De Mitterrand à Sarkozy, le révélateur Tapie

Chaussures mystiques pour marcher vers la fortune

 

Mis en difficulté avec l’affaire Cahuzac, les socialistes ont trouvé avec le scandale Tapie une opportunité de contre-attaque pour dénoncer l’affairisme qui avait cours sous le précédent quinquennat. En chœur, tous les hiérarques de la Rue de Solferino dénoncent donc à qui mieux mieux cette « affaire d’Etat ».
Ils se font un malin plaisir de souligner qu’elle va nécessairement éclabousser Nicolas Sarkozy, à l’origine des instructions qui ont conduit au désormais célèbre arbitrage et aux 403 millions d’euros perçus sans doute indûment par Bernard Tapie.

Au risque de jouer les rabat-joie, il faut pourtant dire les choses telles qu’elles sont : les dignitaires socialistes n’ont aucune raison de tirer la couverture à eux et de s’attirer les mérites de ce spectaculaire épilogue judiciaire qui est en train de se jouer, avec la mise en examen de l’un des arbitres pour «escroquerie en bande organisée».

D’abord parce qu’ils n’ont pas joué les premiers rôles dans la bataille pour que la vérité finisse par émerger – le président du MoDem, François Bayrou, a manifesté une pugnacité autrement plus remarquable. Et puis, surtout, les socialistes ont une part de responsabilité dans cette histoire stupéfiante, qu’il est opportun de ne pas oublier.

En quelque sorte, Bernard Tapie fait le pont entre les aspects les plus sombres du mitterrandisme et les traits les plus saillants du sarkozysme. Ou, si l’on préfère, c’est un formidable révélateur de l’affairisme qui avait cours sous le premier, et qui s’est encore accentué sous le second. L’histoire de Bernard Tapie peut en effet se résumer à ce sidérant raccourci : le scandale, c’est sous François Mitterrand qu’il a commencé, et c’est sous Nicolas Sarkozy qu’il s’est achevé.

Sa bonne fortune, c’est, de fait, sous le second septennat de François Mitterrand que Bernard Tapie a commencé à la connaître. D’abord parce que les socialistes ont pris à l’époque la responsabilité de le présenter sous les traits d’un entrepreneur modèle, au point de faire de lui un ministre, alors qu’il n’était qu’un aventurier sans trop de scrupule de la vie financière, jouant en permanence sur le registre du populisme.

Mais il y a encore beaucoup plus grave que cela. C’est que Bernard Tapie a tiré financièrement avantage de cette courte échelle que lui ont faite les socialistes. L’homme d’affaires se présente en effet souvent en victime et fait valoir qu’il aurait été floué par le Crédit lyonnais lors de la revente du groupe Adidas, mais la vérité est tout autre. S’il n’avait pas été protégé par François Mitterrand, il n’aurait jamais profité des bonnes grâces du Crédit lyonnais, qui était à l’époque une banque nationalisée.

On oublie trop souvent que Bernard Tapie n’a jamais engagé le moindre argent personnel – pas un seul centime lors de sa prise de contrôle, en juillet 1990, du groupe Adidas : c’est la banque publique qui a financé l’opération, en lui faisant un prêt de 1,6 milliard de francs sur deux ans ; prêt que Bernard Tapie n’a jamais été capable de rembourser. Or, deux ans plus tard, après déjà bien des péripéties, si la banque, à l’époque dirigée par Jean-Yves Haberer, avait été un établissement normal ; si l’Elysée n’avait pas fait comprendre que Bernard Tapie était sous sa protection et allait bientôt redevenir ministre, l’histoire se serait arrêtée là.

Le Crédit lyonnais aurait fait jouer les nantissements dont il disposait sur les titres Adidas de Bernard Tapie, et il n’y aurait pas eu de litige commercial les années suivantes. Et il n’y aurait pas eu non plus d’arbitrage seize ans plus tard.

En somme, Bernard Tapie a profité d’un traitement de faveur indigne d’une démocratie, en 1992, parce qu’il était l’un des protégés de François Mitterrand. Et c’est grâce à cela, sans jamais avoir investi le moindre sou dans Adidas, qu’il a pu, longtemps après, intriguer dans les coulisses du pouvoir sarkozyste.
A bon droit, on peut donc juger sévèrement cette histoire d’arbitrage, dont Nicolas Sarkozy et Christine Lagarde ont pris l’initiative en 2007. Très sévèrement, surtout si la justice arrive à étayer ce qui est aujourd’hui sa suspicion, à savoir que toute la procédure n’a été, en réalité, qu’une invraisemblable «escroquerie», conduite par une «bande organisée» qui pourrait avoir des ramifications jusqu’à l’intérieur même de l’Etat.

