Une semaine après l’agence de notation Fitch, Standard and Poor’s a abaissé à son tour jeudi d’un cran la note souveraine de l’Espagne, à « AA-« , citant « les perspectives incertaines de croissance » du pays et la probable poursuite de la détérioration du système financier espagnol. L’agence a précisé que la perspective de cette note restait « négative », notant que le pays était confronté à des « risques croissants » en raison d’un niveau de chômage élevé, d’un environnement financier plus difficile et du risque de ralentissement économique chez les principaux partenaires de l’Espagne.
La note « AA-« , la quatrième meilleure possible, reste d’un niveau attribué aux émetteurs de haute qualité. Cette décision est intervenue quelques heures après que la Slovaquie eut levé un obstacle majeur pour permettre à la zone euro de renforcer son système de défense contre la crise de la dette.
Le Parlement slovaque a approuvé le renforcement du Fonds européen de stabilité financière (FESF), permettant ainsi l’entrée en vigueur de cet outil incontournable de la réponse à la crise de la dette. Pour expliquer sa décision, S&P a cité « les perspectives incertaines de croissance de l’Espagne à la lumière de la nécessité pour le secteur privé d’avoir accès à des financements extérieurs » au moment où le pays emprunte à des taux élevés en raison de l’affaiblissement de la confiance des prêteurs.
L’agence juge également « probable que la qualité des actifs du système financier espagnol continue à se détériorer », tandis que « la réforme incomplète du marché de l’emploi va continuer à freiner la reprise économique ».
S&P a basé son analyse sur des prévisions de croissance de 0,8% en 2011 en termes réels et 1% en 2012, soit moins que ce qu’elle prévoyait il y a encore huit mois (1,5%). Elle a évoqué la possibilité que l’économie retombe en récession l’an prochain, en raison notamment d’une baisse de la demande interne et étrangère, avec un PIB en baisse de 0,5%. Dans ce cas, précise l’agence, la note de l’Espagne serait de nouveau abaissée. En revanche, si l’Espagne dépasse les prévisions de croissance de S&P, la perspective du pays passerait à « stable ».
« Nous pensons néanmoins que le gouvernement pourrait manquer ses objectifs budgétaires en raison de dépassements de dépenses au niveau des gouvernements locaux et régionaux et de la sécurité sociale, malgré une réduction du déficit budgétaire du gouvernement central plus importante que prévu », indique S&P.
L’agence table sur un déficit budgétaire du gouvernement central de 6,2% du PIB en 2011, globalement conforme aux prévisions du gouvernement espagnol (6%). « Nous pensons néanmoins que des mesures supplémentaires seront nécessaires pour atteindre l’objectif de 4,4% du PIB en 2012 », ajoute-t-elle, tablant sur 5,0% du PIB.
Une semaine plus tôt, Fitch Ratings avait abaissé de deux crans la note de l’Espagne, désormais établie à « AA-« , contre « AA+ » auparavant, soit la quatrième la plus élevée sur une échelle de vingt.
Pour Fitch aussi, la note est assortie d’une perspective « négative », qui implique que l’agence pourrait l’abaisser de nouveau à moyen terme.
Moody’s devrait se prononcer d’ici à fin octobre sur un éventuel abaissement de la note espagnole, actuellement à « Aa2 » (la troisième meilleure possible).
La croissance de l’Espagne, dopée pendant des années par sa bulle immobilière, a brutalement chuté quand cette dernière a éclaté fin 2008, au moment même où éclatait la crise financière internationale. Elle a alors plongé dans 18 mois de récession, dont elle n’est ressortie, début 2010, qu’avec une croissance atone.
