« l’UE est une machine kafkaïenne qui n’a aucune vision européenne »

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Mine G. Kirikkanat : " L'Europe a oublié l'histoire"

Mine G. Kirikkanat. Invitée dans le cadre du Festival International du Roman noir de Frontignan, l’auteur turque rappelle la place de sa culture dans l’identité européenne.

Mine G. Kirikkanat est née à Istanbul. Journaliste, sociologue et écrivain c’est une intellectuelle laïque qui a décidé de rester dans son pays pour défendre ses idées. Dans La Malédiction de Constantin (Métailié, 2006) et Le sang des rêves (1) qui vient de paraître, elle soutient une vision historique de la culture ottomane constitutive de l’identité européenne.

Le sang des rêves est un roman politique d’anticipation dont l’action principale se situe à Chypre. Istanbul est passé sous le contrôle des Nations Unies. La ville rebaptisée Nova Roma est devenue l’enjeu d’une nouvelle guerre froide. La Russie orthodoxe rivalise avec le Vatican et une hétéroclite union chrétienne occidentale. Trois agents européens d’origine turque sont chargés de retrouver des descendants d’un chef historiquement indiscutable afin de légitimer le pouvoir en place. La quête passe notamment par l’exploration des rêves de l’héritier supposé de Constantin le Grand qui porte la mémoire génétique du meurtre de son ancêtre.

Pourquoi réinstaurer la vision d’un affrontement entre deux blocs, alors que nous sommes sortis si péniblement de la guerre froide. L’idée d’une gouvernance mondiale multipolaire n’a-t-elle pas d’avenir à vos yeux ?

C’est mon côté métaphysique. Ying-Yang ou blanc noir si vous préférez, un jeu de forces contraires qui s’équilibrent. Cela vient aussi d’une analyse sociologique ; je pense que le bipolaire est une étape pour aller vers le multipolaire. Aujourd’hui, ce type de gouvernance nous conduirait objectivement vers beaucoup plus de guerres. Je considère la gouvernance bipolaire comme une période transitoire en attendant que les races soient suffisamment mélangées pour accéder aux multipolaires. Mais pour l’heure, l’histoire se répète. Le conflit génocidaire serbo-croate qui a secoué l’Europe dans les années 90, s’était déjà produit il y a un millénaire entre l’église d’Anatolie et l’église orthodoxe de Constantinople. Les Bosniaques (appelés Bogomiles) ont un lien de filiation avec les Cathares. Dans les Balkans, à l’époque de la première croisade, ils ont demandé la protection du sultan ottoman. Celui-ci les a laissés libres de choisir leur religion assurant qu’ils les protégeraient s’ils devenaient musulmans.

En ce début de XXIe siècle, la religion vous paraît-elle l’instrument du pouvoir politique ou directement à l’origine des conflits de pouvoir auxquels elle donne lieu ?

Je me suis beaucoup intéressée à la sociologie des religions et notamment à l’apparition de la religion. Au commencement, la religion est liée à la peur de la mort. S’étant forgé une conscience, il fallait que l’homme invente quelque chose face à ce vide, une vie dans l’au-delà, un espace magique, une religion… Les choses se sont gâtées avec l’apparition des religions monothéistes. C’est à partir de là que la religion est devenue une arme politique. C’est pour cette raison que la laïcité est si importante.

On constate en France un recul de la laïcité alors qu’elle est au cœur même du principe républicain…

C’est vrai que cet axe est mis à mal en France qui est le seul pays laïque de l’UE. De la même façon que les valeurs universelles qui n’occupent plus la même place. Tous les Etats ont mué pour devenir des structures économiques. De ce fait, les gens ont perdu le sens des choses. Aujourd’hui, l’UE est une machine kafkaïenne qui n’a aucune vision européenne.

Sur quoi se fonde, selon vous, l’identité européenne ?

L’identité européenne ne doit pas se construire sur les valeurs judéo-chrétiennes mais sur une vision séculaire laïque. La charte des droits fondamentaux dirigée par Guy Braibant et soutenue à l’époque d’une seule voix par Chirac et Jospin allait dans ce sens. L’Allemagne souhaitait faire figurer l’héritage judéo-chrétien. En définitive, pour faire adopter la constitution, on a déformé cette charte en faisant des concessions à tous les courants et en entamant l’identité même de l’Europe. En substance, la charte conditionnait l’entrée dans l’UE au fait de se déshabiller de ses relents fascistes et religieux. On connaît la suite. Avec l’élargissement aux pays de l’Est sous l’influence des Etats-Unis on a, au détriment de toute raison, obligé l’UE à devenir une machine à sous. L’OMC a imposé sa logique globale et glauque. D’ailleurs, cela a surtout servi la Chine et l’Inde, tant mieux pour eux. Les Etats-Unis qui croyaient sortir leaders de cette manœuvre mangent leur chapeau. C’est comme la ligne Maginot, on attend avec obstination les choses d’un côté et elles arrivent d’ailleurs.

Que pense le peuple turc de tout ça ?

La population turque n’est pas un bloc monolithique. Sur 75 millions d’habitants, nous avons 30% d’islamiques, 30% d’Alévis, un courant proche des traditions soufies et favorables à la laïcité, et 40% de laïques qui ne sont pas près de démordre des valeurs républicaines. Pour se faire élire le président Gül* a pris l’engagement de respecter les valeurs laïques mais il ne s’y tient pas vraiment. Une poignée d’intellectuels a tout de suite décelé la posture du président et dénoncé l’hypocrisie. Mais en Europe tout le monde a applaudi. Dès 2003, il fallait dire à la Turquie qu’elle serait intégrée à l’UE après le bannissement de l’enseignement coranique obligatoire et le respect intégral des règles démocratiques. Mais l’UE a temporisé. Avec la crise de Gaza, elle commence à prendre conscience de la situation. En feignant d’oublier que les Ottomans ont fait l’histoire de l’Europe avec les judéo-chrétiens, elle a joué avec le feu et aujourd’hui il y a le feu.

Que voulez-vous dire ?

Si les Turcs deviennent hostiles à l’UE qui pourra arrêter l’influence de l’Iran, de l’Afghanistan, et du Pakistan ? Les Turcs font aujourd’hui les cerbères aux portes de l’Europe, ils filtrent le flux migratoire en provenance de toute l’Asie centrale. L’UE est complètement dépendante de la Turquie. La population turque est jeune. La Turquie est un  pays plein d’avenir et il constitue la seconde force armée de l’Otan.

La Turquie semble amenée à jouer un rôle de plus plus important dans le conflit israélo-palestinien ?

Je me considère personnellement comme une amie d’Israël, qui voulait être un exemple d’humanité et de démocratie au Moyen-Orient. Mais à la place de cela, les Israéliens ont mis leur existence en danger parce qu’ils sont entourés de haine dont ils sont en grande partie responsables. Et cela les rend fous. Aujourd’hui la stupidité de leur politique leur a fait perdre la notion de l’espace et du temps. La Turquie demeure un interlocuteur privilégié dans la région. Sur les tee-shirts des jeunes de Gaza, on voit plus l’effigie du Premier ministre turc Erdogan que celle des membres du Hamas. Là encore, l’UE ne mesure pas les enjeux qui concernent aussi ses relations avec le Maghreb. A travers l’intégration de la Turquie au sein de l’UE se joue aussi la reconnaissance identitaire des pays d’Afrique du nord. L’Europe a oublié l’Histoire.

Receuilli par Jean-Marie Dinh

* Abdullah Gül est membre du parti musulman de centre droit AKP il a été élu pour 4 ans en août 2007.

(1) Le sang des rêves, éditions Métailié 2010, 18 euros.

Voir aussi : rubrique politique internationale Gaza: l’attitude turque une leçon pour l’occident, les relations turco-israéliennes dans la tourmente, L a Turquie provoque les Kurdes, rubrique politique France discours de Latran, rubrique politique Allemagne Rubrique Allemagne Merkel : notre modèle multiculturel  a « totalement échoué » rubrique rencontre Elias Sambar, rubrique cinéma, Les réalisateurs turcs exportent leurs richesses,

Elias Sambar : « Rien d’autre qu’un passeur de l’humanité palestinienne »

Elias Sambar. Photo Rédouane Anfoussi.

