mieux obtenir ce qu’il exige par l’effroi qu’il suscite, reprenant à son compte la fameuse « madman theory », la « théorie du dingo » que le président Nixon aurait imaginée en 1969 pour faire croire aux Nord-Vietnamiens qu’il pourrait lâcher sur eux la bombe A pour gagner la guerre. Dans cette vision, à la veille de négocier avec Pyongyang, de proposer un « plan de paix » au Proche-Orient qu’il entend imposer aux Palestiniens et de remettre en cause l’accord nucléaire avec Téhéran, Trump aurait nommé Pompeo et Bolton dans le seul but d’effrayer ses interlocuteurs récalcitrants, afin de négocier en position favorable.

La seconde tendance estime que même si cette analyse correspond à l’unique méthode que connait Trump en toute situation — s’imposer par la peur — cela ne répond pas aux interrogations. Car si cette option ne porte pas ses fruits — ce qui, dans les trois cas, est hautement probable —, alors la seule issue pour son instigateur consiste à battre en retraite piteusement ou à passer à l’acte. C’est ici que les « scénarios Folamour » deviennent plausibles et que, comme l’a déclaré Bob Corker, le président (républicain) de la commission des affaires étrangères du Sénat, Trump risque de « nous mener sur la voie d’une troisième guerre mondiale ».

Car, pour s’en tenir au Proche-Orient, on voit mal comment les Iraniens, en position de force au regard du droit international, accepteraient de faire la moindre concession pour réviser un accord validé par deux résolutions des Nations unies. Téhéran a déjà réagi avec mépris aux appels de Trump à renforcer les sanctions. Or, avec les nominations de Pompeo et Bolton, les observateurs sont unanimes : le 12 mai prochain, à l’échéance qu’il a lui-même fixée, Trump retirera de manière formelle la signature des États-Unis de l’accord approuvé par son prédécesseur. Dès lors, les options guerrières vis-à-vis de l’Iran seront à nouveau sur la table. Par ailleurs, alors que l’administration Trump entend toujours imposer un « accord » israélo-palestinien qui verrait Israël préserver l’essentiel de ses colonies et la vallée du Jourdain dans une Palestine réduite à plusieurs bantoustans discontinus avec une capitale sise dans un faubourg de Jérusalem, on ne voit pas, quelle que soit la manne financière qui accompagnerait cet illusoire « accord de paix », quel dirigeant palestinien — et même, à vrai dire, quel dirigeant arabe — viendrait l’adouber publiquement.

Dès lors, la politique du « retenez-moi où je fais un malheur » a toutes les chances de se briser sur les réalités internationales. Mais c’est à ce moment que s’ouvriront les options les plus terrifiantes. Car si Kim Jong-un refuse d’abandonner son maigre arsenal atomique qui constitue l’unique arme de dissuasion dont dispose son régime paranoïaque pour garantir sa survie, Trump se retrouvera face à l’obligation d’élever le niveau des pressions. Jusqu’où ? De même, une fois le traité avec l’Iran annulé et de nouvelles pressions américaines votées contre Téhéran, combien de temps l’Iran acceptera-t-il de préserver son respect d’un accord saboté par son principal interlocuteur ? C’est là que, quel que soit l’état d’esprit réel de Trump — joue-t-il au fou ou l’est-il vraiment ? — la question est de peu d’importance. On entrerait dans une zone de turbulences où les nominations de Pompeo et Bolton pourraient s’avérer décisives.

L’Irak et la Syrie nouveaux champs d’affrontement ?

Pour la plupart des analystes, une attaque contre les sites de production atomique de la Corée du Nord semble quasi impensable. Chinois, Japonais et Sud-Coréens ont depuis longtemps mis en garde Washington contre les risques qu’une telle opération leur ferait courir. Une offensive contre des sites en Iran serait l’option que l’équipe Trump-Pompeo-Bolton devrait privilégier. Elle serait soutenue, activement ou tacitement, par Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avec d’autant plus de facilité que l’Iran, lui, ne dispose pas de l’arme nucléaire. C’est là qu’un Bolton et un Pompeo, bellicistes déterminés, pourraient « envoyer la politique de sécurité nationale américaine vers des eaux inconnues », écrit Richard Silverstein dans Middle East Eye (14 mars 2018). Avant même leur nomination, Robert Malley, président de l’International Crisis Group et ex-conseiller d’Obama sur le Proche-Orient, s’inquiétait vivement de l’éventualité d’un accrochage militaire entre Iraniens et Américains dans la région, par exemple en territoire irakien, qui provoquerait une « escalade » potentiellement incontrôlable. Avec Pompeo et Bolton aux manettes, le pire serait à craindre.

