L’élégance engagée de Don Winslow

Don Winslow : « Je m

Ancien détective privé, Don Winslow figure parmi les grands auteurs de roman noir américain. Il était accueilli au FIRN pour la première fois cette année.

« Vous répondez au précepte « Ecrit à partir de ce que tu sais » et avez écrit un livre* de référence sur le monde de la drogue. D »où provenaient vos connaissances sur le sujet ?

J »ai grandi dans un quartier près de New York où il y avait énormément de drogue. Ca trafiquait et ça consommait partout. J »avais un ami proche qui se déplaçait tout le temps avec sa seringue. Plus tard, j »ai habité San Diego près du Mexique où les barons de la drogue utilisent les gangs de jeunes, de part et d »autre de la frontière, pour faire leur sale boulot. Le roman dont vous parlez, je l »ai écrit après que 19 hommes et femmes se soient fait massacrer pour une affaire de drogue dans un village près de chez moi.

Que vous évoque l »idée de frontière ?

Les frontières ne sont pas fixes. Lorsque vous avez d »un côté de la frontière une marchandise et que de l »autre côté de cette frontière, le prix de cette marchandise est multiplié par 100, le produit n »est plus la drogue mais la frontière qu »il faut traverser.

Vos personnages sont souvent borderline ?

Pour ce livre, un personnage principal ne pouvait à lui seul décrire l »univers complexe de la drogue. [Il montre une tasse de café sur la table]. C »est une banale tasse de café [la déplace au bord de la table en laissant une partie suspendue dans le vide]. Maintenant la situation est devenue intéressante…

On connaît les implications économiques et politiques du trafic de drogue, vous mettez aussi le doigt sur les implications sociales…

Plus j »ai exploré l »aspect social du phénomène, plus j »ai été attristé et plus ma colère à augmenté. J »ai même senti le poids de la responsabilité sur mes épaules. En tant que romancier, je devais parler de ce que je voyais. Ne le prenez pas pour vous, mais je crois qu »un romancier est plus à même d »approcher certaines réalités qu »un journaliste. Le journaliste rend compte au lecteur qui lit une information. L »écrivain travaille sur la pensée intérieure de son lecteur. Il rend compte d »une situation qui le pousse à une réflexion.

Vous avez été détective, quelle différence faites-vous entre votre ancien travail et celui casino autorizzati de l »auteur, lorsque vous cherchez votre matière première ?

Il y a beaucoup de points communs dans les méthodes de recherche. On interroge les gens, on consulte les déclarations dans les dossiers judiciaires, les interrogatoires de police. Avec l »expérience, on développe un détecteur de connerie qui provient le plus souvent du pouvoir légal.

Concernant les problèmes de drogue, l »arrivée d »Obama est-elle porteuse d »espoir  ?

J »ai rarement désiré une chose si forte en matière politique que la victoire d »Obama. L »assassinat de Kennedy m »a brisé le cœur. J »ai eu très peur pour Obama. C »est un type vraiment intelligent qui avance pas à pas. On observe un début de changement dans la politique de lutte antidrogue qui, pour l »instant, réduit l »aide aux victimes à la portion congrue. Obama a écrit sur le fait qu »il avait consommé lui-même de la drogue. Ce qui était il y a peu une chose impensable. Malgré l »image qu »il donne, Obama est un homme qui garde la tête froide. Il pratique sa politique comme s »il jouait aux échecs. Il calcule et finit par réussir. Les républicains tentent de le diaboliser mais ils paniquent devant sa tactique progressive.

Sur quoi travaillez-vous ?

Comme beaucoup d »écrivains, j »alterne dans mes sujets les phases de restriction d »espace avec celles d »élargissement. J »ai fini un livre sur le monde du surf et je voudrais m »attaquer à un sujet beaucoup plus vaste sur les changements du langage. J »expérimente et transporte cela dans le roman noir autour de la question des mots, de leur tempo, de ce que disent les silences. Je m »intéresse au vide. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

La griffe du chien éditions Fayard Noir


Le roman noir au féminin

Anne Secret « Le récit ne donne pas les clés ». Photo Hermance Triay

Intéressant autant que vaste, le thème « La frontière » du Festival international de Roman noir, permet d’aborder la question du genre dans le polar. Un aspect transversal que l’on retrouve chez les auteures invitées quelques soient leurs origines.

