Maxime Chattam :  » Ne rien laisser au hasard »

« Comment vous est venue l’idée de base de la théorie Gaïa ?

Au départ je suis tombé sur des statistiques de La Croix Rouge démontrant une augmentation de 60% en dix ans du taux de catastrophes naturelles. Parallèlement à cela, je disposais d’information sur l’évolution préoccupante du nombre de serial killers qui suivent à peu près la même courbe. Je me suis dit qu’il y avait là un rapport intéressant à explorer. Ce que j’ai fait.

Les serial killers sont-ils incontournables ?

Je trouve intéressant le comportement des tueurs en série. Seuls 6 ou 7% d’entre eux sont des psychotiques. Le reste, c’est-à-dire la grande majorité, n’ont pas développé de pathologie. Ils sont responsables et parfaitement conscients. Pire, ils aiment ça. Le tueur en série est comme vous et moi, sauf que son plaisir se construit sur la destruction de l’autre. Le serial killer c’est celui qui ce dit en ce réjouissant : ce week-end, je vais trafiquer les portes de ma voiture pour que la prochaine, elle ne puisse pas sortir.

Ceux qui circulent dans les pages de votre dernier livre présentent peu de profondeur psychologique ?

J’ai théorisé sur ce que sont les tueurs en série dans mes trois premiers romans qui abordent la nature du mal, au  sens non religieux du terme. Je me suis attaché à développer les réactions des individus. Dans la théorie Gaïa, qui conclut une trilogie sur l’homme moderne*, les tueurs en série ne sont que la figure monstrueuse de l’homme. C’est un éclairage complètement différent qui s’attache aux pulsions primitives. L’homme n’est ni noir ni blanc. Il est toujours gris.

Partagez-vous l’idée que les  chefs de gouvernement sont les plus grands serial killers ?

Je pense que nous ne sommes plus aujourd’hui en démocratie mais en lobbycratie, dans laquelle les chefs de gouvernement ne sont plus que des pions. Et cette situation est planétaire. On retrouve partout la même façon de faire. Les chefs d’Etats gouvernent à partir des statistiques et des sondages.

Faut-il voir un engagement dans votre façon d’évoquer les magouilles de la Commission européenne et, à certains endroits, le discours critique des citoyens ?

La Commission européenne ne cesse de renforcer l’aspect technocratique dans lequel le monde est déshumanisé. Je ne fais pas partie des utopistes ou des éternels insatisfaits. La nature humaine est un système complexe. Je ne suis pas militant, j’ai du mal à penser que l’on peut changer le système. Ce monde fait naître des angoisses. Ecrire ça me rassure.

Comment gérez-vous votre succès, souffrez-vous des contraintes marketing ?

J’ai un très bon éditeur. Il me suit. Il s’adapte. Je tiens compte de ce qu’il pense et j’ai mon mot à dire. J’ai un certain recul pour savoir tenir ma place, chacun son métier. Moi j’ai besoin d’un rythme intense. J’écris 7 à 8 heures par jour. Je n’aime pas finir un livre sans savoir où je vais. Aujourd’hui, je sais ce que je vais faire jusqu’en 2013. « 

La trilogie se compose de : « Les arcanes du Chaos », « Prédateurs »,  et « La Théorie Gaïa »,  chez Albin Michel

Leg : Maxime Chattam : « Le mécanisme du mal, une pulsion ? »

photo : Rédouane Anfoussi

Un parcours sans faute

Maxime Chattam est en phase avec son époque. A 32 ans, l’auteur prolixe s’est propulsé en quelques années  dans le top 10 des meilleures ventes françaises. Son parcours fait rêver ou cauchemarder, selon les cas, bon nombre de ses confrères qui triment talentueusement dans la veine du noir.

Employé d’une grande enseigne culturelle, le jeune homme plutôt réservé, tire intelligemment profit de son observation du monde de l’édition. Expérience qu’il ira parfaire aux Etats-Unis. L’écrivain dit volontiers sa passion pour le cinéma américain et les romans de Tolkien. Et affirme un goût prononcé pour Stephen King dont il décortique les facteurs de succès avant de se lancer dans l’écriture. Après un roman fantastique, sa première trilogie, dite du mal,  « Maléfice, In Tenebris, et l’Ame du mal » permet à l’auteur d’étancher sa curiosité naturelle. Maxime Chattam s’intéresse de près à un des  archétypes du mal, en mettant au cœur de son intrigue la réalité des sérial killers. Sur les traces de Patricia Cornwell, Chattam  trouvera de la matière en entamant une formation en criminologie où il étudie notamment la psychiatrie criminelle, la police technique et scientifique, ainsi que la médecine légale. La Théorie Gaïa qu’il est venu présenter, clôt le cycle d’une seconde trilogie consacrée à l’humain. Mais avec Chattam, il était improbable que l’humain se présente sous son meilleur jour.