ELIAS SAMBAR est Ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco son dictionnaire amoureux de la Palestine livre une approche à la fois profonde et fluide.

A propos de la Palestine, vous évoquez le trouble comme la difficulté d’évoquer un pays qui n’existerait pas encore. La rédaction de ce dictionnaire a-t-elle contribué à un éclaircissement ?

« Cela n’a pas éclairci ma position sur le fond. Mais chaque mise en forme écrite implique une reprécision qui n’est pas une redécouverte. Ce qui est intéressant et sympathique dans la rédaction d’un dictionnaire, c’est la forme éclatée en apparence. Ce ne sont pas des informations parcellaires, il revient au lecteur de faire les liaisons. A première vue ces liaisons n’existent pas en réalité, elles font partie d’un squelette invisible qui suppose que l’auteur soit parfaitement clair dans ses idées.

Comment avez-vous travaillé sur les entrées ?

Les entrées fonctionnent en écho. Un dictionnaire peut être lu par tous les bouts. Ce qui offre au lecteur un rapport plus libre. J’ai pris plaisir à construire ce livre. Le jeu des échos correspond à ma façon de travailler. Je commence sur une entrée et je poursuis en me demandant ce qui résonne avec ces propos.

Vous rendez hommage à beaucoup  de vos amis, Darwich, Farouk Mardam-Bey, Genet, G.Deleuze, Daniel Bensaïd… dont la pensée trouve place au sein du livre. A propos d’Edward Saïd* vous évoquez un différent relatif aux accords d’Oslo ?

Il pensait que l’analyse n’était pas la bonne et la façon de s’y prendre non plus, ce en quoi je le rejoignais. Notre éloignement n’était pas lié au bilan des accords mais au fondamental. Pour moi la négociation n’était pas le plus important. J’avais la conviction et je l’ai toujours, que l’élément majeur se situait dans le principe d’une reconnaissance mutuelle. Oslo marque le point à partir duquel le nom Palestine redevient réel. Il y a évidemment les reculs et les épisodes en dents de scie, le développement monstrueux des colonies qui ont triplé depuis l’accord (signé en septembre 1995) mais après avoir été nié par la terre entière le nom Palestine a resurgi de l’absence. Pour moi Arafat reste l’homme qui a symbolisé le retour de ce nom.

En quoi consiste votre fonction au sein de l’Unesco ?

Sur les 193 Etats membres, la Palestine est le seul pays occupé. Je m’occupe des questions relatives à l’éducation, la science, la culture, le patrimoine mais dans un contexte plutôt particulier. Il est difficile d’imaginer les efforts qu’il faut déployer pour attribuer des bourses aux étudiants de Raza. Il faut par exemple trois mois pour acheminer un simple virement puisque l’argent est systématiquement suspecté d’alimenter la résistance.

Ce dictionnaire permet d’éclairer l’actualité à partir du regard d’un intellectuel…

J’ai tenté d’aborder cet ouvrage avec sérieux et une certaine légèreté. Il me semble très important de briser la déhumanisation du peuple palestinien. Car celle-ci existe à travers le traitement infligé par Israël mais aussi par leurs propres amis qui ne considèrent les Palestiniens que comme des héros ou des victimes. Moi je suis quelqu’un comme tout le monde, rien d’autre qu’un passeur de l’humanité palestinienne.

Quel est votre regard de diplomate cette fois, sur ce qui vient de se passer ?

Par delà la grosse infraction au niveau du droit, Israël vient de commettre une erreur politique grave. On en voit les résultats aujourd’hui. Au-delà des condamnations unanimes il y a, le fait que le gouvernement israélien vient de casser le discours qu’il a toujours tenu à savoir que le pays est menacé. Avec cette affaire, tout le monde a compris qui est l’agresseur. Le second point c’est que par cette action Israël vient elle-même de mettre fin au siège de Gaza. Puisque dans les heures qui ont suivi, l’Egypte a réouvert ses frontières sans limite de délais. De facto la frontière est ouverte ».