Dans son premier roman l’iranienne, Naïri Nahapetian ausculte les arcanes du pouvoir autant que la société iranienne. La jeune auteure se plait à dévoiler l’envers du décor, en pointant les espaces de liberté des femmes. Un de ses personnages principaux s’inspire de la vie réelle d’une politicienne qui a tenté à deux reprises de présenter sa candidature aux présidentielles. « En Iran, les femmes sont en première ligne, y compris dans la politique où elles mènent campagne au grand jour et exercent une réelle influence sur l’électorat, » indique-t-elle.

Plus à l’Est, Than-Van Tran-Nhut fait revivre la civilisation vietnamienne du XVIIe siècle à travers les enquêtes du mandarin Tân (Philippe Picquier) et laisse percevoir le rôle prépondérant des femmes qui transcendent la notion de devoir héritée du confucianisme. « Dans mes livres, les femmes apparaissent souvent en tant que personnages secondaires mais elles tiennent une place très importante dans l’organisation familiale et la gestion des affaires. Le Vietnam du XVIIe siècle, qui voit l’apparition de l’économie localisée, est marqué par l’apport de nouvelles techniques en provenance de l’Occident ou du Japon. Techniques à l’origine d’un changement profond de la société dans laquel les femmes ont joué un rôle majeur.

French Touch

Côté français, une nouvelle génération émerge. Jean-Christophe Brochier, responsable de la collection Roman noir au Seuil, observe que « les postures nouvelles occupées par les romancières se retrouvent en rapport de force avec les représentants masculins. On sait que les femmes lisent davantage que les hommes. Ce sont généralement elles qui achètent les livres. Et elles représentent, en France, 70% du monde de l’édition. »

Invitée du Firn, Karine Giebel met en scène un huis clos où un homme se retrouve, dans une cave, le prisonnier d’une femme assez perturbée. « Au départ il n’y avait pas de volonté féministe dans cette trame, confie Giebel, j’avais juste envie d’inverser le schéma classique : l’homme bourreau, la femme victime. C’est le suspens qui domine. J’essaie de faire en sorte que le lecteur s’attache aux personnages. Comme le prisonnier est un homme, on se demande comment il va s’en sortir parce qu’en général les hommes s’en sortent toujours… Mais les lecteurs ont aussi éprouvé une forme d’empathie pour la geôlière qui est plus pathétique qu’autre chose. »

Avec Les villas rouges (Seuil), Anne Secret ouvre une fenêtre sur la baie de la Somme et les paysage d’Ostende mais aussi sur la géographie intime de Kyra, personnage principal qui se retrouve lâchée en pleine cavale par son amant Udo. « Le récit ne donne pas les clés. Il évoque le côté opaque chez les gens. Kyra évolue dans un monde où beaucoup de choses lui échappent. Udo la manipule mais il est lui-même pris dans un cercle qui le dépasse. J’aime les personnages féminins des tragédies Grecques qui vont vers la mort les yeux ouverts.

Loin des habituelles images de femmes pulpeuses ou mystérieuses qu’ont pu nous renvoyer les polars d’autrefois, la nouvelle génération qui pointe écrit des livres porteurs d’absolu. Et ouvre sur une forme d’altérité féminine qu’il s’agit moins de s’approprier que d’accueillir.

Jean-Marie Dinh

Clair-obscur à Téhéran

NaÏri Nahapetian

L’auteure et journaliste Naïri Nahapétian vient de signer le premier polar iranien. Invitée du Festival international de Roman noir, elle arrive à Frontignan aujourd’hui.

Pourquoi avoir choisi la littérature noire ?

J’en lis beaucoup. C’est un bon moyen d’aborder les arcanes du pouvoir, les réseaux de corruption et les pratiques troubles.

Le personnage de Narek comporte-t-il une part autobiographique ?

