« Chibanis la question », le projet lauréat du prix de l’audace artistique et culturel de l’EN poursuit sa route
Le projet lancé par Uni’sons avec la Caravane Arabesque allait de soi comme les caravanes qui passent et traversent l’histoire avec un grand H. Dans leurs sillages, il y a des vies qui glissent de nos mémoires un peu comme les mirages économiques qui justifient l’austérité, jusqu’au jour où le pays se déclare dans l’incapacité de rembourser sa dette ou dans l’incapacité de reconnaître le travail des hommes qui ont fondé son existence. C’est précisément le sort des Chibanis en France.
Ce sont ces vies qui se poursuivent dans l’oubli du monde et des villes aveugles que le photographe Luc Jennepin met en lumière actuellement à la médiathèque Jean-Jacques Rousseau jusqu’au 21 décembre.
Une juste émotion
Le projet est itinérant, à la croisée de l’histoire, de l’action culturelle et de la démarche artistique (photographique, musicale et littéraire). Il présente l’intérêt de circuler à l’intérieur des villes étapes pour trouver d’autres témoins muets de cette histoire perdue loin de ses racines. Après Montpellier où il a vu le jour dans le foyer d’insertion Adoma, le projet partira dans toute la France. Il est attendu dans des espaces prestigieux de l’architecture contemporaine à Toulouse, Marseille, Bordeaux, Lyon, Nantes, Paris et s’enrichira à chacune des étapes de nouveaux portraits.
Grand amateur d’aventure sans frontière, le clarinettiste Louis Sclavis a créé une bande dédiée aux Chibanis. Les plumes de Nasser Djemaï, Magyd Cherfi, Pascal Blanchard, sont également mobilisées autour de Chibanis la question qui trouve ainsi un relais littéraire. Il suffisait d’aller à leur rencontre, les acteurs de cette aventure l’on fait avec un esprit juste et beaucoup de talent.
Festival Hybride. La quatrième édition lance ses pépites dans différents lieux de la ville aiguisant la curiosité des chercheurs d’or et des curieux.
Le directeur d’Hybrides, Julien Bouffier, évoque les axes de la quatrième édition. Du 24 au 31 mars, la création théâtrale plonge dans le noyau de la vie, en bousculant les habitudes…
Comment définissez-vous le Festival Hybrides ?
Deux choses essentielles correspondent à l’identité du festival. Nous proposons une forme de théâtre envisagée dans une optique transdisciplinaire qui s’élève contre la vision un peu réductrice : un acteur un texte. Il y a évidemment des textes et des acteurs au théâtre, mais ce ne sont pas les seuls outils. Hybrides explore, en se rapprochant d’autre disciplines, comme la musique, la danse, la vidéo, le cinéma, la BD… On cherche les moyens qui peuvent fournir un langage nouveau, des idées nouvelles, des points de vue nouveaux. L’autre particularité du festival est de lier le théâtre au documentaire. Un aspect présent dès la première édition qui s’est renforcé l’année dernière et se poursuit à travers différentes propositions d’artistes.
Depuis les années 90, le genre documentaire s’affirme au théâtre comme un style difficile à définir, peut-on l’appréhender comme une autre façon d’envisager le rapport au public ?
Le rapport au public est une de mes préoccupations centrales. Je m’y confronte dans mon rôle de programmateur avec Hybrides et en même temps c’est une question qui a toujours fait partie de mon travail de metteur en scène avec la Cie Adesso e sempre. Indépendamment de nos créations nous avons initié des actions en relation avec d’autres structures culturelles. Cette démarche est à l’origine du festival. J’intègre la médiation autour des spectacles et au sein même du processus de création. Le prisme du documentaire est très large, dans la nature des rencontres, comme dans les modes performatifs. On peut collecter des documents pour s’inspirer. On peut s’engager dans un univers fictionnel en partant d’un fait divers, à l’image du comédien belge, Fabrice Murgia qui présentera Le Chagrin des Ogres au Théâtre Jean Vilar. On peut aussi partir d’un questionnement et aller chercher sa matière dans le réel, comme Pascal Rambert. A seize ans, il propose un spectacle sur les adolescents joué par des adolescents dans le cadre de la saison de Montpellier Danse.
