Trois articles sur une affaire révélatrice de la justice de classe.
Quelques remarques. La dimension factuelle reste anecdotique. Elle reflète surtout l’ état d’esprit du grand patronat français qui règne de manière coloniale sur les salariés.
Le temps de la justice n’est visiblement pas le même pour les patrons voyous. On laisse toujours aux puissants le temps de s’organiser même quand l’Etat est impliqué.
Lorsqu’il s’agit de mesure restrictives et sécuritaires, la justice ou les législations sont rendues et votées dans l’urgence. Dans le cas des délits économiques, on laisse retomber l’émotion.
La nature des peines sont incomparables. La logique du droit rendu justifie économiquement toutes les malversations, fraudes, crimes, délits et abus de bien sociaux…
Des dirigeants d’un magasin Leclerc sont jugés pour la séquestration de salariés et travail dissimulé
Les patrons sont parfois séquestrés, les salariés, très rarement. C’est pourtant un tel fait qui a mené des dirigeants du supermarché Leclerc de Montbéliard (Doubs) devant le tribunal correctionnel de la ville, jeudi 14 novembre. Ils sont accusés d’avoir séquestré, en 2006, une cinquantaine de salariés durant environ une heure dans une réserve afin de les soustraire au contrôle inopiné de l’inspection du travail. La CGT s’est portée partie civile. Une vingtaine de salariés ont demandé le paiement d’heures supplémentaires ainsi que des dommages et intérêts pour leur enfermement dans la réserve.
L’audience a duré treize heures, le temps d’essayer d’éclaircir de nombreux points de cette affaire exceptionnelle. Le 30 juin 2006, vers 21 h 45, le magasin est en plein inventaire quand arrivent des agents de l’inspection du travail, de l’Urssaf et des policiers. L’inspection enquête sur une comptabilisation suspecte des heures supplémentaires depuis plusieurs mois après des plaintes de salariés. Une partie de ces heures n’étaient ni comptabilisées ni payées. Une ancienne employée a confié, dans L’Est Républicain du 17 novembre 2011, qu’elle avait établi de faux relevés d’heures, mentionnant 37,5 heures par semaine alors que des salariés en faisaient 50 à 60.
A la vue des inspecteurs, le directeur du magasin Leclerc ordonne à une chef de département de cacher une cinquantaine de salariés. Ceux-ci sont conduits dans une réserve. Ils se retrouvent dans le noir, avec interdiction de parler, sans savoir pourquoi ils sont là. « Quand j’ai vu les enquêteurs et la police sur le parking, j’ai paniqué, je savais qu’on ne respectait pas les amplitudes horaires » légales, a reconnu le directeur à la barre. « J’aurais dû réagir mais je ne l’ai pas fait, a admis, de son côté, la chef de département. J’ai suivi [les ordres] sans comprendre les enjeux. »
DIFFÉRENTES VERSIONS POUR UNE « FRAUDE MASSIVE »
Comment s’est passé la séquestration ? L’enfermement aurait duré de 20 à 60 minutes. Certains salariés ont affirmé que le local avait été fermé à clé, la chef de département disant, elle, qu’elle a maintenu la porte avec son pied. « C’était comme si on nous faisait passer pour des travailleurs clandestins », a souligné une salariée dans L’Est Républicain du 17 novembre 2011, ajoutant avoir été « suivie par une psychologue » ensuite.
Pour Sébastien Bender, avocat du directeur du magasin et de la directrice des ressources humaines (DRH), qui a plaidé leur relaxe, on ne peut pas vraiment parler de séquestration. « Le directeur n’a pas donné l’ordre d’enfermer les salariés mais de les cacher. Et personne ne s’est opposé à aller dans le local », affirme-t-il. Mais peut-on s’opposer aux ordres de son patron ? M. Bender a une autre explication : « Certains salariés ont dit qu’ils avaient pensé qu’ils allaient faire l’inventaire de la réserve, d’autres qu’il y avait le feu. Même dans la réserve, personne n’a demandé à en sortir. »
Des salariés ont pourtant indiqué s’être sentis « oppressés » dans le local. Mais M. Bender a un doute. « Une personne a déclaré avoir joué au foot dans la réserve. Il n’y a pas deux versions identiques. » De même, il y a plusieurs versions de la libération des salariés. Etait-ce après le départ des inspecteurs ? Ou bien, comme le dit M. Bender, « au bout d’un quart d’heure, quand le directeur a donné l’ordre de remettre les salariés dans les rayons par petits groupes », après avoir réalisé qu’il avait « fait une bêtise » ? Le tribunal devra trancher.
