La LDH dénonce un « recul des droits et libertés » en France en 2008

La Ligue des droits de l’Homme (LDH) dénonce dans son rapport annuel sur « l’Etat des droits de l’Homme en France » la poursuite d’un « recul des droits et libertés » en 2008, en soulignant la « surveillance » de « tous les citoyens » et le renforcement du « contrôle social ». « Le recul des droits et libertés qu’avait accéléré l’arrivée au sommet du pouvoir politique de Nicolas Sarkozy en mai 2007, a continué sans désemparer tout au long de l’année 2008 », écrit le président de la LDH Jean-Pierre Dubois dans ce rapport, publié jeudi aux éditions La Découverte. La LDH insiste sur l’avènement de ce qu’elle appelle « l’ère des miradors invisibles », quand « puces, caméras, lecteurs d’empreintes, bases de données et fichiers (…) pullulent », soulignant que  la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a elle-même « alerté sur la mise en place d’une +société de la surveillance+ ».

Selon l’organisation de défense des droits de l’Homme, ce sont « tous les citoyens, partout et toujours » qui sont « surveillés », et « tout particulièrement » (…) les défenseurs des droits et les lanceurs d’alerte ». Plus « l’Etat pénal avance », plus « l’Etat social recule », poursuit-elle, citant l’exemple du « fichage des chômeurs » qui « s’enrichit d’une surveillance de plus en plus inquisitoriale sur leur train de vie ». L’organisation parle également d’un renforcement du « contrôle social », en particulier à travers « des entraves à la liberté d’expression », s’inquiétant de ce que « le nombre de poursuites intentées pour outrage à l’autorité publique et pour injure et diffamation explose ».

Evoquant des « dérives sécuritaires », la LDH cite notamment à ce propos la loi sur la rétention de sûreté, qui « prive de liberté après la prison ». Elle condamne « une gestion de la police génératrice de dérives de plus en plus préoccupantes », particulièrement dans l’affaire de Tarnac où présomption d’innocence et secret de l’instruction ont été selon elle « piétinés »: des sabotages de lignes ferroviaires « qui n’ont mis en danger aucune vie humaine » y ont été « présentés » comme « une menace +terroriste+ de grande ampleur ». L’association parle d’une « dérive xénophobe de plus en plus ouvertement assumée », notamment concernant les sans-papiers, mais se réjouit de l’émergence  en 2008 de « résistances et réveils civiques face aux +contre-réformes+ », au cours de la campagne contre le fichier Edvige ou du mouvement de grèves de sans-papiers salariés.

Selon la LDH, « nul n’échappera au choix entre une société de solidarités durables, de prééminence démocratique du politique sur l’économique, de construction de libertés et d’égalités réelles » et « une société de surveillance dans laquelle des pouvoirs de plus en plus autoritaires chercheront à toujours plus +surveiller et punir+, pour réduire les citoyens à l’état de consommateurs et d’administrés dociles ».

Voir aussi : Rubrique Justice Affaire Villiers-le-Bel,

Sans papier les esclaves du capitalisme

Les attaques se multiplient en Europe contre les droits des étrangers, toujours plus criminalisés. Le gouvernement italien vient de proposer un texte permettant aux médecins de dénoncer les clandestins. La dérive sécuritaire se propage en Espagne où le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero multiplie les descentes policières au faciès. Tandis qu’au nom d’une politique performante en matière d’expulsion, la France touche à l’absurde. Le Canard Enchaîné vient d’épingler le génie du ministère de l’immigration qui a empêché un groupe de Marocains de rentrer au Maroc. Les policiers préférant les arrêter et les expulser, en payant leur billet d’avion, pour gonfler les chiffres. Malgré les discours sur une immigration de travail qui serait une immigration choisie et les annonces de régularisation des travailleurs étrangers, de nombreux étrangers, qui travaillent depuis plusieurs années, sont aujourd’hui arrêtés et expulsés pour avoir, en confiance, signalé leur situation.

