Le phénomène Ellroy dépasse le mur du crime

underworld-usaOn imagine Ellroy à Roissy Charles de Gaulle soutenant froidement le regard des douaniers, après avoir fait sonner le détecteur de métaux. On pourrait aussi le croiser au fin fond des terres désertiques du conté de Los-Angeles faisant causette avec une bigote WASP*, ou scrutant le plafond dans le noir d’une chambre d’hôtel. Autant dire que le passage de l’écrivain américain à Montpellier mercredi n’est pas passé inaperçu. Trente minutes avec la presse, une heure trente chez Sauramps où il a dédicacé une rafale de 200 livres, pour conclure sur une heure de rencontre avec ses lecteurs salle Pétrarque. Carton plein. Sold out à tous les étages.

En tournée pour la sortie de Underworld USA (Rivages)**, l’homme avance sur du papier millimétré. Ses écarts laissent souvent des tâches rouge sombre. Le style, jamais innocent, d’Ellroy a quelque chose d’un Céline américain, qui ne saurait pourtant se résumer au populisme basique de droite. Il y a un phénomène Ellroy.  » Depuis l’assassinat non élucidé de ma mère en 1958, j’ai deux versions de l’histoire. La version officielle et l’autre.  » On pourrait souffler à l’auteur le conseil qu’il met dans la bouche d’un de ses personnages :  » Prends bien garde au but que tu poursuis car il te poursuit aussi.  » Sorti le 6 janvier, le volume 3 de Underworld USA vient clore la trilogie sur l’Amérique obscure des années 1958-1972, de la montée des mouvements noirs comme les Black Panthers, à la réélection de Richard Nixon en 1972 en passant par les assassinats de John F. Kennedy et Martin Luther King.

Le livre cartonne en tête, toutes ventes confondues. On a déjà dépassé les 120 000 exemplaires confirmait il y a peu son éditeur François Guérif. Pourtant, l’écrivain ne fait aucune concession à ses lecteurs. Il amoncelle les faits autour de destinées multiples. Les 840 pages de Underworld USA ne constituent pas un livre facile.   » C’est un succès inexplicable, confirme le directeur du FIRN, Michel Gueorguieff, le livre est excellent, le style est vif, la violence extrême, et la construction complexe mais habituellement cela ne suffit pas. L’homme est abrupt, il peut être odieux même s’il faut tenir compte du clivage d’expression qui existe entre la France et les Etats-Unis. La fresque politico-criminelle de l’histoire américaine que nous livre l’écrivain ne l’empêche pas de défendre une vision religieuse du monde. En prenant soin de donner une âme à ses criminels endurcis. C’est typiquement du Ellroy. Ca sent le souffre.

Jean-Marie Dinh

*Underworld USA, Editions Rivages 24,5 euros


Rencontre avec James Ellroy à Montpellier :

 » Je suis de droite et je crois au pouvoir des idées  »


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Vous laissez le lecteur démêler les fils entre réalité et fiction, entre l’histoire d’un pays et celle des hommes qui y vivent. Où trouvez-vous l’enseignement le plus fécond, dans l’observation politique ou dans l’approche humaine ?

Mon objectif était de mêler, sans que cela soit perceptible, des personnages de fiction avec des personnages réels et des faits imaginés avec d’autres faits qui font vraiment partie de l’histoire des Etats-Unis. En fait, j’ai tenté de réécrire l’histoire. Si je parviens à un degré de réalisme où le lecteur peine à faire la distinction, on peut penser que j’ai réussi.

Votre trilogie se termine à la fin de la première guerre froide, un moment où le business prend les commandes. Vous décrivez la lutte pour le pouvoir, qui voit la confluence entre les racistes et les anticommunistes. Etait-ce un rapprochement d’intérêts ou idéologique ?

Le racisme est mauvais et le communisme aussi. Pour moi, la guerre froide ne se termine pas dans les années 70 mais en 1989, quand Ronald Reagan met définitivement fin à cette guerre avec la chute du mur de Berlin. Cela dit, je pense qu’on ne peut pas faire un lien direct entre l’horreur du racisme et l’anticommunisme. Les idées ne sont pas liées.

Vous êtes perçu en France comme un auteur de droite bien que beaucoup de lecteurs de gauche vous apprécient. Croyez-vous au pouvoir des idées ?

Je suis de droite et je crois aux pouvoir des idées.

La véritable histoire des Etats-Unis que vous dévoilez est celle du crime. Pensez-vous que cela changera un jour ?

Je crois que l’histoire du monde va s’améliorer. Parce que c’est la volonté de Dieu. Si nous nous considérons comme ses créatures c’est aussi la nôtre d’œuvrer vers le bien. Donc on devrait pouvoir améliorer cette merde.

La libre relation entre Karen et Dwight est magnifique. Les histoires d’amour sont-elles plus belles quand elles sont vécues par des assassins ?

Je n’ai rien vécu de mieux dans toute ma carrière que de décrire les histoires d’amour de ce roman. J’ai voulu rendre un hommage aux femmes qui ont vécu leur existence auprès d’eux… « 

Recueilli par JMDH

Voir aussi : Rubrique Roman noir, Rencontre David Peace,

Daniel Bensaïd :  » Le problème c’est la course contre le temps « 

Disparition de Daniel Bensaïd

Disparition de Daniel Bensaïd

Le philosophe marxiste et théoricien de l’ancienne Ligue communiste révolutionnaire (LCR),  Daniel Bensaïd, est décédé hier à 63 ans. Il était gravement malade depuis plusieurs mois. Après avoir cofondé la JCR (Jeunesse Communiste Révolutionnaire) en 1966, puis compté comme l’un des principaux acteurs du mouvement de Mai 68, Daniel Bensaïd a participé à la création de la LCR, en avril 1969, dont il a longtemps été membre de la direction. En 2008 et 2009, il avait aussi contribué à la création du NPA. Philosophe, enseignant à l’Université de Paris VIII, il a publié de nombreux ouvrages de philosophie ou de débat politique, dont «Prenons parti pour un socialisme du XXIe siècle» (Editions Mille et une nuits, 2009). Nous publions un entretien réalisé lors d’une rencontre à Montpellier en février 2008 autour de la sortie de son livre Eloge d’une politique profane» (Editions Albin Michel 2009).

Votre dernier livre porte un regard global sur la politique bousculée par la mondialisation…


 » Je porte en effet une réflexion sur les effets de la mondialisation qui bouleversent les bases de la politique moderne apparue au XVIIe siècle et effacent tout le vocabulaire sur lequel elle reposait, comme les mots  » peuple « ,  » souveraineté « …

Le titre fait référence à la religion…

Oui, les récents discours du Président de la République à Latran, Ryad, et il y a deux jours devant le CRIF, confirment cette inversion de tendance dans les rapports entre le politique et le religieux, dont la séparation reste la grande caractéristique de la modernité. Au lendemain du 11 septembre, le discours de G.W Bush initiait déjà ce changement en utilisant le registre théologique. On constate le même basculement entre la première Intifada qui était un mouvement social et la seconde où apparaît la rhétorique religieuse.

Y voyez-vous une utilisation unilatérale du religieux par le politique ?

Le mouvement va dans les deux sens. Avec d’un côté l’utilisation de la religion pour donner un soubassement à une morale civique qui n’y parvient plus par ses propres moyens. Et de l’autre une offensive idéologique de l’épiscopat très manifeste chez Benoît XVI que l’on constate avec le mariage homosexuel ou l’avortement. Pour moi c’est une espèce d’aspiration par le vide qui déplace l’argumentation politique sur le terrain émotionnel.

D’où provient cette défaillance du politique ?

Elle est liée à plusieurs facteurs. La privatisation du monde entraîne une perte de substance de l’espace public qui pousse à baisser les bras. La politique, s’inscrit dans des espaces où les lieux de pouvoir dispersés deviennent insaisissables pour les citoyens. Enfin, le résultat des blessures du XXe siècle, qui se traduisent par la difficulté à se projeter dans l’avenir.

Comment porter de nouvelles stratégies de résistance ?

C’est toute la question après le diagnostic. Il importe de trouver l’espace des acteurs pour les luttes profanes.

Vous restez fidèle au concept de la lutte des classes dans une société où l’individualisme les décompose. Avec la disparition de lieux de socialisation, la classe ouvrière n’a plus guère d’expression politique …

La décomposition sociale est réelle mais elle est aussi relative. Le prolétariat que Marx décrivait en 1848 n’a rien à voir avec le milieu ouvrier. Les luttes d’aujourd’hui paraissent asymétriques. Mais ne rendent pas pour autant impensable le fait de changer le monde. Le problème c’est la course contre le temps. Les millions de Chinois qui sont aujourd’hui exploités trouveront inévitablement une forme d’organisation sociale pour défendre leurs droits.