Quel regard portez-vous sur l’usage des nouvelles technologies…
Elles contribuent au renouvellement de l’offre artistique mais on ne peut pas en rester à une identité de forme. Dans la forme se joue la rencontre avec le public, mais si l’on ne parle de rien cela n’a pas d’intérêt. Hybrides choisit des artistes qui utilisent les outils d’aujourd’hui pour ouvrir des brèches. Avec la vidéo, il faut sortir de la tarte à la crème, depuis les années 20 les gens essayent de mettre des images dans les spectacles.
Hybrides revendique aussi un regard critique, comment s’exprime-t-il ?
Le premier geste d’Hybrides a été la volonté de travailler ensemble, ce qui est une façon de briser les chapelles cloisonnées du monde culturel. En partenariat avec Kawenga nous éditerons quotidiennement les critiques du public dans Le journal des spectateurs. Il y a aussi le projet Démocratie Culturelle 2.0 où l’on pousse les limites en décrétant l’abolition du ministère de la Culture pour y substituer le ministère des jeux. Dans ce monde où l’Opéra Comédie devient un centre commercial et le Musée Fabre un hôtel de luxe, la résistance s’organise sur les réseaux sociaux avec un appel à la contribution critique… Hybrides fait du théâtre un miroir du monde qui lui pose des questions.
Recueilli par JMDH
Les nouveaux territoires du théâtre nous parlent
L’artiste israélienne Ruth Rosenthal
Samedi, le Festival hybrides s’est mis en action un peu comme un train fou dont les étapes urbaines sont autant d’attentats. On ne couve pas sa place pour être au premier rang, dans ce grand jeu de rôle de la confrontation, on en change pour voir ce que ça fait. C’est drôle, et l’on peut toujours dire ce qu’on en pense, dans le quotidien du festival, Empreinte, qui émule du côté du Kawenga. Le côté festif et branché ne se mord pas la queue grâce à la qualité des propositions et à leurs propensions à écorcher l’édifice du temple. Samedi, Winter Family a ouvert le bal au studio Cunningham de l’Agora. L’artiste israélienne Ruth Rosenthal accompagnée du musicien Xavier Klaine ont renoué avec l’agitprop pour évoquer la propagande omniprésente du gouvernement israélien en direction de sa population. Un théâtre documentaire efficace qui restitue les paroles du peuple, ouvre sur des émissions de variétés à la gloire de l’armée, le tout émaillé d’un chapelet de résolutions de l’ONU rappelant l’Etat d’Israël à ses obligations en matière de droit international. On mesure autant l’impuissance des Nations unies que le poids de l’idéologie nationaliste et religieuse sioniste sur les israéliens. Au-delà on s’interroge sur la dictature des mass médias qui jouent sur l’émotion sans permettre la compréhension.
Dimanche à la Chapelle, le performer catalan Roger Bernat soumettait le public à l’expérimentation d’une démocratie d’opinion ouverte en dotant chaque spectateur d’un boîtier pour se prononcer par oui ou par non. Ludique, interactif, le dispositif de FFF permet aussi une prise de parole individuelle ou collective et interroge le pouvoir de l’artiste, du critique et du citoyen. Personne n’est parfait !
Le Festival Hybrides se poursuit jusqu’au 31 mars, voir le programme sur wwwfestivahydrides.com
Guatemala : Une Paix bien plus violente que la guerre. Rodrigo ABD, Associated Press
Festival. Visa pour l’Image est aujourd’hui le lieu de rassemblement majeur des acteurs internationaux de la presse et du photojournalisme. Quelques raisons de ce succès.