Mais il ne faut donc pas perdre de vue que ce scandale trouve sa source dans d’autres dérives, celles qu’ont connues les socialistes au début des années 90. Epoque passablement glauque ! C’étaient les «années-fric», les années de «l’argent fou», éclaboussées par une cascade de scandales, du délit d’initiés de Pechiney-Triangle jusqu’aux détournements d’Elf.

De cette époque lointaine, où Bernard Tapie était le protégé de l’Elysée, il reste d’ailleurs des traces. Car, aujourd’hui encore, quelques socialistes lui sont restés fidèles et défendent sa cause. A commencer par le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui intrigue en permanence en sa faveur.

En quelque sorte, Bernard Tapie est un trait d’union entre deux époques détestables, où la démocratie était anémiée et l’affairisme, prospère. En sommes-nous vraiment sortis ?

Laurent Mauduit

Médiapart 13/06/13

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« Le PCF est marginalisé mais une culture communiste dégradée perdure »

Maurice-Thorez applaudi par les dirigeants du PCF

A l’occasion du 18e congrès de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), du 25 au 30 décembre 1920, à Tours, une majorité de congressistes votent pour sa transformation en Section française de l’Internationale communiste. La révolution russe s’est déroulée trois ans avant. Né le 29 décembre 1920, le Parti communiste français (PCF) célèbre son quatre-vingt-dixième anniversaire en 2010. Il n’est plus, aujourd’hui, que l’ombre du grand parti politique qu’il fut au lendemain de la Libération (28,6 % aux élections législatives d’octobre 1946) mais « une forme de culture communiste dégradée perdure », comme l’explique l’historien Marc Lazar, spécialiste des gauches européennes.

Il y a quatre-vingt-dix ans naissait le Parti communiste français à Tours. Qu’a apporté le PCF à la société française ?

Marc Lazar : Incontestablement, il est à l’origine ou l’inspirateur d’une série de conquêtes sociales. C’est l’apport essentiel du Parti communiste. Cette appréciation, toutefois, doit être nuancée par deux éléments.

Le premier est que cela n’était pas son but initial, ce n’était pas son objectif. Sa vocation, si l’on peut dire, était de faire la révolution. Mais à cause de son insertion dans la société politique, avec ses élus, il a, au fil du temps, changé son fusil d’épaule.

Le second élément de nuance est qu’il n’a pas été le seul à contribuer aux transformations sociales. En quelque sorte, pour reprendre une formule devenue célèbre, il n’a pas le monopole du cœur. D’autres forces politiques que le PCF s’y sont attelées avec succès.

La domination que le PCF a exercée sur la gauche française, des années 1930 à la fin des années 1970, a-t-elle été une chance ou un handicap ?

La première constatation est, d’abord, que cela a été une réalité. C’est vrai que le Parti communiste a exercé un magistère intellectuel et politique pendant plusieurs décennies.

Cette donnée a contribué à la radicalisation de la gauche française. Cette forme de domination a rendu la gauche, dans toutes ses composantes, totalement hostile à l’économie de marché et elle a délégitimé le réformisme.

Par voie de conséquence, la gauche française a du mal, maintenant, à analyser les mutations du capitalisme. La gauche non communiste a le réformisme honteux en raison de la détestation de celui-ci que le PCF a su faire naître et entretenir.

Enfin, ce magistère a empêché la gauche de dresser un bilan politique et historique du communisme au pouvoir ou dans l’opposition. Ce magistère s’exerce encore aujourd’hui.

Comment expliquer son effondrement en moins de vingt ans ?

La première raison – qui a une part de vérité – est l’habileté politique de François Mitterrand. Dès 1971 [dix ans avant sa victoire à l’élection présidentielle], il a opéré un renversement tactique : il a placé l’alliance électorale des socialistes avec les communistes avant leur confrontation idéologique. Il était ainsi en mesure de répondre, électoralement parlant, aux aspirations de nouvelles catégories sociales.

