Le désaveu de Pierre Laurent restera un événement historique dans la trajectoire du PCF. Il est en revanche douteux que son successeur soit porteur d’une alternative doctrinale ou stratégique. La marginalisation du parti semble inévitable.
Le 38e congrès du Parti communiste français (PCF), qui se tient à Ivry-sur-Seine jusqu’au dimanche 25 novembre, restera dans les annales. Pour la première fois dans l’histoire de cette organisation de gauche radicale, née en 1920 comme « Section française de l’Internationale communiste », un vote de la base a conduit à évincer le secrétaire national d’un poste qu’il souhaitait conserver.
« C’est sans précédent, nous confirme l’historien Roger Martelli, ancien membre du PCF et directeur de la publication de Regards. Généralement, le secrétaire national désignait son successeur, ou le bureau politique se mettait d’accord sur un nom faisant consensus. » Formellement, c’est la commission des candidatures qui aura empêché Pierre Laurent de mener une liste commune lui permettant de rester à la tête du parti. Cette décision n’a cependant fait que traduire un désaveu émis par les militants eux-mêmes au mois d’octobre, lorsqu’ils se sont prononcés pour les textes d’orientation du congrès et ont mis en minorité celui de la direction sortante.
Si une voie de sortie honorable a été ménagée à Pierre Laurent – il devrait présider le conseil national (le parlement du parti) –, les ressources en légitimité et capacité décisionnaire seront bien détenues par Fabien Roussel, le nouveau patron en titre. « Je ne crois pas à un scénario de duopôle, abonde Martelli, parce que ce n’est pas dans la tradition partisane. La seule fois où le PCF a tenté une dyarchie, c’était en 2001, lorsque Robert Hue était président et Marie-Georges Buffet secrétaire. Cela ne fonctionnait pas et n’était pas considéré comme pérenne par les dirigeants du parti. »
Faut-il voir dans cet événement la vraie fin du « centralisme démocratique » ? Ce principe d’organisation, typique des partis communistes bolchévisés par l’URSS, voulait que tous les membres soient tenus par les décisions venues de l’échelon supérieur. En contrepartie de cette discipline, l’élection des responsables des échelons était censée répercuter, dans toute la structure pyramidale du PCF, la volonté des militants de base rassemblés en « cellules ».
En réalité, cette dimension démocratique était complètement tronquée par le fonctionnement réel du parti. Plusieurs mécanismes garantissaient l’absence de contestation des choix de la direction : la sélection et la cooptation des candidats, la formation des futurs dirigeants dans des écoles du parti, l’occupation de certains postes par des permanents… Ou encore l’impossibilité pour des organes de même niveau d’établir des liens horizontaux, afin qu’ils ne nouent pas d’alliances contre les décisions verticales – une pratique dont on retrouve ironiquement certains échos dans des partis contemporains, qui préfèrent se définir comme des « mouvements ».
Au bout du compte, résumait Pierre Lévêque dans sa synthèse sur les forces politiques françaises, « le système n’autorisait à tous les échelons que des débats sur l’application d’une ligne politique qui n’était effectivement discutée et mise au point qu’au sommet (bureau politique et secrétariat) ». C’est donc un centralisme « autoritaire » qui prévalait plutôt et s’adossait à une culture de valorisation extrême de l’unité, dont on peut encore retrouver la trace dans la volonté actuelle d’empêcher toute compétition publique pour la répartition des postes du parti.
Dans les statuts, cela fait bien longtemps que le centralisme dit démocratique a été abandonné. De plus en plus contesté à partir des années 1970, avec un certain nombre de purges et dissidences à la clé, il a été officiellement mis au rebut en 1994. Contactée par Mediapart, la politiste Fabienne Greffet rappelle que cette évolution s’inscrivait dans une série de réformes organisationnelles devant assurer la « mutation » d’un parti déstabilisé par l’effondrement du monde soviétique.