A travers ce voyage, il enquête sur son passé et la mémoire de son pays. Je lui ai donné un certain nombre de sensations que j’ai éprouvées en retournant en Iran. Le sentiment de se trouver en décalage, acculturée… Mais j’ai mis un peu de moi aussi dans les autres personnages, dans la féministe Leila, ou dans l’opposant laïc Mirza.

Leila est inspirée d’un personnage réel.

Elle a tenté de se présenter aux élections présidentielles de 2005. Et elle était cette année parmi les 400 candidats dont 4 – tous des hommes – ont finalement été retenu par le conseil.

Quelles sont les revendications des féministes ?

Je suis allée à la rencontre de féministes laïques en Iran qui m’ont présenté des féministes musulmanes. C’est un courant important qui émet une critique du mouvement religieux de l’intérieur. Leur thèse défend l’idée que l’Islam est défavorable aux femmes parce que ce sont les hommes qui l’interprètent, cette vision est aussi soutenue par les hommes réformistes.

Avec ce livre vous souhaitiez sortir des stéréotypes que porte l’occident sur l’Iran.

Les gens confondent souvent les fanatiques du régime avec la population qui serait, si l’on se fie aux médias, fanatique et anti-américaine. Paradoxalement, cette image correspond à ce que le régime au pouvoir souhaite montrer.

Comment réagissez-vous à l’actualité ?

On a vu un million de personnes défiler dans le calme. C’est un signe de maturité. Je suis étonnée que le pouvoir ait commis une erreur aussi grossière lors de ces élections. Cela exprime la peur et la difficulté des conservateurs de saisir la main tendue par Obama. Tous les éléments sont réunis pour un changement : l’impasse économique qui fait suite à la gestion désastreuse d’Ahmadinejad, la maturité politique de la société civile et la division très forte au sein du régime. Attendons de voir…

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Iran Cinéma Téhéran, Les Chats persans

qui-a-tue-layatollah-kanukiQui a tué l’ayatollah Kanuni, éditions Liana Levi, 17 euros

« J’ai fait l’aérotrain »

" Il m'a demandé de lui fournir un manuscrit pour éponger ma dette." Photo DR

" Il m'a demandé de lui fournir un manuscrit pour éponger ma dette." Photo DR

Que nous réserve la lecture performance que vous préparez au Rockstore ?

« Je sais pas… Deux choses. Une expo de planches BD sur le Firn où je tente une explication oulipienne du festival et une lecture de mon texte  J’ai fait l’aérotrain.  Vous savez, les organisateurs me font faire des trucs pas possibles. Moi, je ne suis pas acteur ni dessinateur de BD. J’accepte parce que c’est dur de se faire inviter.

D’où vous vient cet amour du rail ?

Je suis fils de chef de gare. C’est de l’atavisme. Je n’ai pas le permis. Je ne voyage qu’en train ou à pieds. Un soir à Orléans, je me suis promené le long de la nationale sur le rail de béton de 18 km construit par l’ingénieur Bertin pour tester l’aérotrain. Dans J’ai fait l’aérotrain, je raconte cette histoire. C’est un vrai roman noir auquel j’ai ajouté quelques considérations psycho-géographiques et politiques.

Vous avez commis dernièrement « Une brève histoire du noir ». Quelle était votre approche ?

Pas du tout théorique. Je ne suis pas un théoricien. Dans le livre, je mets en opposition le roman noir et le roman policier. Je n’aime pas les policiers. Moins on les voit, mieux on se porte. Le roman noir est né dans les années 30 aux Etats-Unis. C’est un roman de critique sociale. Ce qui me plait.

Vous êtes un auteur prolixe, comment avez-vous débuté ?

J’ai jamais voulu écrire. On m’a forcé. En 81, je devais de l’argent à un type qui dirigeait une petite maison d’édition. Il m’a demandé de lui fournir un manuscrit pour éponger ma dette. Il se trouve que Sanguine est devenu l’éditeur le plus important de ce qu’on appelle l’école française du roman noir. Moi ça m’a amusé d’écrire, j’ai continué en signant chez Série noire. »


Une brève histoire du roman noir, L’œil neuf éditions 14,9 euros.

