Non, Facebook n’a pas fait élire Trump

Donald Trump « warholisé » - Pixabay/CC0

Donald Trump « warholisé » – Pixabay/CC0

Beaucoup de voix critiquent Facebook, accusé d’avoir fait monter Trump. C’est méconnaître ce qui se joue vraiment dans une élection et c’est une façon facile de ne pas voir en face la réalité du vote Trump.

Pour les critiques, cette sélection des contenus selon des critères hyper-personnalisés finit par créer des « bulles filtrantes » (filter bubbles) : des univers où les utilisateurs ne sont exposés qu’à des contenus qui reflètent ce qu’ils aiment et pensent déjà.

A travers les réseaux sociaux, « nous recevons des informations de personnes qui nous ressemblent et qui ont des centres d’intérêt proches des nôtres », dit le chercheur et activiste Ethan Zuckerman.

Au lendemain de l’élection de Donald Trump, plusieurs médias américains font le procès de Facebook et de son algorithme comme l’un des rouages de leur aveuglement. « Comment Facebook a aidé Donald Trump à devenir président », titre Forbes. Plus direct, Select All, un site du New York Mag, y va cash : « Donald Trump a gagné à cause de Facebook. »

La thèse est séduisante et rassurante au lendemain de la victoire. Mais si les critiques ne sont pas dénuées de fondement, il est faux, et hypocrite, de dire que Facebook a fait élire Trump.

D’abord parce que l’idée surestime le rôle des médias dans les votes. Ensuite parce qu’elle refuse de voir les vraies raisons du vote Trump. Et enfin parce qu’elle blâme Facebook pour tout un système – dont les sites qui accusent maintenant la plateforme font partie.

« Chambres d’écho »

Commençons par rappeler les critiques adressées à Facebook, qui est devenu une source d’informations majeures :

« [Facebook] centralise la consommation d’informations en ligne », écrivait John Herrman dans le New York Times. Parmi les 67% d’adultes américains disant utiliser Facebook, 44% expliquent l’utiliser comme source d’information, avançait une récente étude du Pew Research Center. Pour le journaliste, une grande partie des discussions politiques aux Etats-Unis se déroulent aujourd’hui sur Facebook.

Les critiques se concentrent d’abord sur le fil d’actualité (« newsfeed »), la fonctionnalité centrale de Facebook, qui permet de voir ce que ses amis partagent. Ce fil est personnalisé par un algorithme – et c’est le cœur du problème.

L’algorithme sélectionne explicitement les statuts, les articles ou les photos que ses utilisateurs sont plus susceptibles d’aimer et de commenter, en fonction de ce sur quoi ils ont déjà cliqué, liké, etc. Facebook cherche explicitement à provoquer ce qu’ils appellent l’engagement, car c’est un moyen de retenir plus longtemps les gens sur leur plateforme.

Les filtres des algorithmes écartent les contenus dissonnants et les mondes numériques des plateformes se peuplent alors de voix similaires, devenant des « chambres d’écho » qui déforment nos perceptions, en nous donnant l’impression fallacieuse que le monde pense comme nous.

Un journaliste britannique décrivait ainsi cette bulle filtrante : « Plus de 58 millions de personnes ont voté pour Trump. Je n’en connais aucune. »

Dans une appli, le Wall Street Journal avait montré ce que peuvent donner ces chambres d’écho en reproduisant côte à côte un fil conservateur (les articles proviennent de sources classées comme telles) et un autre plus à gauche. Voilà par exemple ce que deux utilisateurs différents pouvaient voir de Donald Trump ce vendredi matin :

Danger pour la démocratie

Certains, comme le militant de l’Internet Eli Pariser, ont pointé il y a déjà plusieurs années les dangers de ces dynamiques pour la démocratie :

« En fin de compte, la démocratie ne fonctionne que si les citoyens sont capables de penser au-delà de leurs propres intérêts. Mais pour le faire, nous avons besoin d’une vision commune du monde. Nous avons besoin d’entrer en contact avec la vie d’autres personnes, leurs besoins et désirs. La bulle filtrante nous pousse dans une direction opposée – elle crée l’impression que nos intérêts personnels sont tout ce qui existe.

Alors que si c’est une bonne chose pour faire consommer les gens, ce n’est en pas une pour faire en sorte que les gens prennent des décisions ensemble. »

C’est cette critique ancienne qui ressurgit aujourd’hui.

La fracture constatée au lendemain de l’élection et le désarroi des gens qui croyaient dur comme fer que Clinton serait élue s’expliquerait en partie par ces chambres d’écho. Pour Science of Us, c’est ce qui explique pourquoi le trumpisme a prospéré et pourquoi tant de personnes en ont été isolées.

Facebook polarise les contenus

Une autre critique récurrente concerne la polarisation des contenus. En favorisant les contenus populaires et largement partagés, Facebook encourage la création de contenus chocs, aux titres forts susceptibles d’être partagés dans l’économie de la viralité.

Comme les journaux sont de plus en plus dépendants de Facebook pour faire lire leurs contenus et toucher leur audience, ils se trouvent également poussés à produire des articles « clickbait », sensationnalistes et outranciers dans l’espoir de faire cliquer. Pour Vox, c’est ce qui explique que les élections américaines de 2016 ont pris un « ton si apocalyptique ».

Et au jeu de la phrase choc et de la production de contenus viraux, Trump est le candidat idéal. C’est aussi en ce sens que Facebook aurait favorisé Trump : parce que la plateforme, par essence, favorise les petits contenus clivants et partagés.

Pendant cette élection, cette dynamique a, souligne Science of Us, encouragé la création de de pages idéologiquement très marquées ou de tout petits sites à l’audience inversement proportionnelle grâce à des contenus viraux.

Ceux-ci sont une affaire lucrative : Buzzfeed a ainsi révélé qu’une poignée de Macédoniens avaient créé et géré une centaine de sites pro-Trump. Pas parce qu’ils appréciaient le candidat, mais pour les revenus publicitaires générés par leurs contenus. « Ils publient presque tous des contenus agressifs pro-Trump destinés aux conservateurs et partisans de Trump aux Etats-Unis », explique le journal. « L’enquête de BuzzFeed News a également établi que les articles qui fonctionnaient le mieux sur ces sites étaient presque tous faux ou trompeurs. »

Et ne peut pas lutter contre les fausses infos

Autre critique soulevée : l’incapacité de Facebook à contrer les hoax et les informations fausses. Facebook ne distingue pas dans le fil des utilisateurs ces infos erronées ou bidons, qui génèrent de l’audience.

« Si quelqu’un partage un article d’un politicien qui rentre dans votre conception du monde, mais que ce contenu est complètement faux, vous le verrez dans votre fil d’actualité », résume Business Insider. Les fact-checkeurs n’arrivent pas à se faire entendre. Une histoire fausse mais frappante risque de générer plus d’engagement qu’un article sérieux démontant ces infos fausses.

Sur cette place trop grande laissée aux infos fausses ou complètement bidons, Facebook répondait à Vox utiliser plusieurs signaux pour détecter ces contenus et réduire leur portée.

« Malgré ces efforts nous comprenons qu’il y a beaucoup de choses que nous devons faire et qu’il est important de continuer à améliorer notre capacité à détecter la désinformation. »

« Nous sommes une plateforme »

De son côté, Facebook se justifie avec une ligne de défense qui ne change pas : nous sommes une plateforme qui distribue des contenus et pas un média. C’est ce qu’a répondu en août son PDG Mark Zuckerberg :

« Quand vous imaginez un média, vous pensez à des gens qui produisent des contenus, qui les éditent – ça ce n’est pas ce que nous faisons. Notre raison d’être, c’est de vous donner des outils pour sélectionner et choisir, pour avoir l’expérience utilisateur de votre choix et vous connecter aux gens, aux institutions, aux entreprises et aux institutions de votre choix. »

Les critères de Facebook, détaillés sur son blog, sont fort clairs :

« Facebook est fondé sur l’idée de connecter les gens avec leurs amis et leurs familles. C’est toujours le principe directeur du fil d’actualités aujourd’hui. »

Les détracteurs de Facebook estiment qu’aujourd’hui, au vu du rôle que joue la plateforme, cet argument est trop limité. Facebook, disent-ils, doit prendre ses responsabilités politiques.