Retour au pays des âmes piégées

Nicolaï Maslov est né en Sibérie en 1953. Ses deux livres de BD apportent un regard créatif qui renouvelle le genre en ouvrant un champ d’expression inédit. Dans Les Fils d’octobre, son dernier-né, l’auteur que l’on peut résolument situer dans le champ littéraire, nous entraîne sur les pas d’un homme qui lors d’une visite, retrouve les lieux de son enfance. La Sibérie de l’après communisme nous ouvre sur la réalité méconnue du monde rural russe. Celle qui a perdu ses kolkhozes, ainsi que la structure économique et sécurisante qui les accompagnait. Il reste peu de monde sur place, mais toujours beaucoup d’espace. Le temps très perceptible semble s’être arrêté pour les habitants qui sont restés là. Et pour ceux qui n’ont pas grossi le flux de l’immigration urbaine, l’alcool a souvent remplacé le travail.

Mais la puissance de la nature demeure comme une mémoire d’enfance. « Le sujet met longtemps à mûrir en moi, explique l’auteur. J’accumule les infos qui entrent. Puis vient un désir fou de partager avec les autres ce qui m’émeut. Peu importe ce qui est reçu. Je dessine juste pour enlever le fardeau qui pèse sur mon cœur. L’écrivain n’a rien à apprendre à personne ». Maslov le pense. Mais ses livres ont tout de suite été salués par un large public. Peut-être parce que  ses dessins disent l’indicible et que l’homme est sincère…

L’image prédomine largement sur le texte. Elle insuffle une forte charge poétique. « Je décris une situation où l’être est tellement embourbé, qu’il a du mal à travailler sur lui-même pour changer sa vie. Je n’ai pas besoin de beaucoup de mots pour cela. » Après avoir été accueilli à La Maison des Auteurs d’Angoulême, Maslov est retourné à Moscou où il vient d’entamer une histoire de la Sibérie.

Les Fils d’octobre, éd Denoël.

Nicolaï Maslov un auteur à découvrir.

Photo : Rédouane Anfoussi

Soljenitsyne, un classique et un survivant

Grande figure de l’édition française, le patron des éditions Fayard Claude Durand signe dès 1967 avec Gabriel Garcia Marquez, pour Cent ans de solitude. Outre Soljenitsyne, il est également l’agent de Lech Walesa et de Ismail Kadaré et s’illustre dans l’hexagone par quelques coups d’éclat comme le transfert de Houellebecq ou la publication de  » La face cachée du Monde. « 

Que retenez-vous de marquant dans la relation de 35 ans qui vous lie à Soljenitsyne ?

 » La qualité, la durée et la fraternité de la relation. On a souvent présenté Alexandre Soljenitsyne comme quelqu’un de rugueux, d’autoritaire, il l’est, avec les puissants peut-être, mais dans le travail quotidien entre auteur et éditeur, il a toujours été d’une très grande courtoisie, d’une grande fidélité. Chaque fois que nous avons rencontré des problèmes, notre concertation a toujours était féconde. Elle se base sur la confiance. Il n’y a jamais eu l’ombre d’une mésentente entre nous.

La première partie de son œuvre se voit couronnée par le prix Nobel en 1970…

Une journée d’Ivan Denissovitch et Le pavillon des cancéreux sont les seuls livres qui ont pu être publiés sous Khrouchtchev. Le premier cercle, comme son épopée historique de la Russie La roue rouge qui réunit plusieurs gros volumes représentant l’équivalent de trois ou quatre fois Guerre et paix de Tolstoï, paraissent en Occident.

Et vous signez avec lui en 73, peu après son exil, L’archipel du Goulag, qui fait date…

Ce fut un coup de tonnerre considérable pas seulement au niveau de l’information et de la qualité littéraire, mais aussi du point de vue des répercussions politiques. Je pense que l’on peut dire qu’il y a trois hommes dont l’action, sous diverses formes, a abouti à la chute du mur de Berlin. Soljenitsyne, Lech Walesa et Jean-Paul II.

Vous en avez signé deux. Il reste donc quelque chose à faire du côté du Vatican…

Oui exactement (rire).

N’y a-t-il pas un paradoxe dans ce cheminement qui voit Soljenitsyne critiquer le système soviétique et l’Etat à ses débuts et recevoir l’année dernière le prix d’Etat des mains de Vladimir Poutine ?

