En lice pour le Goncourt. Marie Ndiaye évoque la force ordinaire féminine dans Trois femmes puissantes.
Née en 1967 à Pithivier, Marie Ndiaye est l’auteur d’une douzaine de livres. Elle a reçu le prix Fémina en 2001 pour Rosie Carpe. Elle était mercredi l’invitée de la Librairie Sauramps pour évoquer son livre : Trois femmes puissantes.
Comment sont nés vos personnages féminins ?
J’avais envie de raconter trois destins. Trois vies très différentes les unes des autres qui seraient liées par des sentiments proches ou des forces communes. J’ai commencé par le second récit mais je savais dès le début qu’il y aurait un lien entre les histoires.
Le livre s’ouvre sur le retour de Norah, avocate en France, qui retrouve au Sénégal un père ayant sombré dans la déchéance. Est-ce un regard extensible à une génération ?
Oui en ce qui concerne le rapport aux fils et aux filles. Du moins je pense, même si je n’ai pas mis les pieds à Dakar depuis 25 ans, que le rapport des hommes avec leurs enfants n’est plus celui de la génération précédente.
Dans cette relation conflictuelle Norah opte pour une relation apaisée ?
Je voulais que dans chaque histoire les personnages évoluent. Au début Norah est en lutte contre son père. Elle est dans un rapport de dépendance. A la fin arrive une forme de libération qui ne passe pas par un renoncement mais un apaisement.
L’accès à la liberté fait lien dans les trois récits ?
A la différence que dans la seconde histoire c’est le personnage de l’homme qui se libère. En partie, c’est vrai, grâce à l’attitude de Fanta qui reste solide comme un roc pendant qu’il se débat.
Le livre se clôt sur le destin tragique de Khaty, une veuve infertile écartée de la communauté humaine qui va affronter sa vie sans regret …
Au contraire, même si elle traverse des épreuves extrêmement douloureuses, sa conscience du présent lui semble préférable à l’espèce de flottement dans lequel elle se trouvait avant.
Vous empruntez comme Léonora Miano, la voie de l’introspection, est-ce chez-vous un moyen d’aborder la situation africaine ?
Contrairement à Léonora Miano, j’ai un rapport d’étrangère à l’Afrique. J’y suis allée très peu il y a longtemps. C’est finalement un endroit du monde que je connais beaucoup moins que d’autres. En même temps, j’essaie de m’en approcher il y a quelque chose comme de la fascination mais précisément parce que c’est un ailleurs très différent. Finalement j’aurais pu situer l’action du livre n’importe où dans le monde dans le cadre de la relation problématique Nord-Sud.
Le résultat de l’élection présidentielle vous aurait incitéeà quitter la France pour vivre à Berlin ?
Cela a été un phénomène déclencheur. Nous souhaitions vivre ailleurs et à partir de ce moment nous l’avons décidé. Aujourd’hui quand je séjourne en France, je trouve les gens très dépressifs. Il y a quelque chose de morose et à la fois de très inquiétant. L’ambiance n’est pas bonne.
Est-elle meilleure en Allemagne ?
Il me semble. Même si mon niveau de langue ne me permet pas encore d’approfondir. Ne serait-ce que parce ce que ce pays est gouverné par quelqu’un de respectable du point vue moral. Toutes opinions politiques mises à part, on n’a pas le sentiment d’avoir atteint le degré de déliquescence du système politique français.
Le prix Nobel de la Paix décerné à Barak Obama…
Je vois cela plutôt d’un œil optimiste.
Après le Fémina en 2001 Vous êtes en bonne place pour le Goncourt 2009 ?
Je ne sais pas… Je suis en lice. Le livre a déjà bien démarré. Je n’ai pas peur…
Khaled Al Khamissi est l’auteur de Taxi, un premier roman qui tisse un portrait sans concession du système politique égyptien à partir de 58 discussions avec les chauffeurs de taxi du Caire.
D’où vous est venue l’idée de ce livre ?
« En 2005, j’ai vu que la rue du Caire bouillonnait. Face à l’échec total du système politique, la colère montait et les manifestations, les émeutes, les grèves dans les usines se multipliaient. Cela m’a donné l’envie d’écrire un livre qui évoque cette singularité égyptienne à partir de ce qu’on entend dans la rue.
Pourquoi les chauffeurs de taxi ?