Mauvaise foi

Une fois n’est pas coutume, on va prendre (un peu) la défense de Facebook dans ce débat. Est-ce que Facebook est biaisé ? Bien sûr. Est-ce un problème qu’un algorithme protégé par le secret commercial détermine dans des conditions relativement opaques ce que vous voyez ? Oui.

Mais Facebook – et Dieu sait qu’on est méfiant ici à son sujet – ne peut certainement pas être responsable à lui tout seul du système qu’il incarne, ni des maux structurels de la démocratie représentative américaine, encore moins de ses fractures. Démonstration.

  • Blâmer Facebook c’est se dédouaner facilement au nom d’un passé informationnel mythique.

Quand Forbes dénonce :

« Facebook vous montre des commentaires, des statuts et des infos qui vous procurent un influx constant de shoots de dopamine. Facebook place en haut de votre fil des histoires avec lesquelles vous êtes entièrement d’accord, plutôt que des histoires et des commentaires qui vont à l’encontre de vos préjugés et de votre façon de voir le monde. »

C’est un peu facile. Est-ce qu’avant les bulles filtrantes on était réellement ces citoyens modèles des Lumières, nourris d’une information diverse et de qualité, qu’on lisait avec intérêt et qui nous permettait de nous former des jugements éclairés en matière de politique ?

Probablement pas. Les gens avaient plein de moyens d’éviter les histoires allant à l’encontre de leurs préjugés, à commencer par décider d’acheter L’Huma ou le Figaro.

  • Facebook et son algorithme sont-ils vraiment responsables si les libéraux (au sens américain) n’ont pas compris qu’une large partie du pays ne pensait pas comme eux ?

La déconnexion entre les élites urbaines et les zones rurales ne date pas des réseaux sociaux. Le fait de vivre entre soi a été identifiée depuis longtemps par la sociologie et porte un nom : « l’homophilie », la tendance à aimer ceux et celles qui nous ressemblent.

Quant à blâmer Facebook parce qu’on y trouve de faux comptes et que les fausses news s’y propagent facilement… c’est un peu comme blâmer l’imprimerie parce qu’elle a permis d’imprimer « Les Protocoles des Sages de Sion ».

Les raisons structurelles du vote Trump

Oui on exagère un peu. Mais il y a quelque chose de troublant dans ce retournement unanime contre Facebook. L’élection de Trump est un séisme, comme le répète toujours en une le New York Times. Se tourner vers Facebook n’est-il pas aussi une façon d’éviter de voir la réalité en face ?

Trump n’est ni une pure création médiatique ni un fou, pour lesquels n’auraient voté que des consommateurs de médias abrutis par une fréquentation trop courante de Facebook.

Comme nous le rappelions mercredi dans un papier d’analyse, le vote Trump s’explique par des dynamiques anciennes. Parmi lesquelles :

  • racisme enraciné et « dernier tour de piste du mâle blanc », comme disait Michael Moore ;
  • dynamiques de classe complexes ne se résumant pas au vote des pauvres Blancs ;
  • montée de la colère des régions dévastées par la chute de l’industrie ;
  • mutation du parti républicain qui a favorisé l’émergence de candidats clivants ;
  • « guerres culturelles » qui opposent depuis au moins la période des droits civiques les tenants d’une Amérique multiculturelle en mutation aux partisans de « la terre et du sang », comme disait l’éditorialiste du New York Times Paul Krugman ;
  • rejet des élites symbolisées par Clinton ;
  • désir de changement quelles qu’en soient les conséquences…

Blâmer Facebook est une façon commode de refuser de voir ce qu’ont tenté d’exprimer les électeurs de Trump.

Les médias n’influencent le vote qu’à la marge

L’autre grand point faible de l’argumentation, c’est l’idée, qui sous-tend ces critiques, que les médias influencent beaucoup les résultats du vote. D’où les inquiétudes sur les chambres d’écho, les contenus qui feraient voter Trump etc. Or

« La perspective dominante dans la communauté universitaire a longtemps été que les médias avaient des effets limités sur les électeurs »

écrit [PDF] le chercheur Christophe Piar, spécialiste de l »interaction entre médias et politique.

Les travaux en sociologie tendent à montrer que beaucoup d’autres facteurs jouent sur les choix électoraux, bien avant les médias consommés.

Ainsi, rappelait en 2012 la professeure de science politique Brigitte Le Grignou dans Télérama, une étude menée pendant la campagne présidentielle américaine de 1940, qui fait toujours référence, avait montré que la majorité des électeurs (60%) savaient pour qui ils allaient voter avant la campagne. 20% se déterminaient au moment des primaires et il ne restait donc que 20% à convaincre pendant la campagne proprement dite. Et ces candidats dont le vote reste ouvert pendant la campagne, après les primaires, étaient aussi ceux qu’elle intéressait le moins.

Les sociologues auteurs de l’étude, avaient conclu que les électeurs étaient surtout déterminés par leur statut social, leur religion et leur lieu de résidence.

Plus près de nous, en 2007, deux chercheurs américains ont étudié l’effet de Fox News sur le vote républicain. Comme Fox News n’est pas arrivée en même temps dans toutes les villes, les chercheurs ont pu comparer le vote républicain des téléspectateurs qui avaient accès à Fox News et celui de ceux qui ne pouvaient pas regarder la chaîne. Cette étude a montré que le fait d’avoir ou non accès à Fox n’avait qu’un impact statistiquement insignifiant, dans l’augmentation de la part des votes républicain.

A ce résultat, il y avait deux explications possibles : le biais de confirmation (on aborde une information avec ses opinions préconçues et on la « filtre » à cette aune) ou le regard critique des gens, qui sont capables de recevoir l’information de Fox comme biaisée.

D’autres travaux de socio soulignent aussi le poids de facteurs plus influents que les médias, comme l’importance de l’entourage, des parents, amis, collègues etc, qui exercent aussi une pression des pairs.

Et ce n’est pas nouveau : pour ne prendre qu’un exemple, des chercheurs ont constaté que l’effet de la propagande antisémite nazie diffusée à la radio dépendait très largement des prédispositions des auditeurs :

« La radio nazie était la plus efficace dans les endroits où l’antisémitisme était traditionnellement important, mais elle avait des effets négatifs là où l’antisémitisme était traditionnellement faible. »

Bref, les médias influencent certains électeurs, à la marge, et en combinaison avec d’autres facteurs qui pèsent bien plus lourd qu’eux.

La faute à tout un écosystème

Ça ne veut pas dire pour autant que les médias n’influencent pas la politique. Ils ont des effets très nets [PDF] sur la façon dont elle est présentée : croissance des petites phrases, des thèmes chocs, création de « l’agenda médiatique » qui détermine des thèmes favoris de la campagne…

Indéniablement, Facebook fait partie du problème. Mais le problème est celui de tout un système, pas seulement d’une plateforme. Facebook, c’est l’arbre qui cache la forêt.

Ce qu’on reproche à Facebook, c’est le produit d’évolutions politiques d’une part et de tout un écosystème médiatique d’autre part.

C’est ce qu’explique Fred Turner, professeur à Stanford et grand historien des origines d’Internet, invité mardi à une conférence à Sciences-Po.

Trump est d’une part le produit de la montée de l’autoritarisme personnel : une forme de pouvoir fondée sur une personnalité, comme celle de Trump, où la capacité à émouvoir compte plus que les faits avancés.

D’autre part, il y a effectivement un écosystème médiatique qui lui correspond et le renforce – mais dont Facebook n’est qu’un rouage.

« Quand une nouvelle technologie apparaît, elle remplace rarement les anciennes. Les technologies ont tendance à se superposer. »

Il faut y ajouter Twitter, Fox News, les chaînes d’info, les sites pressurés par la baisse des audiences, la publicité, l’économie de l’attention…

C’est l’ensemble, dit Turner, qui est devenu insoutenable :

« L’individualisme aujourd’hui est un problème. Nous ne pouvons plus poursuivre l’expression individuelle comme but politique. Nous ne pouvons plus compter sur des systèmes qui mettent en avant l’expression individuelle pour changer la société. »

Devant le parterre d’étudiants de Sciences-Po, le prof de Stanford, venu de Californie, s’avouait à court de solutions miracles. « Nous avons besoin d’institutions publiques. La politique est difficile, souvent ennuyeuse. Mais l’alternative, c’est le monde de Donald Trump et Facebook. »

C’était quelques heures avant le résultat des élections.