Il ne critique pas l’Etat en tant que tel, mais l’Etat communiste et la dictature. Et il ne considère pas que la Russie actuelle est sous un régime dictatorial, ou alors on ne sait plus ce que les mots veulent dire. Il y a certainement des manifestations d’autorité. Mais si l’on regarde bien la constitution russe, on constate qu’elle n’est pas très différente de la constitution française de la Ve République. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème de liberté d’expression. Comme dans tous les pays sortis d’une grande dictature, la marche à la démocratie ne se fait pas du jour au lendemain. La France a eu besoin de plusieurs siècles pour que la IIIe République installe définitivement la démocratie. On peut accorder un certain temps à la Russie pour parfaire son système.

Le point commun entre les deux hommes serait-il l’amour partagé de la nation, voire du nationalisme ?

Je pense que Poutine serait ravi de se trouver des points communs avec Soljenitsyne. Est-ce que la réciproque est vraie ? Je n’irais pas jusque là. Plus la Russie s’est trouvée vulnérable, après la chute du mur de Berlin et l’éclatement de l’Union soviétique, plus effectivement il y a eu un réflexe de patriotisme en Russie, comme chez les intellectuels, y compris Soljenitsyne. On peut augurer que la Russie redevenant une puissance économique, grâce à ses ressources pétrolières et gazières, le facteur autoprotection jouera beaucoup moins à l’avenir.

Mais c’est vrai que Soljenitsyne est très attentif à ce que la Russie sortie du communisme, ne soit pas en butte à toutes les critiques que l’on voit fleurir comme s’il ne s’était rien passé sous Eltsine ou Gorbatchev.

Soljenitsyne s’est très tôt prononcé contre l’implication en Tchétchénie…

On a souvent dit que Soljenitsyne pensait en termes de Grande Russie ce qui, naturellement, est totalement faux, puisque dès 1973, il adresse une lettre ouverte aux dirigeants de l’Union Soviétique à Léonid Brejnev dans laquelle il demandait que l’URSS renonce à son impérialisme sur les autres nations.

Aujourd’hui, de jeunes auteurs Russes abordent également ce conflit…

Oui, la grande différence avec Soljennitsyne est qu’il appartient au XXe siècle. Et figure comme l’écrivain témoin d’un des deux grands drames de ce siècle, le Goulag. Au XXIe, il apparaît à la fois comme un survivant et un classique que l’on enseigne dans les écoles et les universités, un classique vivant.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération invitée à la Comédie du livre ?

C’est une génération extrêmement variée comme souvent après une sortie de clandestinité. Il y a parfois un empressement à aller au plus facile de la liberté. Par exemple, toute une catégorie d’écrivains s’empresse de copier ce qui marche en Occident. On a d’un côté cette vogue occidentaliste et de l’autre, une école qui incarne plutôt un retour aux traditions de la littérature russe.

A l’inverse des médias, cette nouvelle sphère de pensée, ne semble guère être contrôlée par le pouvoir ?

Ce n’est pas tellement rassurant, parce que cela veut dire que l’on considère peut-être ces œuvres non dangereuses. Ce qui n’est pas un bon point pour la littérature de combat.

Certains auteurs ne se privent pas de cette liberté de critique…

C’est probablement le tempérament russe, les intellectuels et les écrivains ont vite fait de prendre leur part de liberté. Puisque ce sont des gens d’écriture et de parole, ils ont plus d’ardeur à s’en servir que les gens qui n’ont pas l’habitude de manier les mots. Tout cela est normal, on retrouve le même phénomène en occident… Peut-être pas assez d’ailleurs… « 

Claude Durand l’agent exclusif de Soljenitsyne.

DR

 » La philosophie populaire est souvent très profonde « 

Qu’est ce qui vous a conduit à vous pencher sur le patrimoine de la sagesse mondiale ?

 » Quand j’ai commencé Le cercle des menteurs dans les années 70, c’était par goût pour ce type d’histoires et un moindre goût pour d’autres. Par exemple, je n’ai jamais aimé les fables qui ont une moralité, qui démontrent les choses, même quand c’est bien fait comme chez La Fontaine. En revanche les histoires qui, au lieu de se fermer s’ouvrent, et à la fin me laissent curieux, insatisfait, celles-là m’ont toujours intéressé. Un jour j’ai décidé de composer mon manuel de philosophie personnel uniquement composé de ces histoires. Le premier tome n’ayant suffi, j’ai continué à accumuler les histoires qui aiguisent l’esprit, d’où ce nouveau livre.

Quel rapport y faites-vous avec la philosophie ?