En tout cas, « c’est la première fois qu’on arrive à prouver une fraude massive, a souligné la direction du travail dans Libération du 20 octobre 2006. Mais à côté de ça, il y a quantité d’affaires qui n’aboutissent pas faute de preuves et parce que les gens qui viennent se plaindre d’heures sup non payées veulent rester anonymes. Les heures sup, c’est la grande plaie du secteur de la grande distribution (…). Il y a une chape de silence. »
« LE NERF DE CE DOSSIER, C’EST L’ARGENT »
Après cet épisode, le PDG de la société SAS Montdis, qui gère le magasin, « s’est excusé auprès des salariés, indique M. Bender. Une prime a été versée aux 92 qui avaient été présents ce soir-là, dont les 40 qui étaient dans la réserve ». La chef de département, qui est la fille du PDG, et la DRH n’ont pas été sanctionnées. Le directeur a reçu une mise à pied de dix jours et est toujours à la tête du magasin. Depuis cet incident, une pointeuse a été installée.
« Le nerf de ce dossier, c’est l’argent », a lancé le procureur lors du procès. La séquestration, a-t-il ajouté, « c’est l’aboutissement d’une gestion uniquement tournée vers le profit financier, jamais vers l’humain. » Une vision que conteste M. Bender : « Le magasin gagne autant d’argent, voire plus, maintenant, alors qu’il y a la pointeuse et que 50 salariés ont été embauchés depuis. »
Le procureur a requis 200 000 euros d’amende à l’encontre de la SAS Montdis pour travail dissimulée ; 15 000 à l’encontre le PDG pour travail dissimulé, obstacle à la mission de l’inspection du travail et paiement de salaires inférieurs au minimum conventionnel ; 2 500 euros d’amende à l’encontre la DRH et 6 000 euros à l’encontre le directeur du magasin ; ainsi qu’un mois de prison avec sursis assorti d’une amende de 2 500 euros pour la chef de département pour séquestration et obstacle à la mission de l’inspection. La décision du tribunal sera rendue par le tribunal le 23 janvier 2014.
Francine Aizicovici
Le Monde 16/11/2013
Leclerc/séquestration : procès annulé
Le procès de deux responsables d’un supermarché Leclerc de Montbéliard (Doubs), jugés aujourd’hui devant le tribunal correctionnel pour avoir séquestré en 2006 une cinquantaine de salariés afin de les soustraire à un contrôle de l’Inspection du travail, a été annulé pour vice de procédure. Le président du tribunal a prononcé l’irrégularité de l’arrêt de renvoi, suivant la demande de l’avocat de la défense, Me François de Castro, qui avait soulevé un vice de procédure à l’ouverture des débats.
Le dossier doit désormais retourner chez le procureur de Montbéliard, qui devra à nouveau saisir un juge d’instruction. Le directeur du magasin Leclerc et une chef de département comparaissaient pour « séquestration » et « entrave aux missions de l’Inspection du travail », et encouraient cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende. Le PDG de la SAS Montdis, gérante du magasin, est également poursuivi pour « entrave » et « travail dissimulé ». La CGT et 19 salariés s’étaient portés partie civile.
Le 30 juin 2006, des agents de l’Inspection du travail et de l’Urssaf avaient effectué un contrôle surprise dans le supermarché en plein inventaire, car ils enquêtaient sur une comptabilité suspecte des heures supplémentaires. Une partie de ces heures n’était en effet ni comptabilisée, ni payée. Les responsables du magasin avaient rassemblé à la hâte une cinquantaine de salariés pour les enfermer pendant 45 minutes dans une réserve, dans l’obscurité, leur interdisant de parler afin de cacher leur présence. D’après les salariés, la porte était fermée à clé. Ils avaient été libérés après le départ des inspecteurs. Mais ces derniers, restés autour du supermarché, avaient vu les salariés sortir par petits groupes.
Françoise Roy, une des salariés concernée, a expliqué avoir « très mal vécu » la séquestration. « On nous a emmenés dans une réserve textile où seules les lumières de secours étaient allumées, on était pratiquement dans le noir, assis sur du béton. On nous a dit de couper les portables et de pas faire de bruit. On ne nous a rien expliqué du tout », a-t-elle dit lors de la suspension de séance.