De fait, la structure autoritaire de l’organisation communiste s’est peu à peu relâchée. La diversité idéologique a enfin été reconnue, tout comme le droit d’exprimer un désaccord publiquement, ainsi qu’une certaine d’autonomie d’action pour chaque niveau organisationnel. Des principes tels que la parité femmes/hommes, la rotation des fonctions et le non-cumul des mandats ont été introduits. Avec parcimonie, quelques consultations directes des adhérents ont même été organisées.
Au fil des années, ce sont bien ces règles et ce climat nouveaux qui ont rendu possible la remise en cause de la direction sortante, et surtout de son chef. Dès 2016, des épisodes alarmants pour Pierre Laurent s’étaient d’ailleurs produits. Cette année-là, le texte d’orientation du conseil national sortant était resté majoritaire, mais avec un score nettement plus modeste que d’habitude (51,2 %). Quelques mois plus tard, la conférence nationale convoquée par la direction avait soutenu une stratégie consistant à présenter un candidat communiste à l’élection présidentielle, même contre Jean-Luc Mélenchon. Pierre Laurent avait regretté ce choix et demandé aux adhérents de désavouer cette conférence, ce qu’ils n’avaient fait qu’à une faible majorité (53,6 %).
Un processus de perte de confiance et de divisions inédites de la base militante était donc à l’œuvre, qui est apparu avec encore plus de force lors du congrès actuel. Au passage, on pouvait aussi repérer dès cette consultation de 2016 la méfiance prononcée des adhérents communistes envers le leader de La France insoumise. Elle augurait du faible score du texte signé par la députée Elsa Faucillon, qui défendait pour ce congrès un « Front commun » avec la FI, sur la base d’un « écocommunisme […] sans hiérarchie des luttes émancipatrices ». Difficile de voir, en revanche, des différences de fond très nettes entre l’alliance des forces qui ont triomphé de Pierre Laurent et la ligne affichée par ce dernier.
Historique, le départ contraint du secrétaire national ne débouche sur aucun virage doctrinal et stratégique qui soit clair, neuf ou ambitieux. La différence entre les deux sensibilités incarnées par Pierre Laurent et Fabien Roussel ne saute en effet pas aux yeux, et les compromis finaux du congrès l’ont encore estompée.
L’orientation défendue par Roussel était certes davantage soutenue par ceux qu’il est convenu d’appeler les « identitaires ». Un des vieux antagonismes du PCF, rappelle le politiste Dominique Andolfatto, réside dans l’opposition entre « les plus nostalgiques du parti de masse et dominateur d’autrefois, et les modernistes ou réalistes, qui ont une vision plus séculière ou opérationnelle du parti (un outil parmi d’autres pour reconstruire la gauche) ». Mais si le texte signé par Roussel évoquait bien « le rôle irremplaçable » du PCF, il n’écartait pas la perspective de rassemblements plus larges. Quant au texte signé par Laurent, il appelait à un « nouveau front social et politique », tout en affirmant la « vocation [des communistes] à être présents à toutes les élections ». La nuance est pour le moins subtile…
De plus, contrairement à une idée reçue, ce n’est pas parce que Roussel vient de la fédération du Nord qu’il campera nécessairement sur une ligne plus sectaire en termes de rapports avec les autres forces de gauche. « On met souvent cette fédération dans le même sac que celle du Pas-de-Calais, connue pour son âpreté dans la lutte des classes, mais elles ne sont pas identiques, met en garde Roger Martelli. On trouve dans le Nord un mélange entre une affirmation ouvrière très forte et des pratiques d’alliances très larges. Il n’y a là rien d’incohérent pour certains communistes, qui voient le PCF comme le parti de la classe ouvrière, mais une classe ouvrière qui ne saurait diriger toute seule le pays. »
Réaffirmer l’identité communiste tout en pratiquant une stratégie électorale à la carte ? Si un tel cap devait être choisi, on voit mal comment il pourrait répondre au déclin continu subi par le PCF. Plus que jamais, ce parti est l’ombre de ce qu’il fut, sans que des capacités de rebond soient vraiment repérables. Quoi que l’organisation communiste fasse, l’heure d’une reconversion réussie semble être définitivement passée. Comme si son obsolescence, pas forcément programmée, n’en était pas moins acquise.