Exploitation intensive des saisonniers agricoles

Dans son livre document Les nouveaux esclaves du capitalisme, le journaliste paysan aveyronnais Patrick Herman propose un zoom
saisissant sur le concept d’immigration choisie. L’ouvrage démontre à partir d’exemples précis dans le Sud de la France, en Andalousie, et dans le rif marocain, comment l’agriculture intensive est devenue le laboratoire d’une régression sociale sans précédent. Le livre se compose de témoignages, de références chiffrées et de questionnements sur les pratiques très floues des institutions face à la pression des lobbies de producteurs (la Freshuelva en Andalousie) ou des syndicats, (la FNSEA en France, la COAG en Espagne). Ce document offre aussi un regard historique sur le développement de l’agriculture intensive et ses besoins. En Provence comme en Andalousie, la main-d’œuvre marocaine a été la clef de voûte du décollage agricole. Chacune des zones de production a sa spécificité. Dans les Bouches-du-Rhône, les contrats OMI qui permettent de rentrer la récolte à moindre coût et assurent aux agriculteurs la sécurité, la disponibilité et la docilité de leurs personnels sont défendus bec et ongles par la FNSEA. Cette option des employeurs pour une main d’œuvre en situation précaire et soumise permet d’imposer une cadence de travail inhumaine et s’impose au détriment du droit du travail (1).  » Ceux qui ont une carte de séjour ne font plus rien. Il ne veulent pas travailler. Il abandonnent au bout de deux jours. L’ANPE nous envoie que des bras cassés. »

En cette période cyclonique, on ne rappelle jamais assez que les reculs sur la condition des étrangers s’inscrivent dans un projet global de société qui vise à affaiblir notre système de protection sociale, les services publics et nos libertés à tous.

Jean-Marie Dinh

Les nouveaux esclaves du capitalisme, édition Au Diable Vauvert, 23 euros.
Les contrat OMI saisonniers ne sont encadrés ni par le code du travail ni par le droit des étrangers.

Voir aussi : Rubrique société Politique du chiffre , statistiques de la délinquance dans l’Hérault, Education nouvelle plainte des parents contre le fichier base élève, Justice droits de l’enfant en France, étude  : la hausse de la délinquance des mineurs ne se confirme pas

Le journaliste paysan aveyronnais Patrick Herman

 

Une enquête sur les musicos anonymes

Au bistrot des ethnologues, Marc Perrenoud a présenté son étude sur les musiciens ordinaires.

Le succès du musicos n'est pas lié au talent ou à la virtuosité instrumentale

Le succès du musicos n'est pas lié au talent ou à la virtuosité instrumentale

Marc Perrenoud est un éthno-musicien qui réside dans le Sud-Ouest. C’est dans sa seconde peau, celle de chercheur en sciences sociales, que le contrebassiste était à Montpellier jeudi dernier où il a présenté son livre : une enquête sur les musiciens ordinaires. L’intérêt de ce travail, bourdieusien dans son approche du rapport de forces entre groupes sociaux, tient au terrain d’observation.

Après avoir résolu le problème de relation avec son objet : « Etant musicien, j’ai démystifié mes croyances artistiques pour analyser ce qu’il se passait dans ce milieu », Perrenoud est parti de la base, les instrumentistes ordinaires qui se produisent dans les bars, les festivals, les bals et les salons de l’auto. Au total, plusieurs dizaines de milliers de musiciens qui naviguent entre intermittence, RMI et travail au noir. L’étude concerne plusieurs générations, et met en évidence une faible représentation féminine. « Ce déséquilibre est sans doute lié au fait que c’est une profession qui se pratique plutôt de nuit dans des endroits peu fréquentables… S’ajoute le fait que la figure sociale que l’on attribue aux musicos reste déviante. Les représentations que l’on a du milieu sont aussi assez virilistes, la presse spécialisée fait appel comme dans l’informatique ou dans le sport à l’esprit de compétition. »

Le chercheur décrypte la carrière des musiciens ordinaires à travers une démarche inédite fort intéressante. Car si les données ne manquent pas pour évaluer l’orientation des instrumentistes d’orchestre, les musiciens qui se trouvent au pied de la pyramide n’apparaissent que de manière marginale dans les statistiques. Etre musiciens, qu’est ce que cela signifie ? « C’est ne faire que cela, arriver à vivre de la musique, explique Marc Perrenoud, en donnant des concerts, en faisant des animations musicales et en assurant des cours. »

Tiraillement professionnel

Le livre se découpe en six parties présentant les différentes facettes et activités qui constituent le métier de musicos. Il éclaire sur les orientations diverses que les musicos peuvent donner à leur carrière. « Au début il y a un statut d’auteur à créer. On est prêt à jouer n’importe où. Ce qui importe c’est de jouer le plus possible. Il faut dix ans pour stabiliser sa carrière. Et la plus grande difficulté vient à la fin, quand il faut pérenniser l’activité dans le temps. Entre les deux le musicien est tiraillé entre différentes identités du travail. »