Certes, au vu du fonctionnement de Trump, qui peut prédire ce que sera leur influence réelle ? Mais pour beaucoup d’analystes, l’attitude des Européens, et notamment des Allemands et des Français, face à la fuite en avant belliciste de l’administration Trump, sera déterminante. S’ils optent de manière déterminée pour préserver l’accord signé avec Téhéran, il leur faudra mener une diplomatie visant à isoler le plus possible Washington, dans l’espoir d’amener l’administration Trump à prendre conscience des conséquences néfastes pour elle-même de son attitude. Il n’est cependant pas sûr que des personnalités telles que Trump, Pompeo ou Bolton y soient sensibles. Au contraire, on peut s’attendre à ce que les Européens — qui, de plus, ont rarement manifesté un courage débordant et surtout une unité sans faille face aux Américains sur la scène proche-orientale — craignent qu’un tel isolement américain pousse Trump et ses proches à tenter de sortir par le haut en s’engageant dans un conflit armé contre l’Iran. Si cette éventualité advenait, les conséquences, à l’échelle régionale et peut-être planétaire, pourraient être incommensurables.

Restent plusieurs inconnues. Bolton aura-t-il l’influence qu’on lui octroie ? Le général James Mattis au Pentagone et les généraux de l’état-major hostiles à une aventure guerrière contre l’Iran pourraient-ils contenir les velléités de la Maison Blanche d’attaquer si l’ordre était donné ? Indubitablement, le bellicisme de Trump reste loin d’être majoritaire aux États-Unis. Mais on sait combien les opinions publiques peuvent basculer une fois un conflit engagé. À Paris, l’ancien directeur du département Afrique du Nord Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères, Yves Aubin de la Messuzière, juge qu’il faut placer les États-Unis dans une situation d’isolement maximal. « La France, dit-il, s’honorerait en prenant l’initiative ambitieuse d’un appel commun entre Européens, Chinois et Russes sur le thème “respect de l’accord, rien que l’accord, tout l’accord” avec Téhéran, pour empêcher toute évolution guerrière aux conséquences imprévisibles ». Un tel appel bénéficierait de soutiens au sein même de la classe politique américaine. Car si les États-Unis attaquaient directement le territoire iranien, les Iraniens « pourraient réagir en bloquant le détroit d’Ormuz et en attaquant des cibles américaines en Irak et en Syrie. Les suites seraient inconnues ». Aubin veut croire que les dirigeants américains en sont conscients. La probabilité la plus grande, conclut-il, est que si Trump attaque les Iraniens, il lance une opération militaire contre eux en Syrie. « Ça n’aura pas le même poids, mais même là, les risques de dérapage incontrôlé et de conséquences à l’échelle régionale seront importants ».

1The Paranoid Style in American Politics ; traduit en français en 2012 sous le titre Le style paranoïaque dans la politique américaine, François Bourin éditeur.

Source :  Orient XXI 02/04/2018

Libye : six ans après la chute de Kadhafi

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La Libye est divisée en deux et en proie à l’anarchie. Pour assurer la stabilité du pays, l’ONU voudrait un compromis entre belligérants. Mais chaque camp est lui-même traversé de clivages.

Deux gouvernements, soutenus chacun par plusieurs factions armées, se disputent aujourd’hui la Libye. Alors que le pays avait été abandonné à son sort après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, le chaos que provoque cette division a poussé la communauté internationale à s’impliquer de nouveau dans le règlement des tensions intralibyennes.

L’implantation de l’Etat islamique dans la ville de Syrte, en juin 2015, a en effet provoqué un électrochoc dans les pays voisins, eux-mêmes soumis à la menace terroriste (Tunisie, Algérie), et dans les pays européens les plus proches. Certes, l’Etat islamique a été par la suite chassé de la ville, mais ses combattants, dont beaucoup sont étrangers, continuent aujourd’hui de semer la terreur dans la région du « croissant pétrolier ».