La deuxième raison est l’écroulement de ce monde industriel et ouvrier sur lequel s’appuyait et s’incarnait le Parti communiste. En un rien de temps, une partie de l’industrie lourde – les mines, la sidérurgie entre autres – a été rayée de la carte.

La troisième raison, ce sont les erreurs de la direction à partir des années 1970. Celle-ci s’est obstinément refusée à écouter les voix de l’intérieur qui appelaient au changement. Cela s’est traduit par l’enterrement de l’eurocommunisme, l’alignement sur l’Union soviétique avec un seul objectif : sauver, avant tout, l’appareil.

Par ses choix délibérés, le groupe Marchais, au-delà même de la seule personne du secrétaire général de l’époque, a une responsabilité considérable dans cet effacement. Cela trouve une traduction lors de l’élection présidentielle de 1981 avec l’échec de Georges Marchais, qui obtient moins de 15,5 % des suffrages exprimés. Le reste va suivre.

Il s’agit d’un véritable « divorce avec la société française ». Le PCF est un colosse aux pieds d’argile et la rapidité de son déclin va être spectaculaire. Aujourd’hui, le Parti communiste est marginalisé mais une forme de culture communiste dégradée perdure.

Son salut est-il du côté du Parti socialiste ou dans une alliance avec la gauche de la gauche ?

On est là au cœur du dilemme qui le terrasse littéralement. Soit il se range du côté du PS et il risque d’en mourir, soit il s’allie avec la gauche de la gauche et il perd ce qui lui reste d’identité. Ajoutons que dans ce second cas il mécontente tous ses élus.

De ce point de vue, le PCF est dans une impasse totale. Pour dire le vrai, ce quatre-vingt-dixième anniversaire est d’une tristesse absolue.

Propos recueillis par Olivier Biffaud

Le Monde

Commentaire à  propos de Marc Lazar

Dans son essai Le Communisme, une passion française (2002), Marc Lazard avance que le Parti communiste français a cessé d’exister dans la vie politique française, bien que sa culture politique se maintienne : « 2002 a sans doute marqué l’acte de décès du Parti communiste français (PCF), né en décembre 1920 au congrès de Tours. » Se distinguant des historiens et penseurs du politique qui considèrent le totalitarisme comme un phénomène historiquement et conceptuellement limité à quelques cas, il va jusqu’à considérer le communisme français comme une « passion totalitaire en démocratie ». Ces thèses seront reçues fraîchement par le PCF, la critique de l’ouvrage dans L’Humanité s’intitulant « Quand Marc Lazar furète »[1], en référence à François Furet et à son essai Le Passé d’une illusion (1995).

Voir aussi : Rubrique Livre politiqueDu brassage social et politique, Marx et le Père noël, rubrique Rencontre Alain Badiou hypothèse communiste du XXI e siècle,

Rénové et uni, le PS face à l’écueil des primaires

martine-aubry_34Quand, le 25 novembre 2008, Martine Aubry prit les rênes d’un Parti socialiste en pleine crise existentielle, elle n’avait pas fait de la rénovation du vieux « parti d’Epinay », refondé par François Mitterrand en 1971, sa priorité. Cet objectif était porté par sa rivale, Ségolène Royal. Toute l’intelligence politique de la maire de Lille a été de comprendre que si elle voulait être l’artisan d’un « nouvel Epinay », elle devait se saisir de cette rénovation au point de l’incarner.

Avec persévérance et détermination, Mme Aubry a surmonté les résistances de ses propres amis et a conduit le chantier à son terme. La convention nationale du PS, réunie le 3 juillet à Paris, va graver dans ses statuts d’importantes innovations : des « primaires populaires », à l’automne 2011, pour désigner le (la) candidat(e) à l’élection présidentielle de 2012, le non-cumul des mandats, qui sera mis en oeuvre « à chaque renouvellement parlementaire « , la « parité intégrale » et la diversité dans toutes les instances. Le PS inaugure une nouvelle pratique de la politique qui mérite d’être saluée.

Il est toutefois regrettable que cette rénovation n’ait pas suscité d’élan chez les militants du PS. Le 1er octobre 2009, moins d’un adhérent sur deux avait participé au référendum organisé par Mme Aubry. Le 24 juin, seuls 34,16 % des 167 162 socialistes inscrits se sont déplacés pour voter sur le projet de rénovation, approuvé à 77 %. Comme si la rénovation, pourtant si nécessaire, était plus affaire de raison que d’enthousiasme.