L’examen des données électorales est implacable (voir le graphique ci-dessous). Alors que le PCF pesait un cinquième des suffrages exprimés aux législatives de 1978, il en a recueilli moins de 3 % à celles de 2017. Son score a ainsi été divisé par sept en 40 ans, avec des plongeons brutaux qui ont suivi autant des raidissements identitaires que des participations à des gouvernements socialistes. Le sursaut le plus récent, en 2012, s’inscrivait dans la dynamique du défunt Front de gauche. Laissé à ses seules forces, le PCF n’a plus qu’une capacité d’attraction marginale. Au niveau local aussi, l’implantation du parti a fondu inexorablement, si bien qu’il est aujourd’hui absent de pans entiers du territoire.
Les résistances au changement étaient sans doute trop fortes pour échapper à temps au déclin qui a concerné toute la famille des partis communistes occidentaux. Des dirigeants avaient bien réussi à promouvoir des idées eurocommunistes au cours des années 1970, parmi lesquelles la critique systémique de l’URSS, l’appel à la démocratisation interne et l’ouverture à des luttes nouvelles. Ces germes de reconversion en une gauche alternative, plus adaptée aux transformations sociodémographiques des pays occidentaux, ont cependant été tués à la naissance par Georges Marchais. Lorsque de nouvelles tentatives ont eu lieu après la chute de l’URSS, il était trop tard. Le parti avait perdu depuis quinze ans son statut de premier parti de gauche, et n’était devenu qu’un partenaire parmi d’autres du parti socialiste.
Du reste, la mutation engagée sous Robert Hue s’est traduite par une participation gouvernementale à la « gauche plurielle » (1997-2002), qui s’est révélée désastreuse en termes de crédibilité et de performance électorale. Et en dépit d’évolutions doctrinales sur les questions de société et l’écologie, le PCF est resté mal à l’aise avec de nombreux enjeux, comme le nucléaire ou les grands projets inutiles, en raison de la persistance d’un ethos productiviste. En plus de l’accumulation de virages tactiques, qui ont rendu peu lisible leur identité, les communistes ont par ailleurs évité toute personnalisation de la vie politique, ce qui les a rendus vulnérables à l’apparition de figures plus inspirantes dans la gauche radicale, qu’il s’agisse – dans des styles certes différents – d’Olivier Besancenot en 2002 et 2007 ou de Jean-Luc Mélenchon à partir de 2009.
Non content de perdre du terrain et de brouiller son image, le PCF s’est aussi banalisé dans la société. Sa surreprésentation dans les milieux ouvriers et même populaires a décliné. Surtout, son électorat a vieilli. La même tendance peut être observée du côté des militants. Elle explique l’érosion irrémédiable de leurs effectifs tout au long des dix dernières années, durant lesquelles on dispose d’une estimation fiable de celles et ceux qui sont à jour de cotisation (voir le graphique ci-dessous). De presque 80 000, le nombre d’adhérents a ainsi diminué jusqu’à moins de 50 000.
Fabien Roussel prend donc les rênes d’un parti qui ne peut plus assurer seul sa survie et dont les péripéties ressemblent depuis quelques années à l’épilogue sans fin d’une histoire bientôt séculaire. Le drame, pour l’instant, c’est que le PCF ne dispose pas non plus d’un partenaire susceptible de lui garantir cette survie : les relations avec la FI (elle-même en construction) sont exécrables ; le PS s’est effondré ; et les autres appareils luttent tout autant pour leur existence dans le champ éclaté de la gauche.
Source : Médiapart 25/11/2018