Confrontés par ailleurs à l’arrivée de migrants subsahariens qui transitent par la Libye, les Etats de l’Union européenne voudraient favoriser le rétablissement dans le pays d’institutions assez fortes pour contenir ces flux, comme le faisait en son temps Kadhafi, lorsque les contreparties que lui offraient des pays telle l’Italie lui semblaient suffisantes.

Ces différents objectifs ont poussé certains Etats membres, comme la France en juillet dernier, à tenter de jouer les médiateurs entre les principaux acteurs politiques libyens. Cependant, c’est surtout l’Organisation des Nations unies (ONU) qui est à la manoeuvre pour mettre en place un processus, constitutionnel et électoral, qui permette au pays de retrouver un minimum de stabilité. Un pari qui se heurte aux priorités respectives des multiples acteurs locaux.

Un pays, deux gouvernements

A Tripoli, dans la partie occidentale du pays, siège aujourd’hui le gouvernement d’union nationale dirigé par Fayez al-Sarraj. Sa nomination est intervenue en mars 2016, à la suite de la conclusion de l’accord signé à Skhirat, au Maroc, en décembre 2015, par différentes forces politiques libyennes, déjà sous les auspices des Nations unies. L’objectif était de mettre un terme à la confrontation entre les deux gouvernements qui contrôlaient chacun une partie du pays depuis mai 2014. Le premier siégeait à Tripoli, le second à Tobrouk, à l’est du pays, et chacun disposait de forces militaires plus ou moins éparses.

Même s’il n’est pas le titulaire officiel du pouvoir à Tobrouk, le véritable homme fort de ce gouvernement de l’est est un militaire, le général Khalifa Haftar. En mai 2014, cet officier avait tenté un coup de force contre les institutions issues des législatives de 2012, promettant « d’éradiquer du pays les Frères musulmans et les islamistes ». La scène politique libyenne issue des urnes était alors divisée entre une faction dite libérale (appuyée sur différentes milices, dont celle de Zintan) et une autre appelée islamiste (soutenue par les milices de Tripoli et de Misrata). Leur affrontement était marqué par des violences croissantes.

Le coup de force de Khalifa Haftar s’est cependant heurté à la résistance des milices de la mouvance islamiste, ce qui a précipité la coupure en deux du pays en deux camps armés à partir de mai 2014. L’accord de Skhirat de décembre 2015 entendait mettre fin à cette coupure, mais il bute sur les réalités politiques et militaires du terrain.

En effet, si Fayez al-Sarraj bénéficie de la légitimité internationale et du soutien des pays occidentaux depuis son installation à Tripoli, en mars 2016, il ne dispose ni d’une véritable armée ni d’une vraie police pour gérer la partie orientale du pays. Il est donc totalement dépendant de milices comme la Force Rada, les Brigades révolutionnaires de Tripoli, les Brigades Ghewa et, surtout, la Troisième Force de Misrata, qui, en décembre 2016, a libéré Syrte de l’Etat islamique au terme de six mois de combats et de nombreuses pertes.

Des forces opposées

En revanche, d’autres milices également présentes à l’ouest et proches des Frères musulmans ont refusé de se soumettre à l’autorité du Premier ministre, reconnu par la communauté internationale. En février-mars 2017, des combats entre factions pro et anti-Sarraj ont abouti à l’éviction des secondes de Tripoli. Une victoire trompeuse cependant, tant le Premier ministre, qui est accusé d’abandonner la Libye « aux mains des puissances étrangères », bénéfice d’un faible soutien politique au niveau local. Et cela d’autant plus que son gouvernement dispose de peu de moyens financiers pour répondre aux problèmes économiques et sociaux du pays.

Certes, en dépit de l’anarchie qui règne en Libye, la banque centrale a continué à verser leurs salaires à tous les employés de l’Etat. Et elle a été en mesure de compenser l’effondrement de la production et du prix de pétrole entre 2014 et 2016 grâce à ses réserves et ses avoirs en dollars. Mais ces réserves s’amenuisent et le prix du baril ne remonte pas ; seule la production de pétrole est repartie à la hausse en 2017, retrouvant un niveau équivalent à celui de 2013. Il faut noter que, à l’exception de l’Etat islamique, qui a perpétré des attaques contre les infrastructures pétrolières en janvier 2016, les parties belligérantes se sont, dans une large mesure, abstenues d’endommager les installations ; elles « ont systématiquement confié à la NOC [la compagnie pétrolière nationale] la gestion des terminaux pétroliers, alors même que la région a changé de mains à plusieurs reprises »1.

De son côté, l’homme fort de l’est du pays, le général Haftar, a renforcé ses positions au cours des derniers mois, grâce à ce qu’il qualifie d’ »armée nationale », c’est-à-dire des troupes composées d’anciens militaires de carrière du régime Kadhafi et de miliciens, notamment salafistes. Leur guerre d’usure contre des milices jihadistes, qu’elles affrontaient à Benghazi depuis trois ans, a fini par porter ses fruits. La grande ville de l’Est a été proclamée libérée en juillet 2017. Soutenue par l’Egypte, les Emirats arabes unis et des mercenaires soudanais, l’armée du général Haftar s’est aussi emparée de gisements pétroliers, elle a reconquis Derna, Ben Jawad et s’est assurée du contrôle de la région militaire de Sebha, au sud.

Trafic d’êtres humains

Les gains territoriaux de Khalifa Haftar lui permettent de peser sur les négociations en cours, qui se déroulent sous l’égide des Nations unies. Le représentant spécial de l’ONU, Ghassan Salamé, souhaiterait obtenir l’accord des deux gouvernements libyens pour organiser une conférence nationale, préalable à l’adoption d’une Constitution et à l’organisation d’élections législatives et présidentielle. Il est néanmoins à craindre que les belligérants, après avoir assuré leur autorité sur leurs régions respectives, décident non pas de trouver un compromis mais d’en découdre militairement.

Or, pour les Libyens, le temps presse. Dans son rapport d’août 2017, l’ONU s’est déclarée « préoccupée par l’anarchie qui règne dans le pays. Les enlèvements et les prises d’otages, y compris d’enfants, la torture et d’autres types de mauvais traitements, les exécutions sommaires et les homicides illégaux, les disparitions forcées, notamment celles de personnes impliquées dans le trafic d’essence avec les pays voisins, constituent une menace directe contre l’Etat de droit et font obstacle aux efforts visant à rétablir la stabilité. » L’anarchie a également favorisé l’implantation de milices mafieuses, qui, du littoral aux confins du Sahara, font du trafic d’êtres humains, notamment de migrants, mais aussi d’armes, de drogue et d’essence. Une dégradation continue que les négociations entre acteurs politiques semblent, pour l’heure, incapables d’endiguer.

Luis MARTINEZ

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  • Population : 6 millions
    PIB : 90 milliards de dollars
    Taux de croissance : – 2,8 %
    Taux de chômage : 19 %
    Espérance de vie : 72 ans

    Source : Banque mondiale, « African Economic Outlook »

     

     

     

  • 1. Rapport final du groupe d’experts sur la Libye créé par la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 17 mars 2011, 1er juin 2017, page 3 (https://lc.cx/x9i5).

Source : Alternatives Economiques Hors-série n°113 – 01/2018

Enquête. Comment la France élimine ses ressortissants membres de l’État islamique

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Depuis des mois, les forces spéciales françaises font appel à des militaires irakiens pour traquer et éliminer des ressortissants français membres de la hiérarchie de Daech, selon des sources irakiennes et des responsables français, dont certains sont encore en activité. Les officiers irakiens qui commandent les opérations à Mossoul affirment que les forces spéciales françaises ont fourni aux unités irakiennes spécialisées dans la lutte antiterroriste les noms et les portraits de près d’une trentaine d’hommes identifiés comme des cibles prioritaires. Un nombre, pour l’heure inconnu, de ressortissants français ont été tués par l’artillerie et les forces terrestres irakiennes, assure-t-on de même source, grâce à des coordonnées et d’autres informations transmises par les Français.

Cette opération secrète a pour objectif de garantir que les ressortissants français ayant fait allégeance à l’État islamique ne reviennent jamais en France pour y perpétrer des attentats, nous ont confié deux sources proches du ministère français des Affaires étrangères. La France a été frappée par plusieurs attentats meurtriers inspirés par Daech ou commandités depuis les fiefs des militants au Moyen-Orient, y compris ceux de novembre 2015.

Pas d’implication directe des forces françaises

Une porte-parole du ministre français de la Défense s’est refusée à tout commentaire sur l’opération. “Les forces françaises travaillent en étroite coopération avec leurs partenaires irakiens et internationaux, a-t-elle déclaré, quelles que soient les origines nationales”, faisant référence aux 1?200 militaires français qui aident les forces irakiennes à reprendre Mossoul.

Les forces spéciales françaises ne s’impliquent pas directement – la France a aboli la peine de mort –, se contentant d’orienter les combattants irakiens vers les Français membres de Daech, laissent entendre nos deux sources en relation avec le gouvernement français.

Un haut responsable de la police irakienne a montré au Wall Street Journal une liste contenant les noms de vingt-sept personnes censées appartenir à l’État islamique et recherchées par Paris, accompagnée de la photo de cinq d’entre elles. Les forces spéciales françaises ont commencé à faire circuler ce document au début de l’offensive sur Mossoul, l’an dernier. Il est mis à jour au fur et à mesure que ces hommes sont éliminés, nous a expliqué ce responsable.

L’un d’entre eux était identifié sous le nom de “Badouch”, et le document précisait qu’il avait été vu, en juillet 2016, au volant d’une Kia blanche dans le nord de Mossoul, vêtu d’une tenue traditionnelle irakienne. Plusieurs des noms sont des alias qui soulignent qu’ils sont venus de France – Abou Ismaël Al-Fransi et Abou Souleïmane Al-Fransi — ou de Belgique, dont étaient originaires certains des auteurs des attentats de Paris. Le ministre belge de la Défense s’est lui aussi refusé à tout commentaire.

Bagdad nie les assassinats

La France n’est pas équipée de drones armés. Par conséquent, Paris a envoyé ses unités d’élite à Mossoul afin de repérer les militants français, précise un spécialiste occidental de la sécurité.

Une quarantaine de membres des forces spéciales françaises auraient déployé des outils de collecte de renseignements ultramodernes, comme des drones de surveillance et des systèmes d’interception des communications, afin d’aider à localiser les militants, nous a-t-on dit de source tant irakienne que française. “Ils se chargent d’eux là-bas parce qu’ils ne veulent pas avoir à le faire chez eux, commente un officier irakien directement impliqué dans la coordination avec les forces spéciales françaises. C’est leur devoir. Et c’est logique. C’est en France qu’ont eu lieu les attentats les plus meurtriers à l’étranger.”

À Bagdad, on indique toutefois que l’armée irakienne ne participe pas aux assassinats clandestins de combattants de Daech, et que si l’information était avérée elle pourrait entraîner l’ouverture d’une enquête.

1 700 Français dans les rangs de l’EI

Un porte-parole du ministère de la Justice irakien a refusé de dire si le gouvernement détenait des combattants de l’État islamique. Selon les militaires irakiens, la plupart des djihadistes se battent jusqu’à la mort. Une source française proche du dossier explique :

« S’ils sont vivants, en prison, après s’être rendus, ils seront exécutés. En Irak c’est la peine de mort pour les membres de l’État islamique. Et la France n’interviendra pas. C’est une solution plutôt pratique.”

Mille sept cents Français auraient rejoint les rangs de l’État islamique en Irak et en Syrie, selon le Soufan Group, une organisation basée à New York et spécialisée dans l’extrémisme. Le gouvernement français estime que des centaines d’entre eux sont morts au combat ou rentrés en France. D’autres pays occidentaux sont en possession des noms de leurs ressortissants ayant prêté allégeance à Daech. Mais seule la France se mobilise pour les traquer à Mossoul, expliquent des officiers irakiens.

“Peu de cadre légal”

IMG_3607La France a débattu de la légalité de s’attaquer à ses propres citoyens au moment de rejoindre la campagne de bombardement américaine en Syrie à l’automne 2015. Lors d’une frappe aérienne en octobre cette année qui aurait tué des djihadistes français près de Raqqa, le gouvernement a coupé court aux critiques en citant un article de la charte des Nations unies qui autorise le recours à la force en cas de “légitime défense”.