Vous êtes membre dirigeant de la LCR, sur quelles bases votre parti envisage-t-il la mutation décidée lors de son dernier congrès ?

La décision de fonder un nouveau parti anticapitaliste est actée. Elle dépend maintenant du processus constituant. Cela devrait voir le jour fin 2008 ou lors du premier trimestre 2009. Le point de départ part de la nécessité d’actions face aux attaques brutales du gouvernement Sarkozy pour une mise aux normes néolibérales du pays. Mais aussi de l’absence de résistance de la gauche de gouvernement qui s’oppose sur la forme mais pas sur le fond. Il y a un espace pour un vrai parti de gauche qui n’efface pas son histoire sans pour autant l’imposer aux autres, ce qui permettra des alliances. « 

recueilli par Jean-Marie Dinh


article publié dans L’Hérault du jour le 16 02 08

Eloge de la politique profane, 22 euros ed, Albin Michel

Voir aussi Rubrique politique, Rubrique Essai Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie ,



Situation de pensées et d’actions humaines

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Tzvetan Todorov « Il est toujours dangereux d'ériger un mur entre le mal commis et nous-même. » Photo Dr

Intellectuel et plutôt honnête homme, Tzvetan Todorov était l’invité de la onzième soirée Rabelais. Dans une salle comble, l’écrivain chercheur a évoqué son dernière essai La signature humaine. D’une grande érudition tout en restant accessible, ce livre reflète la personnalité de son auteur. Il se présente sous la forme d’une compilation de textes écrits entre 1983 et 2008 et réactualisés. La somme de réflexions et d’expériences contenues dans cet ouvrage s’entend selon l’auteur, comme la trace d’humanité qu’on laisse en essayant d’aller toujours plus loin dans la compréhension.  « C’est une sorte d’autoportrait à partir des œuvres qui m’ont marqué et des rencontres que j’ai faites. Tout cela constitue mon univers intérieur. » On parcourt avec intérêt, sans ordre imposé, cet ouvrage frappé du sceau de la conscience.

L’homme d’origine bulgare est une des figures de proue du structuralisme. Son travail, notamment sur le sens de l’opposition entre totalitarisme et démocratie, le positionne comme un intellectuel français de premier plan. Historien des idées, philosophe, linguiste fort d’une solide approche scientifique, Todorov n’a cessé de se consacrer à la littérature qui demeure à ses yeux la mère des sciences sociales. « La littérature a toujours transporté la sagesse humaine. Le romancier dispose de moyens extraordinaires pour faire revivre un monde. Cela ne relève pas seulement d’une ingénieuse conception mais aussi des pensées et des affirmations qu’il formule. »

Les différents genres littéraires qui composent le livre situent l’essayiste au carrefour des chemins ultérieurement explorés. La première partie se compose d’une série de portraits de personnes ou d’œuvres  qui l’ont marqué. Au premier rang desquelles se trouve  l’ethnologue et résistante Germaine Tillion. « J’ai beaucoup d’admiration pour cette femme que j’ai rencontrée dans les dernières années de sa vie. Elle a toujours su mêler son parcours d’étude avec ses expériences humaines. » Figurent aussi Raymond Aron, les linguistes russes Jacobson et Bahktine et le Palestinien exilé Edward Said qui ne voyait pas non plus de frontière entre sa vie et son œuvre.

La seconde partie du livre concerne des épisodes liés aux mondes totalitaires. Dans un des chapitres, l’auteur cherche à comprendre pourquoi la Bulgarie n’a pas déporté les juifs vivants sur son territoire vers l’Allemagne nazie. « En regardant l’histoire de près, je me suis surpris de l’étonnante fragilité du bien » constate Tzvetan Todorov. Un peu plus tard dans le débat, il souligne l’effet toujours dévastateur  de  la formule « délivre-nous du mal » de l’évangile de St Mathieu. « Il est toujours dangereux d’ériger un mur entre le mal commis et nous-même. L’inhumanité fait partie de l’humain, le reste est un pieux mensonge », disait Romain Gary. L’ouvrage se termine sur des analyses littéraires autour d’auteurs proches de ses centres d’intérêts : La Rochefoucault, Goethe, Beckett…

Au fil des pages, l’univers de Todorov se dessine en creux. Il ignore les héros triomphants pour retenir la beauté des existences sensibles et le sens de leur démarche. Et si l’intellectuel concède que « la vie n’est jamais une incarnation parfaite des idées que l’on développe », il ne s’interdit pas de se prononcer, contre le débat sur l’identité nationale, ou le devoir de mémoire : « Je ne me reconnais pas dans cette formule qui ne précise pas d’objectif. »

L’humanisme des lumières associé à l’idée d’un progrès illimité a vécu. En revanche, l’être humain se constitue toujours à travers les rencontres qu’il fait et les expériences de sa propre vie, nous rappelle à bon escient  Todorov.