Après La gare de Dali, Visa pour l’Image fait de Perpignan le centre du monde à la différence, que depuis 23 ans, on est passé en mode réaliste. Pendant deux semaines jusqu’au 11 septembre, le festival revient sur « l’actu » de l’année. Les visiteurs* se succèdent continuellement pour découvrir les 28 expositions gratuites de la manifestation. Nombre de regards traduisent un intérêt acéré. Au-delà de l’esthétisme qui demeure au rendez-vous, ils décryptent l’écriture photographique comme une expérience signifiante qui s’offre à leurs yeux.
C’est peu dire que cette forme d’expression n’a rien de commun avec la télévision et les autres médias tant la puissance des reportages sélectionnés emporte. La vision d’actualité du photojournalisme défendue par le fondateur du festival, Jean-François Leroy, refuse la course médiatique pour rester en phase avec ce qui se passe. Une qualité d’exigence rare qui se heurte aux pratiques d’aujourd’hui. Celles qui bradent les valeurs professionnelles, comme la rigueur, l’engagement pour un sujet, et la crédibilité de l’information sous couvert de l’évolution technologique. Comme si rapidité et rentabilité rimaient avec authenticité. Ce sujet reste au cœur du débat des rencontres professionnelles.
Kesennuma : The man with a dog 22 mars 2011, Issey Kato Reuter
A travers plusieurs séquences, le festival revient sur les événements qui ont mobilisé les grands médias, comme la manifestation sismique au Japon ou la vague du printemps arabe, mais il ouvre surtout sur le hors champ. Des reportages comme celui de Valerio Bispuri qui a sillonné pendant dix ans les prisons d’Amérique Latine, ou de d’Alvaro Ybarra Zavala sur la guerre civile en Colombie témoignent de l’engagement de ce métier. La moisson mondiale des crises écologiques, économiques, démocratiques, et sociales de l’année écoulée a le goût du sang et de l’abandon. Elle suscite aussi de l’espoir à travers la nécessité absolue qui s’impose pour trouver des limites.
* 190 000 visiteurs en 2010
Lima, Pérou, décembre 2006. Détenus dansant dans la cour de la prison. Valéro Bispuri.
A Perpignan le versant Occident n’est pas épargné
A Perpignan l’hémisphère Sud apparaît en première ligne mais Visa pour l’Image ne fait pas l’impasse sur les dérives sociétales de l’Occident. Shaul Schwarz signe un symptomatique reportage sur la culture narco qui se propage au sein de la communauté latino américaine aux Etats-Unis. Les film narco et les clubs narcocorridos y font fureur sur la côte Ouest, comme les chansons composées à la gloire des trafiquants. « C’est l’expression d’un mode de vie qui s’oppose à la société », explique le photographe américain.
Construction de tombes monumentales au cimetière Jardine del Humaya, Mexique juillet 2009.
Une mode en forme de bras d’honneur à la mort et à la guerre de la drogue qui emporte 35 000 vies par an. Le reportage donne un nouveau visage à la drogue comme instrument de contrôle social. Les images pimpantes du luxe narco sont à rapprocher de celles tout aussi réelles qu’a ramenées Alvaro Ybarra Zavala de Colombie.
Tumaco, Colombie, 2009. La police interroge les occupants d’un bar. Alvaro Ybarra Zavala / Getty Images
Avec son travail sur les classes sociales défavorisées en Israël, Pierre Terdjman lutte également contre les idées reçues en touchant du doigt une réalité oubliée. A Lod, dans la banlieue de Tel Aviv, on ne lutte pas contre les « terroristes » mais pour survivre, manger, se soigner, où se payer sa dose dans l’indifférence totale de L’Etat.
Made in England
L’édition 2011 propose aussi deux reportages Made in England, dont l’un des mérites est de faire un peu baisser la tension. Avec « Angleterre version non censurée », Peter Dench porte un regard sans complaisance sur le monde ordinaire de ses compatriotes. « Accoutrements grotesques, mal bouffe et manque de savoir vivre : beaucoup d’Anglais s’obstinent à se rendre ridicules » observe le photographe. Il démontre ses dires à travers un voyage convivial et humoristique où l’alcool, mais peut-être pas seulement, semble tenir un rôle prépondérant.