Le plus difficile pour le PS sera de conjuguer l’exemplarité démocratique qu’il revendique avec la réalité. Il en est ainsi des « primaires populaires », ce « talisman de la victoire », selon leur concepteur, Arnaud Montebourg. Elles seront ouvertes à tous les électeurs qui s’engageront à « soutenir les valeurs de la gauche », moyennant une obole de 1 euro, soit un corps électoral potentiel de plusieurs millions de citoyens.

Indépendamment du risque de voir des électeurs de droite se glisser dans le scrutin, il y a déjà deux écueils. Au départ, l’idée était d’ouvrir les primaires aux « formations de gauche qui le souhaitent ». Si Daniel Cohn-Bendit est tenté de participer, les Verts y sont hostiles. Jean-Pierre Chevènement a déclaré forfait et songe à se présenter… Les radicaux de gauche se tiennent aussi à l’écart.

Mme Aubry a évoqué elle-même le second écueil, ironisant sur ceux qui craignent que l’unité du PS soit « en train de tuer dans l’oeuf les primaires ». Non, dit-elle, il y aura une « pluralité de candidatures ». Mais elle n’affrontera pas Dominique Strauss-Kahn, s’il se décide, et vice-versa. A son tour, Mme Royal exclut de se présenter contre Mme Aubry et contre « DSK ». François Hollande et les autres candidats s’opposent à tout ce qui pourrait ressembler à un « pacte » préalable.

On sera d’autant plus loin d’une primaire à l’américaine, où deux lignes s’affrontent, que le projet présidentiel du PS sera adopté avant, au printemps 2011. Un PS uni, à la différence de 2007, c’est un atout. Mais il ne faudrait pas que des jeux d’appareil réduisent la portée d’un exercice démocratique aussi novateur.

Le Monde 03/07/10

L’Oréal, le cœur à droite

Un groupe qui a du volume

Des faits de collaboration aux versements à l’UMP, retour sur l’histoire d’un groupe très politique.

Malgré la tempête, l’affaire Bettencourt ne provoquerait «aucun nuage» chez L’Oréal. C’est le message qu’a fait passer le directeur général du groupe, Jean-Paul Agon, dans une pleine page que lui a consacrée le Journal du dimanche, hier. Le site du groupe rappelle que L’Oréal a été désigné en 2010 parmi les «sociétés les plus éthiques au monde» par un groupe de réflexion bien informé, Ethisphere Institute. On verra en 2011 si la fraude fiscale massive présumée de Liliane Bettencourt, première actionnaire de L’Oréal, modifie son classement éthique. Les révélations récentes des liens d’Eric Woerth (1) avec Patrice de Maistre, gestionnaire du patrimoine de la milliardaire, des «petites sommes» versées à l’UMP par Bettencourt et de l’embauche de la femme du ministre par la société Clymène, ne sont que le dernier épisode de l’histoire très politique du groupe L’Oréal.

Luc Chatel, un bébé l’Oréal

Tout récemment, le 3 juin, le ministre de l’Education, Luc Chatel, a signé un accord-cadre avec Jean-Paul Agon portant sur la validation des acquis d’expérience (VAE) au sein du groupe L’Oréal. Le ministre s’est prêté, sans déplaisir, à une séance photo en compagnie de l’état-major d’un groupe qu’il connaît bien. Il y a fait l’essentiel de sa carrière professionnelle avant d’être élu député (UMP) de Haute-Marne, en 2002. Entré comme chef de produit, Luc Chatel y a occupé pendant sept ans le fauteuil de directeur des ressources humaines. «Luc Chatel a été poussé par Mme Bettencourt pour devenir le député-maire de Chaumont», assure un ancien conseiller du RPR. «Absolument pas, rectifie le ministre. Je n’ai jamais eu de liens particuliers avec la famille, et je n’ai reçu aucun soutien de leur part au cours de mon activité politique.»

Chatel, qui n’est pas gaulliste, s’inscrit dès ses débuts en politique au Parti républicain, avant d’intégrer l’UMP, dont il est devenu le porte-parole entre 2004 et 2007. L’ancien DRH est nommé en 2007 secrétaire d’Etat à la Consommation et au Tourisme, puis il obtient l’Industrie. L’Oréal applaudit. Dans l’Express, Jean-Claude Le Grand, l’actuel DRH, salue sa «façon moderne de faire de la politique» : «Il applique les méthodes de l’entreprise à ses ambitions. Tout cela, il l’a sans doute appris chez L’Oréal.»