Jean-Marie Dinh

La signature humaine, aux éditions du Seuil, 23 euros

Voir aussi : rubrique rencontre Tzvetan Todorov, Daniel Friedman, Rolan Gori,

Didier Decoin « « Ma Bible d’homme parle du monde entier »

Didier Decoin : "La Bible et ses progénitures."

Auteur, journaliste, scénariste romancier et actuel le Secrétaire Général de l’Académie Goncourt, Didier Decoin a présenté son dictionnaire amoureux de la Bible au Musée Fabre de Montpellier : Rencontre

Vous indiquez avoir eu un rapport précoce à la Bible, comment cette relation a-t-elle évolué avec le temps ?

« Ma première découverte était celle d’un livre d’aventures. Il était illustré d’images un peu à la Gustave Doré, pour moi qui avait huit ans, c’était un peu une BD. J’en ai fait plus tard une relecture, sur le plan littéraire cette fois, lorsque j’ai commencé à écrire. Je cherchais des modèles, des maîtres etc. Je dois avouer que cette fichue bible me donnait des leçons de grandeur, d’ampleur… J’ai même utilisé des thématiques bibliques pour certains livres, comme dans Abraham de Brooklyn qui a eu le prix des libraires en 1971. La troisième phase a été la découverte de ce que le livre contenait de spiritualité.

Pourquoi avoir choisi la formule du dictionnaire ?

Parce qu’elle permet d’évacuer des choses pour lesquelles je n’avais ni l’envie ni la compétence de parler. L’avantage d’un dictionnaire « amoureux » c’est le choix des entrées notamment subjectives qu’il permet, et la possibilité d’écarter des choses qui ne m’inspiraient pas trop. Et de faire en revanche des entrées sur ce que j’appelle les progénitures de la Bible. C’est-à-dire tout ce qui prolonge la Bible dans le monde d’aujourd’hui que ce soit en musique, peinture, dans le cinéma…

Trouvez-vous que la Bible est un livre violent ?

Oui, je ne pense pas que l’on puisse dire le contraire. Les deux époques, que ce soit celle de l’Ancien ou du Nouveau testament, sont des périodes de violences et de guerres. C’est un livre où il y a des combats, des affrontements, où on n’hésite pas à commettre des meurtres. Ce qui est troublant dans cette violence, c’est que Dieu en prend sa part. Dans le passage où il fait tomber une pluie d’énormes rochers du haut du ciel sur les ennemis du peuple juif, on est très très loin du « aimez-vous les uns les autres ». Même quand on lit les psaumes : « Seigneur, anéantis mon ennemi, fais-moi piétiner son cadavre que je me repaisse de ses yeux… » Il faut resituer dans le contexte. Ce livre a été écrit par des êtres humains qui vivaient dans une époque où on ne rigolait pas tellement.

A propos d’Abraham, vous indiquez que sa nature conflictuelle est peut-être l’origine du Dieu unique ?

Dans l’histoire d’Abraham telle que je la raconte, je rapporte la légende de son enfance où, tout en gardant la boutique de son père, il se pose la question du Dieu unique. Ce qui me fascine chez ce personnage, c’est que non seulement il conçoit l’idée du monothéisme mais en plus, il ose poser des questions, discuter avec Dieu d’égal à égal, n’hésitant pas à le mettre face à ses contradictions.

Comment avez-vous abordé la problématique des sources ?

J’ai mis six ans à faire le livre, dont quatre de recherches, livresques et géographiques. J’ai travaillé en arborescence en confrontant mes sources, j’ai interrogé des biblistes, de préférence des laïques. La Bible est un livre pour les hommes écrit par cinquante auteurs. A la différence du Coran écrit par Dieu, dans la Bible, Dieu est un acteur.

Quel regard portez-vous sur la manière dont réagit l’Eglise lorsque l’on découvre des vestiges bibliques ?