Parce que la rue est vraiment représentative d’une société et les chauffeurs y passent leur vie et partagent les difficultés des gens qui y vivent. Selon les chiffres, 58% de la population égyptienne vit en dessous du seuil de pauvreté. Je pense qu’en réalité c’est beaucoup plus. Dans le livre, il y a 58 personnages qui s’adressent à un passager. Du point de vue de la forme, j’ai privilégié le dialogue à la narration. On saisit la personnalité, y compris le physique des chauffeurs, à travers leurs propos.
Etes-vous allé sur le terrain pour puiser votre matière littéraire ?
Non. C’est le fruit de toute ma vie. Si un jour, maintenant tout de suite, je vous enferme dans une cellule et que je vous demande d’écrire sur un objet, les montres par exemple, il y aura toute votre vie dans vos écrits.
Les gens qui parlent sont en mouvement et ils décrivent un système totalement figé…
C’est un théâtre mouvant qui ouvre sur un espace à la fois public et privé. Le taxi est un lieu d’échange par excellence entre deux personnes qui ne se connaissent pas et qui ne se reverront jamais. La stagnation du système produit une ébullition. Tout cela présentait un intérêt dramatique. Et un intérêt sur la forme littéraire qui vient de la prose arabe. Dans les mille et une nuits, ce sont des nuits, dans mon livre ce sont des chapitres.
Vos personnages balayent une réalité sociale, politique, économique. Cette conscience reflète-elle vraiment celle de l’homme de la rue ?
C’est toute l’idée du livre. La majorité de la population porte chaque jour ce type de regard vis-à-vis des problématiques auxquelles elle se confronte. Le peuple égyptien est un peuple millénaire. Cette culture est omniprésente dans notre terre, notre âme, notre cerveau. Et elle s’exprime d’autant plus que le peuple est contraint à des problématiques de dictature depuis 20 000 ans. Il y a une réelle sagesse du peuple égyptien.
Une sagesse et un sens de l’humour hors du commun…
Le génie et l’humour font partie de notre culture. Ils circulent à travers la tradition orale depuis fort longtemps. On trouve des blagues sur les murs des temples antiques, on trouve des caricatures sur des papyrus vieux de plusieurs millénaires. Et on retrouve tout cela dans les rue du Caire.
Vous pointez une graduation sur l’échelle des contraintes. Une différence par exemple entre Sadate et Moubarak, qui ne respecte plus les citoyens ?
Je pense que nous sommes réellement à la fin d’un cycle, l’odeur de la fin d’une période est là. Toutes les possibilités réelles de survie sont arrêtées. On ne peut plus aller dans les pays du golf pour trouver du travail, ni en Irak, ni en Europe, ni aux Etats-Unis et l’échec interne d’un modèle de développement économique différencié fait qu’il n’y a plus d’offres d’emploi. La situation est bloquée. Le peuple égyptien attend un grand projet. »
recueilli par Jean-Marie Dinh
Né au Caire, Khaled Al Khamissi est producteur, réalisateur et journaliste. Diplômé de sciences politiques de l’université du Caire et de relations internationales de l’université de Paris- Sorbonne, il a publié en 2007 ce premier livre, devenu rapidement un best-seller et aussitôt traduit en plusieurs langues européennes. Son deuxième opus, Safînat Nûh (L’Arche de Noé), paraîtra au Caire à la fin de 2009.
Taxi, éditions Actes-sud 18,8 euros.
Portant chacune sur un aspect particulier de la vie sociale, économique ou politique en Egypte, ces cinquante-huit conversations avec des chauffeurs de taxi du Caire composent un tableau fascinant de ce pays à un moment clé (avril 2005-mars 2006) du règne du président Hosni Moubarak – qui sollicitait alors un cinquième mandat. Tout y est, en effet : les difficultés quotidiennes de la grande majorité de la population, la corruption qui sévit à tous les échelons de l’administration, l’omniprésence et la brutalité des services de sécurité, le blocage du système politique, les humiliations sans fin que la population subit en silence, les ravages du capitalisme sauvage…
Consignés en dialecte égyptien avec un humour décapant et un admirable sens de la mise en scène, ces échanges librement reconstitués par l’auteur, sinon entièrement inventés par lui, relèvent à la fois de la création littéraire et de l’enquête de terrain. S’ils font connaître les griefs des “gens d’en bas”, ils laissent aussi entrevoir les raisons pour lesquelles le pouvoir en place tient bon malgré sa décrépitude et son impopularité.
C’est sans doute cette combinaison inédite de lucidité politique, de tendresse pour les plus faibles et d’humour qui explique la diffusion de Taxi, dans sa version originale, à plus de cent mille exemplaires.
Ce pourrait être une satire sociale caustique qui évoque la roulette russe comme une forme logique de notre société mais cela s’apparente plutôt à une fable philosophique ou à une œuvre messianique… Si l’on souhaite rester fidèle à la fluidité de ce livre, il faut dire par exemple, c’est le dernier roman d’Alain Monnier. Dire aussi, comme le fait l’auteur sans rien dévoiler, Je vous raconterai. Un titre qui en dit long sur le contenu, à la limite de la vraisemblance, de cet ouvrage. « Je suis parti de la chute, d’une douleur intime », signale l’invité de la librairie Sauramps.
Dans une société laminée par la pauvreté et la violence, on pénètre le malheur d’un homme misérable, qui survit depuis des années dans les rues. Cet homme sans nom dont on apprécie l’outrance, raconte son histoire. « Vous qui parlez haut et fort, que savez-vous donc de la misère ? » Quand le livre débute, il est arrivé au bout de ce qu’il peut endurer. Mais alors qu’il s’apprête à se jeter dans le canal voisin, un mystérieux individu lui propose de l’aider à mourir sans souffrir. « C’est en cheminant que l’on connaît l’histoire », observe l’auteur qui soigne le réalisme des situations sans malignité apparente.
L’homme qui n’a plus rien à perdre accepte sans conscience un contrat faustien conclu en silence. Il se retrouve alors dans une luxueuse villa où il lui est demandé de jouer à la roulette russe devant une assemblée enfiévrée. A la question : « êtes-vous joueur ? », Monnier répond sobrement : « Je ne jouerai jamais à ce jeu. Je ne suis qu’un gros dégonflé. » Le personnage évolue pendant le roman. A l’issue du premier clic, il succombe à la fascination de son geste. Le voisinage de la mort,avec laquelle il prend un rendez-vous périodique, lui permet de reprendre pied, de revenir sur son passé et même de rencontrer Lula dans le miroir de la roulette. « La forme de folie pousse progressivement le héros à être dans la fraternité des hommes, glisse Alain Monnier. Etre un homme, c’est croire au miracle, qu’importe si cela arrive ou pas. »
Jean-Marie Dinh
Je vous raconterai, éditions Flammarion, 17 euros.
Frederic Beigbeder invité du Forum Fnac à Montpellier. Crédit Photo DR
Dans Un Roman français, l’écrivain se confronte à son passé à la suite d’une garde-à-vue pour usage de stupéfiant sur la voie publique : Rencontre pour un nouvel interrogatoire…
Quelles priorités voyez-vous pour amorcer le retour des libertés individuelles : rendre facultatif le port de la ceinture à l’arrière ou légaliser la coke ?
« La seconde incontestablement : il faut légaliser. On voit bien que les pays qui disposent d’une législation plus cool sur ce sujet ne s’en sortent pas plus mal. La jeunesse n’est pas plus défoncée pour autant. The Economist vient de se pencher sur le sujet. Il dénonce l’hypocrisie de la prohibition… En France on ne pense qu’à remplir les prisons. C’est catastrophique, les gens qui ont commis des délits mineurs se retrouvent dans des conditions de détention sordides. Et cela ne résout pas le problème, bien au contraire. Ca brise les jeunes ou les transforme en vrais caïds. Il est temps de mener une réflexion sur le sujet.
Vous dites que l’on retrouve la mémoire en prison. Parviendrait-on à réduire le trou de la Sécu en mettant les malades d’Alzheimer en cabane ?
Non je ne pense pas. Je suis moi-même atteint d’une certaine forme d’amnésie involontaire que je m’emploie à soigner par l’écriture. Et puis, même pour rire, je ne dirai jamais qu’il faut mettre plus de monde en détention. Il y a un suicide par jour dans les prisons françaises donc je suis plutôt pour que l’on cesse d’utiliser la garde-à-vue à tort et à travers.
Vous comparez le métier de flic à celui de romancier en affirmant que dans les deux cas, on rapproche des choses qui n’ont aucun rapport. Voyez-vous d’autres points communs ?
Le principal est de ne pas croire au hasard. Les flics recoupent les informations et finissent par échafauder un scénario. Ils tentent de bâtir une histoire à partir d’un travail d’enquête. Pour moi, ce travail se rapproche de celui du romancier. Dans mon cas d’autobiographe, j’ai travaillé quelques scènes comme cela. Un petit garçon sur une plage avec son grand-père, un adulte en garde-à-vue… Il faut arriver à relier l’ensemble en faisant en sorte que chaque événement explique le suivant. J’ai été le détective privé de moi-même.