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Dictionnaire amoureux de la Palestine, éditions Plon 24,5 euros.

Voir aussi : rubrique Israël Le rapport de l’ONU sur Gaza , Le discours de Netanyahu torpille les initiatives de paix, Documentaire, Mort de Rachel à Rafah, conflit israélo-palestinien Repère sur la guerre de Gaza, Livre, Edward Saïd la question de Palestine, Histoire Accords de Camp David,

Portrait féminin de la société tunisienne

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Raja Ammari au cinéma Diagonal à Montpellier

Rencontre avec la réalisatrice franco-tunisienne Raja Ammari qui présente son second long métrage Les Secrets.

Invitée par Le Diagonal, la réalisatrice Raja Ammari est venue présenter son deuxième long métrage Les Secrets. Actuellement à l’affiche, le film pointe la confrontation du monde traditionnel et urbain et situe la société tunisienne à travers un vécu féminin. « J’ai commencé à écrire à partir du personnage d’Aicha*. Tenue à l’écart du monde par deux femmes de sa famille, la jeune fille cherche son identité. L’appel de la féminité interfère avec cet enfermement », indique la réalisatrice. Les trois femmes vivent en retrait dans le sous-sol d’une vaste maison à l’abandon. L’arrivée d’un jeune couple urbain va déséquilibrer leur vie en autarcie et faire basculer le film dans un tout autre univers ! « Aicha déforme la réalité en fonction de ses désirs »

Dans son premier film, Le Satin Rouge, Raja Ammari explorait le parcours d’une femme tentant de retrouver sa jeunesse. Dans Les Secrets, elle effectue le parcours inverse. Son regard sur le monde reclus des femmes vivant dans le conservatisme et le refoulement de leurs désirs mène à la violence. « Poussée par son désir Aicha pénètre le monde extérieur. Elle transgresse ce que sa grand-mère considère comme une menace. Mais dans la scène où elle vérifie si sa petite fille n’a pas perdu sa virginité, elle commet ce qu’elle redoute. » Le propos ne porte pas de jugement. Si la réalisatrice s’exonère de références religieuses, elle n’a pas évité que la projection du film suscite une vive polémique en Tunisie. « On m’a reproché de donner une image déviante et négative de la femme. » C’est une scène dans une salle de bain où une femme en lave une autre qui a déclenché le plus de courroux. « Je n’ai pas tourné cette scène pour provoquer. Mes indications étaient d’adopter une attitude maternelle, dénuée de sensualité. Dans cette scène, la nudité renvoie à une frustration enfouie qui fait parler le personnage de son enfance. » C’est ainsi que le film évolue, à travers l’image et le travail par étape sur l’émotion des personnages qui finissent par éclater tout ce qui leur tenait de schéma mental et comportemental.

Jean-Marie Dinh

* interprétée par la talentueuse Hafsia Herzi.

Voir aussi rubrique cinéma Tunisie, Le chant des mariés de Karim Albou,

Feraoun avait une vision lucide sur la société dans laquelle il vivait

Ali Mouzaoui sur le tournage

Invité par l’association Regards sur le cinéma algérien, le réalisateur Ali Mouzaoui* évoque son dernier documentaire sur la vie et l’œuvre de l’écrivain Mouloud Feraoun*.


« Dans le film, l’identité kabyle de Feraoun est au cœur de votre propos ?

Comment pourrait-il en être autrement ? Feraoun est le fruit de cette culture et la culture n’est pas quelque chose que l’on garde pour soi. Il était viscéralement attaché à ce territoire qui a maintenu son fonctionnement malgré toutes les tentatives de soumission. Ce fut notamment le cas face à l’empire Ottoman. Feraoun a résisté à la colonisation française, mais il émettait aussi des critiques sur le journal officiel du FLN. Basée sur la tradition orale, la société kabyle est fondée sur un système d’organisation démocratique. Dans le clan, les décisions concernant le village étaient prises en commun, les femmes étaient concernées et respectées. Dans ce cadre, où la pauvreté peut être acceptée sans souffrance, la vie se déroulait paisiblement.