Le chercheur relève la nécessité de faire progresser sa carrière individuelle et les tensions que cela peut produire au sein du groupe. « Il est très rare qu’un seul groupe fasse vivre ses membres. Ce doit être le cas d’une dizaine de groupes en France. Quand les musiciens maîtrisent leur instrument, ils ont recours à des appareillements ponctuels. On retrouve le cas classique des musiciens qui se réunissent pour interpréter des standards de jazz. »

En suivant la carrière des musicos, Perrenoud dessine le clivage entre les professions artistiques et artisanales. L’enquête sur le terrain s’attache à un groupe social largement méconnu et chamboule ce qui fait sens dans la représentation des musiciens. La réussite professionnelle ne tient pas aux genres musicaux. Le succès du musicos n’est pas lié au talent ou à la virtuosité instrumentale mais à ses compétences transversales qui l’amènent à commercer avec les acteurs professionnels. Ce qui légitime les inégalités. « Avant quand on avait des problèmes professionnels on allait voir son syndicat. Aujourd’hui on se lance dans le développement personnel ou on prend un coach. »

Jean-Marie Dinh

livre-musicosMarc Perrenoud : Les Musicos. Enquête sur les musiciens ordinaires, éd de La Découverte.

Le postulat de la presse libre revu et corrigé

propagandeLe duo Herman/Chomsky pose un regard critique sur le fonctionnement des médias aux Etats-Unis.

Après La Fabrique de l’opinion publique qui s’attachait au système de l’information aux Etats-Unis, l’économiste Edward S. Herman spécialiste des réglementations financières relevant des conflits d’intérêts et le linguiste Noam Chomsky connu pour sa critique de la politique étrangère américaine renouvellent leur collaboration avec La fabrication du consentement. En s’appuyant sur des faits précis, les deux chercheurs posent cette fois leur grille de lecture critique sur la propagande médiatique dans la démocratie américaine. Et démontrent, dans cet ouvrage de référence, comment le postulat démocratique de la liberté de la presse qui figure dans le premier amendement de la constitution des Etats-Unis est détourné de sa vocation initiale.

Les 650 pages de ce livre très documenté présentent une critique sans complaisance qui permet de comprendre par quel processus le pouvoir de l’argent sélectionne les informations. Et notamment de mesurer l’impact de la propagande médiatique sur les croyances et les codes comportementaux des citoyens. Herman et Chomsky montrent comment les messages et les symboles qui ont vocation à distraire et à informer, transmettent des codes et des croyances. Et dénoncent ce processus qui intègre en profondeur les structures sociales en favorisant le pouvoir politique néo-libéral et les grands acteurs industriels et financiers. La critique des auteurs n’affirme pas que les médias puissent se résumer à des organes de propagandes mais que cette fonction en est une caractéristique centrale.

L’impact de la publicité

Le constat n’est pas nouveau. Mais la collusion d’intérêts entre les grands groupes financiers et l’industrie des médias comme le mouvement de concentration qui a suivi, ont considérablement réduit la garantie d’une information permettant aux citoyens de conserver leur capacité critique. A partir d’une multitude d’exemples comparatifs relatifs à la politique intérieure, comme à la politique internationale, Chomsky révèle comment les médias désignent les victimes dignes ou indignes d’intérêt. Il soulignent que les démocraties adoptent les modèles de propagande observée dans les Etats totalitaires.

Un autre aspect du livre met en évidence l’impact de la publicité sur le contenu. Dans la mesure où les grands médias généralistes dépendent essentiellement des revenus de la publicité pour survivre, le modèle de fonctionnement de la presse suggère que l’intérêt des publicitaires ou des institutions prévaut sur le récit de l’information. En conséquence, si les thèmes abordés dans le contenu, s’avèrent contraires aux intérêts des commanditaires et divergent par rapport à leur vision du monde, ils sont à écarter. Le modèle de fonctionnement des médias décrit dans le premier chapitre s’avère éclairant sur la marge de manœuvre des journalistes et les choix éditoriaux. Une des caractéristiques essentielles de la propagande consiste à ne pas révéler les intentions réelles de l’autorité pour laquelle elle agit. Dans un souci de clarification, les auteurs précisent que les mécanismes laissant sporadiquement apparaître des faits dérangeants sont infiniment plus crédibles et efficaces qu’un système de censure officielle.

