Begin the Beguine. L’humanité masculine sous influence

Jan Lauwers?: «?Qu’il est beau l’échec de la langue au théâtre?!?» Photo marc Ginot

Jan Lauwers?: «?Qu’il est beau l’échec de la langue au théâtre?!?» Photo marc Ginot

Begin the Beguine de Cassavetes, création mise en scène par Jan Lauwers, au CDN hTh de Montpellier jusqu’au 3 février.

Ecrite en 1987, peu avant la mort de John Cassavetes, la dernière pièce du cinéaste culte a été montée par Jan Lauwers dans une première version au Burgtheater de Vienne. A l’invitation de la fondation Cassavetes de N.Y. Le directeur du CDN de Montpellier Rodrigo Garcia reconduit cette invitation en proposant au metteur en scène flamand de créer une nouvelle version de ce texte peu connu.

C’est chose faite avec cette première en France, qui associe Gonzalo Cunill et Juan Navarro, deux acteurs proches de Rodrigo Garcia, aux deux actrices de la Needcompany, Inge Van Bruystegem et Tomy Louise Lauwers, la propre fille de Jan Lauwers. Ce choc des énergies fait vibrer le plateau en jouant sur les contrastes, de cultures et de langues pour donner un prolongement européen à  ce drame issu des zones déchues et marginales de la société américaine.

Les quatre performers font preuve d’un souffle de liberté éblouissant. Dans un appartement au bout d’une route donnant sur la mer deux hommes commandent des femmes par téléphone et philosophent sur le sexe, l’amour et la mort.

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Dans un temps non défini, leurs rapports avec les prostitués s’inscrit comme une fin et un éternel recommencement. Réduits à se perdre, les deux antihéros ne parviennent pas à tromper leur profond désespoir. Le sexe tarifé ne satisfait plus les fantasmes si bien que la rencontre entre clients et prostitués prend parfois un tournant  désarçonnant et l’amitié entre les deux hommes enregistre des distorsions.

Begin the beguine porte à son paroxysme le rapport au corps et au réel. Jan Lauwers travail la scène comme Cassavetes l’image, en faisant du plateau un immense terrain de jeu où s’expose la vie déchue des hommes seuls.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 31/01/2017

Voir aussi : Rubrique Théâtre, Les théâtres Sorano et Jean Vilar croisent leur regard, Dossier. Théâtre en péril, fin d’un modèle à Montpellier et dans l’Hérault, hTh 2017 Libre saison de bruit et de fureur,

De la fluidité du monde

Les éléments de la scénographie s’intègrent librement à la pièce. dr

Les éléments de la scénographie s’intègrent librement à la pièce. dr

Création. Le poète aveugle de Yan Lauwers et la Needcompany à Sète.

La dernière création de la Needcompany s’est tenue en exclusivité nationale au Théâtre Molière à Sète en partenariat avec le CDN de Montpellier. L’artiste Belge Yan Lauwers et sa bande sont venus y présenter Le poète aveugle, titre d’un poème de l’audacieux misanthrope et réformateur syrien Ala Al-Ma ‘arri qui vécut attaché à la liberté et à l’ouverture autour de l’an 1 000.

Le thème central de la pièce fait référence à l’histoire. Celle à laquelle nous attribuons un grand H, que tout semble réfuter mais qui domine malgré tout, et celle des histoires intimes qui s’arrangent parfois avec la réalité et qui, nous dit Lauwers, se rejoignent toujours quelque part.

Le metteur en scène appuie son propos sur une galerie de personnages, mettant à contribution les membres de son équipe qui livrent un à un leur propre parcours. Dans un registre qui transite du dramatique au comique. Sept portraits sont mis en lumière portés par une dynamique musicale et collective.

La mise en exergue des origines culturelles renforce le caractère explicitement international de la Needcompany. La scénographie créative, la force de la présence et le rapport corps-espace ouvre l’imaginaire. La transdisciplinarité de ces musiciens, performers, acteurs, danseurs nous entraîne loin des conventions théâtrales.

Yan Lauwers parvient à une grande fluidité du jeu qui transperce les distances. Il offre du plaisir aux spectateurs tout en leur demandant l’effort nécessaire de déplacer leurs attentes. Chacun reste maître de sa propre histoire, Et chacun reste en charge de sa propre partition avec le concours et la bienveillante écoute participative des autres.

JMDH

Source :  La Marseillaise 13/11/2015

Voir aussi : Rubrique Danse, Théâtre,

Grace Ellen Barkey : Hors du commun et loin du consensus

Un grand bordel magnifique

Danse. Grace Ellen Barkey sur les traces sans rivage du surréalisme. Le Domaine d’O a ouvert sa saison en beauté.

On peut penser que  Cette porte est trop petite pour un ours … la dernière création de Grace Ellen Barkey, chorégraphe attitrée de la Needcompany, c’est du grand n’importe quoi ou que le mérite de son spectacle est de décaper nos neurones anesthésiés. La pièce qui ouvrait la saison du Domaine D’O la semaine dernière a en effet laissé quelques spectateurs dubitatifs. Et pour cause, dès la première scène, le ballet pour machine à laver nous plonge dans un moment de folie furieuse où les plaques tectoniques font du tac-tac.

S’il fallait donner sens à ce bordel magnifique, on pourrait trouver quelques similitudes  entre une laverie qui s’emballe et l’orientation d’un parlement victime d’un essaim de lobbyistes. La Needcompany est installée à Bruxelles. Grace Ellen Barkey, qui est née en Indonésie, connaît le théâtre d’ombres, le choix de l’absurde pourrait être celui du miroir d’un monde où la superposition des intérêts individuels aux commandes brouille les pistes en permanence.

Au début du XXe siècle, les Dadaïstes avait déjà remis radicalement en cause l’art et la culture européens, fruits d’une civilisation qui a conduit au chaos de la « Grande guerre ». En ce début de XXI siècle le recours aux principes des surréalistes s’avère tout aussi pertinent. Rappelons qu’il ne s’agit pas de fuir le réel mais de l’approcher avec des moyens qui dépassent les limites du réalisme traditionnel.

On blanchit tout dans cette fameuse première scène sauf l’ours qui ne peut entrer dans la machine parce que la porte est trop petite. L’ours, ce résidu irrationnel, échappe à la catégorisation utilitaire. Il est porteur de l’humanité qui se déploie avec une grande liberté dans la suite de la pièce. Les textes surprenants, décalés et drôles parlent au spectateur. Il s’adressent à l’enfant qui est en eux. La mise en scène maîtrisée et le potentiel comique des danseurs comédiens captivent. La scène des chapeaux n’est pas sans rappeler le théâtre masqué balinais évoqué par Artaud dans sa quête d’un théâtre du rêve. Le dernier tableau où les danseurs à demi visibles s’animent avec passion est de toute beauté. Ce spectacle affirme son originalité de bout en bout.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Danse , rubrique Théâtre,