André Bettencourt et François Mitterrand

Huit fois ministre, André Bettencourt, le mari de Liliane, décédé en novembre 2007, a lui aussi fait une brillante carrière politique, plutôt enracinée à l’UDF. Elu député sous l’étiquette des Indépendants et Paysans, puis des Républicains indépendants, il est très proche de Valéry Giscard d’Estaing, Jean Lecanuet et Michel d’Ornano. Mais André Bettencourt compte aussi un grand ami à gauche, François Mitterrand. Dans Une jeunesse française, Pierre Péan a situé l’origine de cette amitié dans l’internat des pères maristes, fréquenté par Bettencourt, Mitterrand et François Dalle, le futur PDG du groupe L’Oréal. «Bettencourt était de trois ans plus jeune que Mitterrand, mais c’est par François Dalle qu’il est entré dans le premier cercle», explique Pierre Péan.

Ils sont alors tous proches de la Cagoule, le mouvement d’extrême droite financé par le fondateur du groupe L’Oréal, Eugène Schueller, père de Liliane Bettencourt. «C’est à Vichy que Bettencourt, qui est devenu journaliste à la Terre Française, retrouve Mitterrand en 1942, poursuit Péan. Mitterrand l’enrôle dans son mouvement clandestin. Bettencourt va devenir l’un de ses plus proches collaborateurs, jusqu’à assurer sa protection dans ses rencontres secrètes, et devenir son agent de liaison en Suisse.»

Le groupe et la collaboration

En 1990, Jean Frydman, l’ancien dirigeant d’une filiale de L’Oréal, déclenche une première «affaire Bettencourt» en déposant plainte contre l’ancien président du groupe François Dalle pour «faux, usage de faux et discrimination raciale» à la suite de son licenciement. Jean Frydman révèle que L’Oréal a recyclé, dans ses filiales étrangères, plusieurs collaborateurs de premier plan. L’affaire se conclut par un non-lieu, mais elle dévoile les faits de collaboration d’Eugène Schueller et de François Dalle, devenu depuis la guerre l’un des dirigeants de L’Oréal. Schueller avait financé le Mouvement social révolutionnaire (MSR) d’Eugène Deloncle. André Bettencourt et François Mitterrand interviendront en leur faveur à la Libération. François Dalle obtiendra pour Mitterrand un poste de responsable de la revue du groupe, Votre beauté.

Karl Laske (Libération)

Affaire Bettencourt

Le procès de François-Marie Banier

Accusé d’abus de faiblesse sur Liliane Bettencourt, François-Marie Banier doit comparaître jeudi devant le tribunal correctionnel de Nanterre. Figure du Tout-Paris, photographe des stars, il doit s’expliquer sur les centaines de millions d’euros de dons que lui a consentis l’héritière et actionnaire principale de L’Oréal. Mais son procès risque d’être bouleversé par la révélation des enregistrements clandestins du maître d’hôtel de la milliardaire.

Deux semaines De révélations

16 juin Le site Mediapart révèle des enregistrements pirates réalisés entre mai 2009 et mai 2010 par le maître d’hôtel de Liliane Bettencourt. Ils mettent au jour des opérations financières destinées à échapper au fisc et (1) des liens entre la milliardaire, le ministre du Travail, Eric Woerth, et son épouse, Florence – laquelle travaille pour la société gérant la fortune Bettencourt. Le parquet de Nanterre ouvre une enquête pour «atteinte à la vie privée».

20 juin Eric Woerth assure ne rien savoir des finances de Liliane Bettencourt et dénonce des accusations «fausses» et «scandaleuses». Le lendemain, il annonce que sa femme va démissionner «dans les prochains jours» de la société où elle gère depuis 2007 une partie de la fortune Bettencourt. Cette dernière annonce la régularisation fiscale de ses avoirs à l’étranger.

25 juin Le procureur Courroye révèle qu’il a saisi l’administration fiscale, le 9 janvier 2009, «de la procédure suivie à l’encontre de François-Marie Banier et tous autres», lui transmettant «l’intégralité des éléments de la procédure et des scellés». Eric Woerth, ministre du Budget jusqu’en mars dernier, annonce qu’il a autorisé un contrôle fiscal de Banier.