« C’était comme si on nous faisait passer pour des travailleurs clandestins », a-t-elle souligné, précisant avoir « été suivie par un psychologue ».
Amanda Thomassin, l’inspectrice qui a participé au contrôle, a expliqué qu’au sortir du magasin « ces salariés étaient en état de stress et affirmaient tous, dans un discours bien cadré, ne pas faire d’heures supplémentaires ». Réinterrogés plus tard, ils avaient alors reconnu avoir fait de fausses déclarations sur ordre de leur direction.
« Certains salariés faisaient plus de 60 heures par semaine et la direction savait qu’elle était en infraction concernant les heures supplémentaires », a souligné la fonctionnaire, citée comme témoin.
Emilie Guichard, une ancienne salariée, a raconté avoir établi de faux relevés d’heures, mentionnant 36,75 heures (conformément au contrat de base), alors que des salariés faisaient 50 à 60 heures. « C’était pratique courante, tous les chefs de rayon dépassaient leur quota d’heures. Pour le patron, il fallait faire des heures supplémentaires si on voulait se faire bien voir ».
Source Le Figaro 17/11/2011
Fortes amendes contre un Leclerc de Montbéliard pour travail dissimulé
Un supermarché Leclerc de Montbéliard (Doubs) et son patron ont été condamnés jeudi par le tribunal correctionnel de la ville à respectivement 75.000 et 15.000 euros d’amende pour avoir mis en place un système de « travail dissimulé », c’est-à-dire d’heures supplémentaires non déclarées.Deux cadres du magasin, poursuivis pour avoir retenu une cinquantaine de salariés en 2006 afin de les soustraire à un contrôle inopiné de l’Inspection du travail, ont par ailleurs été condamnés à 4.000 et 8.000 euros d’amendes pour « entrave aux missions » des inspecteurs. Mais ils ont été relaxés du chef de « séquestration » pour ces faits.Dans la soirée du 30 juin 2006, des agents de l’Inspection du travail et de l’Ursaff, qui enquêtaient sur une comptabilité suspecte des heures supplémentaires, avaient effectué un contrôle surprise dans le supermarché, en plein inventaire.Les responsables du magasin avaient rassemblé à la hâte une cinquantaine de salariés pour les dissimuler pendant 20 à 60 minutes dans une réserve, dans l’obscurité, sans leur dire pour quels motifs et en leur ordonnant de se taire afin de cacher leur présence.D’après une trentaine de salariés, la porte était fermée à clé. Ils avaient été libérés par petits groupes après le départ des inspecteurs.A la barre du tribunal, en novembre dernier, les deux prévenus avaient reconnu les faits, arguant avoir été pris de « panique » lors de l’arrivée des inspecteurs. « Dans les faits, personne n’a été séquestré », a assuré à l’AFP l’avocat d’un des cadres poursuivis, Me Sébastien Bender, qui s’est déclaré « très satisfait » que la justice ait écarté la séquestration. « Il est dommage que l’on ait tenté de ternir l’image du magasin et de son directeur durant toute la période d’enquête et d’instruction qui a duré près de sept ans avec cette qualification », a-t-il ajouté. »Pour moi, c’est une relaxe au bénéfice du doute », a commenté de son côté Me Denis Leroux, défenseur de l’une des salariés concernés. « Certains ont dit qu’ils n’avaient pas été privés de liberté, mais d’autres ont vraiment considéré qu’ils n’avaient pas la possibilité de sortir », a-t-il ajouté.Le directeur avait été mis à pied dix jours, avant de reprendre normalement ses fonctions dans ce supermarché qui emploie environ 300 personnes. »Le nerf de ce dossier, c’est l’argent », avait estimé lors de l’audience le procureur Lionel Pascal. « La séquestration, c’est la partie immergée de l’iceberg, c’est l’aboutissement d’une gestion uniquement tournée vers le profit financier, jamais vers l’humain », avait-il fustigé.L’enquête, déclenchée suite aux révélations d’une ancienne salariée, avait permis d’établir que la direction du magasin ne déclarait pas les heures supplémentaires effectivement travaillées, notamment par les cadres, et qu’elle leur promettait de compenser le manque-à-gagner sous forme de primes annuelles.