Claire Richard et, Emilie Brouze

Source Rue 89, 11/11/2016

Voir aussi : Rubrique Médias, rubrique Internet, rubrique Société, Opinion, rubrique Politique, rubrique International, rubrique Etats-Unis, Fucking Tuesday,

Trump se cherche une posture de transition

5030050_6_07f6_donald-trump-et-l-ancien-maire-de-new-york_4714935c46c49f78942c38a7678eecf2

Le tombeur d’Hillary Clinton lors de la présidentielle américaine du 8 novembre tente de calmer son parti et ses détracteurs.

Le compte Twitter @realDonaldTrump a à nouveau tonné, deux jours après la victoire de son propriétaire. Jeudi 10 novembre au soir, à son retour de Washington où il avait rencontré Barack Obama et les responsables républicains du Congrès, le futur 45e président des Etats-Unis a pesté contre « les manifestants professionnels incités par les médias » à contester sa victoire. Mais, quelques heures plus tard, le nouveau champion de l’unité américaine se ravisait : « J’apprécie le fait que les petits groupes de protestataires, la nuit dernière, aient la passion de notre grand pays. Nous allons nous rassembler et en être fiers ! »

Les premiers jours du tombeur d’Hillary Clinton sont marqués par le va-et-vient entre les postures de campagne, et celles de président élu. La journée de vendredi en a apporté la preuve. Le magnat de l’immobilier a en effet remanié l’équipe chargée de la transition qui doit faire en sorte que sa future administration puisse prendre ses fonctions dès son intronisation, le 20 janvier 2017.

Le gouverneur du New Jersey, Chris Christie, le premier poids lourd républicain à avoir rallié M. Trump, recule d’un cran au profit du vice-président Mike Pence, propulsé à la tête de l’équipe de transition. M. Christie paie sans doute des ennuis judiciaires, à savoir la condamnation de deux de ses proches conseillers dans un scandale tragicomique dans son Etat, le Bridgegate (l’organisation d’un gigantesque embouteillage pour sanctionner un opposant politique). Quant à M. Pence, il est choisi à la fois pour ses lettres de créances conservatrices et sa bonne connaissance du Congrès, où il a siégé pendant plus d’une décennie et où il a présidé pendant deux ans une haute instance républicaine.

Equipe étoffée

Les autres proches conseillers de M. Trump, le sénateur Jeff Sessions (Alabama), l’ancien maire de New York Rudolph Giuliani, l’ancien speaker (président) de la Chambre Newt Gingrich et le général Michael Flynn, ancien directeur du renseignement, sont rejoints par un ancien outsider de la course à l’investiture, l’ultra­conservateur Ben Carson, neurochirurgien à la retraite. Tous peuvent espérer des postes éminents dans la prochaine administration.

L’équipe de transition, étoffée, hésite cependant entre l’ancien candidat et le futur président. On y retrouve désormais les principaux membres du commando sur lesquels il s’est appuyé : ses trois premiers enfants, Donald Jr, Ivanka, Eric, ainsi que son gendre, Jared Kushner, mais aussi ses deux responsables de campagne, la stratège Kellyanne Conway et l’ancien dirigeant du site d’information radical Breitbart News, Stephen ­Bannon, ainsi que Rebekah Mercer, la fille du milliardaire Robert Mercer, très liée aux deux précédents, ou encore David Bossie, un militant républicain ultra à l’origine de l’arrêt de la Cour suprême qui a supprimé en 2010 les plafonds aux dépenses de campagne.

L’équipe de transition compte également des parlementaires : Devin Nunes (Californie), climato­sceptique et conservateur fiscal, Marsha Blackburn (Tennessee), conservatrice sociale, Chris Collins (New York), l’un des premiers élus de la Chambre des représentants à avoir rejoint M. Trump, comme Lou Barletta (Pennsylvanie), connu pour ses positions très dures sur l’immigration. La procureure générale de Floride Pam Bondi, une proche du milliardaire qui a soutenu financièrement ses campagnes par le biais de sa fondation, y figure également.

Entorse à sa promesse

Ce cercle élargi reste cependant bien insuffisant pour répondre aux exigences de la transition, à savoir la nomination d’environ quatre mille noms à des postes-clés qui suivent les alternances politiques. Selon le New York ­Times (qui a soutenu l’adversaire démocrate de M. Trump, Hillary Clinton), des lobbyistes liés à de grands groupes énergétiques et alimentaires auraient déjà rejoint l’entourage du président élu. Leur présence constituerait une entorse à la promesse du candidat « d’assécher le marigot », à savoir de couper les ponts entre les groupes d’intérêts et l’administration.

Une autre hésitation a été révélée au cours d’un entretien accordé par Donald Trump au Wall Street Journal dans lequel il s’exprime sur la réforme de santé instaurée par Barack Obama et que le Parti républicain a symboliquement supprimée à la Chambre des représentants à soixante reprises. Au lendemain de son entretien avec le président, M. Trump a semblé partagé. « Obamacare sera soit amendée, soit abrogée, soit remplacée », a-t-il assuré. M. Obama l’a-t-il convaincu pendant leur entretien d’y réfléchir à deux fois ? Toujours est-il que M. Trump « aime beaucoup », désormais, certaines de ses dispositions.

Ces signaux contradictoires pourraient commencer à se dissiper lorsque viendra l’heure des premiers choix. Une indication sera donnée avec le nom retenu pour le poste de chief of staff de la Maison Blanche, une fonction qui tient à la fois du poste de premier ministre et de directeur de cabinet. Celui du plus haut-responsable du Parti républicain, Reince Priebus, est avancé, de même que celui, beaucoup plus surprenant, de M. Bannon. M. Trump devra compter de toute façon sur la vigilance de l’aile droite du Grand Old Party. « Les républicains disposent d’un monopole à Washington, nous voulons nos victoires », a exigé ainsi vendredi le polémiste ultraconservateur Mark Levin.

Gilles Paris

Source Le Monde 12/11/2016

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Etats-Unis, rubrique Politique, Fucking Tuesday,

Fucking Tuesday

imagesUne sélection d’articles parus dans la presse française et anglo-saxonne pour comprendre et prolonger la réflexion.

 

LEçON POLITIQUE.

Viser l’intérêt premier de l’électeur même si tout ce que vous dites est contradictoire

No, Trump voters were not irrational 

Source The Washington Post

 

 

Trump, le châtiment

Défaite du néolibéralisme « de gauche »

Commencée il y a dix-huit mois, l’élection présidentielle s’est conclue après les dizaines de scrutins des primaires, deux conventions à grand spectacle dans des États industriellement sinistrés, des dizaines de milliers de spots de publicité politique et plusieurs milliards de dollars, par un match entre deux Américains richissimes, l’un et l’autre résidents de New York et détestés par la majorité de la population. C’est finalement le candidat républicain honni par les médias, les élites de Washington et même les caciques de « son » propre parti, qui l’a emporté. Celui qui a le moins dépensé et que tout le monde donnait perdant.

Durant cette interminable campagne, l’attention des commentateurs s’est souvent portée sur les provocations racistes et sexistes du futur président des États-Unis, ses scandales, ses excès, Mme Hillary Clinton étant présentée par contraste comme la candidate formée depuis toujours pour hériter de la Maison Blanche en même temps qu’elle briserait, raisonnablement, le « plafond de verre ». Mais rassurer l’establishment et séduire les électeurs ne sont pas des exercices toujours compatibles…

D’aucuns analysent déjà les résultats d’hier comme une preuve de la régression de l’Amérique dans le nationalisme, le « populisme », le racisme, le machisme : le vote républicain serait principalement déterminé par un rejet de l’immigration, un désir de repli, une volonté de revenir sur les conquêtes progressistes des cinquante dernières années. Or si M. Trump l’a emporté, en réalisant apparemment de meilleurs scores chez les Noirs et les Latinos que son prédécesseur Willard Mitt Romney, c’est avant tout parce que les démocrates se sont révélés incapables de conserver en 2016 l’appui des électeurs que M. Barack Obama avait su convaincre en 2008 et en 2012, en Floride ou dans les États de la « Rust Belt ».