Jean-Marie Dinh

fab-consent

édition Agone 28 euros

« En exagérant un peu, dans les États totalitaires, c’est le pouvoir à la tête de l’État qui décide de la ligne du parti. Et chacun doit alors y adhérer et s’y soumettre. C’est différent dans les sociétés démocratiques. La ligne du parti n’est jamais énoncée comme telle, elle est sous-entendue. C’est dans ces présupposés qu’il pourra y avoir un débat passionné, mais qui se limitera à ce cadre précis. Dans les sociétés démocratiques, la ligne est comme l’air qu’on respire, elle est sous-entendue… Du coup elle donne l’impression qu’il y a un débat très vigoureux. C’est très efficace comme système et ça marche beaucoup mieux que dans les systèmes totalitaires. »

Voir aussi : Rubrique livre, Rubrique Philosophie Deleuze et les nouveaux philosophes, Rubrique Politique entretien Bernard Noël Internet Très chère neutralité du Net,


Il était une fois le Hezbollah

Un état des lieux sur le Hezbollah qui tombe à point nommé pour ceux qui souhaitent se faire une idée plus précise sur cet acteur incontournable du Moyen-Orient. Et accessoirement sortir du prisme médiatique occidental perturbant dans lequel on le cantonne. Livre instructif, au moment où le Liban se trouve en prise à de vives tensions et où le président Sarkozy tente une rupture de la politique arabe française pour adopter une vision de la construction européenne plus pro américaine.

Le livre est le fruit d’un travail collectif mené à l’Institut français du Proche-Orient  à Beyrouth. Soucieuse d’objectivité, la démarche tente de brosser un panorama large des acquis de la recherche en sciences sociales sur le Hezbollah.

Souci de documentation

Le mouvement est abordé à partir d’articles thématiques qui couvrent les champs social, politique et religieux où il se déploie. L’ouvrage retrace l’histoire du Hezbollah, depuis sa genèse, avec l’émergence du mouvement islamique chiite transnational, fondé dans les années 1960 et partisan d’une troisième voie entre le communisme et le libéralisme. Il explique sa construction dans les années 1980, suite à la victoire de la révolution islamique en Iran et à l’occupation israélienne du Sud Liban en 1982. Et aborde la phase de libanisation qui commence en 1992 avec la participation du Hezbollah aux législatives et se prolonge après la guerre de juillet 2006 et la destruction, par l’aviation israélienne, du périmètre de son quartier général. Aujourd’hui, le parti s’est redéployé aux quatre coins de la banlieue sud de Beyrouth. On croise une actualité encore plus proche dès le premier chapitre dans lequel la politiste Olfa Lamloum démontre l’importance que le Hezbollah donne aux médias dans sa stratégie politique.

Guerre de l’info

Il est connu aujourd’hui que la guerre de l’info précède et accompagne la guerre physique. De tous les partis islamistes, le Hezbollah est celui qui a le plus investi l’espace médiatique en diversifiant les modes de production, de diffusion et de circulation de son message.   » Deux constantes résument la démarche du Hezbollah en matière de communication. D’une part assurer sa visibilité auprès des médias nationaux et internationaux, de l’autre, se doter d’un appareil médiatique autonome en mesure de rapporter fidèlement ses positions. « 

A l’instar de son inégalable concurrent américain, l’information de guerre est conçue dès les années 1980 comme arme et outil de mobilisation en faveur de la résistance.

Quand on apprend par ailleurs que Beyrouth figure depuis les années 70 comme un laboratoire de la presse indépendante arabe et un refuge des plumes proscrites par tous les régimes autoritaires de la région, on comprend que la récente mise hors la loi du réseau de communication du Hezbollah au Liban s’inscrit bien dans une logique de guerre.

L’affaire Al-Manâr

Logique qui a trouvé son pendant en France, avec l’affaire de la chaîne de télévision Al-Manâr en novembre 2003. Invité par le CRIF, Jean-Pierre Raffarin s’était indigné publiquement du caractère  » antisémite  » d’un programme diffusé sur Al-Manâr. L’offensive du Premier ministre se termine en décembre 2004, avec la résiliation par le CSA de la convention signée avec la chaîne de télé. Olivier Koch, docteur en science de l’information à Paris XIII rappelle que cette sanction présente  » un caractère exceptionnellement sévère  » et résulte en fait, d’une campagne internationale pour limiter la diffusion de l’idéologie politique du Hezbollah. La chaîne al-Jazira, s’est trouvée confrontée aux même types de problèmes.

Quand l’espace arabe se donne à voir par lui-même et appréhende les conflits et le monde à travers un prisme qui lui est propre, tout est fait pour limiter son territoire de diffusion.

On en conclut que l’image du parti chiite qui se diffuse au sein de l’espace géopolitique de l’information occidentale gagnerait à être un peu plus nette.

Le Hezbollah, chez Actes Sud dans la collection Sindbad, 24 euros

Un des principaux acteurs de la scène politique moyen-orientale

 

Photo : Marwan Naamani