Les amoureux du noir se retrouvent au Firn

Roman noir. 40 auteurs débarquent de tous les horizons pour élire leur homicide au Firn de Frontignan où l’on dissèque l’idée de frontière…

Michel Gueorguieff le Président de Soleil Noir. DR

Michel Gueorguieff le Président de Soleil Noir. DR

Chaque année à la même époque, le festival international du roman noir de Frontignan (Firn) s’allume comme un phare de nuit pour hommes en danger. Une sorte d’antibiotique à large spectre, efficace pour tous ceux dont la chute libre ne sera pas entravée par un parachute doré. Le président de Soleil noir, Michel Gueorguieff, veille à la destinée du dispositif avec la sagesse d’un ange libéré. Encyclopédie vivante des livres obscurs au regard aiguisé, ce Diderot du roman noir tire d’une production inflationniste le meilleur du moment. C’est lui qui définit le thème et choisit les auteurs invités. Cette année, une quarantaine répondent au principe indéfectible de la manifestation, à savoir?: un dosage subtil entre auteurs émergents à découvrir et monstres du genre. L’esprit de la démarche fonde la réputation du festival y compris Outre Atlantique, où les auteurs d’envergure invités les années précédentes se passent le mot. Cette année les Anglo-saxons seront représentés à Frontignan par Don Winslow, Thomas H. Cook pour les Américains, et Russel James, Tom Rob Smith et Tim Willocks pour les Britanniques.

 

 

Identité forte et indépendante

 

« ?Le thème est la priorité des priorités. L’écrasante majorité des écrivains invités le sont en fonction du thème.? Au Firn, l’actualité est secondaire.  » Loin d’être anodin, ce choix est un gage d’indépendance. Ne pas s’acoquiner aux lumières artificielles de l’actualité signifie que le festival développe et assume sa propre voie. C’est ce qui le caractérise, avec sa longévité, parmi les 20 festivals de roman noir organisés en France.  » Nous prenons totalement en charge nos invités. Ce qui signifie que ce ne sont pas les éditeurs qui décident. Mais nous entretenons avec eux de très bons rapport. Tous les grands éditeurs sont passés au festival. Un certain nombre ont rencontré leurs auteurs américains ici.? »

 

 

Aux Frontières

 

« La frontière », le thème du 12e Firn qui se déroule du 22 au 28 juin. «  Le terme de frontière invite à s’ouvrir sur l’univers du noir et ses frontières culturelles. Nous accueillons cette année, Naïri Nahapetian, la seule Iranienne à écrire du roman noir, José Ovejero, un auteur espagnol marié à une Allemande qui habite à Bruxelles et aborde dans son dernier livre de manière très convaincante le passé colonial du Congo Belge. Nous accueillerons aussi la Vietnamienne Thanh-Van Tran-Nhut, à l’origine des enquêtes du juge Tan dans le Vietnam du XVIIe. Nous n’entendons pas seulement la frontière dans son sens physique et géographique, mais également dans sa dimension psychique, frontière entre folie et raison, frontière juridique: entre la loi et l’illégalité, l’ordre et le désordre, avec des auteurs comme Claude Mesplède, Lilian Bathelot, Eric Halphen, Jan Thirion… »

Le roman noir entretient depuis toujours une relation privilégiée avec le cinéma. Cette année, le festival rend hommage à l’œuvre de Michel Deville qui sera présent vendredi 26 juin.

 

 

Derrière les murs

 

Il est encore question de frontière avec la première édition de l’opération Derrière les murs. Montée en partenariat avec la mission BD du Languedoc-Roussillon, la Drac, le SPIP et la Pjj, elle propose aux détenus de la Maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone dix ouvrages (romans noirs et BD écrits par les auteurs invités du festival). Les détenus désigneront les lauréats qui viendront s’entretenir avec eux jeudi 25 juin. Loin d’être une simple distraction, le roman noir dit le monde et le Firn en apporte la preuve.

 

 

Jean-Marie DINH

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique  Roman noir,