La victoire de M. Trump, c’est donc avant tout la défaite du néolibéralisme « de gauche » incarné par Mme Clinton : son culte des diplômes et des experts, sa passion pour l’innovation et les milliardaires de la Silicon Valley, sa morgue sociale et intellectuelle. L’instrument du châtiment est redoutable. Mais la leçon sera-t-elle retenue ailleurs ?

Source Le Monde Diplomatique 09/11/2016

 

 

 

live-head-to-head-president@sm

00@sm

 

Les électeurs blancs et riches ont donné la victoire à Donald Trump

Le résultat des élections américaines est loin d’être une simple  révolte  des Blancs les plus pauvres laissés pour compte par la mondialisation. Les sondages de sortie des urnes laissent apparaître que la victoire de Trump s’appuie aussi pour bonne part sur la classe moyenne blanche instruite et la classe aisée.

White and wealthy voters gave victory to Donald Trump, exit polls show

Source The Gardian

 

 

Le New York Times le reconnaît ce matin  : ses équipes n’ont pas pris la mesure de ce qui se passai

« Les journalistes n’ont pas remis en question les chiffres des sondages quand ceux-ci confirmaient ce que leur disait leur instinct : que Trump n’arriverait jamais, jamais, à la Maison Blanche, et de loin. Ils ont décrits les partisans de Trump qui croyaient à la victoire comme totalement déconnectés de la réalité. Mais c’étaient eux qui avaient tort. »

 

Source New York Times 10/11/2016

 

 

La démocratie après les faits (divers)

Depuis le Brexit et la campagne Trump, la presse anglo-saxonne s’interroge profondément sur le statut des faits dans les démocraties contemporaines.

La campagne pro-Brexit a été menée avec des arguments factuellement faux, aussi faux qu’environ 70 % des arguments de Trump selon les fact-checkers.

De plus en plus d’analystes avancent que nous sommes entrés, en grande partie avec les réseaux sociaux, dans une ère « post-faits », où les faits ne comptent pas, la vérité est une donnée annexe, et seuls pèsent dans la balance le spectacle et l’émotion.

Cela s’explique par, entre autres,

  • la montée de populismes centrés sur des individus charismatiques jouant sur l’émotion,
  •  le rôle des réseaux sociaux et des « chambres d’écho » ce phénomène qui fait que les filtres algorithmiques ont tendance à montrer des contenus homogènes à ceux des utilisateurs. Plusieurs voix dénoncent depuis longtemps ce filtrage algorithmique qui éclate le public en « bulles », et selon certains, menace la sphère publique démocratique telle qu’on la connaît,
  • la crise du secteur des médias, qui privilégient les titres sensationnels assurés de faire cliquer, et les contenus viraux.

C’est, selon de nombreux analystes, une des clés du succès de Trump. Il a été le spécialiste des contenus qui polarisent et qu’on adore ou qu’on déteste. Dans les deux cas, ils sont partagés sur les réseaux sociaux, par ses partisans et ses adversaires, puis repris à la télé. Tout ce cycle de viralité produit énormément d’argent, et de publicité pour Trump, qui a déboursé pour sa campagne bien moins qu’un Jeb Bush, par exemple.

Face à cela, le fact-checking est de moins en moins efficace.

source Washington Post.

Dans ce monde, les sentiments comptent plus que les faits et les chiffres valent comme indicateurs de ces sentiments (que ressentent les électeurs ?) non comme marqueurs de la vérité,  « L’époque de la politique post-faits ».

Source New York Times

 

 

Dans ce contexte, comment encore s’accorder sur des faits partagés, sur l’existence de vérités communes, sociales, économiques, environnementales ?

C’est ce que se demandait cet été la rédactrice en chef du Guardian cet été dans un long article désabusé. « Le statut de la vérité chute  », écrivait-elle.

La logique des réseaux sociaux a avalé tout le reste, dit-elle, et imposé une culture de la viralité et de l’équivalence, où tout contenu s’équivaut comme potentiellement doté d’une mesure de vérité, variable selon ses opinions.

Et le secteur qui était chargé d’informer le public est moribond :

« Nous sommes en train de vivre un bouleversement fondamental dans les values du journalisme : une transition vers le consumérisme. Au lieu de renforcer les liens sociaux, ou de créer un public informé, l’idée que l’information est un bien public et une nécessité en démocratie, il suscite des gangs, qui répandent des rumeurs qui les confortent comme des traînées de poudre,renforcent les opinions prééxistantes et s’auto-entraînent dans un univers d’opinions partagées plutôt que de faits établis. »

Source Le Guardian 12/07/2016

 

 

DANS LE MONDE

 

 

L’élection de Donald Trump va être un séisme pour le monde

Le candidat républicain a fondé sa campagne sur la promesse de « rendre sa grandeur à l’Amérique ». Quelles conséquences pour le reste du monde

Si le vote pour le Brexit, le 23 juin, a été un séisme pour l’Union européenne, l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis, première puissance militaire, est un séisme pour le monde.

Le candidat républicain a fondé sa campagne sur la promesse de « rendre sa grandeur à l’Amérique ». Cette grandeur, cependant, ne s’entend pas par la projection de la puissance américaine à l’extérieur, mais plutôt sur une priorité donnée au retour du bien-être et de la prospérité des Américains chez eux. Le pays « est en ruines », dit M. Trump, il faut commencer par le reconstruire. Pour le reste du monde, cela donne un signal de repli et d’isolationnisme.

On sait, en réalité, assez peu de chose sur le programme concret de Donald Trump en politique étrangère car ses conseillers dans ce domaine sont peu connus ; l’establishment washingtonien et le petit monde des think tanks spécialisés dans les relations internationales, qui conseillent habituellement les candidats en politique étrangère, se sont tenus à distance de lui et de ses vues peu orthodoxes. Mais M. Trump a régulièrement émis quelques idées maîtresses qui donnent un canevas de ce que pourrait être sa diplomatie.

Vis-à-vis de l’Europe, Donald Trump, qui a soutenu le vote en faveur du Brexit en critiquant l’Union européenne, considère qu’il appartient aux Européens de se prendre en charge et surtout de financer leur défense, plutôt que de s’abriter sous le parapluie américain. Ainsi l’OTAN ne peut fonctionner, et les Etats-Unis venir au secours d’un allié dans l’éventualité d’une attaque, que si les Etats européens augmentent leurs budgets de défense.

Placer « les intérêts américains en premier »

Donald Trump est critique de l’interventionnisme américain à l’étranger et du cycle d’opérations militaires lancé par l’administration George W. Bush. Il est, dans ce sens, anti-néo-conservateur. Le président Obama lui-même avait promis de « ramener les troupes à la maison », mais la réalité du Moyen-Orient l’a contraint à maintenir ou à lancer un certain nombre d’opérations. M. Trump se veut plus radical, tout en souhaitant augmenter la taille de l’armée américaine : pour la coalition internationale (dont la France) actuellement engagée aux côtés des États-Unis, en particulier sur le théâtre irakien et syrien, c’est une nouvelle donne. Violemment hostile aux « djihadistes », qu’il accuse Hillary Clinton d’avoir engendrés, il a promis de les « mettre KO » – mais n’a pas précisé comment.