26 juin L’Elysée affirme que «le président de la République n’a strictement rien à reprocher à Eric Woerth».

27 juin Le ministre du Budget, François Baroin, annonce que le fisc va passer la fortune Bettencourt au peigne fin et exclut toute intervention de son prédécesseur, Eric Woerth, dans le dossier.

Voir aussi : rubrique Affaires Corruption Karachi le juge confirme, La police luxembourgeoise met en cause Sarkozy, Politique, démission du 1er ministre japonais, Démission du président Allemand

Le conservatisme en politique

Les XXII es Rencontres de Pétrarque rediffusées sur France Culture abordent la question du conservatisme. Un statu quo qui s’applique bien à la politique française…

Les juillettistes ont manqué les XXII Rencontres de Pétrarque consacrées à la question « sommes-nous de plus en plus conservateur ? » Si le sujet les intéresse, ils peuvent se rattraper en écoutant France Culture qui rediffuse actuellement les enregistrements réalisés dans la Cours des Ursulines durant le Festival de Radio France. Nous revenons également cette semaine sur deux des débats abordés au cours de ces rencontres : Aujourd’hui le conservatisme en politique.

Messieurs les anglais tirez les premiers. Seul étranger autours de la table, le député travailliste Denis Mc Shane qui fut ministre aux affaires européennes dans le gouvernement Blair se lance. Avec un certain goût pour la provocation, il oppose « la révolutionnaire et libérale Margaret Thatcher au conservateur François Mitterrand. Oui, affirme le député britannique, la France est aujourd’hui le pays le plus conservateur d’Europe Chez vous, tout changement est refusé. La France ne bouge pas. Et quand le conservatisme ne marche pas, il fait naître des gens qui sont prêts à changer. » C’est ainsi que le travailliste s’explique l’avènement de Sarkozy. Au centre de son constat, les partis figés qui ne souhaitent pas le changement parce qu’ils sont incapables de changer leur propre fonctionnement. Silence, un troupeau d’éléphants passe sans bruit. Mc Shane poursuit. Tout en distinguant les conservateurs britanniques de leur homologues français, le social démocrate décomplexé prédit à la gauche française 15 ans de traversée du désert pour s’adapter au peuple. Vision cauchemardesque et pragmatique dont la clarté dérange ses co-conférenciers, mais qui oriente, dans le même temps, cette question du conservatisme vers la gauche.

Longue tirade d’Alain Finkielkraut qui observe de loin notre entrée dans un autre monde. « C’est le triomphe de la pensée calculante et la défaite de la pensée méditante. La culture s’engloutit dans le culturel». Le monde peut s’écrouler, Finkielkraut fera toujours du Finkielkraut. Reste que les néo conservateurs, Thatcher, Bush et Sarkozy, ne sont pas des conservateurs. Ils importent ou exportent un système idéologique et sont prêts à tout bousculer pour l’imposer. « Face à cette droite avide, les socialistes sont ils confiants dans leurs croyances ? » S’interroge Daniel Lindenberg « La défaite de Ségolène Royal est réelle. Elle n’est pas cosmique », précise l’historien des idées, la gauche immobiliste doit tirer les enseignements de cette droite qui pratique la guerre du mouvement. » pour Lindenberg, les lignes politiques bougent. Et en se réappropriant le culte de l’autorité et de la tradition, la gauche ne se projette pas dans l’avenir. Elle cède simplement à la tentation du repli.

Georges Frêche coiffe sa casquette d’historien pour rappeler que « La conservation et le progrès n’ont jamais été égaux. Le changement est bref et le conservatisme est long. » En France depuis deux siècles la vrai gauche n’a gouverné que onze petites années souligne le président de Région qui rejoint Mc Shane pour annoncer au PS son entrée dans un long purgatoire. « Ne tentons pas d’être absolument moderne. Mais efforçons-nous d’être contemporain.» recadre Antoine Compagnon qui enseigne la littérature au Collège de France.

La volonté de faire du passé table rase est un axe essentiel des politiques totalitaires. Il y a des libertés de la modernité qui reste à défendre et d’autre à contenir comme la liberté économique. Celle que l’anarchiste conservateur, Georges Orwell que personne ne cite, définissait comme « une liberté qui est le droit d’exploiter l’autre à son profit » Percutant non ?

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Débat politique Présidentielles 2007 victoire de  Sarkozy, Rubrique Essai Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie,