Chute du mur Markus Meckel : « Nous étions pour la liberté avant l’unité »

Markus Meckel

Député social démocrate depuis 1990, Markus Meckel est co-fondateur du SDP, le Parti Social Démocrate est-allemand. Après les élections libres de RDA en mars 1990, il devient ministre des Affaires étrangères et participe aux négociations ayant abouti à la réunification allemande le 3 octobre 1990.

Vous êtes un des acteurs politiques de cette page d’histoire qui aboutit à la révolution pacifique en RDA.  Quelle lecture en avez-vous aujourd’hui ?


Pour comprendre il faut jeter un regard sur la situation de l’opposition de l’époque. Une opposition marquée par l’Eglise réformée, la seule institution qui échappait alors à l’emprise de L’État. Le mouvement s’appuyait sur l’Eglise. Je suis moi-même un pasteur protestant. Dans les années 80, on assistait à un mouvement d’opposition plutôt moral qui ne pensait pas pouvoir renverser le régime.

Dans quel terreau les racines de l’opposition ont-elles germé?

L’exemple de Solidarité et du mouvement populaire en Pologne a joué un rôle important. L’arrivée de Gorbatchev au pouvoir en 85 marque un tournant. Dès 87, surgit au sein de la société civile Est-allemande l’espoir que les chars russes n’interviendraient pas. À partir de là, le développement de l’opposition au gouvernement Honecker prit pied en dehors de l’église. C’est à ce moment que j’ai pris la décision de créer un parti social démocrate en RDA.

Quels ont été les moments clé de l’année 1989 ?

L’année 1989, débute par une vague massive de départs pour rejoindre l’Ouest via les capitales des pays voisins. En Hongrie, en Tchécoslovaquie d’autres mouvements étaient en marche. L’ idée qui dominait était de réformer de l’intérieur. On regardait du côté politique, la chute du mur n’était pas à l’ordre du jour. Depuis la grande manifestation du 9 octobre à Leipzig, qui n’avait pas dégénéré dans la violence, l’opposition savait que la situation allait aboutir sur des réformes. Le mur n’était plus un vrai problème. Le 9 novembre, le porte-parole du Politburo Schabowski déclare à la presse que tout citoyen Est-allemand peut quitter le pays au point de passage de la frontière RDA. Il n’avait pas compris que la nouvelle réglementation ne serait effective que le lendemain. Ce qui pris les dirigeants de la RDA totalement au dépourvu. Dans la rue, les gens décidèrent d’ouvrir le mur. La police des frontières n’intervint pas. Dans ce sens, on peut dire que ce fut vraiment une révolution pacifique.

Comment avez-vous réagi lorsque le mur est tombé ?

Pour moi le 9 novembre n’est pas moment le plus important. C’était plutôt le 9 octobre, lorsque nous avons eu l’assurance que nous parviendrons à démocratiser le pays. Ce récit est important si on le compare à la façon dont on a présenté la chute du mur à l’Ouest. Images simplistes montrant le mur qui tombe et slogan proclamant que les Allemands ont obtenu la liberté. On oublie le rôle majeur des oppositions et tous les événements concomitants des pays qui participent à ce mouvement. Lorsque le mur est tombé, j’ai pensé : ça va être compliqué parce que nous nous étions préparés à l’instauration de la démocratie, et là on partait d’un coup vers l’inconnu.

Au sein du gouvernement Modrow, vous avez participé aux négociations de la réunification quels en étaient les enjeux ?

Au sein de l’opposition, il y avait un scepticisme certain à l’égard du gouvernement de l’Ouest. Beaucoup ne souhaitaient pas se calquer sur ce modèle. Notre souci était d’obtenir  un contrat d’association avec la République fédérale, idée qui supposait un développement autonome de la RDA dans un cadre de relations privilégiées avec la RFA. Les sociaux démocrates défendaient un système démocratique proche des Verts et de l’esprit de Rousseau.

De quelle manière et à partir de quelle conception envisagiez-vous l’unité ?

Nous pensions que l’unité allemande devait être négociée en tant que partenaire mais nous étions minoritaires. Nous nous sommes battus pour obtenir les élections de 1990 et agir au sein du parlement. Nous pensions qu’il fallait une représentation forte des intérêts de l’Est. Mais dans le contexte de crise politique et économique, cet engagement n’a pas été compris. Beaucoup d’Allemands de l’Ouest ignorent ce passage. Kohl et les Etats-Unis voulaient une réunification rapide. Les promesses du chancelier affirmant que le processus d’unité impliquerait une égalité de niveau de vie ont fonctionné. On a d’ailleurs appliqué le même schéma pour que la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie intègrent l’UE. Je pense que la démocratie ne s’impose pas de l’extérieur et qu’il fallait d’abord accéder à la liberté avant de construire l’unité. J’ai exprimé cet été mon désaccord à Angela Merkel sur les célébrations de la chute du mur. On invite les anciennes puissances victorieuses mais pas les pays qui sont à l’origine de la révolution pacifique. »

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

(à la Maison de Heidelberg de Montpellier.)

 

Voir Aussi : Revue de presse Election législative en Allemagne  – Rubrique culture  Maison de Heidelberg Un mur de Berlin  à Montpellier – Rubrique Livre histoire :  La mise en oeuvre de la  réunification par Anne Saint Sauveur-Henn, Gérard Schneilin. Rubrique Art découvrir les artistes de RDA

 

Soljenitsyne, un classique et un survivant

Grande figure de l’édition française, le patron des éditions Fayard Claude Durand signe dès 1967 avec Gabriel Garcia Marquez, pour Cent ans de solitude. Outre Soljenitsyne, il est également l’agent de Lech Walesa et de Ismail Kadaré et s’illustre dans l’hexagone par quelques coups d’éclat comme le transfert de Houellebecq ou la publication de  » La face cachée du Monde. « 

Que retenez-vous de marquant dans la relation de 35 ans qui vous lie à Soljenitsyne ?

 » La qualité, la durée et la fraternité de la relation. On a souvent présenté Alexandre Soljenitsyne comme quelqu’un de rugueux, d’autoritaire, il l’est, avec les puissants peut-être, mais dans le travail quotidien entre auteur et éditeur, il a toujours été d’une très grande courtoisie, d’une grande fidélité. Chaque fois que nous avons rencontré des problèmes, notre concertation a toujours était féconde. Elle se base sur la confiance. Il n’y a jamais eu l’ombre d’une mésentente entre nous.

La première partie de son œuvre se voit couronnée par le prix Nobel en 1970…

Une journée d’Ivan Denissovitch et Le pavillon des cancéreux sont les seuls livres qui ont pu être publiés sous Khrouchtchev. Le premier cercle, comme son épopée historique de la Russie La roue rouge qui réunit plusieurs gros volumes représentant l’équivalent de trois ou quatre fois Guerre et paix de Tolstoï, paraissent en Occident.

Et vous signez avec lui en 73, peu après son exil, L’archipel du Goulag, qui fait date…

Ce fut un coup de tonnerre considérable pas seulement au niveau de l’information et de la qualité littéraire, mais aussi du point de vue des répercussions politiques. Je pense que l’on peut dire qu’il y a trois hommes dont l’action, sous diverses formes, a abouti à la chute du mur de Berlin. Soljenitsyne, Lech Walesa et Jean-Paul II.

Vous en avez signé deux. Il reste donc quelque chose à faire du côté du Vatican…

Oui exactement (rire).

N’y a-t-il pas un paradoxe dans ce cheminement qui voit Soljenitsyne critiquer le système soviétique et l’Etat à ses débuts et recevoir l’année dernière le prix d’Etat des mains de Vladimir Poutine ?

Il ne critique pas l’Etat en tant que tel, mais l’Etat communiste et la dictature. Et il ne considère pas que la Russie actuelle est sous un régime dictatorial, ou alors on ne sait plus ce que les mots veulent dire. Il y a certainement des manifestations d’autorité. Mais si l’on regarde bien la constitution russe, on constate qu’elle n’est pas très différente de la constitution française de la Ve République. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème de liberté d’expression. Comme dans tous les pays sortis d’une grande dictature, la marche à la démocratie ne se fait pas du jour au lendemain. La France a eu besoin de plusieurs siècles pour que la IIIe République installe définitivement la démocratie. On peut accorder un certain temps à la Russie pour parfaire son système.

Le point commun entre les deux hommes serait-il l’amour partagé de la nation, voire du nationalisme ?

Je pense que Poutine serait ravi de se trouver des points communs avec Soljenitsyne. Est-ce que la réciproque est vraie ? Je n’irais pas jusque là. Plus la Russie s’est trouvée vulnérable, après la chute du mur de Berlin et l’éclatement de l’Union soviétique, plus effectivement il y a eu un réflexe de patriotisme en Russie, comme chez les intellectuels, y compris Soljenitsyne. On peut augurer que la Russie redevenant une puissance économique, grâce à ses ressources pétrolières et gazières, le facteur autoprotection jouera beaucoup moins à l’avenir.

Mais c’est vrai que Soljenitsyne est très attentif à ce que la Russie sortie du communisme, ne soit pas en butte à toutes les critiques que l’on voit fleurir comme s’il ne s’était rien passé sous Eltsine ou Gorbatchev.

Soljenitsyne s’est très tôt prononcé contre l’implication en Tchétchénie…

On a souvent dit que Soljenitsyne pensait en termes de Grande Russie ce qui, naturellement, est totalement faux, puisque dès 1973, il adresse une lettre ouverte aux dirigeants de l’Union Soviétique à Léonid Brejnev dans laquelle il demandait que l’URSS renonce à son impérialisme sur les autres nations.

Aujourd’hui, de jeunes auteurs Russes abordent également ce conflit…

Oui, la grande différence avec Soljennitsyne est qu’il appartient au XXe siècle. Et figure comme l’écrivain témoin d’un des deux grands drames de ce siècle, le Goulag. Au XXIe, il apparaît à la fois comme un survivant et un classique que l’on enseigne dans les écoles et les universités, un classique vivant.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération invitée à la Comédie du livre ?

C’est une génération extrêmement variée comme souvent après une sortie de clandestinité. Il y a parfois un empressement à aller au plus facile de la liberté. Par exemple, toute une catégorie d’écrivains s’empresse de copier ce qui marche en Occident. On a d’un côté cette vogue occidentaliste et de l’autre, une école qui incarne plutôt un retour aux traditions de la littérature russe.

A l’inverse des médias, cette nouvelle sphère de pensée, ne semble guère être contrôlée par le pouvoir ?

Ce n’est pas tellement rassurant, parce que cela veut dire que l’on considère peut-être ces œuvres non dangereuses. Ce qui n’est pas un bon point pour la littérature de combat.

Certains auteurs ne se privent pas de cette liberté de critique…

C’est probablement le tempérament russe, les intellectuels et les écrivains ont vite fait de prendre leur part de liberté. Puisque ce sont des gens d’écriture et de parole, ils ont plus d’ardeur à s’en servir que les gens qui n’ont pas l’habitude de manier les mots. Tout cela est normal, on retrouve le même phénomène en occident… Peut-être pas assez d’ailleurs… « 

Claude Durand l’agent exclusif de Soljenitsyne.

DR