Vous soulignez l’ambiguïté de la politique de Jules Ferry qui introduit la langue française en Kabylie en envoyant des instituteurs dans les villages à partir de 1895…

Je ne m’oppose pas à la transmission du savoir. Ni a la langue française que je porte dans mon cœur. L’écrit a permis de sauvegarder notre tradition orale. Je mentionne qu’à l’époque le certificat d’étude n’était pas une escale sur le chemin du savoir mais une étape finale pour les Algériens. La France souhaitait mettre en place une école adaptée à un peuple de cultivateur. Un atout pour la transformation qui n’hypothéquerait pas la colonisation. Lors du recrutement dans les villages, chaque famille devait fournir un enfant à l’école française. Elle choisissait le plus chétif car cela venait soustraire un berger à la famille. Dans une société précaire, l’école était un élément de déstabilisation. Feraoun a bénéficié de l’école française. Il a beaucoup travaillé tout en restant dans le juste. Il avait une vision sur la société dans laquelle il vivait et en parlait avec un maximum de lucidité

A qui s’ adresse votre documentaire ?

Ma conception répond à une double dynamique. Donner une représentation de la culture kabyle et montrer la vie et le combat de Feraoun aux siens. Je ne fais pas référence à la torture, j’évite de montrer les morts, y compris pour évoquer son assassinat. J’ai d’abord voulu refléter le désespoir culturel et la ténacité de son combat. Il est de mon devoir d’être assez didactique. Le legs de Feraoun c’est un message humain et le sens de l’effort. Avec le temps, j’ai compris que je poursuivais la même mission avec bonheur.

Dans sa période algéroise, Feraoun a fréquenté Camus. Les deux auteurs avaient-ils des différents politiques ?

Après avoir lu La Peste, Feraoun envoie une lettre à Camus dans laquelle il lui reproche de situer son roman à Oran sans que l’on n’y croise une seule silhouette d’arabe. Dans sa réponse Camus lui répond en substance : Monsieur Feraoun, il est de votre devoir de le faire. Ce dont ne se privera pas Feraoun, même si on lui a reproché par la suite de n’écrire que sur la Kabylie. Je pense que l’on écrit pour les siens. Mais pour moi les deux auteurs font partie du même univers. Je revendique Camus comme un des miens. Sa mère était femme de ménage, et le père de Roblès, maçon. Si la société avait pu taire ses violences, on aurait pu aller vers une société merveilleuse de convivialité et de tolérance. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

mouloud-feraoun* Mouloud Feraoun est un écrivain kabyle algérien d’expression française né le 8 mars 1913 à Tizi Hibel en haute Kabylie. Élève de l’école normale de la Bouzareah (Alger), il enseigne durant plusieurs années comme instituteur, directeur d’école et de cours complémentaire, avant d’être nommé inspecteur des centres sociaux. Feraoun commence à écrire en 1934 son premier roman, Le fils du pauvre. L’ouvrage, salué par la critique obtient le Grand prix de la ville d’Alger. L’écrivain est abattu le 15 mars 1962 à Alger, à quatre jours seulement du cessez-le-feu, par un commando de l’OAS.

*Ali Mouzaoui, réalisateur algérien, est titulaire d’un diplôme de metteur en scène de films d’arts obtenu à l’Institut supérieur du cinéma de l’ex-URSS en 1980. De retour au bercail en 1987, il se consacre à son métier. Il a réalisé plusieurs films documentaires dont Dda L’Mouloud (film consacré à Mouloud Mammeri) et Le Bijou d’Ath Yenni. Il a aussi produit des films de fiction comme Début de saison, Les bandits d’honneur de Kabylie, Les Piments rouges, Portrait de paysagiste et Mimezrane. Le docu-fiction sur Mouloud Feraoun réalisé en 2009 est présenté dans la région en avant-première internationale dans le cadre de Regards sur le cinéma algérien. Ali Mouzaoui est aussi l’auteur de Thirga au bout du monde, son premier roman paru aux éditions l’Harmattan.

