Rencontre.
Eric Desnoues, directeur artistique des nuits musicales d’Uzès, après une 48ème édition particulièrement suivie et réussie, répond à quelques questions qui devraient préoccuper tout mélomane digne de ce nom.
Pensez-vous que la musique puisse s’inscrire dans la citoyenneté, soit porteuse de ce que l’on nomme bien public ? En quoi et comment ? Le public est-il en demande d’analyse, d’information en ce sens, questionne ce que cet art peut porter véhiculer, faire circuler entre les citoyens ?
Dans ce véritable marathon que représente un festival avec des concerts qui s’enchaîne et une responsabilité car tout remonte à moi surtout pour signaler des difficultés de tous ordre, il est sûr qu’un festival musical, dans ses multiples ramifications, crée du lien, de la communion même et plus profondément une dimension cathartique autour du beau, de l’art, de l’harmonie. On peut souligner différents niveaux dans l’utilité sociale. Force est de convenir que nous sommes des êtres sociaux et l’ensemble de ce que l’on fait à généralement pour but de se réunir. Mon objectif est de faire vivre un objet culturel dans une ville qui en a besoin. Il lui faut entre autre favoriser l’attractivité touristique. C’est le premier niveau, le plus pragmatique. IL y a environ 50 ans, naissait l’époque du phénomène festivalier. Uzès qui était culturellement à l’abandon a été classée par Malraux en secteur sauvegardé à la demande de la duchesse d’Uzès. Les premiers fondateurs du festival ont d’une certaine manière participé à ce que la ville se relève de ses ruines. Le deuxième objectif est économique, la musique en étant une porte d’entrée non négligeable. Je ne peux en juger que par les résultats depuis 25 ans pour ce qui est de la restauration, l’hôtellerie et autres commerces divers et variés.
Nous ne fabriquons pas des biens manufacturés, nous travaillons sur la fragilité de la vie, la magie de faire que se produise quelque chose d’unique qui ne peut se reproduire à l’identique dans l’espace temps.
Mais pour moi générer du plaisir, de la notoriété, de l’activité économique est aussi important que soigner la qualité artistique. Tout se tient, tout fait lien.
L’utilité se mesure à la rencontre public artiste et tout ce que l’on fait est en direction du public pour arriver à l’instant suprême de cette rencontre. Le festival est un medium dont les artistes ont besoin pour se produire dans les meilleures conditions. On porte une attention extrême à ceux qui ont travaillé dur avec beaucoup de rigueur, d’inspiration et d’amour de la musique pour risquer un moment souvent parfaitement magique. Respect également pour ceux qui s’occupent de maintenir les instruments et donc la qualité du son. L’utilité sociale joue de plus dans le domaine de l’artisanat d’art. Je pense aux luthiers, facteurs d’instruments, et autres accordeurs. Exemplaire, Martine Argellies à Montpellier qui a amené « en villégiature » lors d’un concert deux clavecins et deux épinettes aux sonorités parfaites.
Oui un festival c’est du lien entre à la fois des mélomanes exigeants qui échangent entre eux mais qui font entrer dans un large cercle les amateurs , les curieux, un public qui s’exprime et j’encourage cela. Oui, des rencontres se font, insoupçonnées, insoupçonnables, heureusement imprévisibles.
Le paysage des festivals « classiques » (à part ceux qui bénéficient de gros financements) est hélas en baisse surtout côté qualité et ce d’une manière alarmante. Tout comence à se ressembler pour ce qui est des petites formes. Je me bats pour maintenir les grandes formes que je vois disparaître au profit des formes chambriste (toujours la question d’argent). Je me bats également pour réserver une belle part au genre baroque injustement mal aimé ainsi que le soutien à la musique que l’on ne joue plus, ne diffuse plus et qui peut ainsi mourir de sa belle mort.
J ‘essaie, en dépit des frais élevés à honorer d’opter pour des tarifs accessibles. La subvention fléchée de la région (15000 euros) a un effet levier, le passage de la première marche pour monter en haut du projet. Et pour continuer à parler de lien social, la jolie académie campe pendant une semaine dans la ville composée de 28 stagiaires (âgés de 13 à 25 ans) de plusieurs nationalités. Durant la semaine ces artistes donnent des cours de musique et proposent un concert de restitution du stage tr ès apprécié d’un public des plus hétérogène. Victor Hugo a bien dit que « chaque fois qu’on ouvre une école, on ferme une prison » Dans le même esprit, la musique devrait permettre de fortifier le lien social, culturel, artistique entre les humains.
Recueillis par Marie-Josée Latorre
Source : La Marseillaise en Commun Aout 2018