A Washington, Jim McGrath vient plusieurs fois par semaine au pied de l’hôtel Trump dire tout le mal qu’il pense du milliardaire new-yorkais, qui affronte Hillary Clinton pour la présidence des Etats-Unis mardi.
Devant l’entrée nord de l’hôtel Trump, des employés lavent au karcher les marches de l’escalier du bâtiment, un superbe immeuble de la fin du XIXe siècle qui fut longtemps la poste centrale de Washington. Ils ne prêtent pas la moindre attention à l’homme qui, à dix mètres d’eux, brandit fièrement depuis sa chaise roulante des caricatures anti-Trump. Une question d’habitude : cela fait un an, désormais, que Jim McGrath vient ici, «deux à trois fois par semaine». Au début, Donald Trump n’était qu’un candidat aux primaires républicaines, une bulle qui ne pouvait que se dégonfler. Depuis, il est devenu un plus que possible président des Etats-Unis.
«Je ne comprends pas la fascination, l’adoration qu’il suscite chez certains. Je ne comprends pas comment on en est arrivé là.» A près de 80 ans, Jim pensait avoir tout vu. Et puis Trump. «De mon vivant, je n’ai jamais connu une campagne comme celle-là. On n’a jamais eu un candidat comme lui, autant porté sur les mensonges, les scandales, l’insulte. C’est la personne la moins qualifiée de l’histoire des Etats-Unis pour ce job.»
Depuis un an, il vient 2-3 fois par semaine devant le Trump Hotel de Washington pour dire tout le mal qu’il pense du propriétaire #USA2016pic.twitter.com/iOqYUUQxYv
Les habitants du quartier le saluent en passant. Et les badauds qui passent sur Pennsylvania Avenue (la même adresse que la Maison Blanche…) le photographient à la chaîne. Il faut dire que les caricatures géantes de ce natif de Boston, qui vit dans la capitale américaine depuis cinquante ans, ne passent pas inaperçues. Jusqu’il y a une quinzaine d’années, il travaillait à la bibliothèque du Congrès, où il rédigeait des notes sur l’histoire politique américaine sur demande des parlementaires américains. Un poste qui a forgé sa conscience politique : «Je suis démocrate. Toute ma vie, j’ai financé le parti et j’ai contribué à des campagnes locales. Et puis, pour Barack Obama, j’ai tout fait.» Jim représente à la perfection le paradoxe de l’élite intello américaine blanche des grandes villes : déçus par Obama et effrayés par Trump. «Il y a beaucoup de mécontentement dans le pays, et Trump en profite. Moi-même, je suis très déçu par Obama, pour qui j’ai tant milité et j’ai voté deux fois. Et je suis loin d’être le seul : la communauté afro-américaine est très déçue.»
«Notre pays est coincé dans le bipartisme»
Malgré tout, il avance une longue liste de raisons de soutenir Hillary Clinton. Parce qu’elle est une femme, et qu’elle serait la première à ce poste, comme Obama était le premier noir voilà huit ans : «On a besoin d’abattre ces barrières» ; parce que c’est «une sacrée bosseuse et quelqu’un de fort, de dur, plus qu’Obama». Il faut dire que Jim n’a pas de mots assez durs pour la politique internationale du président sortant, notamment sur son absence de réaction face aux exactions de Bachar al-Assad en Syrie. Mais une victoire de la candidate démocrate ne risque-t-elle pas de susciter une violente réaction des pro-Trump ? «Elle aura beaucoup d’oppositions, c’est sûr, mais il n’y aura pas autant de haine que si c’est lui qui est élu.»
Une vision optimiste, voire un peu angélique, comme lorsque Jim affirme sans sourciller que «de nombreuses personnes qui disent être pour Trump réaliseront, au moment de voter, qui il est vraiment et choisiront plutôt Hillary». Pourtant, il a conscience que «la situation est très dangereuse, car Trump a divisé le pays, les gens sont très pour ou contre les deux candidats». Et il sait qu’il sera sans doute déçu par Clinton «la rationnelle, la pragmatique», comme il l’a été par Obama auparavant. Alors à quoi bon voter pour des candidats démocrates, si c’est pour être déçu ? Entre le désabusement des «bleus» et les criantes divisions des «rouges» derrière la candidature de Trump, va-t-on vers la fin du système politique américain, solidement axé sur l’opposition démocrates contre républicains ?
«Je ne crois pas à l’émergence d’un troisième parti, notre pays est coincé dans le bipartisme, balaie ce fils d’immigré irlandais catholique. Même un socialiste comme Bernie Sanders a dû se fondre dans le moule démocrate pour avoir une chance à la présidentielle.» Encore un qui a déçu Jim, par ses attaques répétées envers Hillary Clinton durant les primaires démocrates. «Lui, Trump et Comey (le patron du FBI), ils ont fait énormément de mal à Hillary. Et pourtant, elle est toujours là, debout !» Et favorite pour succéder à Obama à la Maison Blanche. De toute façon, Jim ne croit pas à une présidence Trump. «Il n’a aucune envie d’être élu ! Sa candidature, sa campagne, c’est un egotrip. Il fait ça pour sa gloire personnelle, c’est un égocentrique. Et s’il est élu… Quand il va arriver dans le bureau ovale et qu’il va voir l’interminable pile de dossiers qui l’attend, qu’est-ce qu’il va faire ? Il va démissionner dans la seconde pour aller jouer au golf.»