« Nous nous entendrons avec tous les pays qui veulent s’entendre avec nous » : dans son discours de victoire, mercredi matin, le président-élu Trump a voulu se montrer conciliant, tout en précisant qu’il placerait « les intérêts américains en premier ». Un grand point d’interrogation concerne les relations avec la Russie, qui se sont gravement détériorées depuis un an. Donald Trump a, à plusieurs reprises, chanté les louanges de Vladimir Poutine, qu’il considère comme « un meilleur leader que Barack Obama », et les services de renseignement américains ont accusé la Russie d’être derrière le piratage des comptes e-mail qui ont embarrassé le camp de Hillary Clinton pendant la campagne. Mais les deux hommes ne se connaissent pas personnellement, et le président russe s’est abstenu de souhaiter publiquement la victoire du candidat républicain. Comme Vladimir Poutine, Donald Trump est sensible aux rapports de force. Sa fascination pour l’homme à poigne de Moscou ira-t-elle jusqu’à accepter certaines de ses visées sur le voisinage de la Russie (Ukraine, Géorgie) et le Moyen-Orient, voire l’idée d’un deuxième Yalta auquel aspirerait M. Poutine ? Le candidat républicain est resté très évasif sur ces questions. Mais on peut parier qu’il s’entourera de vieux routiers de la guerre froide, qui vont retrouver quelques éléments familiers dans le paysage actuel et ne seront pas disposés à brader les intérêts américains en Europe.

Donald Trump veut dénoncer l’accord de Paris sur le réchauffement climatique : le fera-t-il ? Un autre axe de sa campagne a porté sur le rejet de la mondialisation et des accords de commerce international, accusés d’avoir détruit l’emploi aux États-Unis. L’une des grandes bénéficiaires de cette mondialisation, la Chine, est donc dans son viseur. Il veut instaurer des barrières tarifaires sur les produits chinois, il rejette l’accord de libre-échange avec l’Asie TPP (Partenariat Transpacifique) et a proposé de renégocier l’accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique conclu par Bill Clinton. Il ne s’est pas prononcé sur les tensions en mer de Chine méridionale. Sur ces très gros dossiers, cruciaux pour les Etats-Unis, il va avoir affaire à un autre homme fort, le président Xi Jinping.

Autre conséquence d’une victoire Trump : elle confortera les mouvements et leaders populistes du monde entier, de l’Europe à l’Asie. Cela aura forcément un impact sur les relations internationales.

Enfin, les institutions américaines accordent plus de latitude au président en politique étrangère qu’en politique intérieure, où les « checks and balances » servent de garde-fous. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour le reste du monde. Mais on peut aussi imaginer que la réalité et le pragmatisme amèneront le président Trump à tempérer certaines de ses vues, comme cela a été le cas pour Ronald Reagan, et que les élites républicaines de politique étrangère, après leurs réticences initiales, le rejoindront une fois au pouvoir. La période de transition, au cours de laquelle il va former sa future équipe d’ici au 20 janvier, va fournir à cet égard des indications anxieusement attendues dans le monde entier.

Sylvie Kauffmann

Source Le Monde 09/11/2016

 

 

Au Proche-Orient, Donald Trump attendu sur le dossier syrien

Le républicain semble être plutôt favorable au régime de Bachar Al-Assad, tout en rejetant l’accord nucléaire iranien.

Le Proche-Orient s’est réveillé mercredi 9 novembre sous le choc de la victoire de Donald Trump. Alors qu’Hillary Clinton, forte de ses quatre années à la tête du département d’Etat, garantissait une forme de continuité diplomatique, l’inexpérience en politique étrangère du nouveau président et son penchant pour l’autoritarisme sont lourds d’incertitudes pour la région. « Les Etats-Unis ne peuvent plus se poser en champion de la morale », a tranché sur Facebook Sultan Sooud Al-Qassemi, un célèbre commentateur des Emirats arabes unis.

C’est sur le dossier syrien que le nouveau président est évidemment le plus attendu. Durant la campagne, le candidat républicain s’était signalé par des positions plutôt favorables au régime Assad, ou du moins à son allié russe, au point de contredire publiquement son colistier, Mike Pence, qui avait appelé à « l’usage de la force militaire » contre les autorités syriennes.

« Je n’aime pas Assad. Mais Assad fait la guerre à l’Etat islamique. La Russie fait la guerre à l’Etat islamique. Et l’Iran fait la guerre à l’Etat islamique », avait déclaré M. Trump, lors du second débat télévisé avec Hillary Clinton, avant de moquer l’intention de son adversaire, en cas de victoire, d’accroître le soutien de Washington à l’opposition syrienne : « Elle veut se battre pour les rebelles. Il y a seulement un problème. On ne sait même pas qui sont les rebelles. »

Mercredi matin, avant le bouclage de cette édition, Damas n’avait pas réagi au triomphe de M. Trump. Nul doute cependant que la chute d’Hillary Clinton ravit le président syrien, Bachar Al-Assad, qui voit ainsi disparaître l’une de ses bêtes noires.

  • Crainte et attentisme dans le Golfe

Dans le Golfe, une forme d’attentisme mêlée de crainte prévaut. Une vidéo du vainqueur déclarant que les Etats du Golfe ne seraient rien sans le soutien des Etats-Unis et qu’il entend les faire payer pour reconstruire la Syrie a été retweeté des milliers de fois en l’espace d’une heure.

L’inquiétude suscitée dans les palais de la péninsule par ce genre de déclarations, la rhétorique antimusulmans et l’isolationnisme revendiqué du nouveau président est cependant tempérée par un intérêt non dissimulé pour son opposition marquée à l’accord sur le nucléaire iranien conclu par Barack Obama, « l’accord le plus stupide de l’histoire », selon M. Trump.

  • Première réaction prudente en Iran

« Prévoir ce que sera sa politique étrangère au Moyen-Orient est la chose la plus difficile qui soit, affirme le journaliste saoudien Jamal Kashoggi. Il est contre l’Iran, mais il soutient Poutine en Syrie, ce qui le range du côté de l’Iran. »

La première réaction de Téhéran est prudente. « L’Iran est prêt pour tout changement », a déclaré le porte-parole de l’Organisation de l’énergie atomique, Behrouz Kamalvandi, à l’agence semi-officielle Tasnim.

Lire aussi :   En Iran, Hillary Clinton est perçue comme « la candidate la moins pire »

  • Sentiments mêlés en Israël

Israël, de son côté, accueille la victoire de Donald Trump avec des sentiments mêlés. Son entourage est connu pour être très pro-israélien, mais le candidat a charrié dans son sillage des forces suprémacistes et antisémites. Il s’est constamment opposé à l’accord sur le nucléaire iranien, mais sans expliquer ce qu’il en ferait, une fois élu. En outre, va-t-il marquer une rupture explosive en déménageant l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem ? Il en a fait la promesse, à plusieurs reprises.

Mais auparavant, Donald Trump avait envoyé des signaux incohérents. En février, par exemple, il avait expliqué qu’il voulait être « une sorte de gars neutre » dans la recherche d’une solution au conflit israélo-palestinien. Une expression qui avait inquiété les officiels israéliens.

En mars, il avait dit qu’Israël, comme d’autres pays, « payera » pour l’aide militaire américaine, alors qu’un nouvel accord sur dix ans, d’un montant de 38 milliards de dollars, vient d’être conclu entre les deux partenaires. Depuis, il a multiplié les signaux amicaux à l’égard d’Israël. En mai, Sheldon Adelson, magnat des casinos aux Etats-Unis et soutien indéfectible de Benyamin Nétanyahou, s’était décidé à appuyer sa candidature.

Par Ghazal Golshiri (Téhéran, correspondance), Piotr Smolar (Jérusalem, correspondant) et Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)

Source : Le Monde 09/11/2016

 

LES APPUIS

 

Le phénomène Trump s’explique aussi par l’histoire du parti républicain, indique un article du Times Literary Supplement. Il est l’aboutissement d’un long conflit entre deux tendances, qui remontent à sa formation  :

  • d’un côté les «  Yankees  », anciens aristocrates et barons industriels militants de l’abolition de l’esclavage et plutôt internationalistes,
  • et de l’autre «  les cowboys  », les nouveaux riches ayant fait fortune dans l’industrie du pétrole, l’aérospatiale et la défense, et le commerce, largement plus conservateurs.

La radicalité de Trump s’explique aussi par le changement de composition du parti démocrate. Celui-ci s’est opéré dans les années 1960. Auparavant, une partie des Démocrates du Sud ne votaient ainsi parce que c’était un Républicain, Abraham Lincoln, qui avait aboli l’esclavage. Cet électorat a basculé lorsque les Démocrates ont signé le Civil Rights Act, qui mettait fin à la ségrégation de fait dans les Etats du Sud.