Je n’ai jamais compris le sens des mots manuel de philosophie. J’ai remarqué en revanche que pas mal de philosophes utilisent de temps en temps des histoires quand ils ne savent pas comment dire quelque chose. Ils racontent une histoire qui ne dit rien mais montre ce qui s’est passé et c’est à nous d’en tirer les conclusions. J’ai réécrit toutes les histoires pour trouver une certaine unité.

Les auteurs de ces histoires ne sont pas connus…

Je tenais beaucoup à ce que les récits soient anonymes. Tous sont nés dans les cabarets, dans les rues. La philosophie populaire est souvent très profonde. On dit qu’aujourd’hui les histoires drôles naissent quand les journalistes attendent pendant quatre ou cinq heures devant un ministère un ministre qui n’a rien à dire. Alors ils meublent pour passer le temps et là hop ! Les histoires émergent, la même chose se passait forcément au campement des caravanes le soir.

Souhaitiez-vous réaffirmer que l’histoire est publique ?

L’Histoire n’appartient à personne, elle n’a pas d’auteur. Ces histoires là sont presque toutes des récits de résistance. C’est souvent très irrévérencieux, assez obscène, cruel quelquefois, les puissants ne sont jamais à leur avantage. C’est pour cela qu’elles restent anonymes.
Faut-il voir une volonté de positionner un propos distancié dans la réalité tumultueuse d’aujourd’hui ?

Il y a l’histoire qui raconte qu’un  jour on a repéré une planète. Et que cette planète, que l’on ne connaissait pas, s’est mise à envoyer des signaux qui étaient comme un vocabulaire. Tous les savants du monde se sont mis à chercher le sens de ce langage. On a fait appel à tous les cryptographes, tous les linguistes, sans succès. Et puis un beau jour, la planète a explosé et a disparu. Et à ce moment là, sont arrivés des indiens du Sud de l’Inde avec des bouts de papier, qui ont dit, ça y est, on a découvert ce qu’elle voulait dire. A bon ! et que disait-elle ? Elle disait au secours… au secours… au secours… Nous en viendrons peut-être là un jour.
Quelle place occupe le temps dans votre livre ?

Le propre même des histoires qui se transmettent est d’être un défi au temps. C’est-à-dire que vous, vous passerez, ceux qui les ont racontées aussi, mais les histoires, elles, resteront. Elles révèlent des vérités, des secrets que rien d’autre ne peut mettre à jour. On peut facilement faire taire Rimbaud, Shakespeare et Racine, il suffit de les censurer. Mais faire taire la vox populi qui surgit de l’inconscience collective, c’est beaucoup plus difficile. « 
Contes philosophiques du monde entier, 398 p, éditions Plon 21 euros.

 » Les histoires révèlent des secrets que rien d’autre ne peut mettre à jour « 
photo Mehdi Benhayoun




Alain Badiou :  » Organiser une critique de la démocratie  »

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Alain Badiou : " Il ne faut pas croire que la victoire du capitalisme conduira à l'opulence généralisée. Ce sera la violence et la guerre. " DR

Avec son dernier livre  De quoi Sarkozy est-il le nom ? , le philosophe dresse le constat d’un changement d’époque et appelle l’hypothèse communiste du XXIe siècle.

De quoi Sarkozy est-il le nom ?

En posant cette question, j’ai voulu introduire une analyse du phénomène qu’était l’élection de Sarkozy en me demandant ce qu’elle signifiait. Mon hypothèse générale est que Sarkozy est vraiment le nom d’un changement politique profond. Depuis la dernière guerre, les rapports de conflit droite/gauche se situaient à l’intérieur de règles du jeu admises, issues de la résistance. Dans cette période, les communistes et les gaullistes se sont mis d’accord sur deux principes. D’une part, l’Etat a une responsabilité sociale et d’autre part il est possible que la politique étrangère de la France soit relativement indépendante de la volonté des Etats-Unis. Sarkozy est le nom d’une volonté délibérée, d’en finir avec cette forme de pacte. Sous le vocable moderniser, il entend plier la France aux règles de la mondialisation capitaliste. En s’en prenant à toute une série d’acquis sociaux garantis par l’Etat et en se rapprochant grandement des Etats-Unis.

Vous faites le lien avec le pétainisme.

J’appelle pétainisme toute une série de caractéristiques, de la droite et de l’extrême droite française, qui remontent à la Restauration. C’est l’une des formes de la réaction de la droite et des forces conservatrices aux épisodes révolutionnaires. Cette réaction est liée au fait que la bourgeoisie française est depuis très longtemps une bourgeoisie effrayée et peureuse devant son propre peuple. Le pétainisme est une forme d’organisation de cette peur.