En 2002, on vous a vu battre la campagne avec Robert Hue, vous avez toujours son portable ?
Non ! Il n’a pas de portable, j’arrivais pas à… en tout cas il n’avait pas de portable à l’époque. Pour le joindre, il fallait appeler son directeur de cabinet.
Et lui, vous pensez qu’il a le vôtre ?
Euh… Je l’ai vu la semaine dernière et je crois bien qu’il l’avait.
Comment définiriez-vous votre rapport à la sincérité ?
Bah… Cela dépend des livres. Il y a des livres où je mens et des livres où je dis la vérité. Le dernier est celui où je mens le moins…
Votre fille vous fait-elle la morale ?
Oui. C’est marrant les choses se sont vraiment inversées. Je pense que le grand changement, c’est 68. Avant cette date les parents faisaient la morale aux enfants. Depuis c’est le contraire.
Après la sortie de votre livre, l’ambiance à table en famille s’est-elle améliorée ?
Oui, ce qui a surtout changé, c’est que l’on se parle. Avant on se contentait de sourire. C’est un des grands mérites de la littérature, ça décoince les bourgeois.
Laquelle des questions auxquels vous venez de répondre vous a semblé la plus sérieuse ?
Toutes, mais la plus étrange est celle sur Alzheimer. C’est celle que j’ai préférée parce que le vrai sujet de mon livre ce n’est pas ma garde-à-vue ou mon enfance, c’est cette question sur la mémoire. Qu’est-ce que ce mystère dans le cerveau humain qui fait que l’on se souvient d’une chose et pas d’une autre ? »
C’est au philosophe, linguiste Jean-Claude Milner, ex directeur du Collège international de philosophie, grand lecteur de Marx, Freud, Lacan, Foucault…que revient la charge de la leçon inaugurale des XXIV ème Rencontres de Pétrarque à Montpellier organisées par France Culture en collaboration avec Le Monde sur le thème : Après la crise , quelle(s) révolution(s) ?
Que vous évoque cet intitulé ?
D’un certain point de vue, il me ramène à l’interrogation sur le mot révolution et au fait qu’autrefois, avant que ce mot désigne un total changement, dans le langage astronomique comme politique, il désignait le retour à un état antérieur. Et il me semble que dans le titre, les deux interprétations se laissent déchiffrer. Une des interprétations de la crise est quelle est financière et qu’il faut revenir au fondamentaux du capitalisme classique : C’est-à-dire fondé sur la production industrielle et non pas sur des produits sophistiqués totalement disjoints de la production de biens.
Le recours en force à l’Etat pour éponger les pertes bancaires pourrait contribuer à cette vision…
En nationalisant les pertes, on a retrouvé des procédures qui existaient de longue date. Lorsque Obama lance un plan pour soutenir les banques ou en nationalisant Général Motors il ne fait pas quelque chose sans précédent dans l’histoire américaine puisque cela ramène au New Deal et à la politique de Roosevelt.
Envisagez-vous cette notion de révolution comme une solution à l’impossible équation du capitalisme financier ?
Les solutions qui sont aujourd’hui présentées à cette équation impossible sont des retours au capitalisme classique. En revanche, si le centre du pouvoir bouge des Etats-Unis ou de l’Europe vers l’Inde et vers la Chine ce serait un déplacement sans précédent. Je ne vois pas de révolution sociale venant de l’Atlantique nord.
Inscrit au singulier, le mot crise sous-tend la rupture de l’équilibre mais il concerne plusieurs champs : financier, économique, politique, social, écologique…
Quand on emploie le mot au singulier, on évoque la crise financière qui a fait basculer un modèle de manière spectaculaire. Mais évidemment, cela débouche sur une crise économique. Et dans un certain nombre de pays, je pense notamment à la Chine, une crise économique se traduira par la famine. Un pays où des millions de gens sont frappés par la famine peut connaître des troubles extrêmement graves. Les grandes crises sociales dans l’histoire européenne sont liées à la famine qui ne menace pas aujourd’hui l’Occident.
Existe-t-il un risque de révolution sociale en Occident malgré l’affaiblissement historique du prolétariat et du syndicalisme ?