Jocelyn Bain Hogg s’est lui replongé dans le milieu pour suivre la vie intime des mafieux britanniques. Ce photographe très british a commencé son travail sur la pègre en 2001 avec un reportage intitulé «The Firm ». Sept ans plus tard il y retourne en axant son sujet sur la famille. « Ce choix m’a permis d’être validé, confit-il, car depuis mes premières visites une bonne part de mes anciens contacts avaient passé l’arme à gauche. » « The Family » débute par une série de portraits tout droit sortis d’un film de Scorsese. Quand on lui demande s’il n’a pas forcé un peu le trait pour que la réalité rejoigne le mythe, Jocelyn Bain Hogg trouve la réponse qui tue : « Ils ont des têtes de gangsters parce qu’ils sont gangsters. On peut penser au cinéma, mais qui était là les premiers: les films ou les gangsters ? »
Ici, on n’est pas dans un film, mais à l’enterrement du père de Teddy Bambam. Jocelyn Bain Hogg VII Network
Le parcours en noir et blanc nous entraîne dans les salles de combats de boxe clandestins que la famille utilise comme autant de business center pour parler affaires, drogue et prostitution… Les expressions de la famille Pyle expriment un mélange de machisme et de violence teinté de culpabilité. On suit Joe, Mitch, Mick, qui font faire leur première communion à leur fils Cassis et Sonny : « Malgré leurs mauvais côtés, ceux sont des êtres humains qui aiment et sont croyants », commente Jocelyn Bain Hogg qui brosse le portrait d’un milieu en perdition détrôné par les mafias de l’Est qui règnent désormais en Angleterre.
Rabah Mezouane est journaliste, critique musical spécialisé dans les musiques du monde. Il est aussi conférencier et chargé de programmation pour l’Institut du Monde arabe. Fidèle du festival Arabesques, il anime aujourd’hui salle Pétrarque une table ronde sur le thème « Réinventer l’esprit andalou ».
On ne peut parler de la culture arabe sans évoquer le vent de démocratie qui souffle sur l’autre rive de la Méditerranée. Quelle y est la place des artistes ?
Elle est prédominante. Du raï au rap en passant par les folksong, les chansons contestatrices sont en prise avec le réel. Comme le festival Arabesques qui a toujours laissé une large place aux artistes engagés dans sa programmation. Avec ce qui s’est passé, on peut dire que le mouvement hip hop en total osmose avec la jeunesse network est entré dans l’histoire de la musique.
Qu’est ce qui a changé ces derniers mois au sein du couple aspiration démocratique/ expression artistique ?
Le mouvement s’est globalisé. Il ne concerne pas seulement l’Egypte et la Tunisie. Il secoue tout le bassin méditerranéen l’Algérie, la Lybie, Bahreïn, la Jordanie… Dans tous ces pays on trouve des artistes qui affirment de façon plus ou moins virulente les attentes légitimes de la jeunesse, souvent au péril de leur vie. Les jeunes ont déjoué la censure. Leur parole s’est libérée. Les luttes anciennes de l’indépendance ne sont plus d’actualité. Elle représentaient l’idéologie du pouvoir qui était de se replacer dans le passé sans jamais considérer l’avenir.
On évoque le rôle d’Internet et la force de la jeunesse. Mais à quel type d’acteurs cela correspond-il ? De quels leviers d’action les jeunes disposent-ils pour construire l’avenir ?