Quelles en sont les caractéristiques ?

Il y a par exemple la désignation, dans le pays, d’un groupe particulier comme responsable en partie ou en totalité des maux qu’il rencontre. Dans le cas de Pétain, c’était les juifs, dans le cas de Sarkozy, c’est la minorité ouvrière de communauté étrangère. Il y a le fait que l’on évoque toujours un des grands événements populaires comme un événement noir, cause de la décadence du pays. Pour Pétain, c’était le Front Populaire, pour Sarkozy, c’est 68. Il y a aussi l’idée que l’on peut réunifier la droite et l’extrême droite. Et l’importance des références aux modèles étrangers. Dans le cas de Pétain, c’était les pays fascistes, pour Sarkozy ce sont les pays moteurs du capitalisme mondialisé, Blair et Bush.

N’êtes vous pas allé trop loin avec  » L’homme aux rats  » ?

L’homme aux rats est un conte. J’utilise cette expression à propos des gens tout à fait déterminés qui ont quitté le navire de la gauche, au son de la flutte de Sarkozy. On a fait comme si j’étais dans la violence de la comparaison animale, ce n’est pas mon état d’esprit.

Quelle place donnez-vous au PCF et à la LCR dans l’hypothèse communiste que vous évoquez ?

Le PCF doit éclaircir la nature des choix à proposer à ses adhérents. A mes yeux, la LCR est une des composantes des choix possibles du futur parti communiste. De nombreux communistes sont très voisins dans l’esprit, de ce que pense la LCR. Le problème de la clarification des orientations de ce que fut le PCF englobe la question des alliances. De toute façon, la question de ce que sera la nouvelle organisation des forces de gauche et d’extrême gauche est entièrement ouverte, c’est un processus qui sera long. Il s’agit d’une crise sérieuse historique et pas simplement tactique. Je pense que les choix idéologiques fondamentaux précéderont les formes de l’organisation qui finalement s’imposera. On ne peut pas faire l’inverse.

Votre refus de rejeter la dictature du prolétariat et votre constat sur la démocratie, laissent un angle mort qui nous conduit au rapport idée/violence…

Je n’ai pas sur la question de l’Etat une vision claire des choses. Je me mets dans la crise moi-même. On fait comme si on pouvait faire disparaître les idées conjointes de révolution et de dictature du prolétariat sans que cela ait des effets sur la vision que l’on se fait de l’histoire de l’émancipation humaine. On ne peut pas imaginer que plus personne ne parle de cela. Je veux bien abandonner la thématique de la dictature prolétarienne au nom de la critique historique, mais il faut savoir ce qu’on va mettre à la place. On ne peut pas dire, on va mettre à la place notre participation aux élections. Le bilan de la pratique parlementaire de la gauche est là. Une succession d’échecs, d’impasses et de déceptions qui ont démoralisé les classes populaires et les ont largement ralliées au conservatisme capitaliste. Ce problème est à l’arrière-plan de la crise de la gauche révolutionnaire qui ne peut plus tenir ses positions anciennes mais n’en a pas de nouvelles.

A l’heure où les élections sont, dites-vous, un instrument de répression, quel regard portez-vous sur le système démocratique ?

Je pense qu’aujourd’hui le système parlementaire est une forme d’Etat. Ce que l’on appelle la démocratie représentative est une forme de pouvoir oligarchique. Le débat sur la démocratie, en ce sens là, nous renvoie au problème important que la gauche et l’extrême gauche ne savent pas aujourd’hui ce qu’elles proposent en matière de forme d’Etat. Cela depuis l’abandon de la catégorie dictature prolétarienne. Je ne défends pas l’expérience historique de cette catégorie. Je suis absolument d’accord qu’elle a conduit les Etats socialistes dans une impasse. Mais ce n’est pas parce que cette catégorie a été abandonnée que le problème a cessé d’exister. C’est une grande faiblesse de la gauche de n’avoir aucune proposition. Car la démocratie que nous connaissons n’est appropriée qu’au capitalisme. Il faut reconstituer un horizon idéologique cohérent.

Recueilli Par Jean-Marie Dinh

Invité par la librairie Sauramps, Alain Badiou a présenté ses deux derniers ouvrages  » De quoi Sarkozy est-il le nom ? et  » Petit panthéon portatif « 

Voir aussi : Rubrique livre, Mai 68 en surchauffe, Rubrique Philosophie Deleuze et les nouveaux philosophes, Rubrique Politique entretien Jean-Claude Milner, Michela Marzano, Daniel Bensaïd, Bernard Noël,