AFP
Journée mondiale de manifestations contre le pouvoir des banques
Après la journée mondiale de manifestations contre le pouvoir des banques le 15 octobre, le quotidien de centre-gauche El País souligne le caractère inédit de ce mouvement : « Cette dimension mondiale fait de cette journée de protestation un évènement particulier auquel on n’avait encore jamais assisté. D’une part, une initiative lancée par des citoyens est parvenue à organiser en même temps des manifestations dans des endroits aussi nombreux, aussi différents et aussi distants les uns des autres. Contrairement aux mouvements antimondialisation qui ont eu lieu jusqu’à présent là où se rencontraient les décideurs de la planète, il s’agit ici d’une réaction internationale, qui remet en question le traitement mondial de la crise financière qui a entraîné une grave dépression dans le monde entier. Les exigences du mouvement rencontrent la sympathie d’une majorité de personnes à un moment difficile de notre histoire, où la répartition des coupes budgétaires à supporter et des sacrifices est ressentie comme injuste. » (16.10.2011)
«Il y a crise quand l’ancien monde ne veut pas mourir et que le nouveau monde ne peut pas naître.» Cette définition du théoricien italien Antonio Gramsci s’applique à la lettre au moment de tension extrême que subissent la planète financière en général et le monde de la banque en particulier. De l’ancien monde, tout semble encore en place, ou presque. Près de deux décennies après le scandale du Crédit lyonnais, le drame de Dexia en témoigne jusqu’à la caricature : prise de risques inconsidérés, spéculation à coups de «produits» toxiques, tergiversation irresponsable des Etats, «stress tests» bidons et sauvetage public sans contreparties… Comme si chacun se refusait à tirer la moindre leçon de la catastrophe. Aucune mesure sérieuse d’encadrement et de contrôle des instruments financiers n’a été prise, ni en Europe ni aux Etats-Unis, depuis le sévère avertissement de 2008. Au moment où s’esquisse un nouveau plan de sauvetage des banques, cette fois à l’échelle européenne, il faut rappeler à tous qu’une banque est d’abord et avant tout un bien public. Les Etats ne sauraient mobiliser à nouveau des milliards d’euros sans exiger des règles nouvelles et, notamment, une place au conseil d’administration des établissements aidés. Nicolas Sarkozy s’y était refusé en 2008. Les peuples européens ne comprendraient pas aujourd’hui que nul ne soit en charge du rappel permanent et exigeant de l’intérêt général. La politique y joue son crédit. Le monde nouveau ne naîtra pas sans un électrochoc.
Hier à Bruxelles, les Vingt-Sept se sont mis d’accord sur le principe de renflouer les établissements en difficultés. Sans encore évoquer de contreparties.
Panique à bord : après des mois de déni, les gouvernements européens, secoués par l’effondrement de la banque franco-belge Dexia, admettent enfin qu’il y a un énorme problème bancaire sur le continent. Hier, à Bruxelles, Angela Merkel a reconnu qu’il «est justifié, s’il y a un constat commun que les banques ne sont pas assez capitalisées, que l’on procède (à une recapitalisation), compte tenu de la situation actuelle sur les marchés financiers». En clair, pas question de croiser les doigts en espérant que la confiance revienne, comme voulait le faire Paris. «Pour les marchés, il est important qu’on aboutisse à des résultats, a martelé Merkel. Le temps presse et donc il faudrait que cela se fasse vite.»
Olli Rehn, le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires, a pour sa part annoncé, dans un entretien au Financial Times, que les Vingt-Sept préparaient un plan destiné à renflouer les banques qui en ont besoin : «Il y a un sentiment d’urgence parmi les ministres des Finances. […] Le capital des banques européennes doit être renforcé afin de leur donner une marge de sécurité et ainsi de réduire l’incertitude», sur les marchés. Ce n’est pas encore un Plan Marshall pour les banques, mais ça commence à y ressembler.
Incendie. Les réunions des dirigeants européens vont s’accélérer ces prochains jours, non seulement pour enrayer l’incendie bancaire qui menace, mais aussi pour essayer d’apporter une réponse globale à la crise de la dette souveraine : réunion de la BCE aujourd’hui à Berlin, sommet franco-allemand dimanche, toujours à Berlin, puis Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement les 17 et 18 octobre… Cette fois, les capitales européennes semblent déterminées à éviter la cacophonie de l’automne 2008, lorsque l’Irlande avait garanti sans avertir personne les dépôts de ses épargnants, ce qui avait déclenché une belle panique. «Ce devra être un mouvement ordonné, transparent et égalitaire dans toute la zone», indique l’Elysée.
