A l’occasion du 18e congrès de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), du 25 au 30 décembre 1920, à Tours, une majorité de congressistes votent pour sa transformation en Section française de l’Internationale communiste. La révolution russe s’est déroulée trois ans avant. Né le 29 décembre 1920, le Parti communiste français (PCF) célèbre son quatre-vingt-dixième anniversaire en 2010. Il n’est plus, aujourd’hui, que l’ombre du grand parti politique qu’il fut au lendemain de la Libération (28,6 % aux élections législatives d’octobre 1946) mais « une forme de culture communiste dégradée perdure », comme l’explique l’historien Marc Lazar, spécialiste des gauches européennes.
Il y a quatre-vingt-dix ans naissait le Parti communiste français à Tours. Qu’a apporté le PCF à la société française ?
Marc Lazar : Incontestablement, il est à l’origine ou l’inspirateur d’une série de conquêtes sociales. C’est l’apport essentiel du Parti communiste. Cette appréciation, toutefois, doit être nuancée par deux éléments.
Le premier est que cela n’était pas son but initial, ce n’était pas son objectif. Sa vocation, si l’on peut dire, était de faire la révolution. Mais à cause de son insertion dans la société politique, avec ses élus, il a, au fil du temps, changé son fusil d’épaule.
Le second élément de nuance est qu’il n’a pas été le seul à contribuer aux transformations sociales. En quelque sorte, pour reprendre une formule devenue célèbre, il n’a pas le monopole du cœur. D’autres forces politiques que le PCF s’y sont attelées avec succès.
La domination que le PCF a exercée sur la gauche française, des années 1930 à la fin des années 1970, a-t-elle été une chance ou un handicap ?
La première constatation est, d’abord, que cela a été une réalité. C’est vrai que le Parti communiste a exercé un magistère intellectuel et politique pendant plusieurs décennies.
Cette donnée a contribué à la radicalisation de la gauche française. Cette forme de domination a rendu la gauche, dans toutes ses composantes, totalement hostile à l’économie de marché et elle a délégitimé le réformisme.
Par voie de conséquence, la gauche française a du mal, maintenant, à analyser les mutations du capitalisme. La gauche non communiste a le réformisme honteux en raison de la détestation de celui-ci que le PCF a su faire naître et entretenir.
Enfin, ce magistère a empêché la gauche de dresser un bilan politique et historique du communisme au pouvoir ou dans l’opposition. Ce magistère s’exerce encore aujourd’hui.
Comment expliquer son effondrement en moins de vingt ans ?
La première raison – qui a une part de vérité – est l’habileté politique de François Mitterrand. Dès 1971 [dix ans avant sa victoire à l’élection présidentielle], il a opéré un renversement tactique : il a placé l’alliance électorale des socialistes avec les communistes avant leur confrontation idéologique. Il était ainsi en mesure de répondre, électoralement parlant, aux aspirations de nouvelles catégories sociales.
La deuxième raison est l’écroulement de ce monde industriel et ouvrier sur lequel s’appuyait et s’incarnait le Parti communiste. En un rien de temps, une partie de l’industrie lourde – les mines, la sidérurgie entre autres – a été rayée de la carte.
La troisième raison, ce sont les erreurs de la direction à partir des années 1970. Celle-ci s’est obstinément refusée à écouter les voix de l’intérieur qui appelaient au changement. Cela s’est traduit par l’enterrement de l’eurocommunisme, l’alignement sur l’Union soviétique avec un seul objectif : sauver, avant tout, l’appareil.
Par ses choix délibérés, le groupe Marchais, au-delà même de la seule personne du secrétaire général de l’époque, a une responsabilité considérable dans cet effacement. Cela trouve une traduction lors de l’élection présidentielle de 1981 avec l’échec de Georges Marchais, qui obtient moins de 15,5 % des suffrages exprimés. Le reste va suivre.
Il s’agit d’un véritable « divorce avec la société française ». Le PCF est un colosse aux pieds d’argile et la rapidité de son déclin va être spectaculaire. Aujourd’hui, le Parti communiste est marginalisé mais une forme de culture communiste dégradée perdure.
Son salut est-il du côté du Parti socialiste ou dans une alliance avec la gauche de la gauche ?
On est là au cœur du dilemme qui le terrasse littéralement. Soit il se range du côté du PS et il risque d’en mourir, soit il s’allie avec la gauche de la gauche et il perd ce qui lui reste d’identité. Ajoutons que dans ce second cas il mécontente tous ses élus.
De ce point de vue, le PCF est dans une impasse totale. Pour dire le vrai, ce quatre-vingt-dixième anniversaire est d’une tristesse absolue.
Propos recueillis par Olivier Biffaud
Le Monde
Commentaire à propos de Marc Lazar
Dans son essai Le Communisme, une passion française (2002), Marc Lazard avance que le Parti communiste français a cessé d’exister dans la vie politique française, bien que sa culture politique se maintienne : « 2002 a sans doute marqué l’acte de décès du Parti communiste français (PCF), né en décembre 1920 au congrès de Tours. » Se distinguant des historiens et penseurs du politique qui considèrent le totalitarisme comme un phénomène historiquement et conceptuellement limité à quelques cas, il va jusqu’à considérer le communisme français comme une « passion totalitaire en démocratie ». Ces thèses seront reçues fraîchement par le PCF, la critique de l’ouvrage dans L’Humanité s’intitulant « Quand Marc Lazar furète »[1], en référence à François Furet et à son essai Le Passé d’une illusion (1995).
Voir aussi : Rubrique Livre politique, Du brassage social et politique, Marx et le Père noël, rubrique Rencontre Alain Badiou hypothèse communiste du XXI e siècle,