Voir aussi : rubrique cinéma autour du film de Bouchareb, livre Laurent Mauvignier Des hommes, Todorov la signature humaine, rubrique politique locale le musée de la France en Algérie,

Didier Decoin « « Ma Bible d’homme parle du monde entier »

Didier Decoin : "La Bible et ses progénitures."

Auteur, journaliste, scénariste romancier et actuel le Secrétaire Général de l’Académie Goncourt, Didier Decoin a présenté son dictionnaire amoureux de la Bible au Musée Fabre de Montpellier : Rencontre

Vous indiquez avoir eu un rapport précoce à la Bible, comment cette relation a-t-elle évolué avec le temps ?

« Ma première découverte était celle d’un livre d’aventures. Il était illustré d’images un peu à la Gustave Doré, pour moi qui avait huit ans, c’était un peu une BD. J’en ai fait plus tard une relecture, sur le plan littéraire cette fois, lorsque j’ai commencé à écrire. Je cherchais des modèles, des maîtres etc. Je dois avouer que cette fichue bible me donnait des leçons de grandeur, d’ampleur… J’ai même utilisé des thématiques bibliques pour certains livres, comme dans Abraham de Brooklyn qui a eu le prix des libraires en 1971. La troisième phase a été la découverte de ce que le livre contenait de spiritualité.

Pourquoi avoir choisi la formule du dictionnaire ?

Parce qu’elle permet d’évacuer des choses pour lesquelles je n’avais ni l’envie ni la compétence de parler. L’avantage d’un dictionnaire « amoureux » c’est le choix des entrées notamment subjectives qu’il permet, et la possibilité d’écarter des choses qui ne m’inspiraient pas trop. Et de faire en revanche des entrées sur ce que j’appelle les progénitures de la Bible. C’est-à-dire tout ce qui prolonge la Bible dans le monde d’aujourd’hui que ce soit en musique, peinture, dans le cinéma…

Trouvez-vous que la Bible est un livre violent ?

Oui, je ne pense pas que l’on puisse dire le contraire. Les deux époques, que ce soit celle de l’Ancien ou du Nouveau testament, sont des périodes de violences et de guerres. C’est un livre où il y a des combats, des affrontements, où on n’hésite pas à commettre des meurtres. Ce qui est troublant dans cette violence, c’est que Dieu en prend sa part. Dans le passage où il fait tomber une pluie d’énormes rochers du haut du ciel sur les ennemis du peuple juif, on est très très loin du « aimez-vous les uns les autres ». Même quand on lit les psaumes : « Seigneur, anéantis mon ennemi, fais-moi piétiner son cadavre que je me repaisse de ses yeux… » Il faut resituer dans le contexte. Ce livre a été écrit par des êtres humains qui vivaient dans une époque où on ne rigolait pas tellement.

A propos d’Abraham, vous indiquez que sa nature conflictuelle est peut-être l’origine du Dieu unique ?

Dans l’histoire d’Abraham telle que je la raconte, je rapporte la légende de son enfance où, tout en gardant la boutique de son père, il se pose la question du Dieu unique. Ce qui me fascine chez ce personnage, c’est que non seulement il conçoit l’idée du monothéisme mais en plus, il ose poser des questions, discuter avec Dieu d’égal à égal, n’hésitant pas à le mettre face à ses contradictions.

Comment avez-vous abordé la problématique des sources ?

J’ai mis six ans à faire le livre, dont quatre de recherches, livresques et géographiques. J’ai travaillé en arborescence en confrontant mes sources, j’ai interrogé des biblistes, de préférence des laïques. La Bible est un livre pour les hommes écrit par cinquante auteurs. A la différence du Coran écrit par Dieu, dans la Bible, Dieu est un acteur.

Quel regard portez-vous sur la manière dont réagit l’Eglise lorsque l’on découvre des vestiges bibliques ?

Je pense qu’elle ne réagit pas très bien, parce qu’elle perçoit souvent cela comme une contradiction. Ce qui m’exaspère un peu parce que la foi n’a rien de dogmatique ou de figé. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

« Le dictionnaire amoureux de la Bible ». Editions Plon