En Tunisie, la classe moyenne est assez cultivée, ce qui a facilité la prise de conscience. Le problème vient du fait que la jeunesse est numériquement majoritaire mais socialement minoritaire. L’anti-jeunisme est un phénomène assez commun dans les pays de la zone méditerranéenne où l’on trouve beaucoup de jeunes diplômés sous-employés. On a assisté à un mouvement sans leader. En Egypte, les Frères musulmans apparaissent comme la seule force organisée qui peut tenir les rênes. La jeunesse a réussi à déboulonner l’autoritarisme réfractaire mais le chemin de la reconstruction promet d’être long.
L’autre constat de taille de ces soulèvements populaires, c’est le postulat d’échec de l’islamisme…
C’est en effet un élément marquant. En Egypte et en Tunisie, les mouvements populaires reflètent en grande partie des conditions de vie où la pauvreté est écrasante, mais le peuple luttait clairement pour la démocratie et pas pour un Etat islamique. C’est un camouflet de plus pour les pouvoirs en place qui ont toujours brandi l’arme extérieur de l’impérialisme, de l’islamiste, du néo-colonialisme ou du sionisme.
Dans le cadre du festival, vous animez la rencontre « Réinventer l’esprit andalou » dont l’intitulé invite à partager une nouvelle aventure culturelle …
A l’aube des révoltes que nous venons de connaître, la question de renouer ou de réinventer cet esprit mérite d’être posée. L’histoire de cette brillante civilisation qui a fleuri aux portes de l’Europe moyenâgeuse comporte quelques imperfections. Il y a eu des relations conflictuelles, mais il existait un modus vivendi entre les trois religions monothéistes. Et les foyers multiculturels de Grenade, Séville ou Cordoue ont permis aux universités, aux savants et aux artistes d’enrichir et de transmettre leur savoir-faire. A l’heure où l’Europe se replie sur elle même, où la montée de l’extrême droite est palpable, il n’est pas inutile de s’interroger sur les manières de vivre ensemble en nous nourrissant de nos différences.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
« Réinventer l’esprit andalou » à 16 h salle Pétrarque, entrée libre.
Arabesques est un festival qui s’est bâti ici sur l’enthousiasme et la volonté d’échanges avec les cultures de l’autre rive de la méditerranéenne. En rendant compte d’une pluralité d’expression artistique où se mêle tradition et modernité, il offrait en perspective le désir d’une jeunesse que confirme le mouvement de démocratisation impulsé dans les pays arabes qui surprend le monde depuis six mois. Il faut rendre hommage à l’équipe d’Uni’Sons pour la volonté de conduire ce projet et au Conseil général de l’Hérault de lui avoir fait confiance, car souvent les vérités ne sont pas bonnes à dire avant l’heure.
On peut s’attendre à ce que cette sixième édition soit emprunte d’un vent de joie et de liberté particuliers dont la mesure nous en sera offerte dès ce soir. A 18h débute sur l’esplanade royale du Peyrou de Montpellier – qui porte singulièrement bien son nom pour l’occasion – la parade équestre et musicale marocaine. Un avant goût des réjouissances à retrouver au Domaine D’O du 20 au 22 mai.
Cette année Arabesques investit l’ensemble du site départemental dédié à la culture. Al andaluz, le paradis éternel ouvre vendredi la grande soirée de l’amphithéâtre avec le spectacle Rêves d’Andalousie qui fusionne l’esprit andalou. Une ébullition joyeuse et colorée de musiques et de danses arabes, de flamenco et de poésie s’inscrit sur scène sous le signe de la tolérance propre à cette civilisation.
Samedi ce sera au tour de l’orchestre national de Barbès de faire vibrer la grande scène qui donne la part belle aux « péchés originaux ».
Dimanche l’orchestre traditionnel Marrakechi Jil Jilala jouera sur les modulations vocales pour exhumer les textes malhouns du terreau de la culture maghrébine et renouer avec les maîtres musiciens de l’art gnaoua. Les spectacles de 19h de la Kasbah D’o sont très alléchants. A ne pas manquer notamment le Trio Joubran qui fera parler le oud avec la Palestine au cœur et de nombreuses rencontres autour du monde arabe.