Objectivement, les pays occidentaux font de l’industrie sans ouvriers ou avec de moins en moins d’ouvriers. C’est un très grave problème. Je ne vois pas de révolution se profiler à l’horizon de ce point vue là. Je ne pense pas que nous verrons resurgir en France des grands bassins d’emploi industriel.
Reste que la crise des subprimes pose les limites et brise la mécanique du capitalisme financier qui a institutionnalisé le profit, la précarité, et l’endettement…
Oui, c’est pour cela qu’il faut observer de très prêt la manière dont le capitalisme industriel va se réunifier, s’il se réunifie. Il ne le fera pas sur des bases ouvrières comme précédemment. Un pays comme l’Allemagne ne renoncera pas à fonder son développement économique sur les machines outils. De la même manière les Etats-Unis vont jouer la carte du versant industriel de l’écologie.
Les scénarios de sortie de crise seront au cœur des Rencontres Pétrarque et notamment celui de la guerre comme issue possible ?
La guerre peut effectivement être envisagée à la condition quelle soit extrêmement circonscrite. Les deux guerres d’Irak sont à ce sujet deux exemples opposés de la manière dont une guerre peut être menée de telle façon qu’elle relance ou ne relance pas l’économie. La première guerre d’Irak était très circonscrite, la deuxième ne l’était pas. Et s’est traduite par un affaiblissement de l’économie américaine alors que la première a amené une consolidation. Maintenant je vois mal, même la Grande Bretagne qui est beaucoup plus active sur le plan militaire, utiliser la guerre comme moyen de relance économique. Elle n’en a pas la capacité.
Si la vision d’Obama en matière de politique étrangère ne semble pas belliqueuse, ce n’est pas le cas d’une partie de son entourage qui trouve des partisans au sein de l’UE ?
La logique d’Obama est une logique qui inclut la possibilité d’une intervention militaire circonscrite dans l’espace et dans le temps. La question qui se pose est de savoir si, étant donné ce qu’est l’Afghanistan, l’Iran voisin et le Pakistan, la possibilité d’une guerre limitée est vraiment ouverte. Est-ce vraiment possible ? Le discours du Caire d’Obama n’est pas un discours qui s’adresse à l’Islam dans son ensemble, mais à une partie qui accepterait un certain nombre de principes. Cela renvoi à une relation qui inclue la possibilité d’une guerre.
Quel regard portez-vous sur ce discours qui prône une autre vision du monde ?
Je l’ai trouvé très Rooseveltien. J’ai trouvé remarquable qu’il juge opportun de tendre la main au monde musulman. Les seuls pays pour lesquels il a été critique, ce sont les pays occidentaux. Obama considère que cela n’a pas de sens de tendre la main au européen parce qu’il les considère d’ores et déjà à l’intérieur de l’espace occidental. On ne tend pas la main à un pays occidental qui adopte sur la laïcité une vision qui n’est pas le point de vue régnant dans les pays anglo-saxons. C’est exactement la position qu’avait Roosevelt qui tendait la main à l’Union Soviétique mais pas aux pays européens.
L’ampleur de la secousse ouvre des opportunités politiques qui ne sont pas saisies. Où situez-vous les résistances aux nouveaux champs d’action possibles ?
J’accorde une place importante à la notion d’institution. Au cours des trente dernières années, je pense que la notion de régulation a été perçue comme la multiplication de règles avec des interactions de plus en plus difficiles à maîtriser. L’opacité de la réglementation européenne en est un bon exemple. Si on prend au sérieux la réglementation du capitalisme qui a été évoquée, pas seulement par les hommes politiques mais également des économistes, il faut se poser la question de ce qu’est une règle et de qui peut la définir.
Vous appelez à une reprise en main de la sphère politique ?
Grand ou petit un groupe ne peut définir la règle, cela doit être un pouvoir législatif et exécutif reconnu comme tel. N’importe quelle règle ne vaut pas n’importe quelle autre. Les règles ne doivent pas être très nombreuses. Elles doivent valoir non pas pour un petit nombre de circonstances mais retrouver un caractère assez général. Je pense qu’il peut y avoir sur ce point une véritable reconstruction. La question des institutions a été très longtemps centrale dans la vision de la République et de la démocratie et elle a peu à peu perdu de sa vivacité. Les gouvernements sont en mesure, s’ils le souhaitent, de baliser réglementairement le type d’inventivité que le capitalisme financier s’est autorisé.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Jean-Claude Milner a notamment publié Existe-t-il une vie intellectuelle en France (Verdier 2002) L’arrogance du présent (Grasset 2009)