Je pense qu’elle ne réagit pas très bien, parce qu’elle perçoit souvent cela comme une contradiction. Ce qui m’exaspère un peu parce que la foi n’a rien de dogmatique ou de figé. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

« Le dictionnaire amoureux de la Bible ». Editions Plon

Pierre Pitiot : « Sont méditerranéens ceux qui ont envie de l’être »

pitiot1Cofondateur du Cinemed, Pierre Pitiot vient de publier : Méditerranée, le génie du cinéma.

Si votre livre tisse un lien intime avec le Cinemed, il apparaît surtout comme un essai sur la culture méditerranéenne et l’art cinématographique ?


Je suis un méditerranéen, mon grand-père était pêcheur à Palavas. J’ai vécu dès ma plus tendre enfance avec les pieds sur les rivages de cette mer, ou bien enfoncé dans la fange des étang. Le livre est construit comme un entonnoir. A l’endroit le plus large, je parle de l’idéologie méditerranéenne. Elle est assez difficile à définir. Fernand Braudel a dit lui-même : il est impossible de parler de la Méditerranée dans sa totalité. J’ai essayé. Si je me suis cassé la gueule, j’enverrai un bouquet de fleur post-mortem à Braudel qui est mon maître spirituel. Après avoir tenté de décrire la totalité méditerranéenne, je suis passé à son cinéma et puis j’ai fini, mais très rapidement, sur le festival.

Comment s’est imposé l’espace géographique du Cinemed ?

Nous avons commencé par un festival italien. C’était un plaisir de penser qu’à côté du cinéma italien il y avait d’autres richesses qui touchaient tous les ports y compris ceux de la mer Noire qui est un prolongement naturel de la méditerranée. Au bout de deux trois ans, nous avons ajouté d’autres pays. Ce n’était pas simple mais cela a pris. Et aujourd’hui on honore de la même manière les 23 ou 25 pays de la méditerranée et de la mer Noire.

Un parti pris qui implique intrinsèquement, dite-vous, l’esprit d’ouverture…

Absolument mais je ne veux pas être méditerranéen comme l’on est autrichien. Il n’y a pas de limite. Pour moi, sont méditerranéens, ceux qui ont envie de l’être.

Vous donnez à comprendre la force de cette culture berceau des religions monothéistes et des conflits qui accompagnent leurs histoires sans évoquer la violence ?

Je crois que la violence fait partie des sentiments humains. La Méditerranée n’a été la source que d’une religion. Dans les évangiles la mer dont on parle c’est le Jourdain et le lac de Tibériade. La religion islamique comme la religion juive viennent du désert. Quand vous êtes dans le désert et que vous regardez en l’air la nuit, vous voyez le plafond des étoiles qui vous tire vers le mysticisme. Reste le christianisme qui n’est qu’un dévoiement du judaïsme. La civilisation méditerranéenne comme toutes les civilisations traverse de multiples phases de violence. Une des raisons importante de cette violence est liée au manque d’espace. Les Méditerranéen vivent sur un espace terrestre très réduit. Il font beaucoup d’esbroufes pour se donner des illusions. Et ça débouche parfois sur de la brutalité ou sur des pantalonnades. Le théâtre grec est un théâtre de violence.

Votre essai plonge dans l’histoire de l’art et les études helléniques …

Quand les grecs se sont rendus compte qu’ils avaient été spoliés du point de vue spatial, ils se sont vengés en plaçant leurs dieux qui vivaient dans les cités au sommet de l’Olympe. On leur a construit des sanctuaires et organisé des jeux. De là est sorti le théâtre, la notion de dérision et celle de représentation. Les philosophes présocratiques disaient qu’une image est belle quand elle est ressemblante. Ils exaltaient la mimésis. Cela a duré jusqu’à l’arrivée de la photo.

A travers l’Odyssée et le voyage en boucle, se pose la question de l’utilité et de l’inutilité du mouvement ?

Cavafy, qui est le grand poète grec du XXe, dit : il faut que tu fasses un retour chez toi, mais ne hâte pas ton retour. Parce que tu reviendras plein de connaissances et d’usages. Je ne suis pas un adepte des stupéfiants mais the trip est une expression qui vient de loin…

Le cinéma en tant qu’expression contemporaine de l’identité intègre volontiers la Turquie …

La Méditerranée n’est pas corsetée par des limites. Elle est comme un cœur. Elle envoie et puis des fois l’impulsion se tarie et s’arrête. Il vaut mieux ne pas parler de la méditerranée en terme de frontières.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Méditerranée le génie du cinéma, Indigène éditions, 22 euros.