Merkel insiste aussi pour que la recapitalisation se fasse selon des «critères communs». «Si l’on renforce les banques, ce ne sera pas parce qu’elles sont intrinsèquement malades, mais parce que l’on n’arrive pas à résoudre la question de la dette de la Grèce. Il s’agit de témoigner d’une volonté collective de stabilisation du système financier européen», insiste l’Elysée. Pourtant, «la crise bancaire de 2007 est loin d’avoir été résolue, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, comme le montre l’affaire Dexia, affirme Nicolas Veron, du centre de réflexions Bruegel. Certes, depuis, elle s’est transformée en crise de la dette et désormais les deux s’entretiennent réciproquement : c’est parce que les marchés doutent de la solvabilité des Etats qu’ils doutent de la solidité des banques.» Mais, selon Veron, le problème va bien au-delà d’une question de confiance des marchés : «Il faut qu’une autorité indépendante soit chargée d’identifier les maillons faibles, car il y en a, et qu’elle puisse les traiter en les recapitalisant ou en les restructurant.»
Car pour l’instant, les comptes des banques sont pleins de zones d’ombre que les «stress tests» de juillet n’ont pas permis de lever. En particulier, les établissements français souffrent, aux yeux des marchés, d’avoir conservé un effet de levier trop élevé dans leur bilan : ainsi, le total de bilan de BNP Paribas représente 27 fois ses fonds propres et ce multiple s’élève à plus de 50 pour la Société générale. En comparaison, les principales banques américaines affichent un ratio moyen de 10. Pour s’aligner, à périmètre constant, les banques européennes devraient augmenter leurs fonds propres de 360 milliards d’euros…
Prix d’Ami. La recapitalisation qui s’annonce et dont on ignore le montant fera appel soit à des investisseurs privés, soit à de l’argent public, soit à des fonds européens. En effet, le Fonds européen de stabilité financière pourra, dans sa nouvelle mouture, qui devrait entrer en vigueur à la fin du mois, prêter de l’argent aux Etats afin de les aider à recapitaliser leurs banques. Les Européens cherchent actuellement les moyens de démultiplier son action en créant un «effet de levier».
En attendant que le ménage soit fait, la BCE ne reste pas inactive. Le système peut imploser à chaque instant, puisque le marché interbancaire est paralysé. La situation est aussi tendue qu’au début de la crise des subprimes, (août 2007), ou au lendemain de la faillite de Lehman Brothers (septembre 2008) : les établissements financiers ne se prêtent plus d’argent de peur de ne pas le récupérer. La BCE inonde donc à nouveau de liquidités le marché : depuis le début de la crise, elle accorde des prêts à taux fixe (et donc à prix d’ami) à trois mois et sans plafond aux banques commerciales. Mieux : elle a annoncé qu’elle allait passer à des durées de six mois et peut-être, demain, d’un an. Reste à savoir si les opinions publiques accepteront ce second sauvetage sans que les banques en payent le prix. Jean-Claude Trichet, président de la BCE, a déjà averti que «nos démocraties ne pourraient accepter un nouveau plan d’aide aux banques» de même ampleur qu’en 2008 «sans contreparties».
Un homme portant cravate se présenta un jour dans un village. Monté sur une caisse, il cria à qui voulait l’entendre qu’il achèterait cash 100 euros l’unité tous les ânes qu’on lui proposerait. Les paysans le trouvaient bien peu étrange mais son prix était très intéressant et ceux qui topaient avec lui repartaient le portefeuille rebondi, la mine réjouie. Il revint le lendemain et offrit cette fois 150 € par tête, et là encore une grande partie des habitants lui vendirent leurs bêtes. Les jours suivants, il offrit 300 € et ceux qui ne l’avaient pas encore fait vendirent les derniers ânes disponibles. Constatant qu’il n’en restait plus un seul, il fit savoir qu’il reviendrait les acheter 500 € dans huit jours et il quitta le village.
Le lendemain, il confia à son associé le troupeau qu’il venait d’acheter et l’envoya dans ce même village avec ordre de revendre les bêtes 400 € l’unité. Face à la possibilité de faire un bénéfice de 100 € dès la semaine suivante, tous les villageois rachetèrent leur âne quatre fois le prix qu’ils l’avaient vendu et pour ce faire, tous empruntèrent.
Comme il fallait s’y attendre, les deux hommes d’affaire s’en allèrent prendre des vacances méritées dans un paradis fiscal et tous les villageois se retrouvèrent avec des ânes sans valeur, endettés jusqu’au cou, ruinés.
Les malheureux tentèrent vainement de les revendre pour rembourser leur emprunt. Le cours de l’âne s’effondra. Les animaux furent saisis puis loués à leurs précédents propriétaires par le banquier. Celui-ci pourtant s’en alla pleurer auprès du maire en expliquant que s’il ne rentrait pas dans ses fonds, il serait ruiné lui aussi et devrait exiger le remboursement immédiat de tous les prêts accordés à la commune.
Pour éviter ce désastre, le Maire, au lieu de donner de l’argent aux habitants du village pour qu’ils paient leurs dettes, le donna au banquier, ami intime et premier adjoint, soit dit en passant. Or celui-ci, après avoir rétabli sa trésorerie, ne fit pas pour autant un trait sur les dettes des villageois ni sur celles de la commune et tous se trouvèrent proches du surendettement.
Voyant sa note en passe d’être dégradée et pris à la gorge par les taux d’intérêts, la commune demanda l’aide des communes voisines, mais ces dernières lui répondirent qu’elles ne pouvaient en aucun cas l’aider car elles avaient connu les mêmes infortunes.
Sur les conseils avisés et désintéressés du banquier, toutes décidèrent de réduire leurs dépenses : moins d’argent pour les écoles, pour les programmes sociaux, la voirie, la police municipale… On repoussa l’âge de départ à la retraite, on supprima des postes d’employés communaux, on baissa les salaires et parallèlement on augmenta les impôts. C’était, disait-on, inévitable mais on promit de moraliser ce scandaleux commerce des ânes.
Cette bien triste histoire prend tout son sel, quand on sait que le banquier et les deux escrocs sont frères et vivent ensemble sur une île des Bermudes, achetée à la sueur de leur front. On les appelle les frères Marché.
Très généreusement, ils ont promis de subventionner la campagne électorale des maires sortants.
Cette histoire n’est toutefois pas finie car on ignore ce que firent les villageois. Et vous, qu’auriez-vous fait à leur place? Que ferez-vous ?
Avant de nous retrouver tous sur la place du village samedi 15 octobre 2011 (journée internationale des Indignés), faites déjà passer cette histoire à votre voisin…
L’emprunt forcé, une arme des Etats face aux marchés ?
C’est parce qu’ils sont convaincus que les grands pays européens ne sont pas « sans défense face aux anticipations perverses des marchés » que l’ancien et l’actuel président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Jean-Paul Fitoussi et Philippe Weil, et le grand patron italien Gabriele Galateri di Genola, président de Generali, ont pris leur plus belle plume pour inviter ensemble les Etats à se ressaisir.
Leur tribune initialement parue dans le Financial Times du 15 septembre est en ligne sur le blog de l’OFCE sous le titre « L’emprunt forcé : l’arme de destruction massive de la politique budgétaire ».
Le propos des trois auteurs, décrypté par M. Weil, est simple : éviter que la crainte du pire demain (des écarts de taux trop forts, une dégradation de la note souveraine et un emballement de l’endettement) n’entraîne dès aujourd’hui « une spirale dépressive » calamiteuse pour la croissance et pour l’emploi.