L’historienne Agnès Carayon retrace » la destinée héroïque des cavaliers zénètes berbères «
Agnès Carayon est historienne, spécialiste du cheval dans le monde arabe médiéval. Elle s’est intéressée au statut du cheval et du cavalier dans la civilisation d’al-Andalus, notamment au rôle décisif des berbères zénètes et de leur chevaux à barbes dans l’armé musulmane d’opposition à la Reconquista (reconquête chrétienne des royaumes musulmans de la péninsule ibérique). Elle consacre aujourd’hui ses recherches à un autre peuple d’éminents cavaliers en terre d’islam : les Mamlûks d’Egypte.
D’où vient l’origine des Fantasias dites aussi Tbourida ?
« A l’origine la Tbourida provient des zénètes une branche de la confédération berbère qui occupait les hauts plateaux du Sahara et les franches côtières au Moyen âge. Les membres de la cavalerie légère des Berbères zénètes étaient renommés pour être de grands guerriers. A l’époque il n’y avait pas d’arme à feu. Durant la Reconquista, la cavalerie lourde des Chrétiens s’est trouvée dans un premier temps décontenancée par cette façon de combattre. Puis ils décidèrent de l’adopter, lui donnant le nom de monta a la gineta (Le bon cavalier) en l’honneur de ces Berbères qui excellaient en sa maîtrise. Les Zénètes qui étaient nomades se sont progressivement sédentarisés. Ils ont fondé des dynasties importantes notamment au Maroc. Ils ont mis le cavalier à l’honneur. Ce sont les ancêtres de la Fantasia.
L’Andalousie actuelle reconnaît-elle ou ignore-t-elle plutôt l’héritage de ses cavaliers Berbères ?
Cet héritage a été accepté dès le Moyen âge. A l’époque, l’art équestre des cavaliers guerriers a été intégré dans toutes les cours d’Espagne. On montrait ainsi une certaine admiration à l’égard des Maures. Les cavaliers zénètes sont également entrés dans la littérature. Le cheval andalou provient du croisement avec des purs sangs arabes. Aujourd’hui toutes ses choses sont un peu noyées.
Le Maroc célèbre ses fêtes nationales et religieuses avec des Fantasias, ces manifestations véhiculent-elles une dimension spirituelle ?
La destinée fantastique du cheval arabe est étroitement liée à l’Islam. Selon la légende, Allah aurait créé le cheval arabe. « Deviens chair, car je vais faire de toi une nouvelle créature, en l’honneur de mon Saint Dieu, et pour la défaite de mes ennemis, afin que tu sois le serviteur de ceux qui me sont soumis », aurait-il dit au vent du Sud avant de prendre une poignée de vent, de souffler dessus et de créer l’animal. Ce qui donne au cheval un statut particulier. Mais aujourd’hui les Fantasias font partie du folklore. Ce sont surtout des mises en scène qui donnent à voir le savoir-faire des cavaliers.
De quelle façon ?
L’équipe de cavaliers se met en place. Elle vient saluer le jury puis exécute une charge suivie d’un arrêt brusque et d’une salve de tirs. La rapidité de la charge et la simultanéité de l’arrêt et des coups de feu donnent toute la beauté à la chevauchée.
L’invitation d’Arabesques concernait la troupe cavalière de Sofia Balouk. A l’arrivée on trouve des cavaliers n’est ce pas significatif d’une certaine crispation à l’égard des femmes ?
La société royale d’encouragement du cheval est le principal levier du développement de la filière équine au Maroc. Elle est dirigée par la princesse Lalla Anima qui avait donné son accord. Le fait que cette tradition marocaine soit représentée par des femmes qui sont pourtant de plus en plus nombreuses à accéder à cette discipline, n’a pas été apprécié au plus au niveau marocain. Ce qui est de mon point de vue assez significatif ».
Jean-Marie Dinh
Agnès Carayon évoquera les origines de la Fantasia lors des veillées équestres les 20 et 22 mai au Domaine d’O.