« Quand la droite et la gauche étaient présents dans les deux partis, l’art du compromis était l’essence même de la politique. »

Mais une fois que tous les tenants d’une droite dure (radicaux, religieux et très largement Blancs) se sont retrouvés dans le même parti, « le fait de coopérer avec les Démocrates est devenu impensable ».

C’est cette histoire là qui a rendu possible l’émergence, puis la victoire, d’un candidat comme Trump

Source : Times Literary Supplement

 

 

Guerres culturelles et alt-right

Outre le rejet des élites (telle la ploutocratie incarnée par Clinton, comme l’écrit Slate) et de la mondialisation financière, comme l’explique La Tribune, le candidat Trump répondait aussi à de puissantes tendances culturelles chez tout une partie du peuple américain.

Sur la Vie des Idées, un autre article décrit les partisans évangélistes de Trump d’une petite ville du Midwest, Pleasant Fields. Là, le secteur industriel ne s’est pas effondré, au contraire et des emplois ont récemment été créé.

« De nombreux évangélistes soutenant Trump parmi ceux que j’ai interviewés font partie de classes sociales plutôt aisées », écrit l’auteur.

Persuadés que s’est engagée une guerre pour la sauvegarde de la civilisation chrétienne, ils votent Trump contre l’Islam et les LGBT. Pour eux, rapporte l’auteur, les musulmans sont des gens d’une autre civilisation, qui maltraitent leurs femmes et veulent partout faire régner la charia. Quant aux LGBT, ils incarnent un relativisme moral qui est la fin de l’Amérique.

« Tandis que la proportion de chrétiens évangéliques blancs dans la population américaine décroît, leur sentiment d’appartenance et leur attachement à la nation demeurent très fort.

Ils continueront ainsi de se battre pour leurs croyances et leurs valeurs en dépit du résultat de l’élection. »

 

source La vie des Idées

 

 

 

 

 

 

 

 

La pensée Trump l’extrême droite

Voici une enquête (en version abonnés) sur «  l’alt-right  », l’extrême-droite extrêmement active sur le Net (où, comme le rappelle le Monde, les partisans de Trump ont été particulièrement actifs) qui soutient Trump.

Ceux-ci partagent un rejet de ce qu’ils appellent

« le mensonge égalitaire, aussi bien comme fait que comme valeur, un goût pour l’ordre hiérarchique, ainsi qu’une grille de lecture raciale de la société. »

Dans cette mouvance, certains sont des «  néoréactionnaires  », libertariens purs et durs échappés de la Silicon Valley, autoritaristes convaincus que les libertés du peuple doivent être encadrés. D’autres – la plupart – sont des nationalistes blancs, qui «  rêvent tous de restaurer la grandeur de la civilisation occidentale, aujourd’hui engluée dans la médiocrité égalitariste, consumériste et multiculturelle  ». Ils sont obsédés par la question de l’identité blanche et militent pour limiter l’immigration et expulser tous les étrangers en situation illégale. Deux points qui figurent dans le programme de campagne de Trum

Source Mediapart

 

Pourquoi l’Amérique hait les intellos

Ce court article de la revue Books rappelle quelques-unes des raisons historiques et culturelles pour lesquelles l’anti-intellectualisme, sur lequel a tant surfé Donald Trump, est si fort aux Etats-Unis.

Crise des médias et le monde « post-faits »

Au lendemain d’une victoire que la plupart des grands médias et des instituts de sondage avaient déclarée impossible, les grands médias ont commencé à faire leur examen de conscience.

Source Books

 

 

Le président Trump pourra s’appuyer sur une majorité républicaine au Congrès

 

Les républicains conservent le pouvoir à la chambre des représentants du Congrès américain (« House of representatives« , ndlr), selon les projections électorale d’Associated Press.

Les républicains ont également remporté le Sénat et continueront ainsi de contrôler l’ensemble du Congrès des États-Unis, fournissant une majorité parlementaire sur laquelle le président élu Donald Trump pourra s’appuyer, selon plusieurs médias.

En contrôlant la Maison Blanche et le pouvoir législatif, les républicains auront la capacité de défaire les réformes du président Barack Obama et notamment sa controversée réforme de l’assurance-maladie baptisée « Obamacare« .

Majorité plus courte à la House of representatives

Bien que les républicains perdent un peu de poids, ils ont remporté suffisamment de sièges pour prolonger les six années consécutives dans la majorité de la chambre des représentants.

Le Grand Old Party a recueilli au moins 222 sièges, soit plus que le seuil de 218 requis pour contrôler la chambre basse, selon le New York Times. Les démocrates en comptabilisaient au moins 158 lors des dépouillements toujours en cours peu après minuit aux USA.

Les républicains disposaient de 247 sièges durant le mandat qui se termine. Ils devraient donc bénéficier d’une plus courte majorité. L’homme fort des républicains restera Paul Ryan qui a également été reconduit.

Le Sénat aux mains des républicains

La mainmise sur le Sénat, qui vient s’ajouter à celle de la Chambre des représentants, leur permettra par ailleurs d’avoir la haute main sur le processus de nomination des plus hauts responsables gouvernementaux et des juges de la Cour suprême.

La chambre haute du Congrès, qui était renouvelée mardi à un tiers (34 membres), avait basculé dans le camp républicain en 2014, restreignant considérablement la marge de manœuvre du président Obama.

Récemment, les sénateurs républicains ont ainsi bloqué le processus de confirmation d’un juge de la Cour suprême nommé par Barack Obama après le décès d’un de ses neuf membres.

Le nouveau rapport de forces au Sénat n’était pas encore connu dans l’immédiat. Jusqu’à présent, les républicains détenaient 54 sièges et les démocrates 46.

Source RTBF 09/11/2016

 

«Trump n’a aucune envie d’être élu»

962381-republican-presidential-nominee-donald-trump-attends-a-campaign-rally-in-moon

A Washington, Jim McGrath vient plusieurs fois par semaine au pied de l’hôtel Trump dire tout le mal qu’il pense du milliardaire new-yorkais, qui affronte Hillary Clinton pour la présidence des Etats-Unis mardi.

Devant l’entrée nord de l’hôtel Trump, des employés lavent au karcher les marches de l’escalier du bâtiment, un superbe immeuble de la fin du XIXsiècle qui fut longtemps la poste centrale de Washington. Ils ne prêtent pas la moindre attention à l’homme qui, à dix mètres d’eux, brandit fièrement depuis sa chaise roulante des caricatures anti-Trump. Une question d’habitude : cela fait un an, désormais, que Jim McGrath vient ici, «deux à trois fois par semaine». Au début, Donald Trump n’était qu’un candidat aux primaires républicaines, une bulle qui ne pouvait que se dégonfler. Depuis, il est devenu un plus que possible président des Etats-Unis.

«Je ne comprends pas la fascination, l’adoration qu’il suscite chez certains. Je ne comprends pas comment on en est arrivé là.» A près de 80 ans, Jim pensait avoir tout vu. Et puis Trump. «De mon vivant, je n’ai jamais connu une campagne comme celle-là. On n’a jamais eu un candidat comme lui, autant porté sur les mensonges, les scandales, l’insulte. C’est la personne la moins qualifiée de l’histoire des Etats-Unis pour ce job.»

Depuis un an, il vient 2-3 fois par semaine devant le Trump Hotel de Washington pour dire tout le mal qu’il pense du propriétaire #USA2016 pic.twitter.com/iOqYUUQxYv

— Baptiste Bouthier (@B_Bouthier) 5 novembre 2016

Les habitants du quartier le saluent en passant. Et les badauds qui passent sur Pennsylvania Avenue (la même adresse que la Maison Blanche…) le photographient à la chaîne. Il faut dire que les caricatures géantes de ce natif de Boston, qui vit dans la capitale américaine depuis cinquante ans, ne passent pas inaperçues. Jusqu’il y a une quinzaine d’années, il travaillait à la bibliothèque du Congrès, où il rédigeait des notes sur l’histoire politique américaine sur demande des parlementaires américains. Un poste qui a forgé sa conscience politique : «Je suis démocrate. Toute ma vie, j’ai financé le parti et j’ai contribué à des campagnes locales. Et puis, pour Barack Obama, j’ai tout fait.» Jim représente à la perfection le paradoxe de l’élite intello américaine blanche des grandes villes : déçus par Obama et effrayés par Trump. «Il y a beaucoup de mécontentement dans le pays, et Trump en profite. Moi-même, je suis très déçu par Obama, pour qui j’ai tant milité et j’ai voté deux fois. Et je suis loin d’être le seul : la communauté afro-américaine est très déçue.»