Quand des pays qui ont la même monnaie (l’euro) et qui sont des partenaires commerciaux se mettent ensemble, par une coordination de fait, à adopter des politiques restrictives, le résultat est catastrophique sur l’activité et le niveau de l’emploi, explique M. Weil.
Les Etats européens ne peuvent plus, comme autrefois, faire marcher la planche à billets pour réduire leur taux d’endettement (c’est-à-dire monétiser leur dette). Les eurobonds, dont le mérite économique n’est pas à démontrer, ne séduisent guère les Allemands. Et le marché unique ne résisterait sans doute pas à la création, au sein de la zone euro, d’un espace des pays du Nord et d’un espace des pays du Sud.
Pour autant, écrivent les auteurs, le sort de l’Europe n’est pas scellé. Il suffit pour cela que les gouvernements ressortent de leur arsenal budgétaire l’arme qui leur a servi aussi bien en temps de guerre qu’en temps de paix : l’emprunt forcé.
Ce serait une façon de « sortir des prophéties auto-réalisatrices des marchés » et un moyen pour les grands pays européens de leur rappeler qu’il n’y a aucune raison que les Etats fassent défaut et qu’une partie des dettes souveraines, lorsque les primes de risques sont trop élevées, peut fort bien être refinancée auprès de leurs propres citoyens.
Valéry Giscard d’Estaing ou François Mitterrand ne sont pas les seuls à avoir recouru à l’emprunt forcé. Plus récemment, en 2009, la Californie a utilisé cette arme : elle a augmenté de 10% le prélèvement à la source de ses contribuables pendant la crise, tout en les prévenant qu’elle les rembourserait, mais sans intérêts, en 2010. C’était aussi un signal adressé aux marchés. L’histoire ne dit pas ce que les Californiens en ont pensé.
Source Le Monde 20/09/11
La rigueur, ses excès et ce qu’en disent les économistes
La conversion des socialistes français à la nécessité de réduire le déficit public, manifeste lors du premier débat télévisé qui a opposé le 15 septembre les six candidats à la primaire, a quelque chose de paradoxal. Elle survient en effet à un moment où des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent chez les économistes, et au-delà, pour mettre en garde les pouvoirs publics contre un excès de rigueur et/ou une rigueur généralisée.
L’Allemagne, on le sait, a inscrit dans sa Constitution le passage à un déficit structurel quasi nul (0,35% de son produit intérieur brut) à partir de 2016 et elle a d’ores et déjà obtenu que certains de ses 16 partenaires de la zone euro suivent son exemple.
Or, dans une note diffusée le 7 septembre 2011, Henri Sterdyniak et Catherine Mathieu, chercheurs à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), observent que la règle d’or allemande n’en est pas une. Et surtout, ils indiquent que la « vraie » règle d’or des finances publiques, énoncée par Paul Leroy-Beaulieu à la fin du XIXe siècle, reconnaît à l’Etat le droit d’avoir un déficit tant qu’il finance l’investissement public.
Il ne va donc pas de soi ni du point de vue de l’économie classique, ni, bien entendu, du point de vue de la théorie keynésienne, qu’il faille se fixer pour objectif d’avoir un solde nul des finances publiques. Le « bon » niveau de déficit structurel dépend de la situation économique.
« Un déficit de 2,3% du PIB correspondait à la vraie règle d’or en 2006 pour la France ; un déficit de 7,5% du PIB était nécessaire en 2009, compte tenu de la situation économique », précisent les deux auteurs. Et d’ajouter en bons keynésiens : « Dans une situation de faible croissance, de fort chômage, où les taux d’intérêt sont déjà très faibles (le 1er septembre, la France s’endettait à 10 ans à 2,9%), la priorité n’est pas de réduire le déficit public mais de soutenir la demande privée ».
UNE REGLE TROP « SIMPLISTE »
Ces interrogations ne sont pas limitées aux seuls keynésiens. Ainsi Christian de Boissieu, professeur associé à Paris-I, confesse-t-il ne pas savoir « d’où les Allemands sortent leur chiffre de 0,35% ni à quoi il correspond ». « La règle d’or allemande pose des problèmes, en particulier parce qu’elle ne reconnaît pas à l’Etat le droit d’emprunter pour investir et parce qu’elle implique, à terme, un taux d’endettement public tendant vers zéro, ce qui est absurde », analyse Patrick Artus, directeur de la recherche économique de Natixis. Et de pointer d’autres règles moins « simplistes », comme l’interdiction de financer par la dette les dépenses publiques courantes.
Autrement dit, il n’y a aucune raison de faire « le concours de celui qui réduira sa dette le plus vite », selon l’expression d’Arnaud Montebourg, et Martine Aubry trouvera dans la littérature économique de solides arguments à opposer à François Hollande sur la nécessité ou pas de se fixer un objectif de zéro déficit des finances publiques en 2017.
Le cas de la Grèce retombée en récession deux ans après un premier plan d’austérité montre que le rétablissement de la soutenabilité des finances publiques exige du temps et un certain doigté. « Lorsque l’on va trop vite et trop loin, on casse la croissance et on aggrave le ralentissement économique ou on accentue la récession », observe Christian de Boissieu.
Si, comme le confirme Philippe Aghion, professeur d’économie à Harvard et à l’école Polytechnique, « il n’existe pas à proprement parler de définition de la rigueur », les pays sinon les plus rigoureux, du moins » les plus vertueux » sont, à ses yeux, « ceux qui ont des faibles niveaux moyens de dette publique ou de déficits publics sur PIB et qui, de surcroît, mènent des politiques contracycliques (augmentation des déficits en récession, réduction des déficits en période d’expansion), ce qui leur permet de minimiser les conséquences du cycle économique sur l’emploi et les investissements de croissance ».
Christian de Boissieu met pour sa part en avant au moins trois indicateurs utiles pour donner un contenu à la rigueur, ce terme emprunté aux politiques (de Raymond Barre à François Fillon en passant, bien sûr, par le socialiste Pierre Mauroy et son fameux tournant de 1983 ) : la baisse des salaires nominaux et des salaires réels (donc du pouvoir d’achat) , la caractère restrictif des politiques budgétaire et monétaire et leurs coûts d’ajustement économiques et sociaux, qui peuvent être extrêmement élevés (les Irlandais, les Grecs et les Portugais en savent quelque chose).
UN RISQUE DE SPIRALE DEPRESSIVE
Si la rigueur peut se retourner contre la croissance et, dans les cas extrêmes, contre le redressement des comptes publics, sa généralisation, au même moment, à l’ensemble des pays de la zone euro, déjà affectés par le ralentissement économique mondial, ne peut qu’engendrer une spirale dépressive, alerte un nombre croissant d’économistes.
Dans son édition du 15 septembre, l‘International Herald Tribune rapporte qu’un des membres du comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre est un économiste américain, Adam Posen. Et que ce spécialiste du Japon et de ce qu’on appelle souvent sa « décennie perdue » met en garde depuis des semaines cette instance et les pouvoirs publics en Europe et aux Etats-Unis contre les risques de répétition des erreurs des années 1930, à savoir amplifier le ralentissement économique par des politiques monétaires encore trop conventionnelles et par des coupes budgétaires.
Que la Banque d’Angleterre tolère semblable énergumène en son sein alors que le premier ministre britannique, le conservateur David Cameron, plaide pour un Etat minimal et fait des coupes claires dans les dépenses publiques, montre bien, s’il en était besoin, à quel point les réponses aux problèmes de l’heure sont peu évidentes.
Standard and Poor’s a annoncé lundi avoir abaissé d’un cran la notation de l’Italie, en raison des faibles perspectives de croissance et de la fragilité de la majorité de Silvio Berlusconi.
La note de la dette à long terme a été abaissée de «A+» à «A» et la note à court-terme de «A-1+» à «A-1», a indiqué l’agence de notation dans un communiqué. La perspective de ces notes est «négative», ce qui signifie que l’agence d’évaluation financière envisage encore de les abaisser. Aux yeux de l’agence, l’Italie reste dans la catégorie des émetteurs obligataires solides mais susceptibles d’être affectés par des changements de la situation économique.
Standard and Poor’s est la première agence à dégrader la notation de l’Italie qui n’avait jamais été abaissée depuis le début de la crise de la dette, contrairement à celle des autres pays fragiles de la zone euro.
L’agence Moody’s, qui envisage également de dégrader la note de l’Italie, a annoncé vendredi qu’elle prolongeait son examen et pensait rendre sa décision dans «le mois à venir».
«Un environnement macroéconomique difficile sur le plan intérieur et extérieur»
Standard and Poor’s justifie sa décision par «l’affaiblissement des perspectives de croissance de l’Italie» ainsi que «la fragilité de la coalition au pouvoir et les divergences politiques au Parlement (qui) vont probablement continuer de limiter la capacité de l’Etat à répondre de manière décisive à un environnement macroéconomique difficile sur le plan intérieur et extérieur».
Alors que la faible croissance est déjà le talon d’Achille du pays, l’affaiblissement de la demande extérieure en raison du ralentissement économique mondial, les mesures d’austérité et la «pression sur les coûts de financement» vont en effet entraîner une croissance «plus faible» que celle estimée auparavant, selon l’agence. Dans son scénario le plus négatif, Standard and Poor’s table même sur une nouvelle «récession» en 2012 en Italie avec un recul du PIB de 0,6% avant une «modeste reprise» en 2013 et 2014.
Conséquence de ces sombres prévisions économiques, les objectifs de réduction du déficit et de la dette fixés par le gouvernement seront «difficiles à atteindre», selon l’agence de notation qui ne pense pas que toutes les économies prévues pourront être réalisées. Par ailleurs, selon Standard and Poor’s, les autorités italiennes «restent réticentes» à adopter des réformes structurelles ambitieuses afin de relancer la croissance.
Un plan de rigueur de plus de 54 milliards d’euros
La dégradation de la note de l’Italie intervient moins d’une semaine après l’adoption mercredi dernier par le Parlement d’un plan d’austérité draconien de 54,2 milliards d’euros devant permettre au pays de parvenir à l’équilibre budgétaire en 2013 et de réduire sa dette colossale (120% du PIB).
Ce nouveau plan très impopulaire avait été annoncé en urgence début août, en échange du soutien de la Banque centrale européenne sur le marché obligataire, le premier plan adopté en juillet ayant été jugé insuffisant par les marchés.
Mais ce tour de vis n’a toutefois pas permis à l’Italie de rassurer les investisseurs qui doutent de la détermination du gouvernement à mettre en oeuvre ces mesures, alors que la mise au point du plan a donné lieu à d’incessantes tergiversations pour tenter de contenter une majorité divisée et affaiblie.
Alors que les pays de la zone euro traversent une crise majeure de leurs dettes souveraines, les grands pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont fait savoir qu’ils allaient discuter la semaine prochaine de la possibilité de venir en aide à l’Europe. Tout un symbole, nous explique Alexandre Kateb, économiste, directeur de Competence Finance et maître de conférence à Sciences-Po.
En quoi l’annonce des Brics est-elle symbolique ?
C’est un véritable retournement. Un bouleversement du centre de gravité de l’économie financière de la planète. Les pays émergents ont été aidés par les pays développés durant les années 1990 lorsqu’ils étaient traversés par des crises. Aujourd’hui, l’inverse va peut-être se produire.
A l’aune de cette crise, les pays émergents apparaissent désormais comme les plus solides. Ils sont en position de force. Se portent garants de la croissance économique mondiale et de la santé des pays européens en convalescence ou gravement atteints. Et sont prêts à prendre une responsabilité plus grande dans la gouvernance économique et financière mondiale. C’est très fort symboliquement.
Il faut dire que par le passé, les Brics ont longtemps été économiquement inféodés à l’occident.
Parmi les Brics, le seul pays qui a conquis très tôt son autonomie est la Chine. A partir de 1949 et pendant les années de libéralisation sous Deng Xiaoping, elle n’a jamais souscrit une dette importante au niveau international.
La Russie, l’Inde, le Brésil… Tous les autres grands pays émergents ont en revanche eu recours à l’aide internationale via le FMI ou bien à travers les aides du Trésor américain.
L’Inde a eu recours au FMI en 1991 pour éviter une crise de sa balance courante après plusieurs crises économiques. En contrepartie, le Fond monétaire exige alors une libéralisation de son économie et une gestion très prudente au niveau macroéconomique.
Pendant des années, la Russie a été portée à bout de bras par le FMI, mais celui-ci ne parvient pas à éviter le défaut de la dette souveraine russe en 1998. Elle aussi a dû mettre en place des réformes économiques majeures.
Le Brésil a quant à lui connu des crises à répétition pendant les années 1980 et 1990. La dernière, qui date de 1999, a mené à une dévaluation très forte de sa monnaie vis-à-vis du dollar. Le FMI lui est alors venu en aide, et lui a imposé une remise en ordre économique. Il a aussi demandé au Brésil des privatisations et des dégraissages massifs parmi les fonctionnaires. Plusieurs millions d’emplois ont été perdus. Depuis, le pays a pris ses distances vis-à-vis du FMI.
On se doute que les Brics ne proposent pas leur aide à l’Europe par altruisme. Quel intérêt auraient-ils à acheter davantage d’obligations européennes?
En soutenant la zone euro, ils se soutiennent eux-mêmes. Leurs économies sont dépendantes de la croissance de la zone euro. Les Brics ne veulent pas que le moteur de la consommation s’arrête en Europe. C’est particulièrement vrai pour la Chine. Et le Brésil et la Russie seraient très impactés par ricochet en cas de récession mondiale, car ils fournissent les matières premières. L’Europe absorbe les deux tiers des exportations énergétiques russes.
Investir davantage dans les obligations européennes permettrait également aux Brics de réduire leurs dépendance vis-à-vis du dollar. Notamment pour la Chine, qui dispose de 3000 milliards de réserve de change. Elle a toutes les réserves nécessaires pour venir au secours de l’euro tout en diversifiant ses risques et en prenant pied dans la zone euro. Ce faisant, elle permet aussi à ses entreprises d’être accueillies plus positivement dans la zone. C’est donnant-donnant.
Soutenir l’euro, c’est également favoriser la consolidation de cette monnaie, véritable alternative au dollar, et donc sortir de l’hégémonie américaine.
Les Brics pourront-ils observer une coordination politique pour venir en aide à l’Europe ?
C’est surtout le symbole qui est recherché. Après, chaque pays va mettre en oeuvre les mesures qu’il jugera conformes à son intérêt. En terme de diversification des réserves de change, par exemple, la Chine n’a pas la même marge de manoeuvre que l’Inde.
Il y aura en tout cas des signaux forts pour montrer que les Brics vont soutenir l’euro et augmenter leurs achats d’obligation. Pas question pour eux d’acheter de la dette grecque ou portugaise. Mais plutôt de la dette allemande ou française, voire italienne. Les Chinois souhaitent notamment acheter des obligations en Italie. Mais ils sont prudents. Ils sont prêts à prendre des risques en pensant au long terme, mais ils ne veulent pas non plus hypothéquer leur trésor de guerre.
Concrètement, cela pourra rassurer les marchés, montrer que les pays européens ne sont pas les seuls à se préoccuper de la crise de la zone euro. Et qu’une solution internationale peut être mise en place.
Recueilli par Laura Thouny (Libération)
Alexandre Kateb est économiste, directeur de Competence Finance et maître de conférence à Sciences-Po. Il a écrit «Les nouvelles puissances mondiales : pourquoi les Brics changent le monde» aux éditions Ellipses.