Le droit français et la Constitution offrent peu de protection aux citoyens qui prennent les armes contre le gouvernement, explique Michel Verpeaux, professeur de droit constitutionnel à l’université Panthéon-Sorbonne, à Paris. “Les Français ne se battent pas contre un État mais contre un groupe armé, poursuit-il. C’est une situation très floue avec peu de cadre légal.”

La France souhaitait déchoir de leur nationalité les Français partis combattre avec Daech pour les empêcher de remettre les pieds sur le sol français, une mesure déjà mise en place au Royaume-Uni, mais cette proposition n’avait pas fait l’unanimité.

Selon deux officiers irakiens, des dizaines de djihadistes français ont été tués au cours de la bataille de Mossoul. Cette offensive qui dure depuis sept mois, menée par les forces irakiennes et la coalition internationale, est sur le point de déloger les derniers combattants de l’État islamique de la partie ouest de Mossoul, leur dernière place forte en Irak.

Les forces spéciales françaises circulent souvent dans Mossoul sans être accompagnées par des militaires irakiens. Elles fouillent les maisons abandonnées par des combattants étrangers, ainsi que des centres de commandement, pour trouver des preuves matérielles ou des documents qui font le lien entre leurs ressortissants et l’État islamique, selon deux agents irakiens de lutte contre le terrorisme.

En avril, les forces spéciales françaises ont fait une descente dans un centre médical près de l’université de Mossoul, où ils ont contrôlé l’identité des blessés pour la comparer à la liste des Français qui se battent pour l’État islamique. Les forces françaises, qui portent souvent des uniformes irakiens et conduisent des véhicules portant les insignes militaires irakiens, se préoccupent particulièrement des spécialistes des armes chimiques qui travaillent sur le campus, selon un haut responsable de l’armée irakienne qui coopère avec la France.

L’université de Mossoul était un quartier général de l’État islamique jusqu’à ce que les forces irakiennes ne reprennent le site, en janvier, selon ce chef militaire.

Collecte de preuves

Les forces spéciales françaises ont une équipe médico-légale qui collecte des preuves matérielles – des échantillons de tissus et d’os prélevés sur les morts et les blessés, ainsi que des gobelets et des ustensiles usagés – afin de trouver des traces d’ADN qui correspondent aux hommes recherchés, selon des responsables irakiens et français.

Cette équipe a notamment collecté des échantillons osseux sur un combattant mort pour comparer son ADN à la base de données des Français soupçonnés d’avoir rejoint l’État islamique, selon l’ancien conseiller des affaires étrangères à l’Élysée.

En janvier, quatre membres des forces spéciales ont fait du porte-à-porte dans le quartier. Deux des soldats contrôlaient l’identité des habitants pendant que les deux autres montaient la garde. “Ils ont leurs propres cibles”, a précisé un agent de lutte contre le terrorisme en voyant la scène.

Depuis quelque temps, les forces spéciales françaises concentrent leur énergie sur l’hôpital Al-Jamhuri, un grand complexe situé dans la vieille ville de Mossoul, d’après deux militaires irakiens qui ont travaillé avec elles. La médina, un dédale de rues et d’allées densément peuplées, compte de très nombreux commerces et reste le dernier quartier de Mossoul sous contrôle de l’État islamique.

L’armée française soupçonne que les derniers hauts responsables de l’État islamique, dont plusieurs Français, sont retranchés dans l’hôpital.

Tamer El-GhobashyMaria Abi-Habib et Benoit Faucon
RETABLISSEMENT DE LA PEINE DE MORT PAR PROCURATION
stephff_2016-02-11-0126Après l’abandon, le 30 mars 2016, du projet de réforme constitutionnelle visant à déchoir les personnes condamnées pour terrorisme de la nationalité française. “Présentée comme un élément clé de la lutte contre le terrorisme, les Français n’ont été informé du  pitoyable épilogue de cette histoire confuse : le rétablissement de la peine de mort par procuration !
Voir aussi : Actualité Internationales, rubrique Politique, Politique Internationale, rubrique Défense, rubrique Société, Justice, rubrique Moyen-Orient, Irak, Liban, Syrie, Lybie, Yemen,