«Notre pays est coincé dans le bipartisme»

Malgré tout, il avance une longue liste de raisons de soutenir Hillary Clinton. Parce qu’elle est une femme, et qu’elle serait la première à ce poste, comme Obama était le premier noir voilà huit ans : «On a besoin d’abattre ces barrières» ; parce que c’est «une sacrée bosseuse et quelqu’un de fort, de dur, plus qu’Obama». Il faut dire que Jim n’a pas de mots assez durs pour la politique internationale du président sortant, notamment sur son absence de réaction face aux exactions de Bachar al-Assad en Syrie. Mais une victoire de la candidate démocrate ne risque-t-elle pas de susciter une violente réaction des pro-Trump ? «Elle aura beaucoup d’oppositions, c’est sûr, mais il n’y aura pas autant de haine que si c’est lui qui est élu.»

Une vision optimiste, voire un peu angélique, comme lorsque Jim affirme sans sourciller que «de nombreuses personnes qui disent être pour Trump réaliseront, au moment de voter, qui il est vraiment et choisiront plutôt Hillary». Pourtant, il a conscience que «la situation est très dangereuse, car Trump a divisé le pays, les gens sont très pour ou contre les deux candidats». Et il sait qu’il sera sans doute déçu par Clinton «la rationnelle, la pragmatique», comme il l’a été par Obama auparavant. Alors à quoi bon voter pour des candidats démocrates, si c’est pour être déçu ? Entre le désabusement des «bleus» et les criantes divisions des «rouges» derrière la candidature de Trump, va-t-on vers la fin du système politique américain, solidement axé sur l’opposition démocrates contre républicains ?

«Je ne crois pas à l’émergence d’un troisième parti, notre pays est coincé dans le bipartisme, balaie ce fils d’immigré irlandais catholique. Même un socialiste comme Bernie Sanders a dû se fondre dans le moule démocrate pour avoir une chance à la présidentielle.» Encore un qui a déçu Jim, par ses attaques répétées envers Hillary Clinton durant les primaires démocrates. «Lui, Trump et Comey (le patron du FBI), ils ont fait énormément de mal à Hillary. Et pourtant, elle est toujours là, debout !» Et favorite pour succéder à Obama à la Maison Blanche. De toute façon, Jim ne croit pas à une présidence Trump. «Il n’a aucune envie d’être élu ! Sa candidature, sa campagne, c’est un egotrip. Il fait ça pour sa gloire personnelle, c’est un égocentrique. Et s’il est élu… Quand il va arriver dans le bureau ovale et qu’il va voir l’interminable pile de dossiers qui l’attend, qu’est-ce qu’il va faire ? Il va démissionner dans la seconde pour aller jouer au golf.»

Baptiste Bouthier

Source Libération 07/11/2016

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Etats-Unis, rubrique Politique«Radicalisations» et «islamophobie» : le roi est nu, rubrique Société, On line Washington D.C., la capitale des Etats-Unis, est une no-Trump zone

Les secrets des ingénieurs qui vous rendent accros à vos portables

 pendule-hypnose_photo
 Comment nos applis sont fabriquées pour nous rendre dépendants : plongée dans une des Bibles de « l’addiction par design »

Beaucoup de médecins pensent que l’addiction à Internet n’existe pas. Pourtant dans la vie quotidienne, nous sommes nombreux à parler de nos téléphones comme de cuillères de crack.

« Il est complètement accro à Tinder », « j’essaie de décrocher un peu », « quand j’ai pas mon téléphone, je suis super nerveux », « je checke mes mails toutes les 5 minutes ».

Face à ça, nous nous flagellons : trop faibles, trop nuls, trop dispersés, trop déconcentrés : nous nous reprochons sans cesse de nous faire dévorer par nos téléphones. Pourtant, si nous nous sentons dépendants de certaines applis, c’est parce que des gens ont travaillé très dur pour nous y rendre accros.

Designers, chercheurs en architecture réseau, informaticiens, entrepreneurs… dans la Silicon Valley et ailleurs, ils cherchent à inventer des produits dont nous ne pourrons pas nous passer. En exploitant nos faiblesses bien humaines.

Plongée dans une des bibles de «  l’addiction par design  », pour comprendre d’un peu plus près les mécanismes qui nous enchaînent à nos écrans.

Le labo des technologies persuasives

C’est à l’université de Stanford, au cœur de la Silicon Valley, qu’on trouve un des lieux centraux de la fabrication de l’addiction par les technologies.

C’est un laboratoire de recherche, appelé le Persuasive Technology Lab. Son fondateur, B J Fogg, a inventé dans les années 1990 la «  captologie  »  : l’étude des ordinateurs et des technologies numériques comme outils de persuasion.

Le fondateur d’Instagram, une des applis les plus addictives et l’une des plus grandes réussites de ces dernières années, est passé par ces cours, tout comme plusieurs designers et psychologues aujourd’hui haut placés chez Facebook.

Mouvements de pendule d’hypnotiseur – Ray Scrimgeour/Flickr/CC

Un ancien élève ayant tourné casaque, Tristan Harris, ancien «  philosophe produit  » chez Google dénonçant maintenant les «  heures volées à la vie des gens  », nous décrivait ainsi ce qui y était fait  :

«  Ma dernière année à Stanford j’ai choisi le cours pour devenir membre du laboratoire de persuasion technologique de Stanford. Qui était assez connu en fait pour enseigner aux étudiants comment entrer dans la psychologie des gens, et rendre les produits plus persuasifs et efficaces.

“ Persuasifs ”, ça semble bizarre comme mot dans ce contexte, mais ça veut dire  : comment tu conçois un formulaire pour que les gens le finissent  ? Si tu veux que quelqu’un ouvre un mail, comment tu le fabriques pour que ça soit le cas  ?

On a appris toutes ces techniques, qui ressemblent à celles des magiciens. (…) J’ai vu sous mes yeux cette connexion entre les étudiants qui s’entrainaient à toutes ces stratégies et ces entreprises, qui utilisent ces principes tout le temps. Parce que c’est la clé du succès économique, faire en sorte que les gens passent le plus de temps possible sur leurs services.  »

Et pour ça, il faut les rendre accros.

 

«  Hooked  »

«  Les technologies qu’on utilise sont devenues des compulsions, quand ce n’est pas des addictions à part entière. Le réflexe de vérifier si on a un nouveau message.

Le désir d’aller sur YouTube, Facebook ou Twitter, juste quelques minutes, pour se retrouver une heure plus tard toujours en train de faire défiler l’écran ou de taper dessus.

Cette urgence que vous ressentez probablement toute la journée, sans nécessairement la remarquer.  »

Celui qui écrit ça est un ancien élève du Persuasive Tech Lab. Il s’appelle Nir Eyal, il est «  blogueur et consultant  », invité chez Instagram ou LinkedIn, et il assume complètement le discours de l’addiction  :

«  Les innovateurs créent des produits conçus pour persuader les gens de faire ce que nous voulons qu’ils fassent. Nous appelons ces gens des “ usagers ” et même si nous ne le disons pas à voix haute, nous rêvons secrètement de les voir tous jusqu’au dernier, complètement accros à ce que nous fabriquons.  »

Après des années passées dans l’industrie, des armes faites dans les mondes du jeu social en ligne et de la pub (deux mondes qui en connaissent un rayon en matière de fabrication de l’addiction) et, dit-il, des heures d’entretiens et d’observations, il a distillé ce qu’il a appris de la formation des addictions dans un livre.

Les 4 étapes de l’addiction

Le livre «  Hooked  » a une couverture jaune vif. On y voit le dessin d’une tête d’homme, vide. Un pointeur de souris est dirigé vers le cerveau.

Le sous-titre est explicite  : «  comment créer des produits addictifs  » (en anglais le mot est « habit-forming  », mais les dictionnaires sont formels  : le mot relève du champ de l’addiction).

hooked-hardcover

La couverture de « Hooked »

Alors comment fait-on  ? C’est très simple, dit-il. Il faut créer des «  hooks  »  : des façons d’accrocher les utilisateurs, suffisamment efficaces pour qu’ils ne décrochent plus jamais.

Le but ultime  : que votre produit entre complètement dans les habitudes de l’usager, qu’il n’y pense même plus, qu’il se tourne vers lui sans même y penser, et qu’il s’y abîme sans réaliser que le temps passe.

Pour une appli, c’est le jackpot.

 

1 Trouver les bons « déclencheurs »

Ce qui va vous faire vibrer, vous émouvoir

 

Aujourd’hui, annonce Eyal,

«  les entreprises doivent comprendre non seulement ce qui fait cliquer leurs usagers, mais aussi ce qui les fait vibrer.  »

Le hook commence par un stimulus. Il faut que quelque chose donne envie aux usagers d’utiliser votre produit.

En version simple, ce sera un bouton «  Cliquez ici  », «  S’inscrire  », une notification qui provoquera chez l’usager une action.

Mais le Graal c’est le déclencheur interne  : un sentiment, une émotion, quelque chose en l’usager, dans sa psyché même – un «  itch  », une «  démangeaison  », écrit Eyal, quelque chose qui le dérange, qui le gêne.

On l’a compris, pour ça les émotions négatives servent plus volontiers de déclencheur interne  : ennui, tristesse, peur du rejet, frustration… Si un service soulage cette démangeaison (en proposant une distraction, par exemple), alors BANCO  : l’usager va associer le service et la recherche de soulagement.

Et comme nous sommes des êtres d’habitude, une fois que nous associons un produit à une sensation, il y a de fortes chances que nous répétions encore et encore le processus. Comme le dit Evan Williams, fondateur de Twitter  :

«  Internet, c’est une machine géante conçue pour donner aux gens ce qu’ils veulent. (…) On pense souvent qu’Internet permet aux gens de faire des choses nouvelles. Mais les gens veulent juste continuer à faire ce qu’ils ont toujours fait.  »

Le lien entre un déclencheur interne (exemple : la peur du temps qui passe) et une réaction (prendre une photo et la poster sur Instagram) va progressivement se renforcer, se sédimenter – «  comme les couches de nacre qui se déposent dans une huître  » écrit Eyal –, et devenir une habitude, quelque chose de subconscient plus jamais questionné.

C’est alors que l’entreprise aura réussi à établir son «  monopole sur l’esprit  »  : être la réponse instinctive à un sentiment.

Comme aujourd’hui on va sur Google quand on se pose une question. Ou sur Amazon quand on cherche un livre ou un DVD. Sur Twitter ouTinder quand on s’ennuie, sur Facebook quand on se sent seul.

 

2 L’action

 

Pas trop de mystère ici : c’est ce qu’on va vous pousser à faire. Vous inscrire sur Facebook, vous abonner sur Twitter, faire des recherches sur Google, faire défiler sur Pinterest, swiper sur Tinder…

Mais la règle d’or, c’est que ces actions doivent être simples et ne pas demander beaucoup d’efforts de la part des usagers.

 

3 Une récompense variable

 

Si vous voulez que votre utilisateur revienne encore et encore, il faut lui donner une récompense – qu’il ne vienne pas pour rien.

Mais il ne faut pas lui donner toujours la même chose. Si l’issue de l’action est toujours la même, l’utilisateur se lassera. Mais s’il s’attend à trouver quelque chose de différent, s’il y a la possibilité du nouveau, vous avez de fortes chances de le faire revenir.

Pour Eyal, c’est la clé. Il faut nous habituer à associer une action et une récompense, mais pas de façon systématique. Savoir qu’il y aura quelque chose mais ignorer quoi  : c’est le cœur du «  hook.  »

Eyal, citant une étude sur le comportement des joueurs pathologiques, déclare  :

«  En introduisant de la variabilité, on démultiplie l’effet et on crée ainsi un état de concentration, qui met en sommeil les zones du cerveau associées au jugement et à la raison, tout en activant les zones associées au désir et à l’exercice de la volonté. »

En d’autres termes, c’est pour ça, parce que vous attendez quelque chose sans trop savoir quoi, que vous vous trouvez, jugement et raison en sommeil, à zoner sur Facebook pendant des heures sans plus savoir ce que vous étiez venus chercher.

 

4 L’investissement

 

Pour rendre un usager bien, bien accro, il faut le garder sur le long terme. Et pour ça, il faut le «  faire un peu travailler »  : il faut qu’il investisse quelque chose qui lui donne envie de revenir.

Ce peut être des contenus, des abonnés, des données… L’important c’est qu’il ait le sentiment d’avoir tellement investi que ça ne vaut plus la peine de partir (un fonctionnement qui marche aussi sur les vieux couples dysfonctionnels).

Plus vous achetez de chansons sur iTunes, plus vous allez vouloir garder votre librairie de musique là. Plus vous avez d’abonnés sur Twitter, moins vous voudrez changer de plateforme, même pour aller sur des concurrents objectivement meilleurs.

Plus vous avez passé de temps à bâtir une réputation en ligne, comme sur eBay ou Yelp ou AirBnb, moins vous avez intérêt à en partir.

Plus vous avez galéré à apprendre à vous servir d’un produit (mettons Adobe Photoshop), moins il y a de chances que vous vouliez tout reprendre à zéro avec un autre logiciel.

 

Et la morale dans tout ça  ?

Tout ça, donc, repose sur l’exploitation des faiblesses des gens (ce que certains appellent « le design des vulnérabilités »), et la mise en place de tous petits mécanismes presque invisibles (envoyer une notification au bon moment, vous montrer des posts d’amis pour vous inciter à rester dans la communauté). Ce n’est pas très moral et parfois, Nir Eyal semble s’en apercevoir. Il prend alors un ton moral.

Attention, dit-il en substance, il ne faut pas utiliser ces techniques pour faire le Mal mais faire le Bien. Pour savoir où l’on se situe sur le continuum entre ces deux pôles, il propose une «  matrice de la manipulation  » pour savoir si on est plutôt un «  facilitateur  » (un gentil qui manipule les gens certes, mais pour leur bien) ou un «  dealer  » (un méchant qui leur vend du crack dans le seul but de s’enrichir).

Mais sur le fond, la position de Eyal, comme de beaucoup de behavioristes, c’est que manipuler les comportements n’est pas en soi répréhensible, tout dépend de pourquoi on le fait.

C’est la position défendue par les théoriciens du nudge : un « paternalisme libéral » où l’on pousse sans violence les usagers à prendre les « bonnes décisions » pour eux.

 

Charte éthique ?

D’autres trouvent ces idées hautement problématiques. C’est le cas d’un repenti du Persuasive Tech Lab, Tristan Harris, qui milite avec l’association qu’il a créée, Time Well Spent (« temps bien dépensé  »), pour la création d’un «  label  » décerné aux technologies soucieuses de ne pas trop manipuler leurs clients.

D’autres designers ont avancé l’idée d’une charte éthique pour leurs utilisateurs. Pour l’instant, ces tentatives sont encore bien loin d’avoir abouti à quoi que ce soit.

Mais l’ouverture du débat a pour immense mérite de nous faire comprendre que quand nous sommes accros à nos téléphones, ce n’est pas parce que nous n’avons aucune volonté. Mais parce que nous sommes alors face à toute une industrie invisible qui travaille à nous déconcentrer et à nous rendre accros.

Et tant qu’il n’y aura pas de changements de fond, il est évident que les forces en présence ne sont pas égales.

Claire Richard

Source l’Obs 04/11/2016

Voir aussi : Rubrique Internet, Rendre aux gens le temps gagné, rubrique Médias, rubrique Lecture rubrique Société, Consommation, Loisir,  La télé un produit dangereux pour le foyer,